Le pass-sanitaire adopté : quelles mesures ?

Le 5 aout 2021, le Conseil Constitutionnel, saisi en urgence par le gouvernement et trois groupes parlementaires, a rendu son avis sur la loi dite du « pass sanitaire ». Plusieurs mesures ont été entérinées et d’autres ont fait l’objet d’une censure.

Ce qui est adopté :

Ainsi, la vaccination obligatoire des soignants et des soignantes a été entérinée au nom de « l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ». Elle prendra effet le 15 septembre. Elle s’étend aussi aux pompiers, aux personnels des EHPAD, à certains militaires et aux bénévoles auprès des personnes âgées. Passé cette date, ceux et celles qui refusent la vaccination seront interdits d’exercer.

L’accès à l’hôpital et aux maisons de retraites pour des « visiteurs ou les patients non urgents » sera également soumise au pass. La définition de l’urgence est laissée à « l’appréciation des soignants ».

Le pass s’appliquera dans les cafés et restaurants, y compris en terrasse. Selon le conseil constitutionnel, la consommation dans les restaurants et les bars n’étant pas vitale, elle est considérée comme une « conciliation équilibrée ».

Dans certains centres commerciaux et grands magasins, le pass pourra être exigé selon les circonstances. La loi indique qu’elle doit garantir « l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi qu’aux moyens de transport accessibles dans l’enceinte de ces magasins et centres ». La nature des circonstances est laissée à l’appréciation des autorités préfectorales.

Ce qui est rejeté :

L’isolement obligatoire de 10 jours pour les malades a été rejeté. Il est considéré comme n’étant ni « nécessaire, adapté et proportionné » aux risques. Le C.C. a également déclaré que son caractère systématique était une privation de liberté, « sans décision individuelle fondée sur une appréciation de l’autorité administrative ou judiciaire ».

Le C.C. a également censuré les dispositions prévoyant qu’un CDD ou qu’un contrat d’intérim puissent être rompu avant son échéance normale par l’employeur. En revanche, il a validé la mise à pied sans solde pour les CDI. France TV Info déclare que : « Un salarié sans justificatif sera suspendu, sans salaire. Si la situation perdure plus de trois jours, la personne sera convoquée pour un entretien afin d’examiner “les moyens de régulariser sa situation, notamment les possibilités d’affectation” sur un poste non soumis à l’obligation du pass. »

Quant au C.C., il indique : « En prévoyant que le défaut de présentation d’un ‘pass sanitaire’ constitue une cause de rupture anticipée des seuls contrats à durée déterminée ou de mission, le législateur a institué une différence de traitement entre les salariés selon la nature de leurs contrats de travail qui est sans lien avec l’objectif poursuivi. »

L’utilisation d’un pass sanitaire frauduleux sera puni d’une amende de 135€ et ne sera pas considéré comme un délit.

Cette loi s’applique dans les dispositions actuelle jusqu’au 15 novembre, et non jusqu’au 31 décembre, comme prévu initialement.

Autre nouveauté : les plus de 16 ans n’auront plus besoin d’autorisation parentale pour ce faire vacciné, tandis que seul l’opinion d’un parent sera nécessaire pour un mineur de moins de 16 ans.

Une brève analyse :

A la lecture des dispositions finales de cette loi, il est possible d’établir plusieurs choses. La première est que le caractère « totalitaire » de cette loi n’apparaît pas particulièrement. En revanche, elle impose une série de contraintes et de menaces de sanction envers les soignants et soignantes, mais aussi envers les salariés en général. Elle est une forme d’obligation vaccinale qui ne dit pas son nom -une vraie serait juridiquement très compliqué à mettre en œuvre. Dans un sens elle ne se démarque pas des autres obligations vaccinales :

Il ne faut pas oublier que « Un salarié refusant de manière injustifiée une vaccination obligatoire peut se voir licencier par l’employeur », expliquait également en 2016 un rapport de l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité), sur la vaccination au travail. « Celui-ci est en effet tenu à une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés et doit, à ce titre, mettre en œuvre les mesures appropriées pour les protéger au travail ». Il n’y a donc pas une grande nouveauté dans le domaine, si ce n’est que le mode de sanction précède l’obligation.

Un très grand nombre de mesures sont à combattre dans cette loi. Le renforcement du pouvoir du patronat sur les travailleurs et les travailleuses, ainsi que la possibilité de s’immiscer dans la santé de ceux-ci ou de celles-ci est inquiétant au possible. Il ouvre une brèche très dérangeante idéologiquement sur le contrôle de la qualité du matériel humain, pour s’exprimer dans le langage du patronat. Cette brèche peut devenir très inquiétante, en particulier pour les femmes, dont le corps est constamment scruté, que se soit pour sa fertilité, ses menstruations, ou d’autres aspects.

Il introduit également des boucles de raisonnement déroutantes. Finalement, le pass acte aussi que, pour la très large majorité de la population, la vaccination reste formellement un choix. Mais cette liberté se traduit par un corollaire, qui est la liberté de priver d’accès à certains services. Ces « libertés », au demeurant assez limitées dans leur action, s’annulent donc mutuellement. Mais elles révèlent un problème de fond : c’est le fait que la campagne vaccinale ne parvient pas à séduire, mais que le gouvernement lui-même ne parvient pas à la mener à bien, quand bien même tout le monde voudrait se faire vacciner.

La situation déroutante de la vaccination en France.

Il ne faut pas oublier que le déploiement de la vaccination a été selon une géométrie bien inégale. Elle a été le reflet des clivages sociaux-économiques et culturels.

Ainsi, lorsqu’on croise les milieux sociaux et le taux de vaccination, on obtient une courbe très régulière. Elle montre que les plus riches sont les plus vaccinés, tandis que les plus pauvres le sont le moins. Il existe un large panel d’explications à ce fait, mais le moindre accès aux informations, la moindre disponibilité jouent un rôle central. Il ne faut pas oublier qui est essentiel. Cette situation, d’ailleurs, entraîne une autre conséquence : les personnes les plus en contact, le plus longtemps, ont été les moins vaccinées. D’où une surmortalité populaire écrasante, notamment dans le 93.

Deuxième facteur, c’est l’inégalité centres-périphéries. Les régions les mieux desservies, celles autour des citadelles de l’impérialisme français, avec Paris et Lyon en tête, ont été parmi les mieux couvertes, à l’exception du 93, à nouveau. Plus on s’éloigne de Paris, plus le taux diminue, en particulier dans les régions de langue d’Oc. Quant on arrive aux régions ultra-marines, c’est une couverture minuscule, minable, qui explique le très haut taux de contamination actuel.

Cette inégalité vaccinale illustre terriblement celles qui existent en France. Le pass sanitaire, par son caractère de sanction, ne contribue pas à les résorber mais bien à les rendre davantage punitives. Pour autant, il ne faut pas non plus le surestimer.

La stratégie gouvernementale est à deux niveaux : elle vise des objectifs tactiques (liquider l’épidémie, maintenir une stabilité sociale et politique…etc.) et des objectifs stratégiques. Ces objectifs stratégiques sont simples : liquider les restes du compromis de 1945 (le programme du CNR), accroître et amplifier les profits des marchés.

Dans chacune de ses actions, le gouvernement essaie d’avancer sur les deux. Le pass sanitaire est donc une occasion d’employer la lutte pandémique pour avancer sur le second tableau. Mais chaque événement est une opportunité de le faire. Il n’existe pas un caractère exceptionnel à cette loi qui la place dans une catégorie différente d’autres.

Cependant, en tant que conflit à l’intersection des libertés publiques, de l’obligation vaccinale et du droit du travail, elle pose des questions nouvelles. Une, surtout, est la présence de l’extrême-droite dans cette manifestation, tandis qu’il est difficile aux forces extra-parlementaires de gauche de proposer une démarcation claire.

C’est là aussi où se retrouvent les grandes difficultés de l’intervention de celles-ci et de la possibilité de marginaliser l’extrême-droite.

Le parallèle trompeur avec les Gilets Jaunes :

L’argument d’une identité entre ces deux mouvements est parfois mis en avant. Il mérite un court examen. La colère des GJ était en premier lieu une colère contre la vie chère, qui, faut de réponse de la part de l’État, s’est muée en colère politique contre le régime. Il y avait une demande de démocratisation de celui-ci, voir d’un nouveau type de régime politique.

Aujourd’hui, les revendications portent principalement sur l’abandon du pass sanitaire, et cette revendication éclipse toujours davantage la grande bataille sociale autour des réformes du chômage, de l’assurance maladie, des retraites et du statut des fonctionnaires. L’horizon de cette lutte, en revanche, est nébuleux.

Une victoire contre le pass signifierait pour l’État une remise en cause de sa stratégie d’élimination de la pandémie. Elle est critiquable dans sa forme, c’est une vérité, mais elle correspond néanmoins à une réponse. La fin du pass sanitaire créerait donc un vide stratégique, et demanderait une réponse. Elle reste extrêmement floue. Derrière le pass, il reste l’impératif global de la vaccination et du maintien des mesures de précaution.

Chez l’extrême-droite, la stratégie est inexistante. Les gens comme Florian Philippot sont dans la droite ligne de Bolsonaro et de Trump. Le vivre et laisser mourir est leur dogme. Cette approche ultra-libérale est celle qui, dans le fond, est hégémonique à l’heure actuelle. Le très libéral journal « le Figaro » a été l’hôte d’une tribune rédigée par un groupe de juristes opposés à la vaccination massive au nom de la liberté individuelle, érigée en terre sacrée, horizon indépassable de notre époque.

Elle est celle dont peinent à se détacher un grand nombre d’organisation militantes.

Dans la gauche du mouvement, un grand nombre d’organisation se sont exprimées sur la question. Mais les réponses sont souvent un peu creuses. Ainsi, la politique de santé est conditionnée à toute une série de préalables irréalistes dans la configuration actuelle. Levée des brevets, sortie de l’UE et nationalisation des secteurs industriels…etc. Autant dire que cette non réponse n’est pas acceptable. La hausse des places en hôpital et des plans de financement sont aussi des filets de survie, non des sorties de crise.

Pourtant cette pandémie nous tue, physiquement, moralement, mais aussi en tant que forces politiques capable de répondre aux attaques et aux défis de l’avenir. On ne peut se satisfaire d’un agnostique « Pour une vaccination libre et éclairée », qui met sur le même plan l’hostilité à la vaccination et le besoin de celle-ci.

La réalité étant que, sous les injonctions morales à être une « gauche gentille, démocratique et tolérante », une partie de son héritage s’est volatilisé. Celui de ses luttes, de ses combats, de sa capacité à voir, au-delà des sacrifices et des souffrances actuelles, quels étaient les jalons de l’histoire. Dans la lutte contre cette pandémie, nous nous rattachons à l’impératif catégorique de Kant : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. » Cet impératif catégorique est celui de la vie en société, celui du contrat social entre les individus, celui de l’abandon d’une partie de sa liberté au nom de la nécessité.

La « liberté » de ne prendre aucun risque n’est pas acceptable comme solution contre la mort qui rôde. Ce contrat social est perçu, et c’est là aussi l’aboutissement d’un combat idéologique mené par les libéraux comme François Furet, qui ont assimilé Rousseau au totalitarisme, comme une dictature. Et, sous la pression beaucoup ont peur de parler d’autre chose que d’individu et de liberté.

C’est là une croisée des chemins : Celle de la liberté et de la nécessité. La question n’est pas « vacciné ou non ». Elle est « comment lutter, comment gagner ». Les aspirations profondes du mouvement de colère, plus d’égalité, plus de respect, une garantie de l’accès à des loisirs et des lieux, ne peuvent être réalisées que dans la destruction de régime dictatorial, préalable à des changements. Mais cette liberté passe par le chemin de la nécessité. Et cette nécessité passe par détruire ce qui nous détruit : cette pandémie.

L’année qui s’ouvre est sous le signe de la lutte et du conflit aigu. Mais pour que tout ne soit pas résumé à un « votez pour nous », il faut qu’une force « en dehors du parlement » existe. Sans passer par cet impératif catégorique, nous serons battus, et nous le paierons bien plus cher que des effets éventuels d’un vaccin.

Vaccinons nous pour lutter.

Aidons les autres à se vacciner.

Protégeons nous et protégeons ceux de notre classe.

Triomphons de la pandémie puis du capitalisme !

Sources :

https://reporterre.net/Les-inegalites-sociales-plomblent-la-vaccination-anti-Covid

https://professionnels.vaccination-info-service.fr/Aspects-juridiques/Infractions-et-sanctions/Non-respect-des-obligations-vaccinales

https://reporterre.net/Les-inegalites-sociales-plomblent-la-vaccination-anti-Covid

https://theconversation.com/covid-19-les-classes-populaires-paient-elles-le-plus-lourd-tribut-au-coronavirus-en-france-138190

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