Pass vaccinal adopté – une brève analyse (2/2)

Une opposition bien terne

Les réactions de l’opposition parlementaire et d’une partie de l’opposition extra-parlementaire ont été décevantes. Celles de l’extrême-droite parlementaire n’ont rien de spectaculaire ou d’original. Elles restent dans la droite ligne du populisme et de la démagogie. Elles s’incarnent par les discours d’un Dupont-Aignant, masque sous le nez, parlant de liberté à tout va. Mais la liberté mérite d’être définie, et celle de ce courant est simple : liberté de se contaminer, liberté de contaminer, liberté d’être exploité.

Le problème, grave, est que des courants qui ne devraient pas adhérer à cette définition semblent en peine d’établir la leur.

Ne le nions pas, il y a une réaction légitime et compréhensible de peur vis-à-vis des décisions prises par le gouvernement. Les pouvoirs spéciaux qui ont été conférés à celui-ci pendant la pandémie lui accordent des possibilités de contrôle et d’action qui sont supérieures à la période d’avant. Il est impossible d’exclure le fait que celui-ci fasse se retourner ces pouvoirs contre la population. Il existe des précédents douloureux de lois « positives » que sont devenus des outils anti-populaires. Par exemple le fichage ADN ou les lois antiterroristes.

Il ne faut pas surestimer les choses non plus. Clamer sur les réseaux sociaux que le Pass est un moyen de contrôle extrêmement élaboré, est un peu paradoxal quand on voit la quantité d’informations qui sont exploitables par l’activité internet. Si c’est un moyen de contrôle social, il n’est guère efficient.

D’autres batailles

D’ailleurs, les batailles se déroulent souvent sur d’autres plans que sur la question sanitaire. Le SNMO, Schéma National du Maintien de l’Ordre, vient de renvoyer dans les cordes le Conseil d’État, qui jugeait que les nasses policières formaient une entrave à la liberté de manifester. Cette réforme, qui se déroule tranquillement, autorise cette pratique, mais en plus, limite aussi la possibilité pour la presse de couvrir les manifestations. Il y a là un danger qui nettement plus concret qu’un pauvre QR code.

Si les antivax sont des groupes d’irréductibles opposants à toutes les mesures sanitaires, il faut comprendre cependant les raisonnements qui expliquent leur perception du monde. À savoir le fait qu’ils analysent correctement que le gouvernement travaille pour une classe sociale qui n’est pas la leur. Il existe des mensonges et des scandales cachés. Mais cette perception juste n’est pas accompagnée d’une capacité d’analyser ces phénomènes dans toute leur complexité (le fait que la bourgeoisie ne soit pas un bloc unifié, mais qu’elle ait des contradictions internes par exemple), ni de le relier à une conception scientifique du monde. Le problème étant qu’il y a une cassure qui se forme : leur vision du monde devient un acte de foi, tandis qu’ils s’imperméabilisent à tout débat. La force du mouvement conspirationniste est avant toute chose une défaite de la capacité du mouvement révolutionnaire de fournir des explications au fonctionnement du monde.

Une partie de l’extrême-droite poursuit cependant une stratégie de la peur et du chaos. Elle entretient consciemment, cyniquement, le climat de terreur. Son but demeure de contribuer à une atomisation de la société, à une fragmentation des solidarités de classes, des solidarités locales, pour appuyer des conceptions telles que la solidarité raciale ou identitaire. Cette bataille idéologique est à la fois une lutte de fond pour ces courants, mais également l’occasion de pouvoir encore accentuer leur rôle de centre de gravité durant la présidentielle.

Une droite qui peine à exister

À ce titre, il faut d’ailleurs souligner l’opportunisme d’une grande partie de l’opposition au gouvernement, qu’elle soit de gauche ou de droite.

Pour la droite, exister politiquement sous Macron a été une période difficile. Comment continuer à représenter un courant politique lorsque le président est un libéral plus radical que soi ? Tout comme la gauche « moindre-mal », qui est incapable d’aller à contre courant économiquement, la droite libérale s’est reportée sur des questions de société. Elle s’est droitisée profondément. Dans le cadre de la pandémie, elle se doit de montrer une divergence d’opinion avec le pouvoir, c’est un impératif de survie pour elle. Alors elle s’oppose à la politique, tout en votant majoritairement pour elle. Ainsi, l’image est sauve et le contenu souhaité est appliqué.

Pour la gauche, la question est encore plus dérangeante

Elle aussi doit, pour exister, s’opposer. Mélenchon, par exemple, a longtemps dénigré, par pur chauvinisme, les vaccins étrangers. Il parlait ainsi du « machin Pfizer », du « vaccin anglais », en misant sur le « vaccin Pasteur ». Cela ne l’a pas empêché de bénéficier du « machin » pour ses trois doses. Quant au vaccin Sanofi-Pasteur, il demeure encore aujourd’hui un sujet de plaisanteries.

Le problème de fond est ailleurs : la gauche (comme la droite) n’est jamais parvenue à proposer une stratégie concurrente de celle du gouvernement, aussi mauvaise soit-elle. Les prises de position contre les Pass l’ont été au nom de la question de principe, mais ne se sont pas inscrites dans le cadre d’une alternative. La seule chose qui a pu être mise en avant est un discours assez creux sur les moyens des hôpitaux. Alors, oui, il faut des moyens aux hôpitaux, mais cela reste un filin de sécurité. Sur la question des contaminations, rien. Le refus d’aller à contre courant des thèses conspirationnistes, le fait de rester dans un agnosticisme par rapport au vaccin, le fait de ne pas établir de stratégie déshonore cette opposition. Si pour exister, il faut de la démagogie, à quoi bon exister ?

Les deux postures ont été soit la libérale, tendance moindre mal, soit l’ultra libérale, celle du rejet de toute mesures contraignantes. La peur d’aller à contre-courant de ce qui est analysé comme l’état d’esprit populaire a rendu même impossible le fait de faire de la propagande en faveur de la vaccination. Seul Fabien Roussel, du PCF, l’a déclaré. Il faut saluer cela.

L’extrême-gauche face à ses incohérences

Mais laissons le crétinisme parlementaire de côté. Dans le camp révolutionnaire, là aussi, il y a eu des manques cruels. Il y a une tendance, dans une grande partie des milieux d’extrême-gauche, à prendre une posture de polémique sur ces questions. Donc à rechercher la dénonciation du scandale (ce qui est bien), mais sans chercher aussi à énoncer une politique qui serait mise en place pour répondre aux problèmes (ce qui est moins bien). C’est là un tabou qui se maintient toujours, celui de la question de l’exercice effectif du pouvoir.

On le voit particulièrement avec des groupes ou des organisations qui tendent systématiquement à vouloir faire des titres choc, à vouloir « faire du clic », et qui traitent chaque élément comme isolé, sans contexte. Cette volonté de dénoncer plus que d’analyser conduit, par exemple, chez Nantes Révoltée, à un constant appel à la terreur, et une constante utilisation de la menace totalitaire. Ainsi, ce groupe a déclaré que le gouvernement menait la guerre contre la vie sociale, avec des confinements et des couvres-feu qui préparaient un 1984 revisité. Cependant, jamais le relâchement constant des mesures sanitaires ou la fin de ces couvres-feu n’a été analysé : cela nuirait au fait de crier au loup s’il fallait effectivement analyser les choses, tempérer les jugements, autocritiquer ses erreurs.

Cette même volonté de se démarquer prend parfois des formes quasiment aristocratiques : par mépris du danger et des règlements, des protocoles et des lois, on retrouve des comportements paradoxaux. Ainsi, ceux-là mêmes qui ont défendu le fait de venir cagoulés aux manifestations se sont souvent montrés incapables de porter un masque chirurgical dans les événements militants. Il y a là un terrain de réflexion qui demeure à explorer sur le besoin atavique de transgression. C’est là quelque chose que nous avons souligné par le passé : les solutions ne peuvent être crédibles sans passer par le crible de l’impératif kantien. Comme l’écrit Larousse : « Pour Kant, loi morale dont toutes les maximes sont universelles et inconditionnelles. » Les solutions que doivent préconiser les mouvements révolutionnaires doivent donc être adaptables comme règles générales et universelles, sans quoi elles ne sont que des privilèges aristocratiques.

L’impérieuse nécessité de sortir de la pandémie

Il faut acter les choses. Il faut sortir de la pandémie. Les égoïsmes de pays riche, que nous pouvons nous permettre car nous vampirisons les ressources d’autres nations, ne sont pas défendables. Il faut donc la juguler. Mais cette question est dérangeante. Et comme elle est dérangeante, elle est souvent niée, au profit d’autres batailles sur des fronts mieux maîtrisés : situation des écoles, des hôpitaux, primauté absolue de la lutte sociale sur la lutte sanitaire… Avec souvent comme horizon unique, non pas la solidarité et l’esprit d’entraide face au coronavirus, mais une liberté abstraite, qui ressemble comme deux goûtes d’eau à celle des libéraux.

Protéger les travailleurs, protéger leur santé physique, morale, mentale, est aussi une lutte sociale, et non une collaboration de classe. D’ailleurs, l’intérêt de la bourgeoisie, particulièrement de la grande bourgeoisie, a toujours été de minimiser la pandémie et de tabler sur les scénarios les plus optimistes.

L’inconscient conspirationniste dans lequel piochent un grand nombre d’acteurs est dévastateur. La surpolitisation de l’ensemble des questions, vieux démon totalitaire présent dans chaque tendance politique radicale, nous permet aussi de mieux vivre cette pandémie : en cherchant des boucs-émissaires. Cela permet de considérer que nous avons une prise sur ce qui se passe, de refuser de voir que nous sommes sur un navire en pleine tempête, ballottés par des événements que nous ne maîtrisons pas.

Cela débouche sur une forme de négationnisme insidieux de la pandémie, qui consiste à refuser d’accepter son existence en tant que phénomène autonome de la lutte des classes. Or, même si cela est dur à entendre : la pandémie est un mal absolu, tandis que la démocratie libérale est un mal relatif. Et tant que cette pandémie nous étrangle, les luttes sociales seront empoisonnées.

Notre point de vue :

Nous insistons l’importance primordiale de ne pas se construire comme des outsiders faisant tourner une boutique de culture politique alternative, mais bien comme un courant qui a vocation à assurer une hégémonie. En dépit de notre faible taille, il nous faut constamment nous poser la question de ce que nous ferions si nous devions assurer la direction du pays. C’est à dire, ne pas faire surgir des schémas fictifs comme « si on dirigeait, l’hôpital ne serait pas dans cet état », mais bien partir de la situation actuelle, des moyens actuels, pour comprendre comment nous traiterions les défis quotidiens. C’est en passant par cette gymnastique mentale que nous pourrons aussi être capable de rallier non seulement ceux qui sont déjà sensibilisés aux questions politiques, mais aussi la plus grande partie des individus, laquelle pose la question de ses engagements sous une forme rationnelle : celle de l’investissement / résultat.

Cela nous impose une certaine forme de realpolitik et de cohérence. Il n’existe pas d’issue à cette pandémie sans action concrète et rigoureuse. Si la liberté nous est chère, ce n’est pas sous la forme d’un concept abstrait. Les libertés sont-elles celles des individus pris séparément les uns des autres, ou sont-elles des libertés collectives, basées sur une prise en compte de l’intérêt collectif ?

Nous devons donc partir avec les individus tels qu’ils sont et avec la société telle qu’elle est. Et dans le cadre actuel, nous considérons que la stratégie 0 Covid est la meilleure qui soit pour permettre de juguler la pandémie au niveau national, mais également au niveau international. À nos yeux, il est à la fois plus efficace, plus rationnel, plus acceptable d’avoir des verrouillages stricts mais bref par rapport à des entre-deux crépusculaires, qui font que nous allons au travail dans l’incertitude et avec la peur au ventre.

Une réduction au strict minimum de l’activité, avec le maintien des secteurs vitaux (énergie, alimentaire, sanitaire) permettrait de pouvoir casser les chaînes de contamination, réduire les interactions sociales, et de vider les hôpitaux – tant pour mettre fin aux déprogrammations que pour laisser souffler le personnel soignant.

Un desserrement progressif, accompagné de tests réguliers, secteurs après secteurs, pourrait permettre une reprise d’une vie normale, avec un pic de contamination derrière nous.

Plus le virus circule, plus il peut générer de variants dangereux. Pourtant un grand nombre de pays ne veulent pas entendre parler d’une politique de 0 Covid. Soit parce qu’ils ont un secteur informel important (comme les pays d’Europe de l’est, d’Amérique Latine ou d’Afrique), soit parce qu’ils se posent la question de la concurrence internationale : l’inquiétude est de voir les adversaires économiques profiter d’une baisse d’activité pour pouvoir s’imposer. Pourtant, quant on regarde les effets des différentes politiques et des poids relatifs, on observe que la Chine, stricte, s’est proportionnellement renforcée par rapport aux USA, qui ont mené une politique du « moindre mal ». Or, cet obstacle est probablement indépassable. Seule l’activité centralisée et coordonnée, de partis populaires puissants, peut réussir à imposer une politique de ce type. Et encore.

De plus, les pays riches, qui ont une population nettement plus mobile internationalement, ont une responsabilité dans la diffusion à l’échelle mondiale, qui ne s’est pas faite en « tâche d’huile », mais bien par des clusters apparus autour des voyageurs internationaux. À l’échelle mondiale, seule une coordination menée par l’OMS, en imposant une harmonisation des pratiques, peut juguler le risque de voir des pays servir de réservoir à virus, permettant à l’épidémie de repartir.

Dans l’état actuel des choses et dans l’état actuel de nos forces, nous pensons que notre action doit être orientée vers : 1) faire la promotion de la vaccination comme moyen de limiter les effets de cette pandémie. 2) diffuser les clés d’analyse de celle-ci et permettre au plus grand nombre de progresser dans la compréhension des enjeux sanitaires, économiques, politiques et électoraux sous-jacents. 3) participer à la solidarité locale, comme nous l’avons fait. 4) se préparer aux prochaines échéances à venir : prochaine vagues, luttes sociales, élections…

Est-ce la dernière vague ?

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Il est possible – dans le meilleur scénario imaginable – que cette vague soit la dernière sous cette forme. La forme du variant Omicron, réputée moins virulente en dépit de sa contagiosité terrifiante, en ferait peut-être une maladie « de tous les jours ». Mais il existe cependant des inconnues : le taux de réplication nettement plus important risque d’entraîner mécaniquement la naissance de nouveaux variants. De même, il existe le danger de l’hybridation, tel ces cas, en Israël, de mélange de grippe et de Covid. Il ne faut pas que l’attention se relâche, sans quoi cette vague ne sera non seulement pas la dernière, mais, au contraire, la première d’une nouvelle phase de la pandémie.

Nous devons considérer les événements qui se déroulent actuellement comme une leçon de vie. Une leçon sur le crétinisme parlementaire, tout d’abord. Une sur la faiblesse de l’opposition au système capitaliste, noyée dans les injonctions à ne pas réussir, à ne pas rechercher la conquête et l’exercice du pouvoir. Enfin, cette vague pandémique, les menaces de guerre et le risque de catastrophe écologique amènent l’humanité face à une croisée des chemins : ce qu’on appelle parfois le Grand filtre1. Soit nous sommes capable de pouvoir parvenir à dépasser cette crise, soit nous sommes voués à échouer.

1 Le grand filtre a été défini en 1998 par Robin Hanson comme une suite de barrières qui nuit à l’émergence d’une civilisation extraterrestre durable dans le temps. Cet obstacle à surmonter pour toute civilisation peut être situé dans le passé ou bien dans le futur. (Wikipédia)

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