Ils sont partis après avoir tout détruit. Jénine, vingt ans après la dernière opération israélienne, doit à nouveau panser ses plaies et pleurer ses morts. Le tout pour un résultat nul.
Jénine est une ville du nord de la Cisjordanie. Elle a été longtemps le bastion des brigades des martyrs d’Al-Aqsa, la branche armée du Fatah. La ville est, depuis 2002, dans le collimateur des forces de sécurité israéliennes, qui la considèrent comme une « pépinière de terroristes ». Tsahal y a mené plusieurs opérations militaires brutales, faisant le siège de la ville (ce qui est considéré comme un crime de guerre en soi), coupant l’accès à l’eau, à la nourriture et à l’électricité. Le camp de réfugiés, cible centrale de l’opération, a été rasé. Elle y a gagné le surnom de « Jeningrad ».
La ville vit, par la suite, dans les replis de la « barrière de séparation » et échappe aux combats pendant vingt ans.
En janvier 2023, Tsahal mène un raid tuant 9 personnes dans le camp de réfugiés, suivi d’un second le 6 mars qui en tue 6. Le 19 juin, une nouvelle attaque frappe le camp, causant 6 morts et 91 blessés. Israël empêche l’arrivée des secours, allant jusqu’à percuter une ambulance avec un blindé. Trois jours après, un drone strike tue trois nouvelles personnes. Enfin, le 2 juillet, une attaque de grande envergure est menée, tuant 10 personnes et en blessant plus d’une centaine. Un soldat israélien est tué. Des drones ont frappé le camp, tandis qu’une opération d’infanterie mécanisée a pris le contrôle du camp. L’attaque se traduit par des destructions importantes des installations civiles, de nombreuses familles perdent à nouveau toutes leurs possessions et se retrouvent sans abri et sans ressource.
Les résultats escomptés, éliminer les combattants de la résistance à la colonisation, est un échec total. Le bataillon de Jénine a discrètement évacué au début de l’attaque, et la population a fait bloc autour de ceux qui sont restés. Pour le journal israélien The Times of Israël, c’est le signe que la stratégie actuelle ne marche pas. Cependant, empêtré dans ses propres contradictions, l’État hébreux est incapable d’en produire une nouvelle.
La transformation d’Israël
Israël s’est longtemps auto-perçu comme un État démocratique avancé, inspiré par les intellectuels sionistes de gauche. Cependant, ces tendances se sont systématiquement confrontées à une réalité déplaisante : l’État israélien a été bâti sur l’expulsion des habitants de Palestine. Ces derniers ont interprété l’arrivée massive des Juifs d’Europe — qui fuyaient les persécutions et la mort — comme une colonisation occidentale supplémentaire et ont lutté contre-elle. Ce long affrontement, accentué par la colonisation de la Cisjordanie, a favorisé une nouvelle hégémonie politique, autour de l’extrême-droite. Celle-ci porte une lecture clairement ethno-nationaliste de ce que doit être Israël. Bezalel Smotrich, ministre des Finances, issu du parti Union nationale, nie ainsi l’existence des Palestiniens.
Cette tendance a été largement dénoncée depuis l’intérieur même de l’État, notamment par des intellectuels comme Zeev Sternhell. Celui-ci déclarait que tant que le colonialisme existera, Israël ne pourra être en paix avec ses voisins. Tant qu’il ne pourra pas être en paix, il existera la tentation politique de la solution hobbesienne : un État a-démocratique, militarisé. La réforme de la justice, qui a fait battre le pavé à plus d’un habitant sur 10, illustre ce glissement. Benyamin Netanyahou joue son va-tout : accusé de corruption, soit il se maintient en poste, soit il connaît la prise. Il appuie encore davantage les tendances les plus réactionnaires et les plus racistes du pays pour faire bloc.
Netanyahou a annoncé un nouveau programme de construction de colonies, tandis que ses alliés veulent purement et simplement annexer la Cisjordanie et en expulser la population. En continuant cette politique d’ingénierie ethnique de la région, Israël ne fait pourtant que rendre impossible tout processus de paix.
De l’avant-garde à Sparte
La situation d’Israël et son attitude envers ses voisins ne peut que susciter l’inquiétude, la méfiance et la colère. L’État avait engrangé un certain nombre de succès diplomatiques au travers des Accords d’Abraham. Donald Trump avait réussi à normaliser les relations entre l’État hébreux, les Émirats Arabes Unis, le Bahreïn, puis avec le Soudan et le Maroc. MBS, prince héritier des Saoud, avait également réalisé des ouvertures. Mais depuis, le vent tourne. Les populations des états signataires ont montré leur attachement à la cause palestinienne durant la coupe du monde et leurs gouvernements se méfient de la trajectoire israélienne. De plus, la réconciliation entre l’Iran et l’Arabie Saoudite sous l’égide de la Chine, a changé la géométrie des relations entre Israël et son environnement géopolitique. Le côté fort du triangle, qui était à l’origine le consensus avec les Saoud sur l’Iran s’effrite rapidement.
Obligé de revoir sa position, le pays s’est rapproché de la Russie, à tel point que l’Ukraine lui a fait des reproches publics sur ses ventes de matériels. Cette attitude rompt avec plus d’un demi-siècle d’alignement total sur l’Occident. Israël se sent dépassé par les changements et est pris dans la vague de désoccidentalisation du monde. La confortable place de bastion de l’Occident et de la démocratie libérale se transforme en kessel, en encerclement. Cette place fait naître une mentalité de camp retranché.
L’avenir de la Palestine paraît bien sinistre
L’Autorité Palestinienne, dirigée par Mahmoud Abbas, est en perte de légitimité. Elle est perçue comme un médiateur chargé de faire accepter l’écrasement de la Palestine, et nullement comme une force politique crédible. Elle est d’autant plus fragile que l’annulation des élections a suscité la colère des Palestiniens et Palestiniennes. Anticipant une victoire du Hamas, il a choisi de botter en touche. Si cela lui a permis de se maintenir en poste, son attitude a consacré la séparation politique entre Cisjordanie et Gaza, désormais gouvernées par des entités politiques distinctes. La constitution d’un État Palestinien paraît plus éloignée que jamais. Or, la solution à un seul État se heurte à la domination écrasante des thèses ethno-nationalistes en Israël : un seul État serait un apartheid total.
Cette délégitimation joue un rôle dans les actions menées par des Palestiniens contre l’occupant : ce ne sont plus des actions politiques organisées et structurées, mais des actes individuels de désespoir. L’intifada des couteaux et, récemment, l’attaque à la voiture bélier ne sont pas des actions militantes traditionnelle. Les Palestiniens qui les réalisent sont souvent des jeunes loin de toute structuration politique, ce qui complique énormément la tâche des services de renseignement — et nourrit un climat de siège. Israël blâme l’Autorité Palestinienne, oubliant qu’elle a tout fait pour la vider de son sens et de son contenu.
La Palestine, cause dont l’influence en Europe n’a eu de cesse de diminuer au profit de la Syrie, des Ouïghours et de l’Ukraine, continue de mourir à petit feu. L’archipel Palestinien se fragmente toujours davantage, tandis qu’Israël se dépouille de ses apparences démocratiques.