La loi El Khomri tire ses racines d’un vieux désir du patronat : en finir avec le C.D.I. et avec le code du travail. Arrachée par le rapport de force, la lutte et la mobilisation, la maigre protection que constitue ce code est toujours restée une arrête dans la gorge du patronat.
Pour les capitalistes et leurs relais politiques, les libéraux -au sens large- ces acquis ont toujours constitué une anomalie, une parenthèse, dans l’histoire du capitalisme. Ils n’étaient qu’un compromis temporaire concédé pour permettre un modus vivendi dans la lutte sociale, la tempérer, au moment où le mouvement ouvrier, ainsi que le mouvement révolutionnaire, étaient au zénith.
Même si pour nous, l’URSS révisionniste des Khrouchtchev et des Brejnev avait baissé le drapeau de la révolution socialiste, même si le P.C.F. avait déjà jeté par-dessus bord l’idéologie marxiste-léniniste, ce camp représentait encore une menace, un poids, dans le rapport de force entre ouvriers et patrons.
Dès que le mur tombe, dès que l’URSS implose, les réformes et les attaques se succèdent à un rythme infernal. Cependant, sans s’attarder sur leur liste, il est important de pointer une ligne générale qui est apparue courant 2000 quant au travail.
En 2006 sort le double projet C.P.E. / C.N.E., qui, bien qu’abandonné, posait une base idéologique de l’avenir des normes et du contrat de travail. Attaquant par la jeunesse, cobaye de l’expérimentation, ce contrat instituait la précarité de longue durée, ainsi qu’une réduction drastique des droits sociaux.
L’idée était aussi, à terme, de créer le contrat unique, contrat ayant pour objectif de fusionner la situation des C.D.D. et des C.D.I. Ce projet établissait la stratégie des capitalistes : détruire la protection sociale, en échange d’une prétendue possibilité d’embauche facilitée, donc de rendre plus aisée la mobilité de la main d’œuvre.
Bien évidement par mobilité de main d’œuvre, cela signifie précarisation et un turn-over plus grand, soit une capacité à faire pression sur les conditions de travail par peur d’un licenciement.
L’arrivée du gouvernement P.S. E.E.L.V. P.R.G. en 2012 avait laissé flotter l’illusion que la gauche institutionnelle allait balayer d’un revers de main toute cette stratégie, et restaurer une situation de protection sociale, de garantie du code du travail. En bref, garantir une sorte de droit à l’exploitation capitaliste « modérée ».
Il n’en fut rien. Deux facteurs rentrent en ligne de compte pour comprendre ceci :
Premièrement, le P.S., dirigeant la coalition au pouvoir, s’est toujours démarqué par son absence de physionomie politique, et par son absence complète de ligne politique autre que l’opportunisme. Face à la pression du patronat, il était clair, comme tous les gouvernements « socialistes » d’Europe (SPD dans les années 20 en Allemagne, PSOE en Espagne…) qu’il plierait l’échine, et accepterait les ordres du patronat.
Deuxièmement, l’aggravation de la crise économique de 2008 et la menace de la concurrence internationale ont effrayé le patronat français, de même que la montée de plus en plus sensible de l’ogre chinois. Alors qu’à l’époque du monopole triomphant, du système impérial et protectionniste, les patrons cherchaient à accumuler une bonne couche de graisse sous forme de profits, cette fois, ils se sentent au pied du mur.
Acculés, les capitalistes montrent les dents, et sont prêt à tout pour imposer leurs intérêts au gouvernement. C’est cette bataille, qu’ils mènent sans esprit de recul, qui nous est imposée aujourd’hui.
Le gouvernement P.S. a alors lancé une première charge autour de l’A.N.I. Accord National Interentreprises. Cette proposition de loi enterrait purement et simplement le CDI et, surtout, posait le problème des droits sociaux en retournant la pyramide des normes.
Auparavant, la Loi encadrait en premier lieu tout le monde du travail, au sein duquel des accords par branches d’activité -les conventions collectives- régissaient le fonctionnement spécifique de tel ou tel secteur de l’économie, définissant des grilles de salaires, d’indemnités etc.
Au dernier échelon, les accords au sein de l’entreprise créaient des situations spécifiques, en fonction des particularités -et du rapport de force- au sein de chaque établissement.
Si des dérogations existaient – et il en existe beaucoup – une cohérence existait néanmoins. Cet acquis du front populaire permettait tout de même de limiter la pression personnelle des travailleurs, qui pouvaient référer à la loi ou à l’accord de branche pour limiter les abus.
La spécificité de l’A.N.I. et de la loi El Khomri, c’est bien de retourner la pyramide, où la loi ne devient qu’un encadrement général, dans lequel la situation spécifique -laissée à la libre appréciation du patron ou du C.A. – devient, de fait, la véritable loi de l’entreprise.
Ne soyons pas angéliques, la situation d’avant n’était nullement parfaite, cependant il serait sot de nier qu’il est nettement plus aisé de forger un rapport de force face à un patron avec le soutient d’un syndicat, dans un rapport de force protecteur, que de se voir notifier une dégradation de sa situation de travail dans le huis clos du bureau du responsable, ou du DRH, sans la possibilité de se défendre réellement, tant le licenciement devient aisé.
Ce qui frappe, à la lecture des conséquences de cette loi, c’est ô combien elle est éloignée de son objectif décrit : créer de l’emploi. En libéralisant la situation des travailleurs, au contraire, elle prépare la surcharge de travail pour un nombre plus restreint de travailleurs. Quelle embauche peut surgir lorsque trois travailleurs pressurés peuvent effectuer les heures de travail d’un quatrième ?
Au contraire, cela va briser toute création de postes. Cette loi ne va créer d’accès à l’emploi que pour ceux qui remplaceront les travailleurs épuisés par les cadences infernales, ou acceptant la place d’un travailleur qui n’a pas accepté une baisse de salaire.
Alors que nous offre comme joyeuseté cette loi :
Briser le rapport de force dans les entreprises :
Une mesure peut être imposée par référendum contre l’avis de 70% des syndicats
Aujourd’hui, un accord d’entreprise n’est valable que s’il est signé par un ou plusieurs syndicats représentant au moins 30% des votes exprimés aux élections, et si les autres organisations pesant au moins 50% ne s’y opposent pas ; avec la loi, un référendum d’entreprise permettra de valider un accord même si les syndicats représentant 70% des salariés s’y opposent.
Une main d’œuvre corvéable à merci :
Modulation du temps de travail sur 3 ans :
Avec les 35h, si un travail exceptionnel est effectué d’une durée de 50h en une semaine, la semaine d’après n’en comportera que 20.
Cela permet notamment au patron de ne pas payer d’heures supplémentaires, ou de compenser en temps de repos ; avec les accords, cette période ne peut se faire que sur un an, afin de limiter les dérives ; au nom de plus de « flexibilité », la loi porterait ce temps à 3 ans. A noter que le patron considère ainsi la présence de l’employé comme une variable ajustable à merci.
Par simple accord on peut passer de 44h à 46h de travail maximum
On passe d’une durée du travail hebdomadaire de 44h sur 12 semaines à la possibilité par simple accord d’entreprise de passer à 46h sur une durée allant jusqu’à 16 semaines. Cela sans possibilité de discussion. Au moins, l’hypocrisie du « volontariat » est mise de côté.
Augmentation du nombre de semaines consécutives où on peut travailler de 44h à 46h
La loi prévoit la possibilité de travailler 44h par semaine sur 16 semaines consécutives au lieu de 12 actuellement ; durée qui peut être augmentée à 46h par simple accord d’entreprise, toujours sur 16 semaines. Cela permet aux entreprises qui connaissent des rush de pressurer leur main d’œuvre, au lieu de faire appel à l’embauche.
Les apprentis mineurs peuvent travailler 10h par jour, 40h par semaine
L’inspection du travail n’aura pas son mot à dire sur le sujet, alors que la loi imposait de limiter le travail des apprentis mineurs à 35h par semaine, 8h par jour maximum. La loi El-Khomri permet donc de faire travailler les apprentis à un rythme que même les salariés réguliers ne connaissent que rarement, à l’heure actuelle, dans les entreprises.
Possibilité de fractionner les 11h de repos obligatoires par tranche de 24h
Aujourd’hui, un salarié doit bénéficier d’au moins 11h de repos quotidien consécutifs. Avec la loi, ce temps peut être fractionné au forfait-jours. Le système d’astreinte est également modifié, si aujourd’hui le salarié doit intervenir pendant sa période d’astreinte, il a droit à un repos intégral après cette intervention. Désormais, le temps d’intervention pourra être décompté du temps d’astreinte qui a précédé. Ce système permet donc une modulation en fonction des hausses d’activité de l’entreprise, et consacre l’employé comme un outil invocable et remisable sans le moindre égard à son sujet.
Le plancher de 24h pour un contrat à temps partiel n’est plus la règle dans la loi
Bienvenue dans le monde des contrats à temps partiel dans lequel vous pouvez travailler quelques heures, de-ci, de-là, en fonction de la mansuétude de votre employeur.
Le dispositif « forfaits-jours » qui permet de ne pas décompter les heures de travail est étendu
Le dispositif forfait-jours concernant la moitié des cadres permet que le temps de travail ne soit pas définit en heure mais en jours, ce qui est une exception en Europe, et ce qui à valu à l’État français pas moins de 4 condamnations par le Comité Européen des Droits Sociaux ; ce forfait concerne déjà 50% des cadres. Ce dispositif est assouplit par la loi, les entreprises de moins de 50 salariés n’auront plus besoin d’accord collectif pour le mettre en place. Un employeur ne pourra par ailleurs plus être tenu pour responsable si un salarié ne prend pas ses heures de repos ou ses jours de congés. Cette déresponsabilisation est une manière d’ouvrir la voie à la pression directe, mais informelle, sur les employés.
Par simple accord on peut passer de 10h à 12h de travail maximum par jour
Ce qui n’est normalement possible que dans des cas exceptionnels biens définis comme des délais impératifs à respecter, une surcharge exceptionnelle de commande, la nature saisonnière du travail ou encore un accroissement temporaire et exceptionnel des activités. Dans ce cas de figure, il s’agit une fois de plus de pouvoir pressurer les employés sans motif réellement clair, ce qui est, par ailleurs, très éloigné de l’objectif prétendu de créer de l’emploi.
Un salaire devenu une bataille de chaque instant.
Il suffit d’un accord d’entreprise pour que les heures supplémentaires soient 5 fois moins majorées.
Aujourd’hui les heures supplémentaires sont rémunérées 25% de plus pour les 8 premières, 50% au-delà. L’entreprise pourra désormais fixer ce plafond à 10% par accord, même si les conventions collectives de branche prévoient une majoration supérieure.
Une entreprise peut par accord baisser les salaires et augmenter le temps de travail
Possibilité donnée aux entreprises pour une durée de 5 ans maximum, même si aucunes difficultés financière n’est enregistrée. Il suffit pour cela qu’elle constate une rentrée d’argent inférieure à l’année précédente. Cela signifie, en étant cynique, qu’un jonglage comptable permet de liquider quelque postes, de baisser les salaires, en retardant le paiement de commandes, ou au contraire en l’accélérant l’année précédente.
Une liberté de licenciement sans le moindre problème :
Licenciement économique déclaré nul : baisse des indemnités pour les salariés :
Aujourd’hui, quand un licenciement économique est déclaré nul (fait sans plan social par exemple), le salarié a droit à sa réintégration, ou à une indemnité équivalente à 12 mois de salaires si celle-ci n’est pas possible faute de postes ; avec la loi, ce sera seulement 6 mois, uniquement pour les salarié-e-s avec 2 ans d’ancienneté.
Plus de minimum de dommages et intérêts en cas de licenciement injustifié :
Article L. 1235-3 du code du travail : aujourd’hui, en cas de licenciement injustifié, le salarié touche au minimum des dommages et intérêts équivalent à 6 mois de salaires (règle applicable à toutes les entreprises de plus de 10 salariés et quand le salarié à 2 ans d’ancienneté) ; la loi supprime ce plancher, c’est l’ouverture à toutes les fraudes
En cas de licenciement illégal l’indemnité prud’homale est plafonnée à 15 mois de salaire
Aujourd’hui, quand le juge prud’homale considère un licenciement comme abusif, il condamne l’employeur à verser des indemnités tenant compte de la situation du salarié licencié (âge, famille, handicap…) ; la loi El Khomri instaure un plafond pour ces indemnités (maximum 6 mois de salaire pour une personne ayant moins de 5 ans d’ancienneté, 15 quand elle a plus de 20 ans d’ancienneté)
Une entreprise peut faire un plan social sans avoir de difficultés économiques
Aujourd’hui, un licenciement économique n’est valable qu’en cas de fermeture d’usine, de réorganisation, de mutations technologiques ou de difficultés économiques ; avec la loi, une simple baisse du chiffre d’affaire ou du montant des commandes pendant quelques mois suffiront à le justifier, on facilite les licenciements donc.
Après un accord, un salarié qui refuse un changement dans son contrat de travail peut être licencié
Aujourd’hui, en cas de difficultés économiques, un employeur peut négocier avec les syndicats sur un accord de « maintien de l’emploi » pouvant prévoir une baisse des salaires et une hausse du temps de travail, un salarié refusant une modification peut être licencié pour motif économique et bénéficier d’une protection s’il conteste ce licenciement ; avec la loi, ces accords ne sont plus limités qu’aux entreprises en difficulté, et un salarié contestant les modifications peut être licencié pour « cause réelle et sérieuse ».
Moins d’indemnités pour les malades et les accidenté-e-s licencié-e-s :
On passe de 12 mois à 6 mois d’indemnités minimum pour un salarié licencié pour inaptitude suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle sans véritable recherche de reclassement par l’employeur.
Possibilité pour pôle emploi de prélever directement sur les allocations chômages :
Aujourd’hui, quand pôle emploi estime avoir fait une erreur dans un versement, la saisie d’un juge est obligatoire, cela permet d’éviter les prélèvements abusifs en cas d’erreur de pôle emploi, et laisse le temps au chômeur de s’organiser pour le reversement ; avec cette loi la saisie du juge n’est plus obligatoire, pôle emploi pourra percevoir directement sur le mois suivant ce qu’il estime avoir été perçu en trop ; en cas d’erreur c’est au demandeur d’emploi de saisir le juge pour obtenir un reversement, ce qui peut le/la priver de ressources pendant un temps.
Des conséquences diverses et variées :
La visite médicale d’embauche devient une visite d’information :
Jusqu’à aujourd’hui, la loi prévoyait un examen médical avant l’embauche où au plus tard avant la fin de la période d’essai par le médecin du travail ; la loi El Khomri la remplace par « une visite d’information et de prévention effectuée après l’embauche par l’un des professionnels de santé » ; ce n’est plus automatiquement le médecin du travail qui s’en occupe, et le délai est entre les mains du conseil d’Etat et n’est donc plus garanti par la loi
La duré du congé en cas de décès d’un proche n’est plus garantie par la loi
Au moins de 2 jours, plus de minimum garanti avec la loi, dépend des accords d’entreprise ou de branche. En pressurant un nombre plus restreint de travailleur, le patronat en exige fatalement plus d’eux, et ne peut tolérer la moindre absence, même pour des motifs aussi compréhensible qu’un deuil.
Nous ne devons pas avoir d’illusion sur la nature de la lutte que nous devrons mener. Elle sera stratégique et de longue durée. Certes les rabatteurs de la social-démocratie sont déjà à l’œuvre, prêts à tout pour mendier les voix qui pourraient les porter de nouveau au pouvoir.
N’écoutons pas ces vautours sans scrupules.
La solution, syndicale comme politique, est entre les mains du peuple, dans sa faculté à lutter, à s’organiser politiquement. Le capitalisme n’est nullement amendable, et le patronat ne fera aucune concession qui ne sera pas arrachée.
Nous, communistes, considérons que la seule véritable solution est dans le combat politique pour le pouvoir du peuple, pour son contrôle complet et démocratique de l’ensemble de l’appareil d’Etat.
Nous ne voulons pas d’une illusion réformiste, nous voulons la révolution socialiste.