Aujourd’hui, plus de 8 mois après l’offensive palestinienne du 7 octobre 2023, nous sommes en mesure de nous demander : est-ce que cette date marque une défaite pour la résistance palestinienne ?
Il est impossible de nier que le 7 octobre a marqué le début de la contre-offensive israélienne sur la bande de Gaza, et avec elle, de l’intensification du génocide gazaoui.
Cependant, est-ce que cela signifie que l’opération Déluge d’Al-Aqsa a échoué ?
Cette question en implique une autre : quels étaient les objectifs des organisations de la joint operation room lorsque celles-ci ont lancé l’opération Déluge d’Al-Aqsa ?
Nous ne pouvons pas répondre à la place des intéressés, mais nous pouvons avancer avec un haut degré de probabilité que l’objectif commun des organisations de la joint operation room était de rompre l’impasse que connaissait jusqu’alors le mouvement de libération nationale palestinien depuis la 2de intifada. Ce statu quo à l’avantage de la puissance colonisatrice se caractérisait à l’échelle internationale par une normalisation diplomatique continue et croissante des relations d’Israël avec ses voisins géopolitiques, notamment les États du Golfe, et à l’échelle nationale par la progression de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem et par un génocide lent et inexorable de la population palestinienne gazaoui, laissée mourir dans des conditions inhumaines1. À cela s’ajoute un recul de la confiance de la population palestinienne, notamment de la jeunesse, en ses organisations. Cela s’est entre autres caractérisé par l’émergence d’un nouveau phénomène : les attentats entrepris en autonomie par des individus isolés, sans lien avec des organisations préexistantes. De plus, la création en 2022 de La Fosse aux lions, une nouvelle organisation de résistance palestinienne, par des jeunes palestiniens de Naplouse, s’inscrit clairement dans cette tendance.
Certes, aujourd’hui, le génocide des gazaouis s’est incontestablement intensifié (bombardement délibéré des habitations, des camps de réfugiés et des infrastructures civiles). Certes, aujourd’hui, la résistance palestinienne fait face à un ennemi fort de 75 ans d’expérience de guerre et d’occupation coloniale (Nakba, crise du canal de Suez, guerre des Six Jours, guerre du Kippour, 1re et 2de guerre du Liban, 1re et 2de intifada, 1re et 2de guerre de Gaza), préparé aux tactiques de la guerre asymétrique (doctrine Dahiya), qui impose des pertes civiles et militaires disproportionnées aux Palestiniennes et Palestiniens. Certes, aujourd’hui, les gazaouis font face à un risque de plus en plus concret d’extermination ou d’exil massif vers l’Égypte.
Cependant, est-ce que cela signifie pour autant que l’opération Déluge d’Al-Aqsa a été un échec ? Du point de vue humanitaire, ces 8 derniers moins ont été un désastre : 40 000 morts, 10 000 disparus, 80 000 blessés2 et une dégradation générale et aiguë des conditions de survie (famine, déshydratation, épidémie, etc.). Cela est indéniable. Mais quid du point de vue de la révolution démocratique anticoloniale ? De ce point de vue, le 7 octobre a mis en mouvement une situation de plus en plus figée depuis les accords d’Oslo (1993). Il ne faut pas surestimer l’importance de cet événement, mais il ne faut pas non plus être aveugle à l’ensemble des transformations que celui-ci amène en Palestine et dans le monde. Auprès de la population colonisée, le 7 octobre a prouvé que la résistance organisée était toujours offensive et capable de mener des opérations d’ampleur. Auprès de la population colonisatrice, le 7 octobre a rappelé que la Palestine n’était pas morte et n’allait pas se laisser mourir en silence, lentement et passivement. Cela l’a poussé à intensifier sa colonisation de la Palestine et son génocide des gazaouis. Ce changement de rythme dans la colonisation et le génocide dont est coupable Israël a bouleversé l’équilibre qui existait dans les relations internationales.
Premièrement, la mobilisation importante des masses mondiales, notamment arabes, en solidarité avec la résistance palestinienne, a contraint les dirigeants de ces nations à ralentir leur processus de normalisation diplomatique avec Israël.
Deuxièmement, l’unilatéralisme de Israël a rompu le consensus tel qu’il existait dans les pays impérialistes hégémoniques. Le jugement rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) concernant les accusations de génocide portées par l’Afrique du Sud à l’encontre d’Israël (janvier 2024), le mandat d’arrêt international pour crime de guerre et crime contre l’humanité demandé par la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre Netanyahou (mai 2024), et la reconnaissance d’un État palestinien par l’Espagne (mai 2024), en sont les meilleurs exemples, mais ce ne sont pas les seuls. Cela ne signifie évidemment pas que le consensus colonial sioniste serait mis en danger dans les relations internationales, mais la normalité de la colonisation israélienne a été rompue. Aujourd’hui, la majorité des gouvernements des pays impérialistes hégémoniques sont critiques des crimes israéliens et exigent un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Même le régime américain, dont Israël est un avant-poste vassal, a émis des réserves envers le gouvernement de Netanyahou.
Troisièmement, le martyr des Palestiniennes et Palestiniens a revitalisé la solidarité internationale avec la résistance palestinienne. L’implication des Houthis, qui a transformé la mer Rouge et le golfe d’Aden en zone de guerre, et l’actuelle escalade des tensions entre le Liban et Israël, en sont les meilleurs exemples.
Le 7 octobre a remis sur le devant de la scène politique mondiale la question palestinienne, au moment où elle était le plus délaissée.
L’on pourra nous reprocher d’être des cyniques, mais nous pensons au contraire que ce sont celles et ceux qui n’apportent pas leur soutien à la résistance palestinienne, dans les moments où celle-ci est la plus tragique et la plus héroïque, qui sont réellement cyniques.
Avant le 7 octobre, quelles étaient les perspectives toutes tracées pour la Palestine, les Palestiniennes et les Palestiniens ? L’extermination lente des gazaouis, dans l’indifférence diplomatique générale, jusqu’à ce que la situation justifie la déportation des survivantes et survivants dans le Sinaï, ou que celles et ceux-ci se soient eux-mêmes exilés. La poursuite des expulsions à Jérusalem et en Cisjordanie, jusqu’à la colonisation totale de ces territoires. Sinon la résistance palestinienne, qui peut stopper le projet colonial israélien ? Qui peut empêcher la victoire finale de celui-ci, c’est-à-dire la victoire du colonialisme sur les peuples opprimés, en Palestine ? Vraisemblablement, rien ni personne.
Avant le 7 octobre, les voies étaient de plus en plus minces, désespérées, pour la résistance palestinienne. Aujourd’hui, la Palestine est martyrisée une fois de plus, mais le champ des possibles s’est élargi, des opportunités ont été ouvertes, le statu quo n’a pas été renversé mais il a été déstabilisé : la résistance palestinienne se dégage de l’impasse dans laquelle elle était de plus en plus entravée.
L’objectif affiché initial de l’opération Déluge d’Al-Aqsa, c’est à dire obtenir la libération de toutes les prisonnières et tous les prisonniers politiques palestiniens grâce aux otages israéliens, a été un échec. Mais au-delà de ses objectifs politiques et militaires immédiats, l’opération Déluge d’Al-Aqsa a été une démonstration : la résistance palestinienne peut toujours compter sur ses propres forces.
Le 7 octobre a surpris autant les ennemis que les alliés du mouvement national palestinien. Par exemple, l’Iran ignorait la planification de l’attaque et n’a pas été impliqué dans celle-ci par les organisations de la joint operation room. À l’intérieur même du Hamas, l’offensive a été décidée et menée par la branche « militaire », indépendamment et à l’insu de la branche « politique ». Ce que révèle ce décalage, c’est l’initiative de la résistance concrète de la branche « militaire », face à la paralysie croissante des manœuvres diplomatiques de la branche « politique ».
L’opération Déluge d’Al-Aqsa a été l’expression directe et autonome du mouvement national palestinien. Elle est la preuve que celui-ci n’est pas à genoux, après 75 ans de guerre coloniale, mais toujours debout. Après 8 mois intenses de siège, de bombardements et de combats, cette démonstration a survécu à toute réfutation et n’est que d’autant plus catégorique. Contrairement à ce que la propagande israélienne a affirmé dès les premiers mois de la contre-offensive, la résistance palestinienne a survécu à tous les coups qui lui ont été portés, elle ne s’est pas effondrée et a poursuivi ses opérations militaires partout à Gaza. Si ses pertes sont considérables, à ce jour, la résistance palestinienne résiste toujours à Israël.
Dans le mouvement communiste international, le 7 octobre a eu une autre sorte de répercussion. Il a divisé les partisans objectifs du colonialisme des partisans de la libération nationale des peuples colonisés.
Les sociaux-impérialistes et les sociaux-colonialistes trouveront toujours des sophismes pour justifier leur lâcheté opportuniste. En 8 mois, nous pouvons affirmer sans prendre de risque que nous les avons tous entendus, ou presque, au sujet de la guerre de libération nationale palestinienne. Par exemple :
- soutenir une résistance palestinienne imaginaire et condamner la résistance palestinienne réelle (et faire ainsi voix unique avec les impérialistes et les colonialistes) ;
- conditionner la lutte des colonisés à l’unité avec leurs colonisateurs (en fantasmant un internationalisme prolétarien métaphysique qui transcenderait la contradiction principale nationale-coloniale sans la résoudre) ;
- qualifier de « féodales » ou de « fascistes » les forces bourgeoises de la résistance palestinienne pour leurs positions réactionnaires (sans aucune analyse des rapports de production ou des relations entre les classes) ;
- ne comprendre la résistance palestinienne que comme le simple prolongement géopolitique de l’Iran (en niant l’autonomie des organisations palestiniennes et leurs divergences d’intérêts avec l’Iran) ;
- ou décrire ce conflit comme une guerre inter-impérialiste et y substituer la libération nationale par le défaitisme révolutionnaire3.
Le fait que dans les pays du centre impérialiste, dont la France, ce soit les positions sociales-impérialistes et sociales-colonialistes (derrière diverses phraséologies pseudo-révolutionnaires) qui aient dominé le mouvement communiste, n’est pas une corrélation fortuite : la libération des peuples opprimés et exploités n’est pas la première priorité des peuples oppresseurs et exploiteurs.
Depuis le 7 octobre 2023, ce qui s’est observé avec une netteté exceptionnelle, en France et dans le monde, c’est une ligne de démarcation se tracer entre, d’une part, les communistes, et d’autre part, les sociaux-impérialistes et les sociaux-colonialistes.
1 À ce sujet, nous redirigeons vers « L’espoir des colonisés », Unité communiste, 10 octobre 2023, et « Le temps maudit des colonies », Unité communiste, 4 novembre 2023. Aux adresses suivantes :
2 Statista Research Department, « Israël / Territoires palestiniens : nombre de morts et de blessés en raison de l’attaque du Hamas contre Israël et des contre-attaques d’Israël dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, depuis le 7 octobre 2023, au 6 mai 2024 », Statista, 22 mai 2024. À l’adresse suivante :
3 À ce sujet, nous redirigeons vers « Exposé des positions d’Unité communiste sur la guerre russo-ukrainienne », Unité communiste, 26 janvier 2024. À l’adresse suivante :