Rentrée Blanquer : entre faux départs et dérapages.

L’Unité Communiste considère que cette rentrée s’est placée sous le signe de l’amertume et de la déception. Cette amertume possède un grand nombre de raisons.

Le protocole sanitaire : une farce de mauvais goût.

Le nouveau protocole sanitaire décidé par le ministère de l’Éducation Nationale s’est avéré une pure et simple copie des propositions faites pour préparer le déconfinement. Or, si ces propositions n’ont pas pu être mises en pratique en juin, ce n’est pas par manque de volonté de la part des équipes pédagogiques, mais bien parce qu’elles se sont heurtées à des problèmes insolubles. Le nouveau protocole, qui se contente de répéter ces mêmes injonctions intenables, adjoint cependant une vraie nouveauté : le « dans la mesure du possible ».

Illustration de l’inconséquence ministérielle, cette sortie, épinglée par “Le café pédagogique” :

“S’exprimant sur France Inter le 2 novembre, JM Blanquer a été interrogé sur le nouveau protocole sanitaire. “Chacun doit comprendre qu’en période de crise sanitaire on doit s’adapter au dernier moment”, a dit le ministre. Il défend le maintien des élèves dans les établissements. “Ce qui compte c’est que les enfants ne perdent pas le fil de l’école”. La fermeture des lycées “n’est pas à l’ordre du jour.. On veut que les lycéens aient cours. Il y a la possibilité de faire des demi groupes. Mais je ne l’encourage pas”.”

Cela renvoie la responsabilité de la mise en œuvre du protocole à l’échelon local, qui doit faire avec, composer avec des moyens défaillant, avec des classes surchargées ou avec des lieux inadaptés. Il en résulte des transcriptions locales tragicomiques, qui placent les surveillants et surveillantes en position de police, chargés de traquer les élèves n’ayant pas leur masque. Les menaces de sanction, allant jusqu’à l’exclusion pour 3 jours, sont supposées dissuasives. Elles sont en réalité inutilisables. De plus, les gains réalisés à l’intérieur des bâtiments et des salles de classe sont perdus sur le parvis des établissements.

Finalement, face à la situation, il n’est pas crédible que le pseudo-confinement puisse donner des résultats. La politique du « moindre mal », en dernière instance, contribue à faire enfler encore démesurément l’addition finale, tant en termes de mort qu’en impact économique.

Samuel Paty : en pertes et profits.

L’hommage a Samuel Paty a été passé en perte et profit. Après deux semaines de promesses, de déclarations pompeuses, finalement, peu de résultats concrets. Les enseignants et enseignantes, passés subitement de laquais de l’islamo-gauchisme à héros de la nation, semblent bien en passe de retrouver ce statut.

L’idée de créer un événement solennel, central, incluant l’ensemble de la communauté pédagogique, a été passée en pertes et profits. Le temps de préparation, préalable logique à tout adresse aux élèves, a été également supprimé. Les aménagements permettant cette mise en place concertée ont été laissés à la libre initiative de direction d’établissement parfois paniquées par la situation. Cela a fait que, une nouvelle fois, les enseignants et les enseignantes ont du se débrouiller avec leur équipe ou seuls.

Le révisionnisme Blanquer

De plus, la demande d’employer une lettre de Jean Jaurès, dite ‘aux instituteurs et aux institutrices’, a été l’occasion d’un nouveau cafouillage honteux. Les versions mise à disposition des enseignants avaient été falsifiées et tronquées. Elles remplaçaient ainsi le terme « fierté » par « fermeté », mais, surtout, escamotaient tout un passage qui critiquait avec insistance la multiplication des examens. Un comble, au moment où la loi Blanquer transforme le lycée en bachotage constant. Ce révisionnisme outrancier a contribué encore davantage à faire de cet hommage une humiliation. Le syndical SUD-Education en a fait une critique en bonne et due forme.

Nous passons d’ailleurs sur l’instrumentalisation des figures historiques, laquelle ne peut qu’évoquer les pratiques imbéciles de Sarkozy avec Guy Môquet, ou avec son « parrainage d’un enfant déporté ». Il existe aussi une savoureuse ironie liée à Jaurès, pacifiste et assassiné pour cela. Si nous partons du principe qu’il aurait maintenu ces mêmes positons après le déclenchement de la guerre, il aurait été fustigé et emprisonné pour son opposition à celle-ci. L’exemple de Karl Liebknecht le montre.

Blanquer s’est montré à l’offensive idéologiquement. Il s’en prend à tout ce qui lui déplaît. Et un grand nombre de choses lui déplaisent, notamment les universités, notamment l’écriture inclusive, notamment l’intersectionnalité. Il a ainsi déclaré, le 3 novembre :  «Il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des thèses intersectionnelles, qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes de notre modèle républicain qui, lui, postule l’égalité entre les êtres humains, indépendamment de leurs caractéristiques d’origine, de sexe, de religion. C’est le terreau d’une fragmentation de notre société et d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. Cette réalité a gangrené notamment une partie non négligeable des sciences sociales françaises.»

Le problème c’est que cette conception combat justement l’essentialisation des communautés, au contraire du discours “civilisationnel” promu par le Premier ministre, Jean Castex.

Castex et l’offensive idéologique.

Par ailleurs, comment ne pas songer aux propos de Jean Castex, tenus le dimanche premier novembre. Dans cette interview, il affirmait, reprenant ainsi à nouveau des thèses de l’extrême-droite, appelant à une France “unie et fière de nos racines, de notre identité, de notre République, de notre liberté“. Cela s’accompagnant d’un corollaire : “Je veux ici dénoncer toutes les compromissions qu’il y a eues pendant trop d’années, les justifications à cet islamisme radical : nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, je ne sais quoi encore“.

Il nous faut souligner le mauvais timing : le 1er novembre étant considéré comme la date anniversaire du début de la guerre d’Algérie, marquée par la « Toussaint rouge » de 1954. Il nous faut également souligner que Macron lui-même parlait de la colonisation comme d’un crime contre l’humanité. Il serait donc de bon aloi que la majorité présidentielle se positionne : la négation de crime contre l’humanité est-elle applicable ici ?

Au-delà de brocarder Jean Castex, il est important de voir que cette prise de position s’insère dans la lignée d’une droitisation du discours historique. Elle rejoint la répudiation progressive du discours de Chirac en 1995 sur la responsabilité de l’État français dans la Shoah, initiée par Gérald Darmanin.

Cette vision mythifiée de l’histoire, dans laquelle on considère que la réécriture est acceptable, au nom de construire cette France “unie et fière de nos racines, de notre identité, de notre République, de notre liberté” est à nos yeux impossible. D’une part, elle prend en otage le débat, en rejetant toute discussion sur le contenu et la signification de ces termes.

Nous considérons que cette exigence de l’adhésion possède un certain parfum totalitaire. Avant que le terme soit dévoyé par les politologues américains Friedrich et Brzezinski, pour en fait une arme de la guerre froide, il possédait une définition qui s’appliquait également aux régimes se targuant d’être démocratiques. Hannah Arendt considérait que le Maccarthysme et l’Union Sacrée en possédaient les caractéristiques. En l’occurrence, Jean Castex ouvre une brèche dangereuse, en considérant que toute critique sur l’histoire de la France prête le flanc à l’islamisme radical.

Réécrire l’histoire ou l’écrire ensemble ?

Cette vision est même contre-productive. La négation des crimes passés de la France est une mesure de diversion. Elle illustre la peur de la part d’une partie de l’État de voir les choses leur échapper. Il faut donc durcir l’attitude, encore et encore, pour imposer une adhésion – même de pure forme – à des « valeurs » supposées civilisationnelles. Or, ces mêmes valeurs sont constamment bafouées, trahies, par les exploiteurs et les exploiteuses. La France les a piétinées et les piétine toujours, tant dans le monde que chez elle. Elles n’ont d’ailleurs rien de civilisationnelles, ce qui est probablement un des concepts les plus réactionnaires qui soient. La civilisation qui a contribué aux Lumières est celle de l’armée tirant sur les grévistes, du Rif gazé et du bagne de Poulo Condor. Celle de l’Aufklarüng, de Kant, de Goethe, a été celle des chambres à gaz. Celle de la Magna carta et de l’Habeas corpus est celle de la famine d’Irlande et du Bengale, ainsi que des raids de terreur.

Nous voyons l’éducation comme quelque chose de magnifique. Non pas comme un lieu où on exige l’adhésion à des valeurs bafouées, mais bien comme celle qui peut être le creuset de demain. Nous croyons fermement en la jeunesse. Nous la croyons capable de pouvoir construire le monde de demain. Mais cela demanderait d’aborder le passé avec honnêteté et sincérité. De reconnaître les crimes du passé et leur motivations. De comprendre pourquoi ils sont apparus et quelle forces sociales étaient à l’œuvre derrière ceux-ci. Nous pensons que cet examen permettrait d’aplanir les rancœurs, les souffrances du passé. Faire de l’école un espace de contrôle social ne fait que les maintenir enfermées, sans qu’elles puissent, jamais se libérer. Sans qu’elles puissent être confrontés à la science de l’analyse historique.

Nous la voyons aussi comme la possibilité de dissocier les deux pans de la nation. La nation-étatique, qui est celle des bourgeois. La France et ses intérêts sont en somme ceux de sa bourgeoisie. Sa place dans le monde est sa domination. Son histoire est celle de ses guerres, de ses crimes, de ses génocides.

À l’inverse, nous croyons fermement à la nation-populaire : l’histoire du peuple, de ses luttes, de ses avancées, de sa solidarité, de son génie créatif. Souvent la bourgeoisie essaie de s’approprier cette histoire, d’amalgamer ses crimes et les réalisations du peuple. Elle vole Marie Curie, elle vole Jean Jaurès, elle vole Guy Moquêt. Elle prétend avoir été la pointe des droits humains dans le monde, alors qu’elle soutenait l’Apartheid, les Talibans ou qu’elle soutient le régime Saoudien.

Nous pensons que c’est en séparant ces histoires, en redonnant la place au peuple, à sa capacité à synthétiser les cultures, à être le creuset de la nation-populaire, que nous pouvons ressouder ses fragments, et éviter la guerre fratricide, sororicide, adelphicide entre exploités.

Cela, nul gouvernement bourgeois ne peut le faire : il n’est là que pour une chose. Perpétuer l’exploitation, et la rendre la plus optimale possible, quitte à ce que cela passe par le fascisme, si nécessaire.

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