Face aux violences policières et des crimes racistes, les USA s’embrasent.
A la suite du meurtre en direct de Georges Floyd, asphyxié par un policier, d’immenses manifestations ont lieu. Accusé d’avoir utilisé un billet de 20$ contrefait, il a été maintenu, écrasé au sol, un genou sur le cou, jusqu’à sa mort. Ses supplications, enregistrées par les passants impuissants, illustre l’atrocité de la brutalité policière.
Ces manifestations ont embrasé le pays. Face aux provocations et à la répression, elles se muent en émeutes, prenant parfois l’apparence d’insurrections. Une lame de fond secoue la société américaine. Elle est révélatrice de pratiques qui ne sont plus acceptées, notamment une police surarmée, entraînée à tuer, nourrie au racisme et à la haine fanatique du noir, de l’hispanique, de la classe dangereuse.
Ces derniers jours, elles se sont encore accrues. La Maison Blanche a été ciblée, obligeant Donald Trump à descendre se réfugier dans un bunker. De nombreux journalistes ont été arrêtés, tandis qu’une équipe de TF1 a essuyé des tirs. Des images laissent penser que, à certains endroits, l’armée à ouvert le feu sur les manifestants. En une semaine, 13 morts et 5 000 arrestations ont eu lieu.
Selon Le Parisien du 2 juin :
« Sur un ton martial, Donald Trump a apporté sa réponse ce lundi soir, avec le bruit des hélicoptères en fond sonore. Le président des Etats-Unis a décidé d’invoquer L’Insurrection Act de 1807. Ce texte permet de recourir à l’armée sur le territoire américain afin de mettre un terme aux troubles civils. Promettant « la loi et l’ordre », Donald Trump a ainsi appelé la garde nationale à « dominer les rues ». Il a mis la pression sur les gouverneurs, affirmant que si ces derniers ne parvenaient pas à rétablir l’ordre par les moyens mis à leur disposition, alors l’armée sera déployée. »
Une répression terrible se prépare. Elle s’inclut plus largement dans une dégradation accélérée de la situation économique des USA. L’économie a été durement impactée par la crise sanitaire, tandis que le chômage a explosé. Les Stimulus Check de 1200$, censés relancer l’économie, ont été absorbés par les règlements de dettes ou la consommation de première nécessité. Les perspectives sont sombres. Et l’issue est incertaine.
Les réactions face aux violences policières ont, dans l’ensemble, été unanimes. Elles sont largement condamnées comme illustratives d’une société malade, marquée par les séquelles de la Guerre de Sécession, par l’empreinte de la ségrégation, par les inégalités criantes… Ce sont des faits avérés. Mais le fait de voir qui les profèrent démasque l’hypocrisie.
Ceux qui, en France, condamnent avec véhémence l’attitude de la police américaine, au nom des « droits de l’homme » tiennent le raisonnement inverse quand les choses se déroulent dans l’hexagone. Les droits de l’homme, sont comme l’internationalisme pendant la Première Guerre mondiale. Les autres doivent respecter à la lettre ce principe. Tandis que « nous », nous trouvons toujours des raisons de mener une realpolitik qui nous en exonère.
Reconnaissons aux fascistes la médaille de la cohérence : ils applaudissent toujours, systématiquement, la violence policière. A leurs yeux, elle est la solution à tous les maux. Ils « oublient » simplement de le faire quand ils tentent de noyauter les Gilets Jaunes, ou quand eux-mêmes en sont directement victime.
On oublie trop souvent qu’en France, la police mutile et tue aussi.
Il faut oser dire quelque chose qui paraît iconoclaste.
Non, la police ne fait pas « mal son travail ».
Au contraire, elle le fait très bien. Et c’est là le problème. Les policiers et les policières ne sont pas des prolétaires sous l’uniforme. Dès son origine, la police a été conçue pour une mission principale : assurer l’ordre et l’exploitation optimale des travailleurs et des travailleuses. Elle n’est pas au service de la justice métaphysique, flottant dans le ciel, mais elle est un rouage d’une machinerie froide : celle de l’État bourgeois. Ce n’est pas une émanation du peuple, mais bien un corps étranger, isolé, arraché à sa classe, dressé à mordre, à traquer, à réprimer.
À ce titre, elle sélectionne et aiguille, en interne, les éléments les plus brutaux vers les secteurs les plus au contact. Pour ce qui est d’autres catégories, dont les CRS, à l’origine conçus pour casser les grèves, l’encasernement permet d’isoler et de modeler, parfois avec un dressage à la prussienne. Le processus de formatage est performant et il explique beaucoup de chose. Pour ceux et celles qui font du maintien de l’ordre, tout passant est potentiellement un ennemi et tout policier se sent ciblé. Ce caractère socialement étranger explique l’absence de vergogne et la brutalité sans scrupules.
Dans le fond, il est possible de trouver des « gens bien » et des policiers et policières qui sont persuadés de poursuivre un idéal de justice. Cependant ils et elles sont écrasés par le cadre normatif de l’institution. Ils sont tenus à protéger leurs collègues les plus réactionnaires par le poids du corporatisme et la défense de l’uniforme. Ceux et celles qui tentent de « sauver l’institution » sont marginalisés, placardisés, isolés de leurs collègues. Leurs issues sont soit de quitter la profession, soit d’accepter la situation, soit de se lancer dans une lutte donquichottesque, laquelle ne mène qu’à les user et à les pousser au suicide.
Les manifestations pour les victimes de celle-ci, notamment le collectif pour Adama Traoré, mobilisent largement. Pourtant, dans la très large majorité des discours politiques et médiatiques, un négationnisme du crime policier est hégémonique. Même une personnalité objectivement de gauche, comme François Ruffin, participe à cela. Il pouvait déclarer à propos de l’affaire Benalla que celui-ci s’est démarqué, par son comportement, des policiers. Ces derniers ne se seraient « jamais comportés ainsi ».
Ainsi, Castaner, qui est issu du PS, s’est montré plus droitier, beaucoup plus droitier que Jacques Chirac. En reconnaissant la responsabilité de l’État et de la Police dans les crimes Vichystes, Chirac mettait fin à une séparation mentale entre le monde du pétainisme et celui d’aujourd’hui. Cela était rendu possible par le fait que les enjeux étaient limités. Le capitalisme était triomphant, ivre de sa victoire sur son adversaire idéologique. Reconnaître cette continuité était une concession sans grandes conséquences.
Aujourd’hui les temps ont changé. Quelles que soient les conceptions idéologiques, il existe un accord de fond sur un sujet : demain sera pire que hier. Ce climat économique, sanitaire, et politique explique la réaction de Castaner. Pour un peu, elle serait la même que celle des anti-dreyfusards traumatisés par 1870. Comme le régime tient presque intégralement sur la répression, comme son soft power est au point mort, la seule option est une unité totale, organique, entre l’État et sa police. l’idée même de reconnaître un manquement ou un crime semble inconcevable, tant elle mettrait en péril l’ensemble de la construction.
Au désespoir d’exister politique, la droite et l’extrême-droite, pris de vitesse par LREM, essaient de défendre des positions maximalistes. Eric Ciotti essaie ainsi de faire interdire la possibilité de filmer les policiers, tandis que Marine Le Pen pleurniche en réclamant toujours plus d’armes. Tout est mis en branle pour permettre que les fissures soient colmatées. Les médias sont complaisants au possible, les agitateurs réactionnaires soulignent les violences dans les banlieues et appellent à toujours plus de répression, mais l’École joue aussi un rôle.
En dépit du fait que les enseignants et les enseignantes ne soient pas forcément en accord avec le gouvernement, qu’ils puissent individuellement reconnaître les violences policières, la pratique enseignante est contrainte. Elle exige que la République Française soit dépeinte comme l’incarnation même des droits de l’homme et des libertés démocratiques. Comme la protectrice des faibles et des opprimés. Le programme d’histoire est d’ailleurs construit intégralement dans ce cheminement de pensée : aller de la démocratie athénienne jusqu’aux formes de gouvernance. Les autres systèmes démocratiques sont laissés de côté.
Cela marche très bien. Sortis du cadre normatif de l’école, la très grande majorité des élèves sortent confiants dans les Institutions, dans la justice et la police. Le problème c’est que cette image se fracture. Elle se fracture car l’exposition à la violence de l’État, au mensonge médiatique, à la cruauté policière devient une expérience de plus en plus universelle. Depuis le mouvement des Gilets Jaunes, elle n’est plus l’apanage des « classes dangereuses » ou du militantisme, elle a été expérimentée dans sa chair par une part davantage importante de la société.
Vue de l’extérieur : la France, un pays malade de sa police.
Dès qu’on sort d’une approche franco-française de la question, le regard change.
Aux yeux des observateurs étrangers, la République française est une République autoritaire, avec des pouvoirs extrêmement concentrés. Son régime se caractérise par la violence, à l’intérieur – par la répression brutale des manifestations et des classes populaires – comme à l’extérieur, par les interventions armées constantes.
Aujourd’hui, il est possible pour une très grande partie de la population de s’imaginer mourir, sous les regards impuissants des passants, le larynx écrasé par le genou d’un policier. Il est possible de se dire qu’une personne en uniforme, arbitrairement, peut vous tuer sans courir de risques autres qu’une déplaisante réprimande. Et ce qui apparaissait comme l’apanage de pays pauvres, dictatoriaux, ou défaillants, est désormais devenue aussi une menace de « pays riche ».
Cette fragmentation du mythe et l’effondrement progressif de la confiance dans les institutions mène à une situation d’instabilité et une potentielle crise de régime. La question de savoir quelles en seront les conséquences. Le « classement du mouvement Antifa comme organisation terroriste » n’empêchera pas cette fragmentation d’avoir lieu, aux USA. En revanche, elle indique la direction du plan de secours de la bourgeoisie. Quitte à choisir, elle préfère largement ouvrir les vannes du fascisme, qui lui garantira le maintien de l’ordre et de ses privilèges. En France aussi. Il n’est pas exclu que cette instabilité soit utilisée pour développer des mots d’ordre conspirationnistes et pour rassembler autour des ultra-réactionnaires.
Nous, en tant que militants et militantes révolutionnaires, communistes, progressistes, avons un rôle à jouer. Plus le temps passe, plus notre impuissance doit nous questionner. Ce que nous avons vécu comme répression, tant policière que politique, n’est rien comparativement à ce que nous pourrons vivre plus tard, quand la crise sera à son paroxisme.
Nous avons une responsabilité forte. Soit nous nous contentons d’accepter, soit nous décidons d’avancer en commun, pour construire une démocratie populaire.
Aucune tolérance pour la violence policière !
Aucune tolérance pour l’ordre bourgeoisie !
Exigeons la justice !
Unissons nos forces !