Hommage à Ernesto Che Guevara – Partie finale & Discours d’Alger (1965)

Hommage à Ernesto Che Guevara – Partie finale

&

Discours d’Alger (1965)

Même si, chronologiquement parlant, le message à la tricontinentale est postérieur au discours d’Alger, nous avons choisi d’intégrer celui-ci à cette dernière partie. Le texte est un discours particulièrement illustratif, particulièrement enrichissant sur la pensée politique de Ernesto Che Guevara. 

 

A la mort du Che, un curieux culte s’est développé. Des centaines de personnes sont venus voir son corps dans l’hôpital, où il est exposé.  Ainsi, l’attitude christique du corps, mêlé aux conceptions de la théologie de la libération, font que de nombreuses nonnes de l’hôpital coupent des mèches de cheveux, comme des reliques. Il se créé un culte fascinant, autour de légendes telles que  San Ernesto de La Higuera et El Cristo de Vallegrande, parlant d’un réveil de celui-ci, se relevant d’entre les morts.

Ce curieux épilogue, faisant du Che un saint de certaines sectes catholiques, n’est pas sans évoquer ces curieuses icônes orthodoxes ou arméniennes, représentant Staline en saint auréolé.

Si cela est révélateur d’une certaine perception du rôle de ces deux personnages, par une partie des masses, ces aspects nous intéressent moins que l’héritage idéologique et politique qu’ils peuvent laisser.

Le Che a déclenché un engouement que nous avons déjà souligné en introduction de cet hommage. Il a illustré l’enthousiasme combatif, l’envie de combattre, l’abnégation, le don de soi. Ces qualités -très aisément intégrables à une imagerie chrétienne et romantique du martyr- ont fait et font toujours du Che un symbole de la jeunesse révoltée.

Il reste l’image de l’homme d’action, l’image du vadrouilleur, de l’infatigable combattant  contre la misère. L’image, aussi, du médecin fidèle à son serment, qui, lorsque capturé, proposa de soigner les soldats blessés de l’ennemi. Celui qui écrivit, dans le Socialisme et l’Homme à CubaTous les jours, il faut lutter pour que cet amour de l’humanité vivante se transforme en gestes concrets, en gestes qui servent d’exemple et qui mobilisent” .

Mais la pensée politique du Che, qu’en est-il ?

Trop souvent réduit à une imagerie, à un simple symbole, le Che a été victime de la foire d’empoigne qu’opèrent les opportunistes sur tout ce qu’ils peuvent capter, récupérer, intégrer à leur construction idéologique pourrie et instable. Une nouvelle fois, nous pensons aux anticommunistes, aux trotskistes, aux révisionnistes, chacun essayant de faire du Che “un d’entre eux.” Ironie de la chose, nul doute que Ernesto Guevara n’aurait pas hésité à en fusiller certains. Mais le flou bénéficie toujours à l’opportunisme.

Or, le “guévarisme”, si il est possible de parler ainsi, a été défini, notamment en collaboration avec le français Régis Debray, son compagnon de lutte en Bolivie, sous un concept : le foquisme. Ce foquisme est ce qui démarque, au final, la pensée guévariste du léninisme, idéologie pourtant à laquelle le Che se rattachait.

Dans La guerre de guérilla, écrit en 1961, Che Guevara expose certaines bases de sa conception politico-militaire et se conception stratégique. Régis Debray, de son côté, synthétise son expérience dans Révolution dans la révolution en 1967. Il est difficile de faire, dans cet ouvrage, la part des choses entre ce qui est du domaine de la conception de Debray lui-même et ce qui provient du Che. Toujours est-il que des recoupements peuvent être faits.

Contrairement à la thèse défendue par de nombreux anticommunistes, le Che ne s’est pas élevé contre un hypothétique Thermidor stalinien, mais s’inscrit dans la droite ligne de la pensée léniniste. Sa brouille avec l’URSS, qui sert souvent d’argument, est une brouille avec la ligne de l’URSS d’après 1956, sociale-impérialiste, restauratrice de l’économie de marché, liquidatrice de la révolution prolétarienne et de la dictature du prolétariat. Il lui est ainsi attribué la déclaration suivante : “Celui qui n’a pas lu les quatorze tomes des écrits de Staline ne peut pas se considérer comme tout à fait communiste.” (cité dans le N°720 du magazine Historia, 2006)

Pourtant, il est hasardeux d’en faire un maoïste. Si sa pensée politique et sa compréhension de la situation internationale le rapproche de la Chine Populaire ; s’il ne fait nul doute que la Révolution Culturelle a certainement eu un écho favorable chez lui ; si la guérilla, comme pour Mao Zedong, est au centre de la question de la conquête du pouvoir, des différences inconciliables demeurent.

La question du Parti forme cette barrière, et derrière elle, la question de la stratégie générale.

Dans sa conception des choses, la guérilla armée est l’alpha de la lutte. Autour de focos, des foyers, la lutte armée est l’outil qui agrège les forces. Contrairement à l’expérience chinoise, qui s’est appuyée sur la paysannerie pauvre par nécessité et pour être loin des citadelles de l’impérialisme, tout en maintenant la classe ouvrière au centre de son projet, les focos basent leur stratégie sur les campagnes.

La satisfaction des revendications de la paysannerie pauvre et des campagnes devient le stimulant principal de la lutte. Elle doit permettre à la guérilla de s’assurer un soutien, de développer des foyers [d’où son nom] de combat les plus nombreux possibles, pour forcer l’ennemi à se disperser. L’idée est de faire tâche d’huile et d’engranger des forces pour passer de la petite guérilla à la grande guérilla, puis de celle-ci à l’offensive victorieuse.

Dans les faits, des failles terribles condamnaient l’expérience.

La principale faiblesse de la pensée du Che est d’avoir sous-estimé la nécessité de l’organisation, du besoin du parti, de son rôle d’Etat-major de la classe ouvrière ainsi que des classes opprimées.

D’une part car, dans le combat, le Parti Communiste ne fait pas que des tâches liées à la guerre contre les forces de l’impérialisme. Il mène un travail légal ou illégal, clandestin ou affiché, au travers de ses relais ou directement, dans le but de mobiliser et d’organiser les masses. Il mène une lutte sur plusieurs fronts. En se limitant au seul secteur de la guerre, les foquistes n’ont pas marché sur leurs deux jambes.

D’autre part car le Parti Communiste est un roc, un bastion, une forteresse. Il est cette digue qui permet de résister au reflux du mouvement de masse, de survivre aux défaites, de tenir face à l’adversité. La guérilla du Che se basait sur un volontarisme certes louable, mais terriblement vulnérable. Lorsque, face aux difficultés, les soutiens se sont taris, les portes se sont fermées, les groupes guévaristes et foquistes se sont étiolés, se sont disloqués. Cette faiblesse ne s’est pas avérée trop criante dans la conduite des opérations, car, alors, les USA ne donnaient qu’un appui modéré au régime de Batista. Elle ne s’est pas avéré trop visible dans un cadre où le mouvement communiste international était au zénith. Après la déstalinisation, après la rupture sino-soviétique, dans un contexte où les USA imposaient une pression terrible sur l’Amérique du Sud, les chances de succès se sont avérés moindres et, pour finir, nulles.

La question du Parti Communiste à Cuba s’est elle aussi montrée problématique, mais d’une manière peu visible. La construction du socialisme s’est émaillée de difficultés lorsque le Che géra le portefeuille de l’économie, difficultés reflétant les questions terribles et cruciales de “comment construire le socialisme dans une île en sous-développement” . Après son départ de ce poste, elle ne fut plus réellement posée. De fait, l’URSS dictait le développement économique de celle-ci, pour l’inclure dans la satellisation social-impérialiste.

Il ne fait pas de doute que Che Guevara ait voulu développer le socialisme, il ne fait pas de doute quant à sa sincérité. Cette satellisation est ce qui signa l’arrêt de mort du développement plein et entier du socialisme à Cuba.

Le Che s’est montré d’une hostilité complète envers les théories économiques de la direction Khrouchtchévienne et de ses successeurs Brejneviens, de même qu’envers leur politique de coexistence pacifique avec l’impérialisme et la bourgeoisie. Seulement, dans le schisme entre révisionnisme et léninisme, entre URSS, Chine et Albanie, Cuba avait-elle les moyens de choisir ? Encerclée, l’île dépendait de l’aide de l’Union Soviétique. Entre choisir celle-ci et se lancer aux côtés de la Chine, le pragmatisme avait primé.

Toujours est-il que l’absence de véritable débat idéologique a précipité cette issue. Elle a permis aux lignes les plus droitières de triompher de manière quasiment systématique. Au final, le Che s’est retrouvé acculé au départ, car devenant gênant pour la direction du Parti Unifié de la Révolution Socialiste Cubaine (PURSC) fondé en 1962. Ce dernier ne prend le nom de PCC que lorsque les dès furent déjà joués. L’île resterait fidèle à Moscou.

Malgré cela, Cuba a vécu et, malgré sa situation, Cuba présente une face de succès.

Malgré ses échecs à la fin de sa vie, le Che est demeuré le symbole de la révolution cubaine, de la volonté de libération des peuples opprimés, et il a laissé derrière lui un héritage qui marque encore profondément la société de Cuba. Celui-ci disait que « la société doit devenir une grande école ». Une déclaration qui trouve encore aujourd’hui son application concrète, avec l’un des meilleurs systèmes éducatifs du monde. Le Che condamnait l’individualisme, chaque individu devant participer collectivement à la construction de la société socialiste. Il montrait lui même l’exemple par une vie sobre, et par sa participation hebdomadaire au travail volontaire dans les usines.

Cet esprit existe encore aujourd’hui dans le cœur des cubains, dont le travail bénévole a permis de grandement limiter les dégâts laissés, récemment, par l’ouragan Irma. Un Hors de ses frontières, Cuba est le seul exportateur de médecins du monde, que le secrétaire général aux Nations Unies Ban Ki Moon décrivait ainsi : « ce sont toujours les premiers arrivés et ce sont les derniers à partir. Ils restent sur place après les crises. Cuba peut montrer au monde entier son système de santé, un modèle pour beaucoup de pays ».

Aujourd’hui, nous rendons hommage à un homme qui, guidé par la théorie marxiste-léniniste, a voué sa vie à la cause révolutionnaire. Son altruisme, son courage, son sens du sacrifice et son désir de justice doivent être pour nous une source d’inspiration !

Ernesto Che Guevara fait partie aujourd’hui du panthéon des martyrs de la révolution.

Che Guevara reste aussi une icône, une icône qui contient une part de réussite, une part d’échecs et d’insuffisances.

Il serait aisé de ne garder que les dernières par désir de pulvériser un “mythe” de plus. C’est là être faire preuve d’une bien piètre camaraderie et transformer la critique en entreprise de démolition.

Ce n’est nullement notre vocation. Nous considérons qu’il est important de critiquer les insuffisances théoriques, politiques, pratiques et humaines, mais qu’il est tout aussi essentiel d’être capable de tirer des enseignements de ces expériences. Nous nous nourrissons autant des succès que des échecs de notre histoire et de notre mouvement.

C’est en cela que les mythes doivent tomber, non pour démolir, mais bien pour dégager la vérité et les éléments pertinents d’une existence.

Dans ce cadre, Che Guevara était un camarade. Il fut un soldat de le révolution prolétarienne. Ni un saint, ni un démon, mais bien juste un homme.

Cet homme est mort sous les balles de l’ennemi.

Mais l’œuvre, l’œuvre vit toujours et existera tant qu’elle sera étudiée. Elle n’appartient plus au Che seul, elle appartient à l’humanité.

“Le présent est fait de lutte ; l’avenir nous appartient”.

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