Que faire (le 30 juin) ?

Cet article se propose d’être une clarification de la situation politique actuelle en France. Depuis le 9 juin, le résultat des élections européennes et l’annonce subséquente de la dissolution de l’Assemblée nationale par M. le Président Macron, une partie de la gauche et de l’extrême gauche est plongée dans un certain affolement, en face de la montée du Rassemblement national.

Le phénomène qui s’observe aujourd’hui n’a rien ni de nouveau ni d’exceptionnel. La panique pré-électorale sur fond de « montée du fascisme », qui fait descendre dans la rue depuis le 9 juin dernier, et qui va faire descendre aux urnes le 30 juin prochain, est analogue dans sa nature et son envergure à celle que nous avons déjà connue en 2017, puis en 2022.

La question que nous voulons aujourd’hui avancer est : est-ce que cette urgence — sinon cette panique — est justifiée ?

Si ce n’est dans le microcosme gauchiste, et au siège de Les Républicains, la France continue de tourner, dans une indifférence relative — y compris chez les partis qui présentent des candidats aux prochaines élections législatives.

Les manifestations qui ont constellé la France depuis quelques jours, si elles peuvent être très positives par certains aspects, ne sont que des épiphénomènes marginaux, n’ayant rassemblé que quelques centaines à quelques milliers de participantes et participants, mais surtout, ne représentant pas quoi que ce soit qui sorte des rituels de mobilisation, principalement symboliques, de la gauche et de l’extrême gauche. Nous ne condamnons pas ces mobilisations, bien au contraire ! Nous ne pouvons que saluer l’engagement contre l’extrême droite, mais nous devons rester lucides sur ce que ces manifestations sont réellement. S’il est probable que les manifestations de ce week-end soient d’un tout autre ordre de grandeur (entre 50 000 et 100 000 personnes attendues à Paris), il nous paraît en revanche très improbable que cette différence quantitative implique une quelconque différence qualitative du point de vue politique.

Parfois, il faut rappeler au microcosme gauchiste qu’il est un microcosme, et à ce microcosme que la gauche réformiste, parce qu’elle est institutionnelle et électoraliste, ne peut que se mobiliser autant qu’elle le peut avant chaque élection, pour faire avancer sa stratégie de « conquête du pouvoir » (sic). La formation récente du Nouveau front populaire — une alliance électorale allant de Les Écologistes jusqu’au Nouveau parti anticapitaliste, en passant par La France insoumise, le Parti socialiste et le Parti communiste français — nous informe moins de l’importance des évènements que de l’état des forces des différents partis de la gauche et du centre gauche.

Ce Nouveau front populaire (qui ne fait pas honneur au VIIe congrès de l’Internationale communiste) s’il est anti-extrême droite, serait un très mauvais outil contre une quelconque menace fasciste.

Cela nous amène au cœur du problème. Derrière l’empressement à l’action de certaines militantes et de certains militants, ainsi que leur récemment découverte ferveur pour le scrutin du 30 juin, il y a la peur du fascisme.

Aujourd’hui, en France, existe-t-il un mouvement fasciste ? Existe-t-il un risque du fascisme (ou une « possibilité du fascisme ») ? Existe-t-il une fascisation ?

Nous pouvons dire qu’il y existe un mouvement fasciste comme il y existe un mouvement communiste : des groupuscules, à la portée politique anecdotique, en lutte entre eux et pour leur propre survie. Il existe incontestablement des fascistes, comme il existe tout aussi incontestablement des communistes, mais dans nos états respectifs de développement, parler de mouvement relève plus de l’expression — une formule utile — que d’une réalité correspondant au sens propre du terme. L’on peut parler d’un risque fasciste, en ce que leurs militants se rendent régulièrement coupables d’actes violents, voire d’attentats. Cependant, parler d’un risque du fascisme, c’est-à-dire d’un risque de voir le fascisme se réaliser en France à court ou moyen terme, nous paraît parfaitement absurde.

Il n’y a aujourd’hui pas de fascisation en France.

Comment pouvons-nous affirmer cela ? N’y a-t-il pas une montée incontestable de l’extrême droite à chaque élection depuis 2002 ? N’y a-t-il pas une recrudescence des violences d’extrême droite ? N’y a-t-il pas une déviation vers la droite du discours dans tout le champ politique, par exemple, la banalisation des thèses racistes du « grand remplacement » ou de la « guerre civilisationnelle » ? Le candidat Zemmour, aux élections présidentielles de 2022, n’a-t-il pas porté une rhétorique parfaitement nazifiée ? La répression étatique ne s’est-elle pas progressivement élargie et intensifiée, lors des 2 dernières décennies ?

Cette tendance, à la progression et au renforcement de la réaction, est réelle. Cependant, cette tendance n’est pas celle du fascisme — une fascisation.

Ce que nous observons dans les métropoles impérialistes — dont la France — depuis les années 80, est un retour progressif à la forme du capitalisme précédant la 1re Guerre mondiale. La tendance qui existe est celle à la destruction progressive des « acquis sociaux » du consensus keynésien (le néolibéralisme), et avec elle, d’un retour de la conflictualité sociale (un certain niveau d’intensité dans la lutte des classes) qui était auparavant dissipé par les surprofits impérialistes. La progression du nationalisme, du racisme, du masculinisme et des LGBTIphobies, sont des symptômes d’un « retour à la normale » du capitalisme dans les centres impérialistes.1

Chez une proportion des militantes et militants communistes, nous pensons qu’il y a confusion entre la fin d’une période d’exceptionnelle accalmie et le début de la tempête fasciste. Autrement dit, des changements bien réels, dans nos pays impérialistes, depuis plusieurs décennies, sont interprétés comme une rupture de la démocratie bourgeoise vers le fascisme, alors même qu’il n’y a que continuité : de la démocratie bourgeoise du consensus keynésien vers la démocratie bourgeoise néolibérale.

Cette transformation économique amène avec elle d’importantes transformations politiques — constatables —, mais aucune d’entre elles ne peut nous permettre d’affirmer que la vague fasciste est imminente, qu’elle serait possible, ou même que nous vivons une fascisation. Nous nous sommes habitué au confort et à la respectabilité métropolitaine qui s’est imposée comme la norme depuis la 2de Guerre mondiale, jusque dans les années 80. Que celle-ci prenne lentement mais sûrement fin est évidemment un choc. Mais il est à l’occasion pertinent de rappeler que la Commune de Paris de 1871 a été réprimée dans le sang par la très respectable démocratie bourgeoise de la IIIe République naissante. La politique d’expansion coloniale française, pendant tout le dernier quart du XIXsiècle, a été décidée et réalisée par cette même IIIe République, alors dirigée ni par la droite ou l’extrême droite, mais par la gauche. Lorsque le 2 juin 1908, les gendarmes ouvraient le feu sur les grévistes, ce n’était pas aux ordres d’un fasciste, mais de l’également très respectable républicain Clemenceau.

Le mouvement communiste en France est victime de son manque de recul spatial et temporel (pour ne pas dire de sa cécité et de son amnésie collectives) : ce qui lui apparaît comme d’une violence extrême — qui ne peut donc être que fasciste — ne relève que de la lutte des classes dans une platement banale démocratie bourgeoise impérialiste. Faire feu sur les insurgés kanaks de Nouvelle-Calédonie, ce n’est pas une politique fasciste, ce n’est qu’une politique impérialiste et colonialiste normale — démocratique bourgeoise.

Ni la renaissance d’un mouvement fasciste, ni le risque du fascisme, ni la fascisation, ne peuvent être déterminés ou mesurés seulement par des pourcentages aux élections, par des transformations culturelles ou idéologiques, ou par les évolutions superficielles de l’État bourgeois (ses méthodes).

Le fascisme est nécessairement d’extrême droite, mais l’extrême droite n’est pas nécessairement fasciste. Le fascisme produit sa culture et ses idées, mais il n’est pas une culture et des idées. L’État bourgeois fasciste est violent, mais tout État bourgeois violent n’est pas un État fasciste.

Le fascisme n’est pas qu’une simple alliance politique entre partis bourgeois. Le fascisme n’est pas un choix politique comme un autre pour la bourgeoisie.

Le fascisme est un phénomène historique à l’époque du capitalisme impérialiste, et il ne peut être compris et défini que comme tel, c’est-à-dire comme un phénomène historique. Tous les efforts de la part des idéologues et scientifiques bourgeois (c’est-à-dire, du champ académique bourgeois) pour comprendre et définir le fascisme sans le matérialisme dialectique, n’ont fait apparaître que plus clairement la nécessité de celui-ci : l’idéalisme de Eco, l’agnosticisme de Kershaw, etc. Le fascisme ne serait en fait rien de plus qu’une forme d’« autoritarisme », ou au contraire, une particularité historique absolument irréductible.

Pour définir très brièvement ce que sont essentiellement le fascisme et ses conditions d’émergence, l’on peut mobiliser la synthèse que donne Dimitrov au VIIe congrès de l’Internationale communiste (1935), elle-même fondée sur les travaux antérieurs de Zetkin.

Le fascisme est le produit de la crise générale du capitalisme. Cette crise est autant économique que politique. D’une part, elle entraîne les masses populaires dans la misère et l’ensemble des classes dans l’incertitude. D’autre part, elle sape les « moyens de violence » de l’État bourgeois, ce qui le rend incapable de remplir son rôle de classe (la répression du mouvement ouvrier et révolutionnaire). D’une telle crise, peut naître une situation révolutionnaire, c’est-à-dire où la prise du pouvoir par un mouvement révolutionnaire est possible. Cependant, si le mouvement révolutionnaire en est incapable, alors la situation observe un équilibre des forces entre la classe bourgeoise et la classe prolétaire, et leurs institutions de classes respectives (l’État bourgeois et le Parti communiste). Le fascisme intervient lorsque le mouvement révolutionnaire n’est pas assez fort pour prendre le pouvoir, mais que l’État bourgeois n’est pas assez fort pour réprimer le mouvement révolutionnaire et relancer l’économie, et ainsi restaurer l’ordre. Dans cette situation, et dans cette situation seulement, le coût politique et économique important que représente le fascisme pour la classe bourgeoise devient acceptable : acculée, la bourgeoisie préfère l’aliénation partielle à l’aliénation totale.

Pourquoi est-ce que le fascisme représente un coût politique et économique considérable pour la bourgeoisie ? Parce que le fascisme n’est pas une nouvelle forme d’alliance politique dans le cadre de l’État bourgeois démocratique, mais une nouvelle forme de l’État bourgeois — l’État fasciste. Dans celui-ci, la bourgeoisie dans son ensemble abdique son pouvoir au profit exclusif d’une frange de celle-ci : la frange la plus réactionnaire. Ce qui motive cette décision, c’est la contrainte imposée par le statu quo, la crise que l’État bourgeois démocratique est incapable de résoudre, c’est à dire d’une part la dégradation générale de l’économie (déclassement, chute du taux de profit, faillite, etc.), et d’autre part, le risque révolutionnaire (produit par la crise économique). Dans ce contexte, la bourgeoisie consent à déléguer son pouvoir à la frange de celle-ci qui est capable d’apporter une issue à la crise : la dictature ouverte et terroriste de cette frange de la bourgeoisie. Pour ne pas perdre complètement son pouvoir (à cause de la crise économique et politique), la bourgeoisie dans son ensemble se résout à perdre partiellement son pouvoir pour rendre possible une nouvelle forme de sa dictature de classe — qualitativement différente de la dictature bourgeoise démocratique —, la dictature bourgeoise fasciste.

Cette dictature est « ouverte et terroriste », car elle ne tolère aucune opposition organisée à l’extérieure de son régime, c’est-à-dire aucune menace ouverte (contrairement à la dictature bourgeoise démocratique), et qu’elle ne recule devant aucune extrémité pour supprimer celle-ci. L’État fasciste impose un nouveau rapport politique entre les classes, dans lequel la bourgeoisie non-fasciste se voit aussi soumise à la dictature, c’est-à-dire à l’arbitraire de l’État, au profit de la frange de la bourgeoisie au pouvoir. De plus, cette dictature est aussi économique, c’est-à-dire que dans celle-ci les intérêts économiques de la frange de la bourgeoisie au pouvoir (dans l’État) priment sur les intérêts économiques de la bourgeoisie qui n’est plus au pouvoir (en dehors de l’État). Le fascisme tend à transformer le capitalisme monopoliste d’État en capitalisme d’État, où les monopoles ne sont plus seulement intégrés dans celui-ci, mais fusionnés avec celui-ci (au profit de la frange de la bourgeoisie fasciste, et au détriment du reste des franges de la bourgeoisie). À cela se rajoute que la simple transition de l’État bourgeois démocratique vers l’État bourgeois fasciste amène une importante déstabilisation des marchés nationaux et internationaux.

Le fascisme ne peut exister que porté par un mouvement de masse interclassiste. Il lui est nécessaire, premièrement, pour que la frange fasciste de la bourgeoisie puisse s’imposer dans l’État bourgeois démocratique face à toutes les autres franges de la bourgeoisie, et deuxièmement, pour que le fascisme puisse légitimer et défendre son propre régime auprès des masses. Or, ce mouvement de masse fasciste ne peut se perpétuer qu’avec un « programme pseudo-révolutionnaire » qui promet des rétributions matérielles aux masses en échange de leur adhésion et de leur soumission. Une fois arrivée au pouvoir, la frange fasciste de la bourgeoisie doit donner une réalité à ces promesses, pour pérenniser son régime. Or, le corporatisme n’est pas gratuit, et il peut se traduire par une baisse du taux de profit pour la bourgeoisie qui a délégué son pouvoir.

En résumé, le fascisme est l’ultime salut de la dictature bourgeoise, lorsque l’État bourgeois démocratique en crise est incapable d’assurer la sauvegarde de la classe dominante face au mouvement révolutionnaire, mais que le mouvement révolutionnaire ne peut pas saisir l’opportunité de la prise du pouvoir. Le fascisme représente des sacrifices conséquents pour la bourgeoisie, qui ne peuvent être consentis que lorsqu’ils sont rendus nécessaires par les circonstances, c’est-à-dire lorsque la bourgeoisie est acculée. Seul le risque existentiel représenté par le mouvement révolutionnaire, porté par la crise générale du capitalisme, peut être suffisant pour amener la bourgeoisie à entreprendre une reconfiguration fasciste des rapports de classe.

Suite à ce bref exposé, nous demandons aux partisans du risque fasciste imminent en France : où est le mouvement ouvrier et révolutionnaire ? Où est le mouvement fasciste de masse ? Où est la faillite de l’État bourgeois démocratique ? Où est l’équilibre des forces entre bourgeoisie et prolétariat ? Où est la crise profonde et insoutenable du capitalisme ?

Définir le fascisme n’est pas un problème abstrait, de fidélité au dogme, mais un problème tout ce qu’il y a de plus concret, pratique : comprendre le fascisme est un problème de stratégie. Si l’on croit reconnaître le fascisme là où il n’est pas, l’on risque de se perdre, et inversement, si l’on ne reconnaît pas le fascisme là où il est, le risque n’est que d’autant plus grand. Impossible de reconnaître le fascisme sans le comprendre, et impossible de combattre le fascisme sans le reconnaître et le comprendre.

« Heureusement », l’histoire nous donne des situations comparables à la France de 2024 pour tester l’hypothèse (le risque immédiat du fascisme) de celles et ceux qui voient dans un bulletin Nouveau front populaire le 30 juin prochain leur dernière échappatoire.

Est-ce que Trump aux USA, Orban en Hongrie ou Meloni en Italie ont réalisé ou réalisent le fascisme dans leurs pays respectifs ? Non. Est-ce que leur accès au pouvoir a créé une croissance ou un renforcement exceptionnel du mouvement fasciste dans leurs pays ? Non plus. Au contraire, aux USA, les groupuscules fascistes ont été poussés à l’imprudence, et sont ressortis affaiblis du mandat de Trump, car plus divisés et réprimés.

Arrivé à la fin de ce développement, nous pouvons répéter : non, il n’y a aujourd’hui pas de fascisation en France.

Cependant, certains pourraient nous rétorquer que si le fascisme ne représente en effet pas un risque en tant que tel, un gouvernement d’extrême droite serait terrible — fasciste ou pas.

Plus ou moins terrible que M. Macron, que M. Hollande, que M. Sarkozy ? Ce n’est pas Mme Le Pen qui, il y a quelques semaines, a déclaré l’état d’urgence pour assurer le contrôle colonial français en Nouvelle-Calédonie. Ce n’est pas elle qui se rend complice du génocide gazaouis en Palestine. Ce n’est pas elle qui a massivement envoyé en prison la jeunesse révoltée par l’assassinat de Nahel. Ce n’est pas elle qui a réprimé le mouvement des Gilets jaunes. Et ce n’est pas elle non plus qui détruit le système de protection sociale et le droit du travail en France. Mme Le Pen se serait rendue coupable de ces politiques réactionnaires et libérales avec le même zèle — ce n’est pas la question —, mais la bourgeoisie ne l’a pas attendu pour les réaliser, et elle les continuera avec ou sans elle !

Nous défendons notre indépendance de classe, celle du prolétariat international et révolutionnaire. Aux yeux des masses mondiales, un Sarkozy, un Hollande, un Macron ou une Le Pen ne sont pas plus ou moins impérialistes les uns que les autres : ce sont toutes et tous des représentants de la bourgeoisie impérialiste française. En l’état, ils défendent les intérêts du capital monopolistique impérialiste français dans le monde, que ce soit en Ukraine, en Afrique, ou ailleurs.

Notre argument, ici, n’est toujours pas moral, mais stratégique : l’éventuelle victoire législative du Nouveau front populaire va-t-elle changer quoi que ce soit à cet état de fait ? Nous pouvons répondre avec certitude que non. L’État bourgeois impérialiste français va rester un État bourgeois impérialiste. Que pouvons-nous être tenus d’attendre d’une alliance incluant jusqu’à Place publique de Glucksmann ? Celui-ci a déclaré qu’il a obtenu « certaines clarifications et certaines lignes » sur « les livraisons d’armes à l’Ukraine », « le soutien indéfectible à la résistance ukrainienne » et « la construction européenne », ainsi « que les massacres du 7 octobre soient qualifiés de terroriste ». En bref, le Nouveau front populaire doit être atlantiste et colonialiste, c’est-à-dire pleinement engagé dans la lutte inter-impérialiste mondiale, ou il ne sera pas.2

Même si, demain, le tribun Mélenchon était élu Président de la République avec une majorité parlementaire, nous pouvons également affirmer que la France n’en serait pas moins une puissance impérialiste et colonialiste.3 Idem, que ce soit avec ou malgré Mélenchon, la tendance néolibérale réactionnaire que nous vivons aujourd’hui n’en serait pas inversée. Celle-ci se poursuivrait pendant un mandat Mélenchon comme elle a été initiée pendant un mandat Mitterand. Pourquoi ? Parce que le néolibéralisme est une tendance qui ne répond pas d’une situation contextuelle particulière à ces dernières années, ou même seulement à la France, mais à un contexte historique mondial vieux de plusieurs décennies. Le résultat d’une élection ne peut pas arrêter un phénomène historique.

Quelles sont les solutions de dernier recours proposées par les partisans de l’urgence ? Manifester. Voter. Se syndiquer.

Est-ce que ces injonctions ont le moindre pouvoir transformateur sur la tendance qu’elles veulent inverser ? Non.

Le mouvementisme, le réformisme et le (para-)syndicalisme n’ont rien à proposer de conséquent, ni contre le néolibéralisme, ni comme alternative révolutionnaire (qu’importent leurs discours).

L’hégémonie mouvementiste, réformiste et (para-)syndicaliste qui existe en France depuis plusieurs décennies, et qui nous a amené à cette situation présente, si terrible soit-elle, n’a rien d’autre à proposer que de continuer à persévérer dans l’impasse : manifester, voter, se syndiquer. Ad nauseam, jusqu’à ce que — magiquement — les mêmes causes créent des effets différents.

Pour beaucoup de celles et ceux qui appellent à voter massivement le 30 juin, contre le fascisme, l’on sort de l’ordre de la stratégie pour rentrer dans celui de la morale. Chacune et chacun est libre de condamner la tendance néolibérale, de déplorer, d’invoquer, de prier, de voter, etc. Nous reconnaissons à toutes et tous cette liberté. Mais est-il réaliste d’attendre de ces pratiques, aussi compréhensibles soit-elles, un quelconque changement ? Voilà à quoi nous répondons par la négative.

Nous entendons celles et ceux qui ont peur de l’avenir. Cette angoisse est justifiée à tous les niveaux. Nous ne nions pas non plus que ce sont, comme toujours, les plus opprimés et les plus exploités qui vont être les premières victimes de la tendance réactionnaire et libérale actuelle. En face de cette réalité, nous ne sommes ni apathiques ni cyniques. Bien au contraire, notre argument est que c’est pour inverser cette tendance réactionnaire et libérale, dont les plus opprimés et les plus exploités sont les premières victimes, qu’il faut rompre avec toutes les pratiques de la défaite : le mouvementisme, le réformisme et le (para-)syndicalisme. Ce sont ces stratégies opportunistes (ou absences de stratégie) qui sont responsables de l’aggravation économique et politique de l’existence des plus opprimés et des plus exploités ! Pourquoi ? Parce qu’elles ne sont pas révolutionnaires ? Oui, mais surtout parce que ce sont des illusions ! C’est d’abord parce que les stratégies opportunistes sont parfaitement impotentes que nous les condamnons. Elles vont échouer — comme elles ont toujours échoué — et les plus opprimés et exploités seront les premières victimes de cet échec. Nous ne proposons pas le chemin révolutionnaire parce qu’il serait plus « court » ou plus « radical », par égoïsme ou idéalisme, mais parce qu’il est le seul qui puisse offrir et garantir l’émancipation des opprimés et des exploités, non seulement en France, mais dans le monde. Il n’y a pas d’autres options que la révolution. There is no alternative!

C’est là que toute la malhonnêteté des électoralistes se révèle : ils n’hésitent pas à invoquer le destin des plus démunis pour justifier leur opportunisme, mais leurs propositions sont de facto des mensonges, ils se cachent derrière la souffrance des franges les plus vulnérables des masses pour servir leurs propres intérêts politiques. Que les opportunistes croient à leurs mensonges, qu’ils soient sincères ou hypocrites, c’est une autre question, car cela ne changera rien à la réalité que vivent et que vont vivre les travailleuses et les travailleurs immigrés, les populations issues de l’Empire colonial français, les femmes, les LGBTI, etc. Les opportunistes ne font qu’instrumentaliser leurs vécus à leurs propres fins ! Ce sont derrière celles et ceux qui appellent à voter le 30 juin qu’il y a le vrai cynisme.

Le néolibéralisme s’est poursuivi et se poursuivra avec ou sans les pratiques mouvementistes, réformistes et (para-)syndicalistes. L’on peut dénoncer, dire « c’est mal ! », mais l’on ne peut pas agir, c’est-à-dire transformer le réel. C’est précisément face à cette impuissance que nous luttons, en tant qu’organisation politique.

Entre un Macron, une Le Pen, ou même un Mélenchon, la seule différence résiderait dans le rythme de progression de la tendance réactionnaire et libérale. Il est réaliste d’imaginer que celle-ci serait plus brusque sous le mandat d’une Le Pen, et plus douce sous celui d’un Mélenchon. Mais ce qui ne changerait pas, c’est la tendance elle-même, et vers où elle se dirige. Ce qu’un Mélenchon ne ferait pas, ou pas assez, son successeur le ferait avec d’autant plus de brutalité. Les transformations et les crises du système capitaliste-impérialiste depuis les années 80 ne laissent aucune autre possibilité. Il n’est pas possible, en l’état, de retourner au temps béni du consensus keynésien, avec un simple vote.

Qu’importe le résultat de l’élection du 30 juin, ou de celles d’après, les années qui viennent vont être de plus en plus dures — Nouveau front populaire ou pas. Que représenteraient quelques années de répit (très) relatif ? Quelques années de plus à stagner, à ne pas élever le niveau général de notre engagement, de nos capacités organisationnelles et opérationnelles ? Autant de temps (encore !) perdu. À terme, si la tendance actuelle contraint les militantes, militants et organisations communistes à rompre avec l’opportunisme et à sortir de leurs rituels réformistes, et ainsi, à renouer avec une politique et une stratégie révolutionnaire, alors, réjouissons-nous !

Ce « répit », tant invoqué depuis au moins 2017, n’en est un que pour l’opportunisme. Premièrement, la tendance néolibérale et à la réaction que nous connaissons ne peut pas être « mise en pause » le temps d’un mandat, elle ne peut être au mieux que ralentit sur quelques années. Deuxièmement, la paupérisation absolue qui porte la tendance à la réaction porte aussi la tendance à la révolution. Et troisièmement, le renforcement de la réaction démasque les appareils opportunistes pour ce qu’ils sont et expose la portée réelle — nulle — de leurs stratégies, et contraint les appareils révolutionnaires à se renforcer de même (au risque de rejoindre les appareils opportunistes ou de disparaître). [Rajout du 22/06/2024.]

Quelle est la priorité de tous les révolutionnaires ? Tracer nettement une ligne de démarcation aussi nette que possible entre la stratégie révolutionnaire et la stratégie opportuniste, au moment où celle-ci est la plus brouillée. Cela, les positions centristes (appel à un « vote tactique », agnosticisme stratégique, etc.) ne le peuvent pas, et au contraire, entretiennent ou tolèrent les illusions qu’il est urgent de dissiper. [Rajout du 22/06/2024.]

Pour les marxistes, tous les problèmes pratiques sont des problèmes théoriques, et tous les problèmes théoriques sont des problèmes pratiques. La pauvreté théorique à laquelle nous faisons face aujourd’hui est aussi une pauvreté pratique, c’est-à-dire stratégique (le mouvementisme, le réformisme, le syndicalisme révolutionnaire et le suivisme syndical). Que la gauche institutionnelle et électoraliste s’agite à chaque élection, c’est tout à fait normal. Mais il est nettement moins normal que cette agitation soit contagieuse à des militantes et militants se réclamant révolutionnaires — voire communistes.

Ce manque de recul et ce défaut d’analyse sont selon nous une démonstration de la faiblesse contemporaine du mouvement communiste en France. Loin d’en tirer des conclusions défaitistes, nous comprenons cet état de fait comme autant de tâches qui nous sont dévolues — la reconstruction du mouvement communiste en France. C’est le rôle que notre organisation se donne, et dont elle tente d’être digne.

Si une proportion importante des militantes et militants de gauche se dirige vers l’électoralisme pour trouver une issue politique, nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous même. Nous, communistes, sommes les premiers responsables de notre propre faiblesse, mais nous pouvons aussi être la première cause de notre réussite. Plus généralement, notre mouvement ne représente aujourd’hui pas une alternative politique crédible pour les masses françaises, nous en sommes conscient, mais nous ne sommes pas condamné à stagner dans cet état de fait. En revanche, il est hors de doute que hurler avec les loups électoralistes, à chaque nouvelle séquence politique que connaît le régime bourgeois, n’est ni une stratégie ni une tactique sérieuse pour sortir de l’impuissance politique, dont l’impasse actuelle n’est qu’une itération parmi tant d’autres.

« Rien ne sert de courir [vers nulle part] ; il faut partir à point [vers une direction] ».

Nous ne défendons pas l’indépendance politique de classe par pureté doctrinale ou par performativité militante. Cette position est la nôtre parce qu’elle répond d’impératifs concrets : la construction de l’opposition extra-parlementaire et d’une organisation de classe et de combat, en France. Voilà notre stratégie, qui comme toutes les stratégies est une entreprise de long terme, à laquelle nous nous tenons. Ce plan systématique, que nous construisons dans l’expérience, nous ne pouvons pas le « plier » à chaque imprévu, ou à chaque « urgence », sinon, nous ne faisons que le condamner et démontrer notre absence de perspective réelle.

Nous — militantes et militants d’Unité communiste — n’irons pas voter le 30 juin, non pas par défiance envers le système politique de la Ve République, mais parce que nous avons toutes et tous mieux à faire que de participer à ce énième non-évènement de la démocratie bourgeoise.

1 À ce sujet, nous redirigeons vers notre document Sur Unité communiste (2023) ou vers « Notes sur la conscience de classe », Unité communiste, 3 avril 2024. Aux adresses suivantes :

https://unitecommuniste.fr/wp-content/uploads/2024/04/Sur_UC.pdf

2 « Législatives : pour Glucksmann, “la seule manière” de bloquer le RN est “une union de la gauche” » France Inter, 14 juin 2024. À l’adresse suivante :

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-we-du-vendredi-14-juin-2024-2593243

3 À ce sujet, se référer à notre document Du réformisme à l’opposition extra-parlementaire (2017).

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