Introduction : la libération nationale
Pourquoi, en tant que communiste, défendre une lutte de libération nationale ?1
Cette question peut paraître absurde, mais elle ne l’est pas. Les communistes défendent l’abolition des classes, alors en quoi le destin d’une nation ou d’une autre nous concerne-t-il ?
Selon le principe du droit des nations à disposer d’elles-mêmes (à l’autodétermination), une lutte de libération nationale est juste. Mais d’où vient ce droit ? En quoi est-il différent des droits bourgeois (liberté de propriété, d’expression, etc.) qui laissent indifférents les communistes ? De plus, qu’une guerre soit juste ne signifie pas alors nécessairement que les communistes devraient la défendre, et donc y prendre part. En quoi une guerre juste de libération nationale peut aussi être la guerre des communistes ?
Les communistes défendent les luttes de libération nationale pour leur fond démocratique. La lutte démocratique est un fond dont la lutte de libération nationale peut être une forme. La lutte démocratique est un problème pratique de la lutte communiste.
Lorsqu’une lutte de libération nationale est une lutte démocratique, alors elle est non seulement juste, mais un impératif pratique pour les communistes.
Qu’est-ce que cela signifie ? Concrètement, si les tâches démocratiques principales ne sont pas réalisées, alors les tâches de la révolution communiste ne peuvent pas être réalisées.
Pourquoi ? Car le mouvement communiste est « le mouvement réel qui abolit l’état présent »2. Or, la qualité du mouvement réel dépend de la qualité de l’état présent du réel, c’est-à-dire de la situation concrète. Donc, lorsque la contradiction principale implique des tâches démocratiques, comme c’est le cas dans les pays dominés par le colonialisme, les tâches démocratiques sont principales également. La stratégie du mouvement communiste, parce qu’il n’est pas différent du « mouvement réel », est la stratégie qui résout les contradictions du réel.
Pour être dans le mouvement réel et résoudre les contradictions du réel, il ne faut pas « suivre » ce vers quoi se dirigent spontanément les masses, mais comprendre quelles sont les tâches principales en identifiant la contradiction principale et la juste méthode de sa résolution.
Cette stratégie, c’est le droit des nations à la liberté nationale : la défense des peuples opprimés contre les peuples oppresseurs.
Ce droit n’est pas déterminé par une morale, un principe juridique, ou toute autre métaphysique. Ce droit n’est que la déduction qui est faite du mouvement réel par le marxisme, ou dit autrement, la position la plus progressiste et révolutionnaire possible. Les communistes défendent ce droit parce qu’il est la méthode de la résolution des contradictions entre les peuples, et donc, dans le prolétariat international.
« [L]a lutte nationale dans les conditions du capitalisme ascendant, est une lutte des classes bourgeoises entre elles. Parfois, la bourgeoisie réussit à entraîner dans le mouvement national le prolétariat, et alors la lutte nationale prend, en apparence, un caractère “populaire général”, mais rien qu’en apparence. Dans son essence, elle reste toujours bourgeoise, avantageuse et souhaitable principalement pour la bourgeoisie.
Mais il ne s’ensuit nullement que le prolétariat ne doit pas lutter contre la politique d’oppression des nationalités.
Les restrictions à la liberté de déplacement, la privation des droits électoraux, les entraves à l’usage de la langue, la réduction du nombre des écoles et autres mesures répressives atteignent les ouvriers autant que la bourgeoisie, sinon davantage. Une telle situation ne peut que freiner le libre développement des forces spirituelles du prolétariat des nations assujetties. […]
Mais la politique de répression nationaliste est, d’un autre côté encore, dangereuse pour la cause du prolétariat. Elle détourne l’attention des grandes couches de la population des questions sociales, des questions de lutte de classe, vers les questions nationales, vers les questions “communes” au prolétariat et à la bourgeoisie. Et cela crée un terrain favorable pour prêcher le mensonge de l’“harmonie des intérêts”, pour estomper les intérêts de classe du prolétariat, pour asservir moralement les ouvriers. Ainsi, une barrière sérieuse est dressée devant l’œuvre d’unification des ouvriers de toutes les nationalités. […]
Mais la politique de répression ne s’en tient pas là. Du “système” d’oppression elle passe souvent au “système” d’excitation des nations l’une contre l’autre, au “système” de massacres et de pogroms. Évidemment, ce dernier n’est pas toujours ni partout possible, mais là où il est possible — en l’absence des libertés élémentaires — il prend souvent des proportions effrayantes, menaçant de noyer dans le sang et les larmes l’œuvre de rassemblement des ouvriers. […] “Diviser pour régner”, tel est le but de la politique d’excitation. Et dans la mesure où une telle politique réussit, elle constitue le plus grand mal pour le prolétariat, un obstacle des plus sérieux à l’œuvre de rassemblement des ouvriers de toutes les nationalités composant l’État.
Mais les ouvriers sont intéressés à la fusion complète de tous leurs camarades en une seule armée internationale, à leur prompte et définitive libération de la servitude morale à l’égard de la bourgeoisie, au total et libre développement des forces morales de leurs compagnons, à quelque nation qu’ils appartiennent.
Aussi, les ouvriers luttent-ils et continueront-ils de lutter contre la politique d’oppression des nations sous toutes ses formes, depuis les plus subtiles jusqu’aux plus brutales, de même que contre la politique d’excitation sous toutes ses formes.
Aussi, la social-démocratie de tous les pays proclame-t-elle le droit des nations à disposer d’elles-mêmes.
Le droit de disposer de soi-même, c’est-à-dire : seule la nation elle-même a le droit de décider de son sort, nul n’a le droit de s’immiscer par la force dans la vie de la nation, de détruire ses écoles et autres institutions, de briser ses us et coutumes, d’entraver l’usage de sa langue, d’amputer ses droits.
[…]
[…] Les devoirs de la social-démocratie qui défend les intérêts du prolétariat, et les droits de la nation constituée par diverses classes sont deux choses différentes.
Luttant pour le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, la social-démocratie s’assigne pour but de mettre un terme à la politique d’oppression de la nation, de la rendre impossible et de saper ainsi la lutte des nations, de l’émousser, de la réduire au minimum.
C’est ce qui distingue essentiellement la politique du prolétariat conscient de la politique de la bourgeoisie, qui cherche à approfondir et amplifier la lutte nationale, à poursuivre et accentuer le mouvement national. »3
Il n’existe pas d’opposition mécanique entre d’une part la lutte démocratique et d’autre part la lutte communiste : même si ces deux luttes sont « deux choses différentes », la lutte communiste implique la lutte démocratique (elle ne peut pas exister sans elle), et la lutte démocratique représente une opportunité pour la lutte communiste (elle entraîne avec elle les masses populaires contre l’impérialisme). La lutte démocratique et la lutte communiste s’excluent mutuellement, mais cette exclusion n’est pas mécanique, métaphysique, mais dialectique.
Les « principes » du marxisme ne sont jamais métaphysiques, ce sont toujours des principes vivant dans la relation théorie-pratique. La question de la libération nationale, comme toutes les autres questions de principe, n’y fait pas exception. C’est dans les problèmes pratiques que toute la justesse et toute l’importance de la méthode dialectique se révèlent : si elle n’est considérée que dans l’abstrait, elle ne peut être qu’un totem identitaire ou un jouet intellectuel, mais pas un guide pour l’action. Les contradictions inhérentes à toutes les catégories du réel n’apparaissent clairement que lorsque l’on y est confronté dans l’entreprise de compréhension et de transformation du monde.
« Reconnaître à tous le droit de séparation ; apprécier chaque problème concret touchant la séparation d’un point de vue qui n’admet aucune inégalité, aucun privilège, aucun exclusivisme.
Prenons la position de la nation qui opprime. Un peuple peut-il être libre qui en opprime d’autres ? Non. Les intérêts de la liberté de la population […] grande-russe exigent que l’on combatte une telle oppression. Une longue histoire, l’histoire séculaire de la répression des mouvements des nations opprimées, la propagande systématique de cette répression par les classes “supérieures”, ont créé chez le peuple grand-russe des préjugés, etc., qui sont d’énormes obstacles à la cause de sa propre liberté.
Les Cent-Noirs grands-russes entretiennent consciemment ces préjugés et les attisent. La bourgeoisie grande-russe en prend son parti ou s’y accommode. Le prolétariat grand-russe ne peut atteindre les buts qui sont les siens, ne peut se frayer un chemin vers la liberté sans combattre systématiquement ces préjugés.
La constitution d’un État national autonome et indépendant reste pour le moment, en Russie, le privilège de la seule nation grande-russe. Nous, prolétaires grands-russes, ne défendons de privilèges d’aucune sorte ; nous ne défendons pas non plus ce privilège-là. Nous luttons sur le terrain d’un État déterminé ; nous unissons les ouvriers de toutes les nations d’un État déterminé ; nous ne pouvons garantir telle ou telle voie de développement national ; par toutes les voies possibles nous marchons vers notre but de classe.
Mais on ne peut marcher vers ce but sans combattre tout nationalisme et sans sauvegarder l’égalité des ouvriers de toutes les nations. […]
Dans la course engagée par tous les pays à l’époque des révolutions bourgeoises, des collisions, de même que la lutte pour le droit d’exister en tant qu’État national, sont possibles et vraisemblables. Nous, prolétaires, nous nous déclarons par avance les adversaires des privilèges des Grands Russes, et c’est dans cette direction que nous faisons toute notre propagande et notre agitation.
[…] la principale tâche pratique du prolétariat grand-russe comme du prolétariat des autres nationalités : faire chaque jour un travail d’agitation et de propagande contre tout privilège national dans l’État, pour le droit, le droit égal de toutes les nations, à constituer leur propre État national ; cette tâche est notre principale tâche (à l’heure actuelle) dans la question nationale, car ce n’est qu’ainsi que nous sauvegardons les intérêts de la démocratie et de l’alliance, fondée sur l’égalité des droits, de tous les prolétaires de toutes les nations quelles qu’elles soient.
[…] En fait, cette propagande, et elle seule, assure une éducation réellement démocratique et réellement socialiste des masses. Seule une telle propagande garantit les chances les plus grandes de paix nationale en Russie, si ce pays reste un État à composition nationale hétérogène, ainsi que la division la plus paisible (et inoffensive pour la lutte de classe du prolétariat) en différents États nationaux, si la question se pose d’une pareille division. »4
Lénine poursuit :
« Les intérêts de la classe ouvrière et de sa lutte contre le capitalisme exigent la solidarité complète et la plus étroite unité des ouvriers de toutes les nations ; ils exigent qu’une riposte soit infligée à la politique nationaliste de la bourgeoisie de quelque nationalité que ce soit. Aussi, ce serait pour les sociaux-démocrates se soustraire aux tâches de la politique prolétarienne et subordonner les ouvriers à la politique bourgeoise, que de dénier aux nations opprimées le droit de disposer d’elles-mêmes, — c’est-à-dire le droit de se séparer, — aussi bien que d’appuyer toutes les revendications nationales de la bourgeoisie des nations opprimées. Il est indifférent à l’ouvrier salarié que son principal exploiteur soit la bourgeoisie grande-russe, de préférence à l’allogène, ou la polonaise de préférence à la juive, etc. L’ouvrier salarié conscient des intérêts de sa classe, est indifférent aux privilèges d’État des capitalistes grands-russes comme aux promesses des capitalistes polonais ou ukrainiens d’instaurer le paradis sur terre lorsqu’ils détiendront des privilèges dans l’État. De toute façon, le développement du capitalisme se poursuit et se poursuivra dans un État hétérogène unique aussi bien que dans des États nationaux distincts.
Dans tous les cas l’ouvrier salarié subira l’exploitation, et pour lutter contre elle avec succès, il faut que le prolétariat soit affranchi de tout nationalisme ; que les prolétaires soient, pour ainsi dire, entièrement neutres dans la lutte de la bourgeoisie des différentes nations pour la suprématie. Le moindre appui accordé par le prolétariat d’une nation quelconque aux privilèges de “sa” bourgeoisie nationale provoquera inévitablement la défiance du prolétariat de l’autre nation, affaiblira la solidarité internationale de classe des ouvriers, les désunira pour la plus grande joie de la bourgeoisie. Or, nier le droit de libre disposition ou de séparation signifie nécessairement, dans la pratique, soutenir les privilèges de la nation dominante. »5
De plus :
« […] Ce serait une erreur capitale de croire que la lutte pour la démocratie est susceptible de détourner le prolétariat de la révolution socialiste ou d’éclipser celle-ci, de l’estomper, etc. Au contraire, de même qu’il est impossible de concevoir un socialisme victorieux qui ne réaliserait pas la démocratie intégrale, de même le prolétariat ne peut se préparer à la victoire sur la bourgeoisie s’il ne mène pas une lutte générale, systématique et révolutionnaire pour la démocratie.
Une erreur non moins grave serait de supprimer un des paragraphes du programme démocratique, par exemple celui concernant le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, sous prétexte que ce droit serait “irréalisable” ou “illusoire” à l’époque de l’impérialisme. L’affirmation selon laquelle le droit des nations à disposer d’elles-mêmes est irréalisable dans le cadre du capitalisme peut être prise soit dans un sens absolu, économique, soit dans un sens relatif, politique.
[…] La revendication de l’affranchissement immédiat des colonies, formulée par tous les sociaux-démocrates révolutionnaires, est elle aussi “irréalisable” en régime capitaliste sans toute une série de révolutions. Cependant, cela n’entraîne nullement la renonciation de la social-démocratie à la lutte immédiate et la plus résolue pour toutes ces revendications — cette renonciation ferait tout simplement le jeu de la bourgeoisie et de la réaction — tout au contraire, il en découle la nécessité de formuler toutes ces revendications et de les faire aboutir non pas en réformistes, mais en révolutionnaires ; non pas en restant dans le cadre de la légalité bourgeoise, mais en le brisant ; non pas en se contentant d’interventions parlementaires et de protestations verbales, mais en entraînant les masses à l’action, en élargissant et en attisant la lutte autour de chaque revendication démocratique, fondamentale jusqu’à l’assaut direct du prolétariat contre la bourgeoisie, c’est-à-dire jusqu’à la révolution socialiste qui exproprie la bourgeoisie. La révolution socialiste peut éclater non seulement à la suite d’une grande grève ou d’une manifestation de rue, ou d’une émeute de la faim, ou d’une mutinerie des troupes, ou d’une révolte coloniale, mais aussi à la suite d’une quelconque crise politique du genre de l’affaire Dreyfus ou de l’incident de Saverne, ou à la faveur d’un référendum à propos de la séparation d’une nation opprimée, etc.
Le renforcement de l’oppression nationale à l’époque de l’impérialisme commande à la social-démocratie, non pas de renoncer à la lutte “utopique”, comme le prétend la bourgeoisie, pour la liberté de séparation des nations, mais, au contraire, d’utiliser au mieux les conflits qui surgissent également sur ce terrain, comme prétexte à une action de masse et à des manifestations révolutionnaires contre la bourgeoisie.
[…]
Le socialisme a pour but, non seulement de mettre fin au morcellement de l’humanité en petits États et à tout particularisme des nations, non seulement de rapprocher les nations, mais aussi de réaliser leur fusion. Et, précisément pour atteindre ce but, nous devons […] revendiquer la libération des nations opprimées, non pas en alignant des phrases vagues et générales, des déclamations vides de sens, non pas en “ajournant” la question jusqu’à l’avènement du socialisme, mais en proposant un programme politique clairement et exactement formulé, qui tienne tout particulièrement compte de l’hypocrisie et de la lâcheté des socialistes des nations oppressives. De même que l’humanité ne peut aboutir à l’abolition des classes qu’en passant par la période de transition de la dictature de la classe opprimée, de même elle ne peut aboutir à la fusion inévitable des nations qu’en passant par la période de transition de la libération complète de toutes les nations opprimées, c’est-à-dire de la liberté pour elles de se séparer. »6
C’est précisément contre le nationalisme et pour la fusion des nations, donc par internationalisme, que les communistes défendent le droit des nations à l’autodétermination. Notre internationalisme n’est pas métaphysique : pour l’extinction des nations, il faut d’abord défendre les nations. Contre les nations, il faut se battre pour les nations (le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes). Ce « paradoxe » n’est que celui du « jugement de l’expérience quotidienne, qui ne saisit que l’apparence trompeuse des choses »7.
Donc, là où le mouvement réel est un mouvement démocratique, le mouvement communiste ne peut pas exister sans être un mouvement démocratique. Là où la contradiction principale implique des tâches démocratiques, c’est-à-dire que la contradiction principale ne peut être résolue que par un mouvement démocratique, alors les tâches du mouvement communiste sont aussi des tâches démocratiques, non pas à la place mais pour la révolution communiste.
Une contradiction principale détermine l’évolution et la résolution de toutes les autres. Résoudre la contradiction principale n’est pas une option, c’est une nécessité pour la révolution communiste.
L’importance des tâches démocratiques n’est pas distincte de l’importance des tâches communistes, parce que ces tâches démocratiques font directement partie des tâches communistes. Une stratégie qui nie l’existence et l’importance des tâches démocratiques lorsqu’elles sont impliquées par la contradiction principale, est une stratégie qui liquide la révolution communiste au nom d’une métaphysique.
Voilà pourquoi les tâches démocratiques sont des tâches communistes, c’est-à-dire nécessaires pour la révolution communiste.
1. Les contradictions dans le prolétariat international
« L’époque impérialiste et la guerre de 1914-1916 ont mis particulièrement en relief la nécessité de lutter contre le chauvinisme et le nationalisme dans les pays avancés. En ce qui concerne le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, il existe deux nuances principales parmi les sociaux-chauvins, c’est-à-dire les opportunistes et les kautskistes, qui maquillent et idéalisent la guerre impérialiste, réactionnaire, en lui appliquant la notion de “défense de la patrie”.
[…]
Les uns comme les autres sont des opportunistes qui prostituent le marxisme parce qu’ils ont perdu toute faculté de comprendre la portée théorique et l’importance pratique capitale de la tactique de Marx, explicitée par lui-même à propos de l’Irlande. »8
Quelle est la position de Marx dont parle ici Lénine ?
« En ce qui concerne la question irlandaise… […] il est dans l’intérêt direct et absolu de la classe ouvrière anglaise de se débarrasser de ses liens actuels avec l’Irlande. C’est là ma conviction la plus complète, et pour des raisons que je ne peux en partie pas dire aux travailleurs anglais eux-mêmes. Pendant longtemps, j’ai cru qu’il serait possible de renverser le régime irlandais par l’ascension de la classe ouvrière anglaise. […] Une étude plus approfondie m’a maintenant convaincu du contraire. La classe ouvrière anglaise n’accomplira jamais rien avant de s’être débarrassée de l’Irlande. Le levier doit être actionné en Irlande. C’est pourquoi la question irlandaise est si importante pour le mouvement social en général. »9
Marx développe :
« Après avoir étudié la question irlandaise pendant de nombreuses années, je suis arrivé à la conclusion que le coup décisif contre les classes dirigeantes anglaises (et il sera décisif pour le mouvement ouvrier dans le monde entier) ne peut pas être porté en Angleterre, mais seulement en Irlande.
[…]
L’Irlande est le rempart de l’aristocratie foncière anglaise. L’exploitation de ce pays n’est pas seulement une des principales sources de leur richesse matérielle, c’est leur plus grande force morale. Ils représentent en effet la domination sur l’Irlande. L’Irlande est donc le moyen cardinal par lequel l’aristocratie anglaise maintient sa domination en Angleterre même.
Si, par contre, l’armée et la police anglaises étaient retirées d’Irlande demain, vous auriez immédiatement une révolution agraire en Irlande. Mais la chute de l’aristocratie anglaise en Irlande implique et a pour conséquence nécessaire sa chute en Angleterre. Et cela fournirait la condition préliminaire à la révolution prolétarienne en Angleterre. La destruction de l’aristocratie foncière anglaise en Irlande est une opération infiniment plus facile qu’en Angleterre même, parce qu’en Irlande la question foncière a été jusqu’à présent la forme exclusive de la question sociale, parce qu’elle est une question d’existence, de vie et de mort, pour l’immense majorité du peuple irlandais, et parce qu’elle est en même temps inséparable de la question nationale. Sans compter que le caractère irlandais est plus passionné et plus révolutionnaire que le caractère anglais.
Quant à la bourgeoisie anglaise, elle a tout d’abord un intérêt commun avec l’aristocratie anglaise à faire de l’Irlande un simple pâturage qui fournit au marché anglais de la viande et de la laine au prix le plus bas possible. Elle a également intérêt à réduire la population irlandaise, par l’expulsion et l’émigration forcée, à un nombre si faible que le capital anglais (capital investi dans les terres louées pour l’agriculture) puisse y fonctionner en toute “sécurité”. Il a le même intérêt à défricher les terres irlandaises qu’à défricher les régions agricoles d’Angleterre et d’Écosse. Il faut également tenir compte des 6 000 à 10 000 livres sterling de revenus des propriétaires absents et d’autres revenus irlandais qui, à l’heure actuelle, sont versés chaque année à Londres.
Mais la bourgeoisie anglaise a également des intérêts beaucoup plus importants dans l’économie actuelle de l’Irlande. En raison de la concentration sans cesse croissante des baux, l’Irlande envoie constamment son propre excédent sur le marché du travail anglais, ce qui a pour effet de faire baisser les salaires et d’abaisser la situation matérielle et morale de la classe ouvrière anglaise.
Et le plus important, c’est que chaque centre industriel et commercial d’Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles, les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L’ouvrier anglais ordinaire déteste l’ouvrier irlandais qu’il considère comme un concurrent qui abaisse son niveau de vie. Par rapport au travailleur irlandais, il se considère comme un membre de la nation dominante et, par conséquent, il devient un instrument des aristocrates et des capitalistes anglais contre l’Irlande, renforçant ainsi leur domination sur lui-même. Il nourrit des préjugés religieux, sociaux et nationaux à l’encontre du travailleur irlandais. Son attitude à son égard est à peu près la même que celle des “poor whites” à l’égard des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L’Irlandais le rembourse avec les intérêts de son propre argent. Il voit dans le travailleur anglais à la fois le complice et l’outil stupide des dirigeants anglais en Irlande.
Cet antagonisme est artificiellement entretenu et intensifié par la presse, la chaire, les journaux comiques, bref, par tous les moyens dont disposent les classes dirigeantes. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C’est le secret par lequel la classe capitaliste maintient son pouvoir. Et celle-ci en est bien consciente.
[…]
L’Angleterre, la métropole du capital, la puissance qui a jusqu’à présent dominé le marché mondial, est actuellement le pays le plus important pour la révolution ouvrière et, de plus, le seul pays dans lequel les conditions matérielles de cette révolution ont atteint un certain degré de maturité. C’est donc l’objet le plus important de l’Association internationale des travailleurs que de hâter la révolution sociale en Angleterre. Le seul moyen de la hâter est de rendre l’Irlande indépendante. C’est donc la tâche de l’Internationale de mettre partout au premier plan le conflit entre l’Angleterre et l’Irlande, et partout de se ranger ouvertement du côté de l’Irlande. Le Conseil central de Londres a pour tâche spéciale de faire comprendre aux travailleurs anglais que, pour eux, l’émancipation nationale de l’Irlande n’est pas une question de justice abstraite ou de sentiment humanitaire, mais la première condition de leur propre émancipation sociale. »10
Selon Lénine, cette position de Marx n’est pas la solution d’un problème abstrait, mais d’un problème concret — pratique — de la lutte des classes. De plus, selon Lénine, cette position n’est pas strictement contextuelle (particulière, située, irréductible), mais l’expression d’une stratégie générale des communistes face au colonialisme, déduite de l’étude de la nécessité (ce qu’est le colonialisme, et donc, ce que l’on peut et doit faire pour transformer cette réalité).
Il existe des contradictions dans le prolétariat international. Or, nous sommes des internationalistes. En conséquence, nous devons donc lutter pour résoudre ces contradictions. Comment ? Notamment par la libération nationale des peuples colonisés. Ce faisant, la division entre prolétariat colonisateur et prolétariat colonisé disparaît, l’aristocratisation du premier aux dépens du second disparaît de même, et la bourgeoisie impérialiste qui exploite les deux est affaiblie politiquement et économiquement. Voilà pourquoi il est nécessaire de résoudre la contradiction principale nationale-coloniale lorsqu’elle existe.
« Les contradictions qualitativement différentes ne peuvent se résoudre que par des méthodes qualitativement différentes.
Ainsi, la contradiction entre le prolétariat et la bourgeoisie se résout par la révolution socialiste ; la contradiction entre les masses populaires et le régime féodal, par la révolution démocratique ; la contradiction entre les colonies et l’impérialisme, par la guerre révolutionnaire nationale ; la contradiction entre la classe ouvrière et la paysannerie, dans la société socialiste, par la collectivisation et la mécanisation de l’agriculture ; les contradictions au sein du parti communiste se résolvent par la critique et l’autocritique ; les contradictions entre la société et la nature, par le développement des forces productives. Les processus changent, les anciens processus et les anciennes contradictions disparaissent, de nouveaux processus et de nouvelles contradictions naissent, et les méthodes pour résoudre celles-ci sont en conséquence différentes elles aussi. »11
L’étude des contradictions est l’étude du concret, c’est-à-dire l’étude des possibilités pratiques. Dans une situation donnée, saisir quelle est la contradiction principale et quelle est sa qualité nous informe de nos tâches précisément parce que cela nous informe de ce qui est possible ou impossible. Nos tâches ne peuvent être déduites que de l’étude des contradictions, car nos tâches n’existent jamais dans l’absolu (selon une métaphysique) mais toujours selon les problèmes concrets d’une situation concrète, lesquels impliquent des possibilités et des impossibilités pratiques. Être ou ne pas être le mouvement réel nous apparaît au quotidien et dans nos travaux immédiats comme un problème pratique. Pour échapper au subjectivisme (déconnecter les tâches des possibilités réelles), définir avec rigueur l’ordre et la qualité des contradictions est prioritaire, car de l’ordre des relations entre contradictions et de leur qualité particulière sont déduits quelle est la contradiction principale et quelle est la méthode qualitative particulière pour la résoudre, d’où découle toute notre stratégie.
A. Le colonialisme
Dans le cas du colonialisme, comprendre comment et quand la contradiction principale est nationale-coloniale est comprendre comment existe concrètement une colonie.
Une colonie est construite autour d’un projet colonial et construit un consensus colonial.
Qu’est-ce qu’un projet colonial ? Un projet colonial est la superstructure politique de la conquête et de la soumission du peuple colonisé par le peuple colonisateur.
Qu’est-ce qu’un consensus colonial ? Un consensus colonial est la superstructure idéologique qui crée une communauté d’intérêts forte entre tous les colons, qu’ils soient prolétaires ou bourgeois. Par exemple :
« Vous me demandez ce que pensent les ouvriers anglais de la politique coloniale. Eh bien, exactement la même chose que ce qu’ils pensent de la politique en général : la même chose que ce que pensent les bourgeois. Il n’y a pas de parti ouvrier ici, il n’y a que des conservateurs et des libéraux-radicaux, et les ouvriers partagent gaiement le festin du monopole de l’Angleterre sur le marché mondial et sur les colonies. »12
La nation colonisatrice est ainsi soudée autour de son projet colonial par son consensus colonial. Le colonialisme est une superstructure qui se caractérise par une politique et une idéologie coloniale, mais le colonialisme ne peut pas être compris que par sa politique et son idéologie, c’est-à-dire que cette superstructure ne peut pas être comprise sans d’abord comprendre la base matérielle qui la produit et la rend nécessaire. Le colonialisme, c’est-à-dire le projet et le consensus colonial, est la superstructure construite sur la base matérielle de l’impérialisme. Cette base matérielle, c’est le rapport d’exploitation entre le peuple exploiteur et oppresseur et le peuple exploité et opprimé, c’est-à-dire l’extraction de surprofits impérialistes.
Le colonialisme connaît historiquement 3 formes :
- le colonialisme de peuplement (ou d’installation) : « les colonies proprement dites, c’est-à-dire les pays occupés par une population européenne »13 ;
- le colonialisme de comptoir, qui est la 1re forme du semi-colonialisme : « les pays habités par une population autochtone, qui sont simplement soumis »14 ;
- et le néocolonialisme, qui est la 2de forme du semi-colonialisme : les anciennes colonies (de peuplement ou de comptoir) qui se sont libérées, mais qui ont retrouvé la domination politique coloniale sous une nouvelle forme, plus discrète et plus insidieuse (confirmant ainsi la prévision de Lénine, sur l’impossibilité de la l’indépendance politique à l’époque de l’impérialisme).
B. Le colonialisme et le prolétariat
Plus un projet colonial est d’ampleur, plus le consensus colonial dont il dépend est fort. Dans le colonialisme de peuplement, parce que la conquête et le déplacement ou l’extermination des colonisés par les colons sont une entreprise politiquement coûteuse pour l’ensemble de la nation coloniale, son consensus colonial est particulièrement fort : il est d’autant plus nécessaire que la politique de colonisation est difficile. Or, réaliser un peuplement, c’est-à-dire assurer la suprématie démographique des colons sur les colonisés, consiste à faire croître la population des premiers en entretenant la guerre, l’occupation et l’apartheid contre les seconds, pendant plusieurs décennies.
La matière prime sur la conscience, et non pas l’inverse, c’est-à-dire que les conditions objectives déterminent les conditions subjectives plus qu’elles ne sont déterminées par elles (l’objet est l’aspect principal de la contradiction objet-sujet). Donc, pour que le projet colonial soit pérenne, le consensus colonial doit être pérenne aussi. Pour réaliser ce consensus idéologique, pour qu’il soit effectif et stable, et ainsi garantir la réalisation du projet colonial, il faut d’abord réaliser matériellement l’unité de tous les colons. Comment créer une communauté d’intérêts entre plusieurs classes ayant des intérêts antagoniques ? En supplantant à leurs intérêts divergents un intérêt commun unique, matériellement supérieur : corrompre et soudoyer (aristocratiser) le prolétariat colonisateur pour acheter son soutien à sa bourgeoisie coloniale.
Cette corruption et ce soudoiement ne sont pas à perte pour la bourgeoisie impérialiste, car elle doit écouler ses marchandises pour faire des surprofits. Les masses aristocratisées des colonies offrent un débouché important qui achète à prix élevé (une capacité de consommation correspondant à la capacité de production des masses de la périphérie).
Le consensus (idéologique) colonial est en substance (matériellement) social-impérialiste. Il est créé par les avantages matériels qui sont offerts aux colons, financé par les surprofits impérialistes dont ils dépendent. Les colons ne peuvent exister en tant que tels, avec tous les bénéfices concrets que cela implique, qu’aux dépens de la surexploitation des colonisés. Tous les colons gagnent matériellement de l’exploitation des colonisés qu’ils envahissent et dominent : cet intérêt commun supérieur est ce qui garantit l’unité de la nation coloniale dans la réalisation du colonialisme.
De plus, le prolétaire colon, parce qu’il est placé en concurrence directe (sur son marché national) avec le faible coût de la main-d’œuvre des prolétaires colonisés, observe, au-delà du consensus colonial, un intérêt économique direct à la réalisation du projet colonial de peuplement (le déplacement, l’apartheid ou le génocide colonial). Cette concurrence crée une incitation matérielle pour le prolétaire colon à maintenir une séparation coloniale aussi nette que possible entre lui et le prolétaire colonisé, pour que le prix de sa main-d’œuvre reste haut en étant moins directement en concurrence avec celle des nations dominées. La lutte du prolétariat colonisateur pour maintenir un prix de vente élevé de sa force de travail, est une lutte pour que celui-ci reste intégré au centre impérialiste (que celui-ci ne tombe pas dans la périphérie). L’exploitation de la nation dominée colonisée par la nation dominante colonisatrice est contingente, car le prolétariat colonisé est placé en concurrence sur le système monde avec le prolétariat de toutes les autres nations dominées (la périphérie dans son ensemble). La colonie de peuplement exploite directement la nation qu’elle colonise directement, mais elle peut aussi exploiter le reste du monde. La nécessité pour la colonie de peuplement, en revanche, c’est de rester aussi intégré dans le centre impérialiste que possible. Pour cette raison, si les mesures de déplacement ou d’apartheid se révèlent insuffisantes pour séparer le prolétariat colonisateur et colonisé, et ainsi sauvegarder le prix de vente de la force de travail du prolétariat colonisateur, le génocide est toujours une option. Historiquement, le génocide des colonisés a présenté d’indéniables avantages économiques pour les colonies de peuplement et leur prolétariat. Cette option répond de la relation entre la contingence de la perpétuation des colonisés (dans le colonialisme de peuplement) et la nécessité (pour les colonies de peuplement) de rester dans le centre impérialiste.
Ainsi, dans la défense de ses intérêts, un prolétaire colon est d’abord un colon avant d’être un prolétaire — il défend ses intérêts coloniaux de court terme avant ses intérêts internationaux historiques.
C. Exemples historiques
Historiquement, la colonisation ne s’est pas faite malgré les prolétaires colons, mais avec leur participation pleine et entière. Le mouvement ouvrier des nations dominantes, lorsqu’il n’était pas sous la direction du mouvement communiste, a été un mouvement politiquement social-impérialiste et social-colonialiste, qui a collaboré avec la bourgeoisie impérialiste dans la colonisation. Or, le mouvement ouvrier des nations dominantes a historiquement été très réticent, voire franchement opposé, à la direction du mouvement communiste, et ce précisément parce que celle-ci était internationaliste, donc anticoloniale. L’exemple du mouvement ouvrier israélien est typique : le prolétariat colonisateur israélien et ses institutions — dont le meilleur exemple est l’Histadrout — ont refusé la direction révolutionnaire et internationaliste communiste et ont préféré se placer sous une direction social-impérialiste et social-colonialiste, intégrée dans le consensus et dans le projet colonial israélien.
En dehors des colonies, dans les métropoles impérialistes et colonialistes, le consensus colonial est moins fort que dans les colonies, mais il existe. Une proportion importante de la IIde Internationale a défendu le colonialisme, celui de leur bourgeoisie ou en général, avec divers arguments : le développement des forces productives, la nécessité historique, etc. Plusieurs socialistes ont argumenté que le prolétariat des métropoles avait besoin des colonies pour augmenter son niveau de vie, et que l’exploitation et la soumission des peuples « barbares » étaient des sacrifices acceptables, sinon progressistes, pour l’élévation des peuples « civilisés ». Si ces lignes social-colonialistes ont été mises en minorité au Congrès socialiste international de Stuttgart (1907), les positions qu’elles ont conquises dans le mouvement ouvrier et communiste des pays impérialistes révèlent, encore une fois, leur perméabilité au colonialisme (sous sa forme « sociale »).
En 1934, Staline décrit ainsi le consensus colonial qui existe dans le prolétariat des pays impérialistes et colonialistes européens :
« D [imitrov] : En prison, j’ai beaucoup réfléchi à la raison pour laquelle — puisque notre enseignement est correct — des millions de travailleurs, dans les moments décisifs, ne nous rejoignent pas mais restent dans la social-démocratie, qui s’est comportée de manière si perfide ou, comme en Allemagne, deviennent même des nationaux-socialistes.
St [aline] : Et votre conclusion ?
D [imitrov] : Je pense que la cause principale réside dans notre système de propagande, dans [notre] approche incorrecte des travailleurs européens.
St [aline] : Non, ce n’est pas la cause principale : La cause principale réside dans le développement historique — le lien historique que les masses européennes ont avec la démocratie bourgeoise. Ensuite, la situation particulière de l’Europe — les pays européens ne disposent pas de suffisamment de matières premières, de charbon, de laine, etc. Ils sont dépendants des colonies. Sans les colonies, ils ne pourraient pas exister. Les travailleurs le savent et craignent la perte des colonies. Dans ce contexte, ils sont enclins à se ranger du côté de leur propre bourgeoisie. Sur le plan interne, ils ne sont pas d’accord avec notre politique anti-impérialiste. Ils ont même peur de cette politique. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire d’expliquer patiemment et d’approcher correctement ces travailleurs. Une lutte constante pour chaque travailleur est nécessaire. Nous ne pouvons pas gagner immédiatement et aussi facilement des millions de travailleurs en Europe. »15
Sûrement le meilleur exemple pour démontrer la force du consensus colonial — et donc l’impératif de la libération nationale — est le destin de l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire français, les auteurs de la première dictature du prolétariat de l’Histoire : les communards de 1871.
Après la défaite de la Commune de Paris, les communards ont été massivement déportés au bagne dans la colonie française de Nouvelle-Calédonie (Kanaky) : 4 250 au total.16 En 1878, lors de l’insurrection kanake, les bagnards dans leur ensemble (à l’exception prestigieuse de Louise Michel) ont spontanément proposé leur aide au gouverneur français pour réprimer les insurgés kanaks. Les victimes de la Semaine sanglante en France n’ont pas hésité à être les auteurs d’une autre Semaine sanglante en Kanaky.
« […] des Communards se portèrent immédiatement volontaires pour combattre les armes à la main, ce qui fut accepté par les autorités. Un dirigeant de la Commune, par ailleurs membre de l’Association internationale des travailleurs (ou Ire Internationale), Charles Amouroux, prit la tête d’un groupe d’une trentaine de Communards, qui participa à la répression et à la capture d’insurgés. »17
Ceux pour qui « L’Internationale » a été écrite en ont de toute évidence oublié les paroles après avoir accosté en Kanaky.
« [À] l’époque, rares, très rares avaient été les militants ouvriers qui s’étaient interrogés sur la question coloniale, peu importante avant 1871. Plus grave encore fut le regard porté sur ces “sauvages”, ces “cannibales”. Un déporté, Cavarey, partit d’une constatation qui, à ses yeux, était d’évidence : “Tout le monde est d’avis que, pour rendre la sécurité à la colonisation, il est nécessaire que la plus grande partie de ce peuple disparaisse”. L’ex-Communard avançait donc sa “solution”, qui avait l’avantage de ne pas faire “dépenser une trop grande quantité de balles” :
“Ne pourrait-on pas expédier deux ou trois mille d’entre eux dans celles de nos colonies qui manquent de travailleurs ? La Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et surtout la Réunion les recevraient volontiers et, au milieu d’une population composée d’éléments divers, ces quelques centaines de Canaques seraient évidemment bien peu dangereux.”
[…]
Pour un autre témoin, Victor Cosse, la simple comparaison entre Communards et Kanak révoltés était insultante :
“Colons très involontaires, nous faisons en somme partie d’une société européenne égarée à six mille cinq cents lieues de notre France et livrée à toutes les brutalités de peuples un peu trop primitifs. Depuis bientôt six ans que nous sommes ici, il s’est établi entre la population civile et nous des relations qui nous commandent la sympathie pour les colons qui essayent, si loin de chez nous, un agrandissement de la France et une richesse nouvelle pour le pays… Vous connaissez tous le mot qui est resté célèbre : ‘L’insurrection est le plus sain des devoirs’. Pardieu ! Nous l’avons mis en pratique et, un peu beaucoup, à nos risques et périls. Mais encore faut-il que cette insurrection reste loyale et courageuse. Qu’est-ce que ces assassins se glissant dans l’ombre pour égorger des familles inoffensives, pour incendier des récoltes et des habitations, pour anéantir en quelques minutes l’œuvre de plusieurs années d’un labeur assidu ! Qu’est-ce que ces bandits se glissant dans un fond de brousse, à l’abri de tout danger, pour assassiner au passage un officier qui vient accomplir son devoir ?” »18
Même celles et ceux qui n’avaient — littéralement — rien d’autre à perdre que leurs chaînes ont trouvé dans le consensus et le projet colonial une raison de se battre avec et pour les dirigeants qui les ont fusillés et déportés 7 ans plus tôt, contre une nation dominée par la leur.
En revanche, ce qui est à noter avec insistance, c’est que les communards n’étaient pas les seuls prisonniers politiques en exil en Kanaky : après la révolte de El-Mokrani de 1871, une centaine de Kabyles y ont également été déportés. L’on pourrait s’attendre à une solidarité inter-colonisée, mais il n’en fut rien. Avec les mêmes arguments chauvins que les communards, les Kabyles se sont ralliés au colonialisme français face à la révolte des Kanaks de 1878. En 1901, le gouverneur de Nouvelle-Calédonie écrivait :
« [Le chef kabyle Boumezrag El Mokrani] se trouvait à Nouméa en 1878 lorsque l’insurrection a commencé. Il était venu pour quelques jours en permission de l’île des Pins où il était interné depuis 1875. Il a offert spontanément ses services au gouverneur Olry qui les accepta. On lui confia le commandement d’une petite troupe d’arabes, de bagnards français et de déportés utilisés comme éclaireurs et comme soldats, et selon le gouverneur, en plus d’une occasion, il rendit des services considérables aux autorités. »19
Les communards et les Kabyles se sont alliés contre les Kanaks en invoquant tous les arguments du répertoire colonialiste (dont les Kabyles avaient eux-mêmes été victimes sur leur propre territoire) : les communards et les Kabyles considéraient tous deux appartenir à une civilisation supérieure, et méprisaient la société kanake « primitive » et sa manière « traîtresse » de combattre. Les communards se sont ralliés au patriotisme et à la rhétorique de la « mission civilisatrice », et les Kabyles espéraient acheter leur réhabilitation auprès de leurs colonisateurs.20
Être ou ne pas être un colon, c’est à dire intégré objectivement et subjectivement dans un projet colonial, n’est pas une essence nationale ou idéologique : les combattants internationalistes de la Commune de Paris et anti-colonialistes de Kabylie, une fois placés en situation coloniale en tant que colon, ont organiquement abandonné respectivement leur internationalisme et leur anticolonialisme au profit du colonialisme français. Dans la conscience, les circonstances présentes priment sur les circonstances passées : les conditions objectives (l’expérience matérielle du présent) sont principales et les conditions subjectives (l’expérience intériorisée du passé) sont secondaires.
Dans la colonie, les internationalistes et les anticolonialistes sont devenus des colons : ce nouveau rapport social a supplanté tous les autres, il est devenu principal. Leurs intérêts coloniaux primaient (objectivement) sur leurs intérêts de prolétaires ou même de colonisés. Ainsi, le projet et le consensus colonial primaient (subjectivement) sur le projet et le consensus révolutionnaire (respectivement social et national).
C’est cet état de fait, cette convergence objective des intérêts coloniaux entre bourgeois et prolétaires de la nation dominante, et avec elle leur convergence subjective, qu’il s’agit de subvertir par la libération nationale. Briser le projet colonial, c’est avec lui briser le consensus colonial, et donc libérer à la fois la nation dominée de la nation dominante et le prolétariat de la nation dominante de son alliance avec « sa » bourgeoisie, c’est-à-dire lui rendre sa qualité révolutionnaire. Émanciper la nation dominée du colonialisme émancipe le prolétaire de la nation dominante : son intérêt et sa fausse conscience coloniale disparaissent, et son intérêt et sa conscience de classe (historique) lui réapparaissent (il a de nouveau un potentiel révolutionnaire).
Voilà l’importance de la question coloniale « pour le mouvement social en général » et pourquoi la libération nationale est pour les prolétaires des nations dominantes « la première condition de leur propre émancipation sociale ».
Voilà comment la contradiction nationale-coloniale devient principale dans les colonies en général, et dans les colonies de peuplement en particulier.
En résumé, l’impérialisme est la fin et le moyen du colonialisme. La politique et l’idéologie coloniale ne sont que les produits superstructurels des rapports de production de l’impérialisme.21
D. Selon Marx et Engels
Certains marxistes peuvent à la fois être très attachés à l’orthodoxie théorique (à tort ou à raison) et rejeter en bloc comme « nationaliste » ou « tiers-mondiste » l’analyse que nous présentons ci-dessus. Dans le souci de rendre nos explications aussi claires que possible, même à celles et ceux qui pourraient être les plus réticents à comprendre, nous allons superposer notre exposé et celui que Marx fait de la relation entre l’Angleterre et l’Irlande.
Pour reprendre directement les mots de Marx : « chaque [colonie] possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles, les prolétaires [de la nation dominante] et les prolétaires [de la nation dominée]. L’ouvrier [de la nation dominante] ordinaire déteste l’ouvrier [de la nation dominée] qu’il considère comme un concurrent qui abaisse son niveau de vie. Par rapport au travailleur [colonisé], il se considère comme un membre de la nation dominante et, par conséquent, il devient un instrument des aristocrates et des capitalistes [de la nation dominante] contre [la nation dominée], renforçant ainsi leur domination sur lui-même. Il nourrit des préjugés religieux, sociaux et nationaux à l’encontre du travailleur [de la nation dominée]. […] [Le colonisé] le rembourse avec les intérêts de son propre argent. Il voit dans le travailleur [de la nation dominante] à la fois le complice et l’outil stupide des dirigeants [de la nation dominante dans la colonie].
Cet antagonisme est artificiellement entretenu et intensifié par la presse, la chaire, les journaux comiques, bref, par tous les moyens dont disposent les classes dirigeantes. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière [des nations dominantes], malgré son organisation. C’est le secret par lequel la classe capitaliste maintient son pouvoir. Et celle-ci en est bien consciente.
[…]
[…] Le seul moyen de [hâter la révolution sociale dans les nations dominantes] est de rendre [les nations dominées] indépendante[s]. C’est donc la tâche [des communistes] de mettre partout au premier plan le conflit entre [les nations dominantes] et [les nations dominées], et partout de se ranger ouvertement du côté [des nations dominées]. [Les communistes ont] pour tâche spéciale de faire comprendre aux travailleurs [des nations dominantes] que, pour eux, l’émancipation nationale [des nations dominées] n’est pas une question de justice abstraite ou de sentiment humanitaire, mais la première condition de leur propre émancipation sociale. »
Donc, pour Marx : « Après avoir étudié la question [coloniale] pendant de nombreuses années, je suis arrivé à la conclusion que le coup décisif contre les classes dirigeantes [des nations dominantes] (et il sera décisif pour le mouvement ouvrier dans le monde entier) ne peut pas être porté [dans les nations dominantes], mais seulement [dans les nations dominées]. »
« En ce qui concerne la question [coloniale]… […] il est dans l’intérêt direct et absolu de la classe ouvrière [des nations dominantes] de se débarrasser de ses liens actuels avec [les colonies]. C’est là ma conviction la plus complète, et pour des raisons que je ne peux en partie pas dire aux travailleurs [des nations dominantes] eux-mêmes. Pendant longtemps, j’ai cru qu’il serait possible de renverser le régime [colonial] par l’ascension de la classe ouvrière [des nations dominantes]. […] Une étude plus approfondie m’a maintenant convaincu du contraire. La classe ouvrière [des nations dominantes] n’accomplira jamais rien avant de s’être débarrassée [des colonies]. Le levier doit être actionné [dans les colonies]. C’est pourquoi la question [coloniale] est si importante pour le mouvement social en général. »
De plus, pour reprendre directement les mots de Engels : « Vous me demandez ce que pensent les ouvriers [des nations dominantes] de la politique coloniale. Eh bien, exactement la même chose que ce qu’ils pensent de la politique en général : la même chose que ce que pensent les bourgeois. Il n’y a pas de parti ouvrier ici, il n’y a que des conservateurs et des libéraux-radicaux, et les ouvriers partagent gaiement le festin du monopole [des nations dominantes] sur le marché mondial et sur les colonies. »
La situation et la stratégie que décrivent Marx et Engels ne doivent pas être sorties de leur contexte (l’Angleterre du milieu du XIXe siècle), mais seule une malhonnêteté extrême ne pourrait y voir qu’une particularité absolue, qui ne pourrait se retrouver en tout ou en partie à aucun autre endroit du monde et de l’Histoire. Pour notre part, nous considérons avec Lénine que l’analyse qu’ont fait Marx et Engels de la question coloniale en Angleterre et de la libération nationale irlandaise, au milieu du XIXe siècle, n’est ni réductible à ce contexte historique précis, ni une contingence. Le parallèle que nous faisons a pour objectif de mettre en évidence la portée réelle de ces enseignements et de ces positions de Marx et Engels. Nous pensons que leur analyse de la situation et de la stratégie était non seulement correcte dans le cas spécifique pour lequel elle a été posée, mais qu’elle est universelle à la question coloniale et à la libération nationale. Cette analyse, qu’ont développé Lénine puis Mao, est selon nous toujours celle qui s’applique aux problèmes concrets de la révolution mondiale à notre époque.
2. La résolution des contradictions dans le prolétariat international
Ni Marx ni Engels n’ont jamais nié l’existence de contradictions, y compris de contradictions antagoniques ou possédant des aspects antagoniques, à l’intérieur du prolétariat international. La pudeur hypocrite qui peut exister dans le mouvement communiste des pays impérialistes à l’heure actuelle, n’est pas « marxiste orthodoxe », c’est au contraire une déviation de l’aristocratie ouvrière, c’est-à-dire d’une minorité du prolétariat mondial. En revanche, Marx et Engels nous ont légué des méthodes pour résoudre ces contradictions, et ainsi « hâter la révolution sociale » mondiale, dans les pays dominés et les pays dominants. Ce sont celles-ci que nous nous proposons d’étudier et d’appliquer.
Pour unir le prolétariat international, il ne faut pas hésiter à le diviser politiquement autant qu’il est divisé réellement entre nation dominante et nation dominée.
« Le communisme est l’enseignement des conditions de la libération du prolétariat » 22, c’est à dire la satisfaction de ses intérêts internationaux et historiques, pas la satisfaction de tous les intérêts de tous les prolétaires.
Entre deux prolétaires, l’un colonisé l’autre colon, les deux peuvent lutter pour leur nation, mais l’un sera un progressiste et l’autre un nationaliste, l’un sera acteur du « mouvement réel qui abolit l’état présent », et l’autre sera son antagoniste, l’un agira selon les conditions de la libération du prolétariat, l’autre agira contre les conditions de cette libération, car l’un incarne des intérêts démocratiques et anti-impérialistes, et que l’autre incarne des intérêts chauvins et impérialistes. Pour les communistes, comme l’a affirmé en premier Marx, les conditions de la libération du prolétariat enseignent de se battre avec l’un contre l’autre. Prendre position contre le colon et pour le colonisé, ce n’est pas se battre contre une partie du prolétariat, mais se battre contre la division du prolétariat qui existe déjà ! La libération nationale libère le prolétaire colon du nationalisme.
Le prolétariat n’est pas une catégorie « sacrée », elle n’est pas au-dessus ni des contradictions ni des contradictions antagoniques. Les communistes répondent des conditions de la libération du prolétariat parce qu’il est en tant que classe internationale et historique le vaisseau de l’Histoire vers le communisme (l’aspect principal de la contradiction entre Travail et Capital dans les rapports de production capitaliste). C’est donc de l’émancipation historique du prolétariat international qu’il est question, et d’aucune autre, y compris et surtout lorsque les communistes défendent la libération nationale des peuples opprimés (la lutte démocratique est un moment de la lutte communiste) ! Les conditions de la « libération » coloniale du prolétariat d’une nation dominante sont antithétiques aux conditions de la libération du prolétariat, et donc au communisme.
« À la place de la conception critique, la minorité met une conception dogmatique, et à la place de la conception matérialiste, une conception idéaliste. Au lieu des conditions réelles, c’est la simple volonté qui devient la force motrice de la révolution. […] De même que les démocrates ont fait du mot peuple une formule sacrée, vous faites, vous, une formule sacrée du mot prolétariat. Tout comme les démocrates, vous substituez au développement révolutionnaire la phraséologie révolutionnaire, etc. »23
Le marxisme n’est pas un énième humanisme bourgeois, creux et hypocrite, qui ne défend l’humanité que des colons, ou des colonisés après qu’ils soient morts, il sait que l’Histoire est cynique et cruelle, et il accepte cette réalité dans toute sa radicalité : son humanisme est dialectique, il est la cause de l’humanité tout entière dans toutes les contradictions objectives du développement de l’humanité.
Nier l’existence des contradictions dans le prolétariat international, ce n’est pas défendre une position progressiste et internationaliste, mais au contraire, défendre une position réactionnaire et social-chauvine, toujours à l’avantage des nations dominantes et au détriment des nations dominées et de leur droit à l’autodétermination. Pour être internationaliste et progressiste, il faut déjà reconnaître que le prolétariat international est divisé, et ce non pas seulement dans sa conscience, mais aussi et surtout matériellement, entre peuples exploiteurs et peuples exploités. Après avoir reconnu cet état de fait objectif, les communistes doivent lutter pour résoudre les contradictions qui traversent le prolétariat international.
Nier l’existence des contradictions dans le prolétariat international, ce n’est pas un crime contre la morale ou les « droits humains », mais un crime contre-révolutionnaire, car une telle position est objectivement réactionnaire, c’est-à-dire qu’elle entrave la résolution de ces contradictions, et donc, la lutte communiste internationale. Ce n’est pas « le droit des nations à l’autodétermination » qui est métaphysique, mais les raisons X ou Y de celles et ceux qui nient ce droit, et qui ainsi démontrent ne pas comprendre les contradictions du réel et la méthode de leur juste résolution (la transformation du réel).
Comment résoudre la contradiction entre peuples opprimés et peuples oppresseurs ? La résolution de chaque contradiction dépend de la nature de chaque contradiction, selon qu’elle soit principale ou secondaire, ou antagonique ou non-antagonique. Ceci dit, selon Mao, « la contradiction entre les colonies et l’impérialisme » est, dans les colonies (la perspective depuis laquelle parle Mao en 1937), une contradiction principale et antagonique qui doit donc être résolue « par la guerre révolutionnaire nationale ».
Si les communistes refusent d’assumer les tâches démocratiques lorsqu’elles existent, ils s’excluent du mouvement des masses, parce qu’ils s’excluent du mouvement réel. Ce faisant, premièrement, ils ne réalisent pas le combat pour la démocratie qui est aussi le leur, pour leurs propres intérêts, et deuxièmement, ils condamnent les masses à rester sous une direction bourgeoise, et ils se privent ainsi de l’opportunité de transformer la lutte démocratique en lutte communiste, selon la stratégie de la révolution continue par étape.
A. La défense de la libération nationale
Le droit des nations à disposer d’elles-mêmes n’est pas un droit sous condition : il existe indépendamment de la direction du mouvement de libération nationale (bourgeoise ou non), de son fond (démocratique ou non) et de sa forme (pacifique, violente, etc.). Pour les communistes, le droit des nations à disposer d’elles-même se transforme en devoir de défense de la libération nationale lorsque son fond est démocratique. Ce devoir se justifie entièrement et exclusivement par le fond démocratique de la libération nationale, et est indépendant de la direction et de la forme de celle-ci.
La libération nationale est la lutte des communistes, y compris si elle est une guerre révolutionnaire — avec toutes les violences qu’implique n’importe quelle guerre moderne. Cette vérité est évidente pour quiconque est marxiste.
La libération nationale est la lutte des communistes, y compris si elle est dirigée par la bourgeoisie. La direction bourgeoise de la libération nationale laisse inchangés son fond démocratique anti-impérialiste et son caractère de masse.
« La bourgeoisie qui, au début de tout mouvement national, joue naturellement un rôle d’hégémonie (de direction), qualifie d’action pratique le soutien de toutes les aspirations nationales. Mais la politique du prolétariat dans la question nationale (de même que dans les autres questions) ne soutient la bourgeoisie que dans une direction déterminée, mais ne coïncide jamais avec sa politique. La classe ouvrière soutient la bourgeoisie uniquement dans l’intérêt de la paix nationale (que la bourgeoisie ne peut donner entièrement et qui n’est réalisable que dans la mesure d’une entière démocratisation), dans l’intérêt de l’égalité en droits, afin d’assurer à la lutte de classe l’ambiance la plus favorable. Aussi les prolétaires opposent-ils précisément au praticisme de la bourgeoisie une politique de principe dans la question nationale, ne soutenant jamais la bourgeoisie que conditionnellement. Dans la cause nationale, toute bourgeoisie veut soit des privilèges pour sa nation, soit des avantages exceptionnels pour elle-même ; c’est ce qu’on entend par “pratique”. Le prolétariat est contre tout privilège, contre tout exclusivisme. Exiger qu’il soit “pratique”, c’est marcher sous la houlette de la bourgeoisie, c’est verser dans l’opportunisme.
Répondre par “oui ou non” à la question de la séparation de chaque nation ? C’est là, semble-t-il, une revendication très “pratique”. Or, en fait, elle est absurde, elle est métaphysique théoriquement et elle conduit dans la pratique à subordonner le prolétariat à la politique de la bourgeoisie. La bourgeoisie met toujours au premier plan ses revendications nationales. Elle les formule de façon catégorique. Pour le prolétariat, elles sont subordonnées aux intérêts de la lutte de classe. Théoriquement, on ne saurait affirmer à l’avance si c’est la séparation d’une nation ou son égalité en droits avec une autre nation qui achèvera la révolution démocratique bourgeoise : pour le prolétariat, il importe dans les deux cas d’assurer le développement de sa propre classe ; ce qui importe à la bourgeoisie, c’est d’entraver ce développement, en en reléguant les tâches derrière celles de “sa” nation. Aussi le prolétariat se borne-t-il à revendiquer de façon toute négative pour ainsi dire, la reconnaissance du droit de libre disposition, sans rien garantir à aucune nation, ni s’engager à rien donner aux dépens d’une autre nation.
Cela n’est pas “pratique” ? Soit. Mais en fait, cela garantit le mieux la plus démocratique des solutions possibles ; ce qu’il faut au prolétariat, ce sont uniquement ces garanties ; ce qu’il faut à la bourgeoisie de chaque nation, c’est que soient garantis ses avantages, sans égard à la situation (aux désavantages possibles) d’autres nations.
Ce qui intéresse surtout la bourgeoisie, c’est la “possibilité” de faire aboutir une revendication donnée ; d’où la perpétuelle politique de transactions avec la bourgeoisie des autres nations au détriment du prolétariat. Au prolétariat par contre, il importe de renforcer sa propre classe contre la bourgeoisie, d’éduquer les masses dans l’esprit d’une démocratie conséquente et du socialisme.
Cela n’est pas “pratique” pour les opportunistes ? Soit. Mais cela n’en est pas moins l’unique garantie effective, la garantie du maximum d’égalité nationale et de paix, en dépit des féodaux comme de la bourgeoisie nationaliste.
Toute la tâche des prolétaires dans la question nationale n’est pas “pratique” du point de vue de la bourgeoisie nationaliste de chaque nation, car les prolétaires exigent une “abstraite”égalité des droits, l’absence en principe des moindres privilèges, hostiles qu’ils sont à tout nationalisme. […]
[…]
Au nom du “caractère pratique” de ses revendications, la bourgeoisie des nations opprimées appellera le prolétariat à soutenir sans réserve ses aspirations. Le plus pratique, c’est de dire franchement “oui” pour la séparation de telle nation, mais non pour le droit de séparation de toutes les nations, quelles qu’elles soient !
Le prolétariat est contre ce praticisme : reconnaissant l’égalité en droits et un droit égal à constituer un État national, il prise et place par-dessus tout l’alliance des prolétaires de toutes les nations, apprécie sous l’angle de la lutte de classe des ouvriers toute revendication nationale, toute séparation nationale. Le mot d’ordre de praticisme n’est en fait que le mot d’ordre d’assimilation non critique des aspirations bourgeoises.
[…]
Nous répondons : non, c’est à la bourgeoisie qu’il importe d’avoir ici une solution “pratique” tandis qu’aux ouvriers il importe de dégager en principe deux tendances. Pour autant que la bourgeoisie de la nation opprimée lutte contre la nation qui opprime, pour autant nous sommes toujours, en tout état de cause et plus résolument que tous les autres, pour, car nous sommes l’ennemi le plus hardi et le plus conséquent de l’oppression. Pour autant que la bourgeoisie de la nation opprimée est pour son propre nationalisme bourgeois, nous sommes contre. Lutte contre tes privilèges et les violences de la nation qui opprime ; aucune tolérance pour la recherche de privilèges, de la part de la nation opprimée.
Si nous ne mettons pas en avant et ne faisons point passer dans notre agitation le mot d’ordre du droit de séparation, nous ferons le jeu non seulement de la bourgeoisie, mais aussi des féodaux et de l’absolutisme de la nation qui opprime. […] »24
La libération nationale est la lutte des communistes, y compris si elle est politiquement « impure » ou qu’elle est menée par des appareils politiques et militaires distincts des masses populaires (qui ne sont pas leur expression organique). La nature interclassiste et politiquement immature ou arriérée de la libération nationale, tout comme la formation et l’engagement dans celle-ci d’organisations politiques et militaires autonomes, sont des nécessités qui laissent également inchangées son fond démocratique anti-impérialiste et son caractère de masse. Sur le premier point, le mouvement des masses est toujours aussi celui de ses franges réactionnaires et des classes populaires non prolétariennes, les mouvements nationaux sont à ce propos la norme et non l’exception. Sur le dernier point, une organisation est toujours distincte et autonome des masses, et elle ne peut être dite « séparée » des masses que si son mouvement est indépendant du mouvement des masses, ou opposé à celui-ci. (Notons que le Parti communiste, s’il est par définition l’expression directe des masses, n’en est pas moins organiquement distinct et autonome, sans que l’on puisse donc dire qu’il en serait alors séparé.)
« L’insurrection irlandaise [a été] qualifiée de “putsch”, ni plus ni moins, car la “question irlandaise”, y disait-on, était une “question agraire”, les paysans avaient été apaisés par des réformes, et le mouvement national n’était plus maintenant “qu’un mouvement purement urbain”, petit-bourgeois, et qui, en dépit de tout son tapage, ne représentait pas grand-chose “au point de vue social”.
[…]
On ne peut parler de “putsch”, au sens scientifique du terme, que lorsque la tentative d’insurrection n’a rien révélé d’autre qu’un cercle de conspirateurs ou d’absurdes maniaques, et qu’elle n’a trouvé aucun écho dans les masses. Le mouvement national irlandais, qui a derrière lui des siècles d’existence, qui est passé par différentes étapes et combinaisons d’intérêts de classe, s’est traduit, notamment, par un congrès national irlandais de masse, tenu en Amérique (Vorwärts du 20 mars 1916), lequel s’est prononcé en faveur de l’indépendance de l’Irlande ; il s’est traduit par des batailles de rue auxquelles prirent part une partie de la petite bourgeoisie des villes, ainsi qu’une partie des ouvriers, après un long effort de propagande au sein des masses, après des manifestations, des interdictions de journaux, etc. Quiconque qualifie de putsch pareille insurrection est, ou bien le pire des réactionnaires, ou bien un doctrinaire absolument incapable de se représenter la révolution sociale comme un phénomène vivant.
Croire que la révolution sociale soit concevable sans insurrections des petites nations dans les colonies et en Europe, sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira “Nous sommes pour le socialisme”, et qu’une autre, en un autre lieu, dira “Nous sommes pour l’impérialisme”, et que ce sera alors la révolution sociale ! C’est seulement en procédant de ce point de vue pédantesque et ridicule qu’on pouvait qualifier injurieusement de “putsch” l’insurrection irlandaise.
Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution.
La révolution russe de 1905 a été une révolution démocratique bourgeoise. Elle a consisté en une série de batailles livrées par toutes les classes, groupes et éléments mécontents de la population. Parmi eux, il y avait des masses aux préjugés les plus barbares, luttant pour les objectifs les plus vagues et les plus fantastiques, il y avait des groupuscules qui recevaient de l’argent japonais, il y avait des spéculateurs et des aventuriers, etc. Objectivement, le mouvement des masses ébranlait le tsarisme et frayait la voie à la démocratie, et c’est pourquoi les ouvriers conscients étaient à sa tête.
La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement — sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible — et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais, objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme, laquelle ne “s’épurera” pas d’emblée, tant s’en faut, des scories petites-bourgeoises. »25
B. La révolution continue par étape
Le devoir des communistes envers la libération nationale ne se supplante pas à l’autonomie politique de classe du prolétariat, mais n’est que l’application de celle-ci dans la situation concrète de l’oppression d’une nation par une autre (lorsque la libération nationale est démocratique). Ces deux devoirs ne sont qu’un, parce que la réalisation du second est conditionnée par la réalisation du premier, ils existent l’un dans la continuité de l’autre.
Le combat pour les droits politiques (les libertés bourgeoises) des masses populaires en général, et des prolétaires en particulier, est le combat des communistes parce que ces droits politiques sont aussi ceux du mouvement révolutionnaire, c’est-à-dire ceux qui permettent au prolétariat de développer sa conscience et son organisation politique. Cette réalité est particulièrement évidente et impérative dans le cas du colonialisme, du (semi-)féodalisme ou du fascisme, c’est-à-dire lorsque les tâches démocratiques sont principales.
« […] Marx voyait dans toutes les revendications démocratiques sans exception non pas un absolu, mais l’expression historique de la lutte des masses populaires, dirigées par la bourgeoisie, contre le régime féodal. Il n’est pas une seule de ces revendications qui, dans certaines circonstances, ne puisse servir et n’ait servi à la bourgeoisie à tromper les ouvriers. Il est radicalement faux, du point de vue théorique, de monter en épingle, à cet égard, l’une des revendications de la démocratie politique, à savoir le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, et de l’opposer à toutes les autres. Dans la pratique, le prolétariat ne peut conserver son indépendance qu’en subordonnant sa lutte pour toutes les revendications démocratiques, sans en excepter la république, à sa lutte révolutionnaire pour le renversement de la bourgeoisie. »26
Nier la révolution continue par étape, c’est-à-dire refuser d’analyser la contradiction et les tâches principales de chaque situation, ce n’est pas « accélérer » ou prendre un « raccourci » vers la révolution communiste, ou « sauvegarder » l’autonomie politique de classe du prolétariat, mais simplement liquider celles-ci.
Il y a continuité et rupture entre la lutte démocratique (antiféodale, anticoloniale, antifasciste) et la lutte des classes (communiste). La première n’est pas la seconde, mais la seconde est déjà contenue dans la première, qui est sa condition et qui la produit. Il y a une nécessité réciproque entre la révolution démocratique et la révolution communiste : la révolution communiste nécessite la révolution démocratique (contre le féodalisme, le colonialisme et le fascisme), et la révolution démocratique nécessite la révolution communiste (contre l’impérialisme et le capitalisme monopolistique d’État).
L’Histoire a prouvé qu’une révolution démocratique pouvait se réaliser sans révolution communiste, par exemple, en Irlande, en Algérie ou en Iran, mais, là même, la relation de nécessité réciproque existe toujours : parce que les tâches démocratiques ont été réalisées, les tâches communistes sont mises à l’ordre du jour, c’est-à-dire qu’elles peuvent et doivent être réalisées. La révolution démocratique ne peut pas être définitivement sauvegardée contre l’impérialisme sans la révolution communiste, c’est-à-dire qu’elle encourt toujours le risque de retrouver sa domination sous une forme néocoloniale. Dans les 3 exemples cités ci-dessus, ce constat s’est vérifié : aujourd’hui, une partie de l’Irlande est toujours occupée par le Royaume-unis, et l’Algérie et l’Iran sont toujours dominées par l’impérialisme (donc, bureaucratiques). Idem, contre le fascisme : aucune société capitaliste ne peut rester éternellement hors de portée de la peste brune. Même lorsque la révolution démocratique se réalise sans la révolution communiste, elle reste fatalement inachevée (à l’époque de l’impérialisme) : à terme, des tâches démocratiques subsistent et/ou ressurgissent toujours.
La relation de nécessité réciproque entre révolution démocratique et révolution communiste n’est pas métaphysique : la révolution démocratique nécessite la révolution communiste dans l’absolu, parce qu’elle est sa seule garantie contre l’impérialisme et le capital monopolistique, mais la révolution communiste n’est que relativement nécessaire pour la révolution démocratique, parce qu’elle peut être réalisée sans la révolution communiste.
« NB : le subjectivisme (le scepticisme et la sophistique, etc.) se distingue de la dialectique, entre autres, en ce que dans la dialectique (objective) la différence entre le relatif et l’absolu est elle-même relative. Pour la dialectique objective, dans le relatif il y a l’absolu. Pour le subjectivisme et la sophistique, le relatif est seulement relatif et exclut l’absolu.
[…]
Ainsi, dans toute proposition on peut (et on doit), comme dans une “maille”, une “cellule”, mettre en évidence les embryons de tous les éléments de la dialectique, montrant ainsi que la dialectique est inhérente à toute la connaissance humaine en général. […] »27
La révolution continue par étape, c’est la résolution successive des contradictions jusqu’au communisme, dans l’ordre où il est possible donc nécessaire de les résoudre.
Lorsque Marx défend une révolution démocratique en Irlande, que Lénine défend une révolution démocratique dans l’Empire russe (la dictature démocratique du peuple), et que Mao défend une révolution démocratique en Chine (la nouvelle démocratie), ce n’est pas à la place ou malgré la révolution communiste, mais avec et pour celle-ci. L’expérience historique est venue confirmer leur prédiction. Dans l’Empire russe, la révolution démocratique de Février 1917 a précédé la révolution communiste d’Octobre 1917. En Chine, la guerre révolutionnaire nationale (ou révolution de nouvelle démocratie) qui s’est achevée en 1949, et la dictature démocratique du peuple (ou nouvelle démocratie) qui s’est achevée en 1954, ont précédé l’établissement de la dictature du prolétariat. Idem, en Albanie ou au Vietnam, la révolution communiste et la dictature du prolétariat ont été précédées par une révolution démocratique et une dictature démocratique du peuple.
La stratégie de révolution continue par étape est aussi vieille que le marxisme. C’est celle que Marx et Engels ont développée depuis Le manifeste du parti communiste (1848) jusqu’à leur mort, et qu’ils ont notamment appliquée au cas de l’Irlande du XIXe siècle. C’est celle que Lénine a développée en l’adaptant au cas de la Russie au début du XXe siècle dans Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique (1905). C’est celle que Mao a développée en l’adaptant au cas de la Chine du milieu du XXe siècle dans La démocratie nouvelle (1940). Aujourd’hui, l’on peut affirmer que la révolution continue par étape a été adoubée par l’Histoire comme stratégie révolutionnaire générale du prolétariat international.
Il est à noter que le principe de la résolution successive des contradictions principales ne s’applique pas seulement à la contradiction Travail-Capital (la révolution continue par étape jusqu’au communisme). Par exemple, sous le mode de production communiste, la contradiction Homme-Femme existera toujours (avec ses aspects irrémédiablement antagoniques) et deviendra vraisemblablement principale, et avec elle les tâches politiques féministes. Etc.
Le mouvement communiste est à l’avant-garde, cela signifie qu’il lutte pour la résolution de toutes les contradictions, y compris celles qui ne sont pas principales. Cependant, les contradictions ne peuvent se résoudre que par étape, c’est-à-dire en identifiant et résolvant successivement la contradiction principale. Il est impossible de résoudre toutes les contradictions à la fois, car les contradictions secondaires ne peuvent pas être résolues si la contradiction principale qui conditionne leur existence, c’est-à-dire qui les produit et les reproduit, n’est pas d’abord résolue.
C. La libération nationale et le colonialisme
« […] Marx mettait au premier plan, en considérant par-dessus tout les intérêts de la lutte de classe du prolétariat des pays avancés, le principe fondamental de l’internationalisme et du socialisme : un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être libre. […] »28
Comment interpréter cette conclusion de Marx dans le cas du colonialisme ?
« […] Les socialistes ne doivent pas seulement revendiquer la libération immédiate, sans condition et sans rachat, des colonies (et cette revendication, dans son expression politique, n’est pas autre chose que la reconnaissance du droit des nations à disposer d’elles-mêmes) ; les socialistes doivent soutenir de la façon la plus résolue les éléments les plus révolutionnaires des mouvements démocratiques bourgeois de libération nationale de ces pays et aider à leur insurrection (ou, le cas échéant, à leur guerre révolutionnaire) contre les puissances impérialistes qui les oppriment. »29
Il existe un droit des nations à disposer d’elles-mêmes, à l’autodétermination, mais il n’existe nulle part de droit des nations à la colonisation, c’est-à-dire à la conquête, à l’extermination, au peuplement, etc. En revanche, le droit des nations à disposer d’elles-mêmes implique sans ambiguïté le droit à la résistance et à la libération, c’est-à-dire, à la « guerre révolutionnaire nationale », pour reprendre les mots de Lénine et de Mao.
Dans le cas du colonialisme, particulièrement du colonialisme de peuplement, ne pas défendre le droit à l’autodétermination nationale et la lutte démocratique de libération nationale anticoloniale, c’est toujours soutenir le statu quo colonial et les positions de l’impérialisme dans le monde. En conséquence, ne pas répondre du droit des nations à l’autodétermination et des tâches démocratiques de libération nationale anticoloniale, c’est faillir dans son devoir de communiste, c’est être un social-impérialiste et un social-colonialiste, c’est-à-dire être un communiste en mot et en apparence, mais un impérialiste et un colonialiste en fait.
Dans la contradiction entre une nation coloniale et une nation résistant au colonialisme, l’aspect principal, c’est-à-dire celui qui contient la possibilité d’une résolution de la contradiction, par le haut, est la nation en lutte contre son oppression : c’est la lutte des peuples opprimés qui peut réaliser la révolution démocratique dans le monde, pas la lutte des peuples oppresseurs, c’est leur autodétermination qui est progressiste, pas celle des peuples oppresseurs.
« [L]es socialistes […] qui ne revendiquent pas la liberté de séparation pour les colonies […], et qui n’étendent pas la propagande révolutionnaire et l’action de masse révolutionnaire jusque dans le domaine de la lutte contre le joug national, qui n’utilisent pas les incidents comme celui de Saverne pour développer une très large propagande illégale parmi le prolétariat de la nation oppressive, pour organiser des manifestations de rue et des actions révolutionnaires de masse, […] ces socialistes agissent en chauvins, en laquais des monarchies impérialistes et de la bourgeoisie impérialiste qui se sont couvertes de sang et de boue. »30
Soutenir la libération des colonies, ce n’est pas soutenir un nationalisme, c’est-à-dire la politique réactionnaire d’une bourgeoisie qui cherche à gagner des privilèges sur une autre nation. Ce n’est que l’autodétermination du peuple colonisé, c’est-à-dire l’abolition des privilèges de la nation dominante sur la nation dominée : lorsque le statu quo est asymétrique (une situation de domination), son renversement ne peut être qu’un mouvement asymétrique de même (la conquête de la liberté) — ce principe ne devrait pas être étranger à un marxiste.
Dans le cas d’une nation coloniale, c’est-à-dire dont l’existence est historiquement et matériellement indissolublement liée au projet colonial d’une colonie de peuplement, comment se présente l’abolition des privilèges nationaux des colonisateurs sur les colonisés ? La réponse est simple : comme dans toute autre situation coloniale, par le droit de la nation dominée à disposer d’elle-même, c’est à dire « la libération immédiate, sans condition et sans rachat, des colonies ». Où est-ce que l’oppression nationale est plus évidente que dans la spoliation des terres, le déplacement et l’apartheid ? Qu’est-ce que peut être le droit d’une nation à disposer d’elle-même sinon son droit à se réapproprier ses terres pour retourner y vivre librement ?
La nécessité, c’est la libération de la colonie, la dissolution subséquente de la nation coloniale qui en dépend, en tant que nation, n’est qu’une contingence. Si une nation ne peut exister que comme nation privilégiée — par sa domination d’une autre nation — et doit disparaître avec la disparition de ses privilèges — l’abolition de sa domination d’une autre nation —, alors l’avenir de cette nation laisse parfaitement indifférents les communistes, et ce non pas en dépit du droit à l’autodétermination des nations, mais précisément en vertu de ce principe. Les communistes reconnaissent ce droit car ils sont « l’ennemi le plus hardi et le plus conséquent de l’oppression » qui « n’admet aucune inégalité, aucun privilège, aucun exclusivisme ».
Les communistes œuvrent pour la révolution communiste mondiale. Ils ont donc le devoir de défendre l’internationalisme prolétarien, duquel est déduit le principe de l’égalité des nations, duquel est déduit le droit à l’autodétermination nationale, et duquel est déduit le droit à la libération nationale. Défendre ces droits démocratiques nationaux (pour leur fond) est donc le devoir des communistes (pour œuvrer à la révolution communiste mondiale).
La perpétuation ou la disparition d’une nation sont des problèmes parfaitement étrangers au programme et à la lutte communiste : cette question ne possède en tant que telle, au-delà du principe internationaliste de l’égalité des nations et de son application (l’autodétermination et la libération nationale), aucun fond démocratique.
L’existence ou l’inexistence d’une nation n’a aucune valeur politique indépendamment de la libération.
Rappelons-le : ce que défendent les communistes, c’est un fond démocratique, pas une forme nationale.
D. Le front uni démocratique
Résumons. Selon Marx, Lénine et Staline, les luttes de libération nationale sont toujours des luttes bourgeoises — sinon dirigé par la bourgeoisie, au moins dans les intérêts de la bourgeoisie. Cependant, ces luttes possèdent un contenu démocratique. De plus, ces luttes sont des mouvements populaires de masse. Pour ces deux raisons — leur contenu démocratique et leur investissement par les masses populaires — les luttes de libération nationale sont dans les intérêts directs du prolétariat : elles sont des problèmes pratiques immédiats de la révolution communiste. Pourquoi ?
Premièrement, la révolution démocratique nationale est dans les intérêts de la révolution communiste, parce que les libertés politiques bourgeoises sont aussi celles du mouvement ouvrier et révolutionnaire.
Deuxièmement, la révolution démocratique nationale est une opportunité pour la révolution communiste, parce que les communistes peuvent se placer à la tête du mouvement des masses en lutte pour l’indépendance nationale contre l’impérialisme. L’indépendance nationale ne peut pas exister à l’époque de l’impérialisme, ce qui est un argument de plus pour que les communistes en fassent leur propre combat : ainsi, ils mènent les masses à travers la révolution démocratique vers la révolution communiste.
Et troisièmement, la révolution démocratique nationale résout la contradiction principale nationale-coloniale, ce qui transforme la contradiction Travail-Capital, d’une contradiction secondaire dans les colonies, en contradiction principale et met ainsi à l’ordre du jour des masses la révolution communiste.
Voilà comment se justifie la stratégie de la révolution continue par étape.
Répétons-le : une stratégie offre des possibilités (elle ouvre le champ des possibles), mais elle n’offre jamais de garanties. Un communiste qui attend une stratégie infaillible, sans risque de défaite, l’attendra pour l’éternité, aussi longtemps que celui qui attend une révolution communiste « pure » ou « propre » — idéelle et idéale.
Dans la révolution continue par étape, c’est ainsi que se pose le problème du front uni démocratique : qu’est-ce qui est possible, donc nécessaire, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? L’expérience du 1er et du 2d front uni chinois (respectivement en 1924-1927 et en 1937-1945) est un excellent exemple.
Le Parti communiste de Chine n’a pas renoncé au front uni avec le Kuomintang, et ce malgré que ce dernier l’ait trahi en 1927, avec des conséquences sanglantes pour le prolétariat chinois (le massacre de Shanghai), et l’ait ensuite contraint à mener la Longue marche en 1934, ce qui coûta la vie au Soviet du Jiangxi et à 100 000 communistes chinois.
Est-ce que l’obstination du Parti communiste de Chine à appliquer la stratégie du front uni démocratique était une erreur ? Est-ce qu’il aurait dû abandonner cette stratégie ? Non.Pourtant, le Kuomintang était financé et soutenu par les impérialistes (les USA), et les civils chinois ont été régulièrement les victimes de pillages dont s’est rendu coupable le Kuomintang — ce que Mao a condamné. Est-ce que le Parti communiste de Chine s’est donc rendu coupable de collaboration avec des fascistes ou des impérialistes, en s’alliant avec le Kuomintang ? Est-ce qu’il s’est politiquement liquidé dans ce front uni ? Non plus. L’Histoire a prouvé l’inverse — le Parti communiste de Chine n’a pas eu tort — et a démontré que dans les luttes de libération nationale, le front uni avec la bourgeoisie nationale est la stratégie correcte, malgré ses risques, et malgré les aspects réactionnaires des organisations nationalistes bourgeoises.
Il y a une identité contradictoire entre la fin et les moyens, entre la stratégie et la tactique. La stratégie de front uni est toujours une tactique de compromis avec des forces plus ou moins réactionnaires et plus ou moins dangereuses en tant que telles. La tactique du compromis est un danger pour la stratégie du front uni, mais la stratégie du front uni ne peut se réaliser qu’avec une tactique du compromis. La stratégie est rigide et autonome, la tactique est souple et négociée : le compromis n’est juste que quand il est tactique, mais il est nécessaire. Ces compromis ne sont pas « sans principes », au contraire, ils sont dictés par les impératifs de la victoire, ils se justifient par des principes supérieurs, ceux de la révolution démocratique, qui eux-mêmes sont pour les communistes ceux de la révolution communiste.
« On appelle compromis, en politique, l’abandon de certaines revendications, d’une partie de ces revendications, en vertu d’un accord avec un autre parti.
L’idée que la foule se fait habituellement des bolcheviques, idée entretenue par la presse qui nous calomnie, c’est que les bolcheviques n’acceptent jamais aucun compromis avec qui que ce soit.
Cette idée nous flatte en tant que parti du prolétariat révolutionnaire, car elle prouve que nos ennemis mêmes sont obligés de reconnaître notre fidélité aux principes fondamentaux du socialisme et de la révolution. Mais il faut cependant dire ce qui est vrai : cette idée ne correspond pas à la vérité. Engels avait raison lorsque, dans sa critique du manifeste des communards blanquistes (1873), il raillait leur déclaration : “Pas de compromis !”. Ce n’est qu’une phrase, disait-il, car il arrive fréquemment que les circonstances imposent fatalement des compromis à un parti en lutte, et il est absurde de renoncer à tout jamais à “accepter le paiement d’une dette par tranches”. Le devoir d’un parti vraiment révolutionnaire n’est pas de proclamer une renonciation impossible à tout compromis, mais bien de savoir rester, à travers tous les compromis, dans la mesure où ils sont inévitables, fidèle à ses principes, à sa classe, à sa mission révolutionnaire, à sa tâche de préparation de la révolution et d’éducation des masses en vue de la victoire révolutionnaire. »31
In fine, pour les communistes, le problème de la libération nationale se pose comme un dilemme simple : s’exclure ou ne pas s’exclure du mouvement réel.
Conclusion : la libération nationale et la guerre impérialiste
En conclusion, nous devons noter que s’il est primordial d’étudier les contradictions pour ne pas négliger nos tâches démocratiques là où elles existent, notamment concernant les luttes de libération nationale, il l’est tout autant pour ne pas négliger toutes nos autres tâches de communistes. Confondre le principal et le secondaire, c’est se condamner à l’opportunisme, et donc, à la défaite.
La simple existence d’un élément national démocratique dans une guerre ne nous informe pas sur la nature de cette guerre (la qualité dépend de la quantité). Une guerre est nationale seulement lorsque son aspect national est principal. Aucun aspect n’apparaît « pur » dans la réalité, car la pureté est une abstraction (elle isole) et que la réalité est concrète (rien n’y existe isolé). Voilà pourquoi déduire l’aspect principal de l’étude des contradictions — prises dans leur totalité — est toujours nécessaire pour déduire la nature (la qualité) d’une situation en général, et d’une guerre en particulier. Par exemple, dans la 1re Guerre inter-impérialiste mondiale, l’élément national démocratique existait, ce qui ne transformait pas la guerre inter-impérialiste en guerre de libération nationale, car cet élément national démocratique restait un aspect secondaire par rapport à l’élément inter-impérialiste principal. De plus, cet élément national démocratique a été invoqué par toutes les bourgeoisies impérialistes, là où il n’existait pas : « la défense de la patrie » revendiquée par tous les belligérants ne signifiait pas qu’il existait un contenu démocratique dans leurs ambitions, ce n’était là qu’un casus belli pour le repartage du monde et un moyen d’unir la nation autour des intérêts de la bourgeoisie impérialiste.
« L’élément national [démocratique] dans la guerre actuelle est représenté seulement par la guerre de la Serbie contre l’Autriche (comme l’a, du reste, souligné la résolution de la conférence de Berne de notre Parti). C’est seulement en Serbie et parmi les Serbes qu’il existe un mouvement de libération nationale datant de longues années, embrassant des millions d’individus parmi les “masses populaires”, et dont le “prolongement” est la guerre de la Serbie contre l’Autriche. Si cette guerre était isolée, c’est-à-dire si elle n’était pas liée à la guerre européenne générale, aux visées égoïstes et spoliatrices de l’Angleterre, de la Russie, etc., tous les socialistes seraient tenus de souhaiter le succès de la bourgeoisie serbe — c’est là la seule conclusion juste et absolument nécessaire que l’on doive tirer du facteur national dans la guerre actuelle. […]
Poursuivons. La dialectique de Marx, dernier mot de la méthode évolutionniste scientifique, interdit justement l’examen isolé, c’est-à-dire unilatéral et déformé, de l’objet étudié. Le facteur national dans la guerre serbo-autrichienne n’a et ne peut avoir aucune importance sérieuse dans la guerre européenne générale. […] Pour la Serbie, c’est-à-dire pour environ un centième des participants à la guerre actuelle, celle-ci est le “prolongement de la politique” du mouvement de libération bourgeois. Pour 99 pour cent, la guerre est le prolongement de la politique de la bourgeoisie impérialiste, c’est-à-dire caduque, capable de dépraver des nations, mais non de les affranchir. L’Entente, en “libérant” la Serbie, vend les intérêts de la liberté serbe à l’impérialisme italien en échange de son appui dans le pillage de l’Autriche.
[…] Ni dans la nature ni dans la société, les phénomènes n’existent et ne peuvent exister à l’état “pur” : c’est précisément ce que nous enseigne la dialectique de Marx, selon laquelle la notion même de pureté comporte un caractère unilatéral et étroit, empêche la connaissance humaine d’atteindre l’objet pleinement, dans toute sa complexité. Il n’y a et il ne peut y avoir au monde de capitalisme à l’état pur », car celui-ci est toujours additionné d’éléments féodaux, petits-bourgeois, ou d’autre chose encore. C’est pourquoi rappeler que la guerre n’est pas « purement » impérialiste, alors que les impérialistes mystifient scandaleusement les « masses populaires » en camouflant notoirement leurs visées de brigandage pur et simple par une phraséologie « nationale », c’est être un pédant infiniment obtus, ou un manœuvrier et un tricheur. […] Nul doute que la réalité ne soit infiniment variée, c’est la plus pure vérité ! Mais il n’est pas douteux non plus qu’au sein de cette infinie variété se dessinent deux courants fondamentaux et essentiels le contenu objectif de la guerre est le « prolongement de la politique » de l’impérialisme, c’est-à-dire du pillage des autres nations par la bourgeoisie déclinante des « grandes puissances » (et par les gouvernements de ces dernières) ; quant à l’idéologie « subjective » dominante, ce sont des phrases « nationales » propagées en vue de duper les masses. »32
D’abord, un mouvement national ne possède pas nécessairement un contenu démocratique, il peut aussi être chauvin et impérialiste. Ensuite, lorsqu’un mouvement national possède un contenu démocratique, celui-ci n’est jamais « pur » et il n’est pas nécessairement principal. Enfin, même lorsqu’un mouvement national possède un contenu principalement démocratique, c’est-à-dire lorsqu’il est une lutte de libération nationale, les tâches démocratiques ne sont pas nécessairement les tâches principales, c’est-à-dire celles qui peuvent résoudre la contradiction principale, car une contradiction impliquant des tâches démocratiques peut exister sans qu’elle ne soit la contradiction principale.
C’est face à cette dernière situation que Lénine a argumenté contre (!) la défense de la lutte de libération nationale serbe pendant la 1re Guerre inter-impérialiste mondiale : dans l’ensemble, l’élément chauvin et impérialiste était principal et l’élément national démocratique — bien présent et principal dans le mouvement national serbe — était secondaire. Ce qu’il faut comprendre, c’est que même si l’aspect national démocratique était principal dans la guerre de la Serbie contre l’Autriche, cet aspect n’avait aucune importance dans la situation générale dans lequel le mouvement national serbe était placé, dont il n’était qu’une partie d’un tout : la contradiction principale, c’est-à-dire celle qui déterminait l’existence et l’avenir de la 1re Guerre mondiale, n’était pas nationale mais inter-impérialiste.
À l’inverse, dans le cas de l’Irlande, l’élément inter-impérialiste était secondaire, et l’élément national démocratique était principal. L’élément inter-impérialiste se retrouve invariablement dans tous les mouvements nationaux à l’époque de l’impérialisme — l’indépendance de l’Irlande était soutenue par tous les concurrents de l’Angleterre — mais constater l’existence d’un aspect ne nous dit rien sur sa qualité principale ou secondaire. Pour départager le principal du secondaire, il faut étudier les phénomènes dans leur ensemble, c’est-à-dire les contradictions dans leurs relations entres-elles.
Quand Lénine soutient une lutte de libération nationale — par exemple, l’Irlande — au nom de l’internationalisme révolutionnaire, et qu’il refuse de soutenir une autre lutte de libération nationale — par exemple, la Serbie — au nom du même internationalisme révolutionnaire, y a-t-il une contradiction ? Est-ce que Lénine, en 1915, a oublié d’appliquer la méthode matérialiste dialectique au cas de la lutte de libération nationale serbe ? Aucunement. Au contraire, ses positions étaient les plus correctes conclusions de la méthode matérialiste dialectique appliquée à des situations concrètes différentes, où les contradictions principales étaient de qualités différentes, et donc, où les méthodes de leur résolution étaient de qualités différentes également.
La théorie est un guide pour l’action, et c’est précisément ce guide qui a permis à Lénine de rester internationaliste et révolutionnaire lorsque la IIde Internationale se convertissait au social-chauvinisme de « la défense de la patrie ». Entre une position révolutionnaire et une position contre-révolutionnaire, il n’y a que la compréhension ou l’absence de compréhension des contradictions (de leur ordre et de leur qualité). Voilà pourquoi nous pouvons répéter : « sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire »33, car la théorie est toujours une question pratique.
1 Pour un exposé systématique de la question nationale, ce qui n’est pas l’objet de ce court document, nous redirigeons vers : I. Kaypakkaya, La question nationale en Turquie, 1971.
2 K. Marx et F. Engels, « Feuerbach », L’idéologie allemande, 1845.
3 J. V. Staline, « Le mouvement national », Le marxisme et la question nationale, 1913.
4 V. I. Lénine, « Le “praticisme” dans la questions nationale », Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1914.
5 V. I. Lénine, « Bourgeoisie libérale et opportunistes socialistes dans la questions nationale », Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1914.
6 V. I. Lénine, La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1916.
7 K. Marx, « Valeur et travail », Salaire, prix et profit, 1865.
8 V. I. Lénine, La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1916.
9 K. Marx, Lettre à Engels du 11 décembre 1869, 1869.
10 K. Marx, Lettre à Sigfrid Meyer et August Vogt du 9 avril 1870, 1870.
11 Mao Z., « Le caractère spécifique de la contradiction », De la contradiction, 1937.
12 F. Engels, Lettre à Karl Kautsky du 12 septembre 1882, 1882.
13 Ibidem.
14 Ibidem.
15 G. Dimitrov, « Chapter two: The Soviet Union », The diary of Georgi Dimitrov 1933–1949, Yale University Press, 2003, p. 13.
16 A. Ruscio, « Commune(s), communards, question coloniale », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 153 | 2022, p. 131-144.
17 Ibidem.
18 Ibidem.
19 I. Merle, « Communards and “Arabs” insurgents against Kanaks. Military engagements and contradictions within 1878 Kanak war in New Caledonia. », Fifth European Congress on World and Global History – “Ruptures, Empires, Revolutions”, Department of History, Corvinus University of Budapest, août 2017.
20 Ibidem.
21 À ce sujet, nous redirigeons vers « Notes sur la conscience de classe », Unité communiste, 3 avril 2024.
22 F. Engels, Principes du communisme, 1847.
23 K. Marx, La scission au sein de la Ligue des communistes, 1850.
24 V. I. Lénine, « Le “praticisme” dans la questions nationale », Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1914.
25 V. I. Lénine, « L’insurrection irlandaise de 1916 », Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1916.
26 V. I. Lénine, La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1916.
27 V. I. Lénine, Sur la question de la dialectique, 1915.
28 V. I. Lénine, La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1916.
29 Ibidem.
30 Ibidem.
31 V. I. Lénine, Au sujet des compromis, 1917.
32 V. I. Lénine, « partie VI », La faillite de la IIde Internationale, 1915.
33 V. I. Lénine, « Dogmatisme et “liberté de critique” », Que faire ?, 1902.