Emmanuel Macron a annoncé, hier, la mise en place d’un couvre feu dans les villes classées comme étant en situation d’alerte maximale. Cette décision était attendue et était déjà connue des services de presse en amont de l’intervention. 19 millions de citoyens et de citoyennes sont ainsi concernés par cette mesure. Elle interdit les déplacements entre 21h et 6h du matin.
L’intervention de Macron s’est déroulée dans un exercice de style très régalien. Cette obsession du formel, de la mise en scène, est – en soi – déjà critiquable. Dans une situation d’urgence, attendre que le président-roi s’exprime était-il utile ?
Le point central de l’intervention a été donc la décision de mettre en œuvre un couvre-feu. La sémantique militaire à permis encore aux journalistes encenser un Macron, chef de guerre, faisant face avec calme et sérieux à la pandémie. Mais qu’en est-il en réalité ?
Le choix du couvre-feu est un pis-aller. Il est une demi-mesure, qui ne vise qu’a faire tenir l’économie le temps que les choses se passent, en espérant que le taux de perte humaine reste tolérable.
Un choix difficile… pour ne pas se mettre à dos les capitalistes.
Pourtant, il ne faut pas croire que le fait de mettre en danger les bars, les discothèques, les restaurants soit pris de gaieté de cœur. Il en est de même pour la vente d’alcool ou d’autres restrictions qui rapportent aux caisses de l’État et contribuent à générer de précieux revenus. C’est donc un choix cornélien qui est opéré. Il découle d’un calcul simple :
Comment parvenir à ralentir la progression du virus sans toucher aux sacro-saints revenus des grands capitalistes. Si Macron peut se permettre d’avoir les restaurateurs à dos, voire une partie de la petite bourgeoisie commerçante, il est obligé, c’est son rôle, de satisfaire ses maîtres.
Les mesures d’aides accordées à ces entreprises représentent un coût. Mais ce coût est toujours plus faible que celui de financer l’hôpital au niveau de ses besoins, de désengorger les transports en commun, de permettre aux lieux d’enseignement ne ne pas être des cluster bombs.
Pour les soignants, rien de nouveau.
Au titre des soignants et soignantes, Libération indiquait ce matin : « De fait, le manque de soignants n’est pas près de se résorber. Un document présenté fin septembre à la commission médicale d’établissement de l’AP-HP, que Libération s’est procuré, le confirme. Malgré le recrutement cet été de 1 371 infirmières tout juste sorties d’école, le niveau de l’emploi infirmier n’atteint même pas celui de septembre 2019. Sur les 950 postes ouverts et budgétés, 450 sont toujours officiellement vacants, faute de candidats. La pénurie touche particulièrement les infirmières de bloc opératoires, premières à être sollicitées en cas de crise sanitaire : sur 480 postes ouverts, 50 n’ont pas trouvé preneurs… » La crise sanitaire masque la crise hospitalière.
Il est donc rationnel, du point de vue du gouvernement, du point de vue des capitalistes, de réduire la vie sociale à un métro-boulot-dodo. Qu’importe si la société, qu’importe si les individus, en souffrent. Si cela satisfait la grande bourgeoisie, tout va bien. Les autres oublieront. Même l’action en justice, intentée par l’association Victimes COVID, risque d’être un pétard mouillé. Les perquisitions qui viennent d’avoir lieu, auprès des membres et ex-membres du gouvernement, pourra t-elle aboutir ? Cela est douteux.
Une déstabilisation annoncée.
En revanche les effets économiques et sur la structure sociale échappent aux désirs de l’État. Une petite bourgeoisie en péril, vacillante, est une menace pour la stabilité du régime. Elle pourrait conduire à une crise profonde de régime, d’ici le temps des élections. Historiquement, ces catégories sociales, mettent en avant l’individualisme, le sens des affaires, la peur de solutions collectives. Elles pourraient très bien propulser au pouvoir une extrême-droite qui n’avancerait plus masquée, et qui aurait les coudées franches pour imposer son programme : liquider définitivement les droits sociaux et mettre au pas le pays.
Lorsque la situation économique se dégrade, que les droits économiques sont attaqués, les droits politiques suivent. Le choix d’axer les élections sur l’islamophobie, la xénophobie, le racisme n’est pas un hasard. Il se double aussi d’une campagne cynique contre les mesures sanitaires, les députés PS & LR ayant, par exemple, fait voter le Sénat sur une réouverture des restaurants, des bars, des discothèques. Si la mesure fera certainement long feu, face à l’oukase présidentielle, elle n’en est pas moins significative : pour exister électoralement, certaines organisations sont prêtes à toutes les compromissions.
Pour les plus précaires : circulez, rien à voir !
Si la bourgeoisie bénéficie de la générosité de l’État, la question des minimas sociaux a été soulevée. Elle a, quant à elle, entraîné une réponse directe du président. Celui-ci a considéré que revaloriser les indemnités chômages, revaloriser le RSA, n’encouragerait pas à « retrouver du travail ». En bon banquier, Emmanuel Macron ne prête qu’aux riches.
Cette conception, qui considère le fait d’être privé d’emploi comme une illustration de la fainéantise, de l’assistanat, est profondément ancrée dans l’esprit des réactionnaires. Pourtant elle est démentie par les études sérieuses sur le sujet. Une hausse des minimas sociaux, vue comme de l’argent lancé par les fenêtres, serait pourtant à la base d’une relance typiquement keynésienne de l’économie. Donner l’argent aux riches, c’est le voir capté, tomber dans des trappes à liquidités, et finalement ne jamais ‘ruisseler’.
L’occident en difficulté.
Sans faire de la psychologie sociale de comptoir, d’une manière générale, les pays d’Europe et les USA échouent à enrayer la pandémie pour un certain nombre de raisons. L’une d’entre elle étant les conséquences de la constante, l’omniprésente, campagne de dénigrement contre tout effort collectif, contre tout esprit unitaire dans la population. Toute idée d’effort commun contraignant et impératif (comme dans des sujets aussi vitaux que l’écologie, l’égalité des droits entre hommes et femmes…) est taxé de totalitaire et constamment dénigré par les propagandistes du libéralisme.
Le capitalisme est pétri d’incohérences et de contradictions. Il porte comme valeur suprême la liberté individuelle, l’égoïsme. Dans le même temps, il n’offre que l’aliénation du travail, l’angoisse de la précarité, qu’il maquille derrière un illusoire confort matériel.
Les aspirations à la liberté, à l’indépendance individuelle, qui ne sont pas réalisées en dépit des promesses, se reportent alors contre des frustrations du quotidien. En temps de crise, elles se font sentir de plus en plus fortement. Le contrôle étatique sur les rares moment de libertés, de sociabilité choisie, ne peut que rencontrer une résistance, ne peut que générer frustration et colère.
Détruire ce qui nous détruit.
Nous pensons, quant à nous, que la liberté est avant tout la conscience de la nécessité. La liberté est donc l’ensemble de ce qui reste une fois que le nécessaire est réalisé. Or, la première nécessité est de juguler cette crise pandémique, dans le sens où elle ne concerne pas que des individus, que leur propre vulnérabilité, mais bien l’ensemble de la société, laquelle doit prendre en compte les plus fragiles, les plus vulnérables, mais aussi les plus précaires. Se protéger, c’est protéger les autres. Protéger les autres, c’est également, à terme, se protéger soi-même.
La deuxième nécessité est de détruire ce qui nous détruit. Cette crise n’a pas été une perte pour tout le monde. Les capitalistes les plus féroces se sont enrichis dans des proportions incroyables. Ils se sont gavés de bénéfices. Les faillites en série qui s’annoncent leur permettront de concentrer toujours plus de capitaux entre leurs mains.
Ce sont eux qui portent une part immense dans la situation actuelle. Leur refus de mettre en œuvre les mesures adéquates. Leur tergiversations pour ne pas nuire à leurs profits. Leur absence totale de solidarité dans le financement des services publics, leur recherche constante, prédatrice, du profit… Et leur dispersion, internationalement, criminelle aussi, des efforts de recherche médicale.
La liberté, réelle, ne pourra émerger que lorsque ces nécessités auront été remplies. Que lorsque l’économie, la recherche, la santé,… en somme la création de richesses, la possibilité de pouvoir vivre sainement et de profiter de la vie, seront entre les mains de ceux qui la créent, qui en donnent les moyens. Et non plus entre les mains de ceux qui la parasitent.
Cette pandémie est un prélude à une crise plus grande, plus profonde. Nous appelons à nous à la vigilance, à l’organisation, à la structuration de ceux et celles qui veulent lutter pour un pouvoir populaire, démocratique, libéré de la domination des exploiteurs.