La liberté insipide du capitalisme.
Ces derniers temps, un grand nombre de « fêtes sauvages » ont fleuri un peu partout. Carnaval de Marseille, fête des quais de Lyon, fête du bois de la Cambre en Belgique… D’autres, plus discrètes, réunissent des individus de la haute société. Ces transgressions ne sont pas défendables en soi, cependant, en particulier en Belgique, elles ne justifient pas les mesures de violence de la part de la police, qui s’en donne à cœur joie.
Parfois, d’ailleurs, ces fêtes ont été surinterprétés politiquement : soit par l’extrême-droite, comme par Florent Philippot, qui trouve là une occasion d’exister politiquement, en opposition à la « dictature sanitaire ». Mais aussi par une certaine partie de l’extrême-gauche, qui voit dans ces fêtes le pinacle de l’action politique consciente, rejoignant en cela une posture liberale-individualiste. Nos loisirs de pays riches sont d’ailleurs les enfants de l’exploitation coloniale et néocoloniale. Clamer une liberté individualiste d’en « jouir sans entrave » revient aussi à dénier le droit de se soustraire à cette surexploitation criminelle. Elle est aussi une négation du consentement à ces avidités individuelles. Imposer son « droit à la fête », c’est aussi dénier celui des autres, notamment celui des personnes les plus vulnérables, qui essaient d’échapper à la pandémie. S’il existe l’attitude individuelle, qui est une chose que nous pouvons comprendre – sans défendre – le choix de défendre politiquement comme quelque chose d’intrinsèquement positif nous laisse pantois.
Politiquement, nous-mêmes pensons que les discours démagogiques autour des fêtes sont le reflet d’une attitude opportuniste. Si elles ne sont pas défendables, elles méritent néanmoins d’être expliquées et comprises pour ce qu’elles sont : une expression d’une usure morale importante.
Nous pouvons soit voir tout cela comme une simple opposition individu/société, ou regarder plus loin. Pourquoi ces petites libertés, ces petits conforts, cristallisent les colères ? Il existe des raisons à cela. L’une d’entre elle est que les libertés des classes populaires, les libertés de la plus grande masse de la population, sont finalement assez ténues.
Parce qu’on nous prive de pratiquement tout. Ces fêtes, ces enivrements, rentrent dans ce qu’on nomme « la reconstitution des forces productives ». Elles permettent à celles et ceux qui sont exploités de « recharger leurs batteries » et de retourner être exploités ailleurs. Or, inconsciemment, nous sentons que cet espace ne suffit pas.
Le capitalisme nous a été vendu, notamment au moment de la guerre froide, comme le monde de la liberté. Il s’agissait d’un marché de dupe. En fait de liberté, le capitalisme nous a offert simplement une prison dont nous sommes les propres gardiens. Pire, il nous a fait intégrer que ses barreaux étaient ses horizons absolus, indépassables.
Nous sommes donc, dans l’ensemble, privés, et surtout privées de libertés. De tout ce qui nous permettrait de réellement nous épanouir, de ces véritables espaces de liberté que seuls les plus riches, les nantis, les oisifs peuvent se permettre. Parce qu’on nous laisse comme liberté ces minuscules marges, ces minuscules moments, cette possession d’objets d’apparat, de bien de consommation, qui, parfois même finissent par nous posséder et nous définir autant que nous les possédons. Ces loisirs et ces possessions sont devenus des marqueurs de la réussite. Leur possession et leur pratique sont devenus les marqueurs du statut social, de la place dans la hiérarchie d’une société injuste et inégale.
Nous avons été éduqués (et d’ailleurs surtout les hommes) en nous expliquant que c’est tout ce que nous pouvions espérer de mieux : agrandir nos espace de liberté en prenant sur ceux des autres, en amenuisant les leurs. Acheter, posséder, faire des corps des biens de consommation ou des terrains de chasse.
La culture du viol, par exemple, est précisément un mélange empoisonné entre ce fétichisme de la possession et le patriarcat. Cette pratique réduit des humains, des humaines, au rang de produit de consommation. Les femmes et leurs corps (mais cela peut, aujourd’hui, s’étendre aussi aux couples LGBTI+, même si c’est d’une manière encore marginale) font partie des critères de la réussite sociale : qui en « aura » le plus, qui en « consommera » le plus, quitte à transgresser le consentement, quitte à tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins. Finalement, où est la liberté quand partout règne l’injonction ?
Même pour la bourgeoisie les choses ne sont pas si simple. Classe en guerre contre elle-même, en concurrence constante avec les membres de sa caste, sa liberté est celle d’une noblesse de cour. Si les moyens sont plus grands, si elle peut matériellement se permettre plus de chose, elle-même est prisonnière d’un maelstrom qu’elle ne contrôle pas, et qui peut l’engloutir sans prévenir. Elle impose ses normes de consommation et de succès minable, tout en prétendant -quitte à se mentir elle même- qu’il s’agit là de la plus pure liberté.
Nous vivons dans liberté au rabais, aliénante, une liberté-prison. Tandis que d’autres, qui ne vivent que de notre travail, peuvent se permettre de faire tout ce dont nous avons rêvé, et que nous n’entrapercevons qu’a peine. La suppression d’une partie de nos loisirs met en exergue toute leur valeur. Mais elle met aussi en exergue toute leur vide. Cette pandémie remet en perspective nos vies. Elle nous oblige à les repenser. A repenser la qualité de nos loisirs, la qualité de nos relations, de nos rapports inter-individuels. Et tout comme cette pandémie ne peut être vaincue que dans l’effort collectif, dans la solidarité, dans le respect mutuel, dans le fait de remiser une part de notre individualité, l’amélioration de nos vies en dépend aussi.
Nous analysons la liberté comme « ce qui reste lorsque le nécessaire est réalisé ». Or, dans la course sans fin au profit, il ne peut y avoir de liberté pleine et entière, mais uniquement des simulacres. Notre liberté, celle que nous défendons, est une liberté sans les entraves économiques, sans le poids de la peur, sans le besoin de possession. Une liberté de découverte, une liberté d’échange, une liberté de construction commune.
Nous méritons mieux que ce qu’on nous offre. Nous méritons une vie riche, épanouissante, libérée de l’entrave constante de l’économie, de l’argent, de la misère, du chômage.
A ceux qui ont peur pour leur emploi, qui ont peur pour leurs enfants, pour leurs parents, pour leurs frères et leurs sœurs : il existe des issues. A ceux qui sont démoralisés, qui perdent espoir en l’avenir : il existe des solutions ! Et ces solutions ne sont pas « en nous », pas dans l’acceptation d’une société criminelle, dans un nirvana intérieur : elles sont dans l’effort commun, collectif, conscient : vers un but !
Cette crise nous est imposée. Nous ne l’avons pas choisie. Nous la subissons. Mais nous pouvons décider de son issue. Soit être privés de liberté davantage, travailler plus pour nos exploiteurs, soit faire naître un monde nouveau !
Nous méritons mieux que ça. Nous valons mieux que ça.
Une autre société, un autre monde, une autre manière d’être est possible. Dans la culture, dans les interactions sociales, dans la découverte du monde, des autres, de l’humanité, de la nature. Nous pensons que la société actuelle, inégalitaire, nous tire en arrière. Elle nous entraîne à notre perte sur le long terme. La nature, les ressources naturelles, les hommes, les femmes, sont sacrifiés sur l’autel du profit.
Parler d’avenir, parler d’un monde meilleur, est devenu presque indécent. L’idée d’imaginer un futur qui ne soit pas une catastrophe est presque gênant, tant nous intégrons que l’avenir est sombre.
Et pourtant, pourtant, un autre monde est possible. Un monde dans lequel la pauvreté est éradiquée. Un monde dans lequel on ne meurt plus d’un rhume, ou d’une maladie de la pauvreté. Un monde dans lequel il est possible d’avoir une science qui serve le peuple. Un monde dans lequel les milliards et les milliards qui servent à accumuler des arsenaux immenses puissent être utiles. Un monde dans lequel les travaux aliénants, pénibles ou inutiles sont automatisés et où nous pouvons travailler toutes et tous, moins, mieux, pour une vraie part des richesses qui sont produites.
L’humanité possède un génie créateur immense, illimité. Elle est capable de résoudre chaque problème qu’elle rencontre, elle est capable de sortir de son berceau, et aller vers l’immensité de l’univers. Combien de talents, combien d’imaginaires, combien de génie sont entravés, croulant sous le poids de la contrainte de l’argent ?
Il est certain que l’avenir que nous offre le capitalisme est mortifère. Le progrès se tasse. L’avenir est obscurci. Nous allons progressivement vers une réduction des salaires, une réduction de l’espérance de vie, une réduction de la biodiversité. Un jour nous n’aurons plus la possibilité même d’accumuler la force de quitter une planète que nous aurons condamnée.
Nous pouvons éviter cela.
La colère ne doit pas nous faire oublier que le virus est un ennemi mortel.
Cette situation est inédite, car pour une des rares fois, nous ne nous retrouvons pas dans une posture diamétralement opposée au gouvernement. Lui aussi, comme les capitalistes et les exploiteurs, n’a pas intérêt à la pandémie. Ils veulent l’exploitation la plus pacifique et la plus optimale des travailleurs et des travailleuses.
Critiquer l’action gouvernementale est une chose légitime et nécessaire. Mais la diaboliser pour le simple plaisir de se maintenir dans l’opposition frontale est, là encore, une manière conspirationniste d’analyser les choses. Or, nous n’avons pas besoin de grossir le trait : la vérité est révolutionnaire.
Notre responsabilité collective est de lutter contre la pandémie. De protéger les plus fragiles et les plus vulnérables d’entre nous. De faire preuve de solidarité, de patience, de résolution. Briser le confinement, refuser le masque, refuser le vaccin, revient à tuer par entretenir un cycle sans fin de souffrances. Tout abandonner dans le nihilisme cynique revient aussi à poursuivre ce même cycle infernal.
Mais notre autre responsabilité collective est de ne pas se laisser museler. Et de ne pas se contenter d’un retour en arrière, une fois l’épidémie terrassée. Elle est de poursuivre cette solidarité, cet esprit d’unité populaire, cet résolution dans le fait de vouloir se soustraire à la misère. Mais aussi dans le fait de gagner de nouveaux droits, de nouvelles libertés, de nouvelles possibilités d’émancipation.
Nous aspirons toutes et tous à une vie riche, épanouissante. Nous aspirons tous à la réalisation de nos désirs individuels – dans la mesure où ils ne nuisent pas. Mais cette émancipation individuelle, ce bonheur individuel, réel, concret, absolu, ne peut être atteint que par l’émancipation collective.
Même les milliardaires, même les ultra-riches, sont enfermés dans la médiocrité de leurs existences. Non seulement ils freinent le bonheur collectif, mais il en sont eux même victimes par rebond. L’appauvrissement général dont ils sont responsable ne les épargne pas.
Nous avons besoin de faire face coup pour coup aux attaques sur nos droits, et d’en arracher d’autres
A nous d’éviter ça. Organisons-nous, coordinations, échangerons. Dessinons le monde de demain, et réalisons-le ! Réalisons-le avec la force infinie de ceux et de celles qui produisent tout, contre ceux qui nous privent de tout !