Le besoin vital d’une utopie.

Aujourd’hui, qui peut aborder l’idée du futur sans être étreint d’angoisse ?

L’avenir paraît bien sombre. La pandémie occupe et ses conséquences sanitaires, sociales et économiques obscurcissent notre futur proche. Cela, sans compter ses conséquences politiques et géopolitiques, lesquelles promettent d’être brutales.

En toile de fond, l’incapacité totale des gouvernements à faire face au défi écologique contribue à convaincre que les événements vont, globalement, dans le sens d’une dégradation, voire d’un effondrement. Si rien n’est entrepris, celui-ci est inéluctable. Le capitalisme, l’impérialisme se base sur la recherche du profit maximal et sur la concurrence entre cliques. Il n’est pas taillé pour répondre à une crise globale, planétaire, et qui demande une remise à plat complète de notre système de production.

L’écologie et le débat sur celle-ci est souvent limité à des approches superficielles et parfois – tout bonnement – ridicule. Le débat sur les 110 km/h est ainsi une illustration parfaite. La question de la vitesse autoroutière joue de manière marginale quant à la question de la pollution globale. C’est un épiphénomène. Pourtant, dans le vécu des automobilistes, il est porteur d’une importance psychologique immense. Il joue sur le temps perdu dans le purgatoire des trajets quotidiens. Temps non-payé et pourtant lié au travail. De fait, il cristallise le débat sur cette question. Il permet à une rhétorique populiste anti-écologiste de trouver un appui, tout comme il prend au piège les politiciens verts, qui ne peuvent aborder la question de fond.

Aucun ne veut non plus relier cette question à des choix politiques mis en place ou adoubés par leurs organisations politiques : la liquidation de la SNCF par exemple, ou la prise en compte du temps de trajet dans les journées de travail.

La mise en cause des mécaniques profondes, la production, le système économique, le système politique… est immédiatement disqualifiée en employant des termes infamant ou ayant vocation à marquer les esprits. Extrémiste ; radicalisé ; populiste…ou, lorsque le projet concerne l’ensemble des paramètres de la société, l’anathème suprême : totalitaire.

Car, il ne faudrait pas sacrifier un millimètre de liberté. Une liberté qui se résumerait à des droits imprescriptibles : celui d’être exploité ; celui d’acheter les produits de cette exploitation ; celui de payer de son argent, ou de sa vie, pour maintenir une domination coloniale sur d’autres ; celui d’être la ligne de défense pour protéger ses capitalistes nationaux contre les autres. Celui, enfin, de mourir épuisé, vidé de toute substance, après avoir usé sa force de travail.

Voilà les libertés qu’on nous offre. Nous avons, bien sûr, le droit de critiquer cela. Mais le changer, non.

Défis planétaires, réponse universelle.

Pourtant, face aux défis planétaires, face au découpage des chaînes de production, face au fait que le réchauffement climatique ne s’arrête pas aux frontières… face à tout cela, c’est une réponse qui implique l’humanité entière qui doit être formulée. Elle s’applique à l’ensemble de celle-ci. Et cela, même si il est certain que, du fait des inégalités de développement économique et politique, certains États, certaines régions, répondront à des rythmes distincts les uns des autres. Et si l’impréparation des uns ne doit pas servir d’alibi à l’inaction des autres.

Nous devons, nous qui voulons faire changer les choses, faire renaître une force conséquente. Nous voulons sortir de l’impasse, de la nasse idéologique dans laquelle nous sommes – nous, au sens de « ceux qui veulent un changement radical de société » – pris au piège depuis des décennies.

Il existe une rupture dans la transmission de l’héritage de l’expérience du mouvement ouvrier et du mouvement révolutionnaire.

Cette rupture a été le fait de plusieurs facteurs : les 30 glorieuses ont laissé croire qu’il était possible que le capitalisme proposât une chance à tous et toutes, un confort matériel, des perspectives… Elle a convaincu un grand nombre d’individus que les luttes traditionnelles n’avaient plus de sens ni de but. A cela se sont ajoutés le dépit devant les difficultés, les compromis, puis les trahisons du « socialisme réel ». Enfin, les élites, qui jusqu’alors avaient pu représenter une voix forte pour la défense d’une perspective de progrès collectif, se sont converties à la lutte contre l’idée révolutionnaire et à la gestion commune du capitalisme et de l’impérialisme.

Aujourd’hui, un renouveau se fait. Il est impressionnant de vigueur et d’énergie. Partout éclosent des luttes, des groupes, des cercles, des organisations qui veulent renverser la vapeur, qui veulent combattre. Elles essaient de refaire vivre cet héritage, de lui redonner sens, de lui donner corps et de se mettre en phase avec l’actualité. Ces différents groupes accumulent une expérience, un contenu idéologique, une analyse qui leur sont propres. Chacun, sur son terrain, dans son groupe, construit, élabore, cultive, une parcelle de vérité, une parcelle de stratégie, une parcelle du chemin vers la victoire.

Régénérer l’idéologie révolutionnaire.

Hélas, il s’agit d’un travail de titan, que nous souhaitons tous mener à bien. Mais il demande une base quantitative pour effectuer un bond qualitatif. Le diamant brut a besoin d’être taillé sur plusieurs faces pour devenir un joyau. C’est souvent là où les choses deviennent plus complexes. La méfiance, les frustrations, les colères, le ressentiment, isolent les groupes les uns des autres, les maintiennent chacun, dans la nuit, éclairés de leur propre lumière, mais incapable de voir ce qui les entoure.

Comment leur jeter la pierre ? Nous avons été nourris à l’idée qu’un seul portrait, un seul nom, une seule vie pouvait concentrer tout le savoir, la théorie, l’idéologie, la stratégie… Qu’un trait de génie avait révélé le chemin à des sur-êtres. Or, c’est oublier le travail d’élaboration commun. Même lorsqu’ils ont fait le procès de leurs contradicteurs, ceux qui ont fait naître les idéologies révolutionnaires les ont écouté, ont noté leurs arguments, et ont vérifié leurs dogmes. Il existe la tendance de vouloir écarter cet indispensable travail commun. De limiter la voie à une unique voix. De réduire aussi les contradicteurs, les compagnons – y compris ceux et celles qui ont dévié ou trahi – à des non-êtres, des fantômes, chargés de condenser tous les travers et les défauts. Ces totems éducatifs, délimiteurs, ont été chargés de baliser le chemin vers la voie juste et universelle. Une voie qui donnerait réponse à tout, de la théorie jusqu’aux slogans, intemporelle et, donc… anti-dialectique.

Nous croyons à la décantation et à l’élaboration commune. Nous pensons que le sens profond du marxisme, le matérialisme-dialectique et le matérialisme historique, son fondement théorique, est un outil d’une puissance immense, lorsque bien utilisé. Lorsqu’il est utilisé pour permettre de faire le tri des expériences, de les synthétiser, de les faire décanter, d’en tirer les aspects justes et positifs. Lorsqu’il sert à déterminer le contenu politique et la synthèse de l’heure actuelle, et qu’il permet de concevoir des formes d’organisation et des stratégiques adaptées. Qui ne soient pas des mots creux ou vide de sens. Crier « révolution » ne dessine pas le chemin de la révolution et ne dessine pas non plus le chemin de l’adhésion pour ceux et celles à qui ce message se destine.

Nous avons du mal à nous dessiner l’avenir. Il existe une espèce de honte à parler d’utopie. Elles ont été tellement maltraitées. Elles nous placent également devant notre propre impuissance à transformer la réalité. Notre conscience aiguë de notre faiblesse nous place en situation de défense. Défense de la nature, anticapitalisme, antifascisme, antiracisme… Ce sont des luttes qui sont irremplaçables. C’est un fait incontestable et que nous n’essaierons pas de contester. Elles ont leur rôle à jouer et doivent pouvoir le faire. Chaque lutte progressiste, chaque victoire dans un secteur ou sur un front, renforce les autres. Et ce, tant dans une perspective nationale que internationale. Chaque défaite, chaque recul, a contrario, provoque l’inverse.

Mais cette riposte nous doit par nous priver de l’esprit d’initiative. Elle ne doit pas nous priver de dessiner aussi une société future et de faire adhérer à celle-ci. Nous pouvons et devons tracer des perspectives, un programme, un chemin vers un futur meilleur. Renoncer à l’utopie, au but, à la finalité, c’est renoncer, dans le fond, à vouloir chercher les moyens de l’atteindre.

Dépasser le stade actuel.

Nous avons pourtant un projet de société à dessiner. Une société de démocratie populaire. Une société dans laquelle l’économie change profondément de nature. Dans laquelle les rapports marchands finissent par disparaître, et où elle finit par être intégrée à l’écologie, dans une optique de gestion des ressources terrestres. Cette administration des ressources est mise au service des besoins sans cesse croissants, culturels et matériels, de la population. Des besoins immenses, mais qui, pourtant, ne représentent qu’une fraction du gâchis épouvantable de ressources qu’est le capitalisme.

Ce bouleversement de la manière de concevoir nos activités créatrices et génératrices de richesses -matérielles ou immatérielles – ne peut être réalisée sans transformation. Cette transformation ne peut être dirigée par ceux et celles qui vivent du travail des autres, qui le parasitent, qui s’en enrichissent. Il ne peut être que la produit du combat de ceux qui extraient et réalisent ces richesses. Et ceux et celles qui travaillent dans l’industrie, tant parce qu’exploités et exploitées que par leur position au point le plus vital de tout le fonctionnement du système, ont un rôle spécial à jouer. Ils peuvent bloquer le pays, ils savent travailler de façon coordonnée et à un haut niveau technique, ils ont donc un rôle à jouer à la fois pour le renversement du monde ancien et l’édification du nouveau.

Nous voulons vivre et travailler différemment. Moins, mieux, toutes et tous. Travailler avec un sens. En ayant le sentiment que notre travail possède une valeur, qu’il apporte quelque chose. Sans oppression managériale, sans la précarisation, sans l’angoisse économique, sans les tâches aliénantes. Limiter le travail à sa forme utile et nécessaire, en laissant l’espace pour l’émancipation et l’épanouissement de chacun, de ses processus créatifs. Il suffit de voir la quantité incroyable de travail gratuit réalisé bénévolement, avec la seule récompense de participer à une construction commune, pour voir que les tenant de la « nature humaine égoïste » mentent.

Au delà de ces lieux communs, c’est une société qui éradique les maladies du passé, que ce soit les maladies physiques comme l’aliénation du travail, l’aliénation de la violence sociale. Une société qui offre un avenir pour les individus, une possibilité d’épanouissement, tout comme pour l’humanité dans son ensemble. Une société qui renouvelle le contrat social qui nous unis toutes et tous dans une seule et même humanité. Une société qui soit également en mesure de construire un « contrat naturel » avec l’environnement, permettant non seulement de prendre en compte les capacités de régénération et les ressources finies de la planète, que de poser la question même du rapport de l’humanité à la nature.

L’humanité, libérée des entraves du profit, est capable d’affronter toutes les questions. Toutes les questions, toutes les anxiétés sur l’avenir, sur la vie, sur la science, sont tout autant de questions que nous nous posons car nous touchons du doigt les réponses. Elle n’a d’autre limite que celles qu’elles s’impose à elle-même. Or, la possibilité d’avancer, de faire progresser celle-ci n’a pas été que le fait de coups de génie et d’avancées individuelles. Elle a été permise par des bonds en avant dans les forces productives, dans les forces sociales, dans les progrès intellectuels généraux. Quelque soient leurs fortunes personnelles, les grands bourgeois eux-mêmes sont prisonniers de leur individualité.

L’émancipation de tous et toutes, c’est l’émancipation de chacun et de chacune !

Nos désirs personnels, nos rêves, nos envies, ces choses que les capitalistes nous promettent de pouvoir réaliser, ne pourront l’être que dans l’émancipation collective. C’est cette émancipation de tous qui est la seule garantie de l’émancipation de chacun. Une émancipation qui supprimera le joug et le poids du déterminisme social. Qui n’aura d’autre limite que le contrat social et le contrat avec la nature. Une liberté réelle et concrète, dès que la nécessité est accomplie.

En dépit de la période sombre qui s’annonce, nous touchons du doigt l’âge adulte de l’humanité. Elle est figée dans le passé, traînée en arrière, diminuée, ensauvagée, par le carcan du capitalisme, de l’impérialisme, du colonialisme, du fascisme. Elle est clouée dans le passé par une prétendue « nature humaine » qui n’est autre que l’influence de l’idéologie de la classe dominante : avide, cruelle et cupide.

Nous ne voulons pas la guerre, la mort, le conflit. Nous voulons pouvoir construire le monde de paix, d’équité, de prospérité. Nous avons besoin des moyens de le réaliser. Nous voulons un projet. Un projet qui puisse permettre de voir, dans les travers du monde d’aujourd’hui, les bourgeons de celui de demain. Nous pouvons et nous devons porter un projet. Un projet qui ne nie pas la difficulté, les épreuves, les moments brutaux à vivre. Mais un projet émancipateur, libérateur, qui fasse passer la très large majorité de l’humanité du stade de sujet à acteur de son destin. Et, demain, à maître de celui-ci. N’oublions pas l’importance de l’utopie en construction dans le projet socialiste. N’oublions pas que voir le monde en devenir, le voir changer, « marcher dans les pas de l’histoire » a toujours été fondamental dans l’adhésion au projet révolutionnaire.

Ce projet ne pourra se réaliser sans étapes. La première étant de pouvoir sortir du carcan de l’impérialisme et du capitalisme. Réaliser cette étape demande des forces importantes et une résolution de fer. Elle demande un engagement sincère, endurant, combatif. Elle demande des progrès individuels immenses. Elle transforme ceux et celles qui l’arpentent. Elle se heurte aux injonctions morales formulées par ceux et celles qui veulent que le monde reste tel qu’il est. Qui exigent la soumission à leur ordre, leurs règles.

Nous appelons toutes les personnes qui se reconnaissent dans ce projet que nous défendons à travailler en commun avec nous. A rejeter le sectarisme, la défiance, le défaitisme. Ayons confiance en nous-même. Travaillons ensemble, en ayant conscience de la nécessité impérieuse d’avancer.

Tribune de E. Vertuis, avec la contribution de Kaosix.

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