Que représente le 14 juillet ?

Traditionnellement, le 14 juillet est célébré comme l’anniversaire de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789. Du temps de la monarchie absolue, le roi pouvait, par simple lettre de cachet, y faire enfermer toute personne, quelle que soit sa classe, sans motif, ni procès. La prise de la Bastille par le peuple de Paris représenterait alors la chute d’un symbole de l’arbitraire royal, face à la colère d’un peuple en lutte, et le point de départ de la marche lente mais assurée vers la démocratie. Mais alors, pourquoi le 14 juillet est-il célébré par des défilés militaires ? Par l’étalage de la puissance armée de l’Etat bourgeois ? Et non pas par des fêtes populaires ? Parce qu’il s’agit là de la réalité, moins avouable, qui se cache derrière le 14 juillet.

Revenons en arrière. Le 5 mai 1789, les états généraux sont réunis. Cette assemblée des trois ordres, qui n’avait pas été convoquée par le roi depuis 1614, doit créer un nouvel impôt, pour surmonter la grave crise économique que traverse alors le pays. Elle est représentative de la division de la société française d’alors. D’un côté, noblesse et clergé veulent cantonner l’assemblée à son rôle fiscal, et voter l’impôt tout en conservant jalousement leurs privilèges (dont celui de ne pas payer d’impôts). De l’autre, les députés du Tiers-état, représentant 98% de la population (allant du plus riche des bourgeois, au plus humble paysan, et passant par les artisans et les ouvriers), ont une vision plus politique du rôle des états généraux. Remise en question des privilèges, constitution, fin de l’absolutisme, l’Etat tel qu’il existe est contesté. Le Tiers-état estime que les leviers de commandements politiques, jusqu’alors réservés aux nobles, doivent revenir à la classe qui porte l’économie, c’est à dire lui même, ou plutôt, à la bourgeoisie, classe alors la plus révolutionnaire, la plus consciente, et la mieux organisée politiquement (bien que également divisée à ce niveau). Les députés du Tiers-état refusent de siéger séparément des autres ordres, comme le veut l’usage, et s’auto-proclament Assemblée Nationale. Un bras de fer s’engage alors avec le roi et la noblesse, mais ce premier finit par céder, et reconnaît l’Assemblée Nationale. C’est du moins ce qu’il laisse entendre, car dans le même temps, un nouveau gouvernement, ultra-réactionnaire, avec à sa tête le baron de Breteuil, est nommé, et l’armée est stationnée autour de Paris. C’est alors que vont survenir les événements de juillet.

Pour la bourgeoisie, la manœuvre du roi est une déclaration de guerre. Face à l’armée, à l’aristocratie, et au roi, ceux-ci n’ont qu’une seule arme : le prolétariat parisien, sur-exploité, écrasé par le poids de l’absolutisme. L’augmentation continuelle du prix du pain, et l’indifférence de la classe dirigeante, fait de ce peuple un bélier pouvant charger à tout moment. C’est ce qui arrivera lors des journées des 13 et 14 juillet 1789, où le peuple de Paris, harangué par les discours des bourgeois, s’empare des armes stockées aux Invalides, et foncent sur la Bastille, qui est prise le 14 juillet. Une victoire qui fait reculer le roi. Celui-ci retire ses troupes, et renvoie Breteuil, au profit de Necker, plus modéré. Le 14 juillet 1789 est une victoire populaire…et le problème est là ! Si la bourgeoisie a gagné le bras de fer, elle a pris un énorme risque en armant le peuple. Si celui-ci venait à prendre conscience de toute l’étendue de sa puissance, la révolution pourrait atteindre des extrémités que ni les bourgeois, ni le roi, ne souhaitent. Deux mesures sont alors prises. La première est coûteuse, mais va se révéler efficace. La bourgeoisie va proposer de racheter les fusils pris aux Invalides pour la somme de 20 sols. En rendant un fusil obtenu gratuitement pendant l’insurrection, le prolétaire parisien peut gagner l’équivalent de deux jours de salaire, une aubaine ! Le peuple est ainsi désarmé pacifiquement. Et pour le tenir en place, une milice bourgeoise est créée. Le terme de milice bourgeoise, beaucoup trop connoté, est cependant remplacé par l’appellation plus acceptable de Garde nationale. Celle-ci est commandée par un noble, le marquis de la Fayette, et est ouverte à absolument tout le monde… à condition de payer son uniforme. C’est ainsi les couches les plus aisées de Paris qui forment cette nouvelle Garde nationale, chargée de veiller à ce que la révolution demeure dans le cadre fixé par la bourgeoisie, et ne dérive pas dans le radicalisme que l’on pressent déjà dans le discours de certains, notamment ceux d’un député du Tiers-état, avocat à Aras, un certain Robespierre.

Un an plus tard, en 1790 le 14 juillet est célébré. Il a été retenu comme date clef, mais ce n’est pas la prise de la Bastille qui est fêtée. Il s’agit de la première fête de la fédération. Au lieu d’une liesse populaire, ce sont 100 000 gardes nationaux armés qui assistent au serment de la Fayette, et du roi, de préserver l’ordre alors en place. Le message envoyé est clair : “nous avons le pouvoir, car nous avons les armes”. Là où la noblesse dirigeait au nom des privilèges, et de la propriété foncière, la bourgeoisie émergeante dirige au nom de la propriété privée, et du capitalisme en pleine expansion.
Dominant les autres classes composant le Tiers-états, et pensant tenir le peuple en laisse avec sa Garde nationale, ceux qui seront plus tard qualifiés d’accapareurs prendront néanmoins conscience de la force réelle de cette plèbe méprisée, de ce prolétariat exploité, lors d’une brève période, de 1793 à 1794, où la jeune république entreverra l’esquisse d’un pouvoir populaire. L’expérience prendra cependant fin avec le complot thermidorien, et la réaction qui s’en suivra, mais ceci est une autre histoire.

Aujourd’hui, nous assistons toujours à cette mascarade, à cette fête de la fédération qui ne dit pas son nom. La bourgeoisie française, avec ses défilés, montre au peuple qu’elle a les moyens de se défendre, qu’elle a le pouvoir, car elle a les armes. C’est à nous, forts des enseignements des expériences révolutionnaires passées, de leur rappeler que la Bastille n’a jamais été imprenable.

Ivan

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