Être ou ne pas être Mila ?

L’affaire Mila secoue, ces derniers temps, la France. Mila, lycéenne de 16 ans, scolarisée à Villefontaine, avait tweeté une vidéo, à la suite d’une altercation avec un autre lycéen, notamment à propos de l’homophobie. Dans cette vidéo, elle s’exprimait notamment en disant : « Le Coran il n’y a que de la haine là-dedans, l’islam c’est de la merde. » Ainsi que « votre Dieu je lui mets un doigt dans le trou du cul. »

À la suite de ces propos, des milliers de messages lui ont été adressés, allant de simples critiques jusqu’à certaines menaces de viol ou de mort. La vidéo est devenue virale, tandis que la situation de la jeune lycéenne est devenue catastrophique. Dix jours après les faits, elle ne peut toujours pas revenir dans son lycée, de peur de représailles.

Cette situation a été immédiatement médiatisée, avec des #jesuismila faisant face à des #jenesuispasmila. De part et d’autres, des organisations politiques se sont lancées dans la bataille, avec parfois plus ou moins de sincérité dans leur positionnement, et avec plus ou moins de discernement dans leur analyse.

Nous-mêmes, nous pensons que ce cas est emblématique des contradictions dans la société actuelle et de leurs imbrications complexes, voire parfois explosives. Si le déferlement de haine et le harcèlement que subit cette jeune femme est à condamner, il doit cependant être compris dans son contexte particulier. Le comprendre ne signifie pas que nous considérions qu’il soit justifiable, ni que nous ne le justifions. Depuis que Manuel Valls avait déclaré que « expliquer c’est justifier », nous précisons systématiquement cela.

Derrière ce déferlement, il y a donc deux trajectoires : l’une, celle de Mila, l’autre, celle de la population qui s’est sentie agressée par sa déclaration. Derrière ces trajectoires, il y a des contextes : des catalyseurs qui ont rendu les réactions explosives.

Mila s’est lancée dans une lutte juste sur le fond : dénoncer des discriminations, mais fausse sur la forme : s’en prendre à des individus eux-mêmes échaudés par une campagne extrêmement brutale. Comme bien souvent ces campagnes, sincères mais qui tombent mal, finissent par produire des retours de flammes explosifs. Si nous restons sur la base du principe, la logique veut qu’on soutienne le droit à la critique tel qu’il a été exercé par Mila. Effectivement, la religion est le plus souvent un vecteur de conceptions réactionnaires, anti-féministes et homophobes. Elle est plus que rarement du côté du progrès social.

Mais si on se contente de questions de principe et qu’on replace pas les dires dans un contexte, on perd toute appréciation juste des choses.

Or, le contexte, quel est-il ?

Il existe des discriminations anti-LGBTI. Elles sont massives.

Il existe également une campagne de fond menée pas un grand nombre d’acteurs dans le but d’attiser la haine anti-musulmans. Elle sert de paravent légal, par la critique de l’Islam, à une campagne fondamentalement raciste, anti-arabe.

Les discriminations anti-LGBTI ne sont pas, dans leur très large majorité, de la responsabilité des musulmans et musulmanes, et lorsqu’elles le sont, ce n’est pas sur une base religieuse, mais sur une base plutôt patriarcale. En somme, il s’agit d’une hostilité qui pourrait tout aussi bien être « laïque ».

Il est un effet boule de neige typique des réseaux sociaux et particulièrement de Twitter. De ce point de vue, en revanche, rien de nouveau : il s’agit d’une méthode régulièrement employée. Elle a frappé de nombreuses personnes, notamment des militantes féministes, sans que quiconque s’en émeuve. Cependant, dans ce cadre précis, l’Islam est dans l’équation. C’est cette raison, et cette raison uniquement, qui fait que l’affaire Mila est devenue une affaire publique.

Avant que la question ne soit posée, nous défendons bien sûr le droit à la critique des religions, la question ne se pose pas. Nous défendons également le droit de caricature. Seulement, toutes ne sont pas égales en termes de contenu. Une critique ou une caricature n’est pas neutre. Elle porte un message. Beaucoup, au nom de ce droit, font du racisme soft. De plus tous les publics ne sont pas égaux face à la caricature, à la critique, ou à l’injure. Car ce ne sont pas des concepts qui sont visés. Ce n’est pas le dogme ou le blasphème du dogme qui est le cœur de l’affaire : ce sont des individus.

Sous le capitalisme, tous ne sont pas égaux. Dire que « taper sur tout le monde » est une mesure égalitaire revient à ne pas comprendre le fait que les situations des uns et des autres ne sont pas similaires. Nous ne sommes pas égaux.

Lorsque la religion catholique s’estime attaquée, lorsque la bourgeoisie considère qu’elle est ciblée par des attaques, ces groupes sociaux possèdent suffisamment de relais pour se défendre et riposter. Médias, audience, réseaux… De plus, la plus injurieuse une de journal, la plus scandaleuse pièce de théâtre dirigée contre les grandes fortunes ou envers une religion toujours dominante ne fait qu’écorner les puissants et les puissantes. Elle n’a pas d’impact sur leur vie de tous les jours. Au contraire, les campagnes anti-arabes et anti-musulmanes contribuent chaque jour davantage à compliquer la vie de ceux qui sont ciblés par celles-ci. Elles entretiennent des discriminations puissantes, agressives, anxiogènes. Elles contribuent à accroître l’isolement, la méfiance, facilitent les inégalités à l’embauche, au salaire, face à la répression policière, face à la justice.

Il existe un distinguo à faire entre le sens d’une phrase pour celui qui la prononce et pour celui qui l’entend. Dans le cadre de cette vidéo, il est probable que Mila, d’une manière maladroite, ait ciblé des aspects réactionnaires du comportement de ses camarades d’établissement scolaire, qu’elle a attribué à l’Islam et à sa pratique. Ceux qui l’ont entendue l’ont très vraisemblablement prise pour une tirade raciste. Comment les en blâmer quand, depuis des décennies, c’est ainsi qu’on les définit, en particulier pour s’en prendre à eux sans risque de transgresser la loi.

Ceux qui ont répondu à Mila l’ont donc fait sur la base d’un sentiment identitaire blessé qui transcende la question de l’adhésion à la foi musulmane. Il est d’ailleurs peu crédible que ce soient de fervents pratiquants et de ferventes pratiquantes qui l’aient harcelée.

Cela amène à un effet de la campagne raciste camouflée. En ciblant la pratique musulmane pour continuer les attaques racistes de manière légale, les réactionnaires ont créé une équivalence entre l’origine et la pratique religieuse. En gros, une équation de langage codée, qu’on pourrait résumer par « les musulmans sont les noirs et les Arabes d’hier » a été mise en œuvre.

Et cette équation est désormais intériorisée par une partie de la population issue de l’immigration. Attaquer l’Islam est devenu une manière de faire du « racisme légal ». Donc défendre l’Islam devient un réflexe. Les arguments et les termes employés contre Mila n’étaient d’ailleurs pas du champ lexical de la foi. Ils étaient d’un champ lexical typiquement représentatif de l’homophobie classique et du patriarcat réactionnaire bien commun.

Cette attitude arrange d’ailleurs parfaitement les fascistes, dans le sens où elle facilite le processus d’exclusion et de stigmatisation. Elle arrange aussi parfaitement les réactionnaires et les obscurantistes islamiste, dans le sens où elle permet de s’appuyer sur cette discrimination croissante comme illustration du caractère incompatible entre l’occident et la foi. Les deux se renforcent mutuellement.

Dans les affaires comme celle-ci, bien souvent, les organisations politiques sont assez médiocres dans leurs prises de position. Réussir à se positionner d’une manière qui ne soit pas caricaturale ou dogmatique est délicat, car la réalité est toujours plus complexe que les schémas de domination bidimensionnels. En étant paralysée par ses contradictions, elle a laissé le terrain à l’extrême droite. Elle, n’a aucun remords à se positionner de manière complètement contradictoire d’un jour sur l’autre. Elle ne cherche qu’à faire monter les tensions et à attiser les braises. Qu’importe que ceux qui défendent Mila soit les premiers à vouloir « casser du pédé », les autres jours de la semaine.

Qui, finalement, s’est emparé de cette affaire ? Les premiers bourreaux des LGBTI et des féministes : les réactionnaires les plus influents dans la société ainsi que les fascistes. À aucun moment ces hypocrites ne se soucient de la lutte, ce qui les intéresse c’est de l’instrumentaliser pour attiser la guerre des races dont ils rêvent.

Les perdants dans l’affaire sont autant les LGBTI que ceux qui veulent pratiquer leur religion dans la tranquillité et qui veulent, en tout premier lieu, qu’on les laisse en paix.

Nous-mêmes pensons qu’il y a matière à lutter contre les effets réactionnaires de la religion. Mais nous ne considérons pas que c’est à l’État bourgeois de prendre en charge cette question, ni à des individus hors sol, donneurs de leçon, qui envoient des SCUDs contre ceux qui ont des pensées et des pratiques réactionnaires.

Nous avons foi dans la capacité des masses à se libérer elles-mêmes de leurs entraves. Nous pensons qu’il faut appuyer les parties les plus progressistes des groupes sociaux-culturels dans lesquels nous ne sommes pas présents. Qu’il faut aider à combattre les discriminations du quotidien, le patriarcat et l’obscurantisme sur la base du débat franc et ouvert et de la conviction.

Nous ne pensons pas que la répression, contre le voile, contre les musulmans, que la stigmatisation et la campagne pogromiste aient le moindre impact positif. Ce sont au contraire des aspects qui rendent la vie toujours plus dure pour ceux -et surtout celles ! – qui sont prisonniers et prisonnières de l’aliénation réactionnaire.

Nous avons foi dans les mouvements féministes ou LGBTI des quartiers populaires – et ils existent ! – pour permettre que cette question puisse se régler.

Pour résumer :

  1. Un climat pogromiste anti-musulmans et anti-arabe explique la réaction extrêmement brutale de la part de ceux qui se sont sentis attaqués par la vidéo de Mila.
  2. Sans ce climat, dans un cadre apaisé, cette vidéo n’aurait suscité aucune réaction particulière.
  3. Ceux qui se sont rués au secours de la lycéenne ne sont pas forcément ses alliés : un grand nombre d’entre eux sont des homophobes enragés et des réactionnaires virulents.
  4. Parmi les réactionnaires, ceux qui font peser la plus grande menace sur les LGBTI ne sont pas ceux qui sont dans les quartiers, mais ce sont bien ceux qui ont le pouvoir ou qui sont les plus influents : les congrégations catholiques réactionnaires, les fascistes et autres ennemis de la tolérance. Ex : les villages LGBTfree en Pologne.
  5. La lutte antiraciste et la lutte LGBTI ne sont pas contradictoires : au contraire, elles se renforcent mutuellement. Plus les discriminations sont combattues, plus l’unité des classes populaires est rendue solide, et donc capable de remporter des victoires.

Nous “sommes Mila” dans la mesure où nous défendons la liberté de pouvoir critiquer les religions et de pouvoir s’exprimer, dans le sens où le harcèlement est a condamner, dans le sens où les propos tenus contre elle relèvent de la réaction la plus virulent.

Mais nous “ne sommes pas Mila” dans le sens où les discriminations que subissent les LGBTI ne trouvent pas leur source première dans le contenu du Coran. Ni dans le sens où une grande partie des animateurs de son soutien sont des réactionnaires patentés.

Par ailleurs, les seules no-go zones pour les LGBTI, en Europe, ne sont pas dans les quartiers populaires. Elles sont dans la très catholique Pologne. Mais là, comme l’Islam n’est pas dans l’équation, il n’y a rien à dire !

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