Premier mai : quelles conséquences ?

Le 1er mai a été, dans l’ensemble, réussit. En dépit des circonstances, de la situation sanitaire, de la météo, il a pu être tenu. Il a été massif : cela reflète le fait que le confinement n’a nullement eu raison de la détermination de la population. Une série de violences ont eu lieu dans un certain nombre de villes de France. Ces violences demandent une réaction.

Nous condamnons en tout premier lieu la violence policière, qui s’est exercée sur l’ensemble des manifestations. L’État a d’ailleurs savamment manœuvré pour accentuer les contradictions entre les différents cortèges et pour pousser à ce qui s’est précisément passé : un affrontement entre manifestants et manifestantes. Nous condamnons également les violences exercées et les menaces proférées envers la CGT, en particulier à Paris, où de nombreux blessés et blessées sont à déplorer. Certains et certaines ont d’ailleurs du être hospitalisés.

Nous en sommes encore à collecter des informations pour établir un scénario objectif prenant en compte non seulement les faits bruts, mais également les intentions et les perceptions. Ce travail prend du temps et demande du recul. Nous communiquerons à nouveau dessus plus tard. Les situations varient en fonction des villes et il nous paraît encore difficile d’établir un tableau général.

Au stade ou nous en sommes, nous comprenons qu’il y a eu un affrontement entre le cortège de tête et la police et que certaines parties de ce cortège ont considéré que la CGT les auraient abandonnés, et s’en serait pris à elle. Mais nous tirons la conclusion aussi qu’il y a également une montée en tension sur un terme long, surtout dans certaines villes comme Paris.

De fait ne nous paraît pas possible de comparer les situations à Lyon et à Paris. Nous dissocions bien les deux situations, lesquelles sont d’une gravité différente et correspondent aussi à des logiques différentes. Ces affrontements sont donc à la foi le fait d’une colère spontanée, de mécompréhension, mais aussi, notamment à Paris, d’une action consciente, réactionnaire, anti-syndicale menée par des éléments épars. Nous saluons le fait qu’une partie toujours plus importantes d’organisations s’attachent, aujourd’hui, à dissocier les problématiques liées au cortège de tête et les agresseurs patentés.

Si ni les violences de l’État ni celles des militants entre eux ne sont acceptables, nous ne les mettons cependant pas sur le même plan : l’une est une violence d’État, réactionnaire, l’autre est une tragique et évitable crise interne à celles et ceux qui veulent lutter.

Nous pouvons, dans un sens, comprendre les sentiments de ceux qui sont réprimés par la police.

Mais c’est là aussi l’une des problématiques propre au cortège de tête. Il y existe un consensus face à la violence. Ceux et celles qui y vont savent que les affrontements arrivent. Nous n’avons rien à redire à cela. Mais les cortèges autonomes ne le sont pas réellement, du moins pas à l’heure actuelle. Ils ne vivent pas dans un monde différent des autres forces, notamment de la CGT, et il n’existe pas un espace suffisant pour que les actes des uns n’engagent pas de fait les autres cortèges. La réalité étant que leur mode d’action a eu des conséquences. Et ces conséquences ont été imposées comme un fait accompli, transgressant le consentement à la violence des autres.

C’est là où réside le casus belli et c’est là où réside la faute principale : le fait pour certains, qui ne cachent pas leur détestation des syndicats, de les avoir pris pour un rempart, comme un refuge, leur imposant une confrontation à laquelle ils n’étaient pas préparés. Certains, certaines, d’ailleurs, ne peuvent l’assumer : les manifestations ne sont pas des défilés militaires ou para-militaires, mais doivent rester des lieux ouverts à tous et toutes.

Mais au-delà des faits « cliniques », il existe forcément un vécu, une sensibilité, une perception des événements. Cette perception-la fait que tout le monde sort de cette manifestation mortifié, en colère, dépité. Les mots de colères, les actes de détestation qui se sont exprimés -certains se faisant le plaisir de régler des comptes, d’un côté comme de l’autre- entraînent aujourd’hui une série de communiqués rageurs.

Nous comprenons, mais en dehors des excommunications, nous devons faire autre chose.

Nous sommes en face d’un choix : soit cette histoire débouche sur une guerre ouverte, soit il faut parvenir à trouver une résolution.

Si certains veulent faire le procès du cortège de tête, pourquoi pas. Non n’avons pas de problème avec les procès politiques. Mais à condition à ce qu’ils soient instruits convenablement, à charge et à décharge, et que les circonstances soient prises en compte. Et elles méritent d’être prises en compte.

Nous ne pouvons oublier le climat de tension actuel. Nous ne pouvons pas non plus nier que la pandémie et l’isolement favorisent la polarisation. Même dans les rapports interpersonnels militants, les montées en tension sont déjà plus forts, il en est de même dans les rapports organisationnels. Il nous faut ajouter aussi ce sont créé récemment des brigades d’ »agents de liaisons », directement liées à la police nationale, chargés officiellement « de rétablir une communication entre le cortège et les forces de l’ordre et d’apaiser les tensions avant tout débordement« . Dans les faits, ils sont venus préparer le terrain à une répression à la carte, tout en encourageant la délation. Nous avons compris leur insistance à nous parler comme une manière de nous inciter à faire appel à la police. Nous ne doutons pas que cela était dirigé contre le cortège de tête. Cette stratégie de l’État est perverse. Elle marche, et la conflictualité actuelle lui donnera encore plus de poids.

Le risque d’expédition punitive et de contre-expéditions punitives est réel.

Il est impossible que la nébuleuse autour du cortège de tête puisse faire autre chose que des attaques ponctuelles en face de l’immense machinerie des organisations. Mais cela demeure grave et contribue à créer un climat dangereux dans les manifestations. De plus, cette situation contribue à décourager et dégoûter de nombreuses personnes de participer à ces manifestations. Cela renforce aussi l’emprise de la police sur les organisations « légales ».

De même, il est absolument improbable que le cortège de tête disparaisse. Il est l’émanation de quelque chose qui existe indépendamment de nos volontés et indépendamment même de la volonté de ses acteurs. Il représente le vide stratégique laissé par les organisations révolutionnaires : celui de la lutte extra-parlementaire. Ce n’est ni le mouvement autonome, ni le cortège de tête qui font échouer les développements politiques : au contraire, c’est l’échec général des organisations révolutionnaires à répondre à ces questions qui explique l’existence de ce cortège magmatique. Le fait qu’il existe des cyniques qui veulent que les choses dégénèrent n’enlève rien à ce fait. Il en existe d’ailleurs qui, lâchement, se réjouissent de cette situation pour solder de vieux comptes.

Si cette guerre a lieu, il n’y aura pas de gagnants autres que l’État et la police. Ils pourront bénéficier de la division pour mieux réprimer, en fragmentant la solidarité, et ils pourront utiliser les haines et les inimitiés pour adopter des politiques de répression différenciées.

Nous sommes loyaux envers la lutte, et nous voulons qu’elle triomphe. C’est notre but premier, même si les étapes sont parfois complexes.

Nous comprenons les colères, les rancœurs, les ressentiments. Cela demandera du temps pour que les choses désescaladent. Mais nous pensons qu’il faut que cette perspective existe. Elle a existé par le passé. Elle a permis aux différents cortèges de pouvoir exprimer leurs mots d’ordre et leurs modes d’action sans interférer avec les autres, ni sans transgresser le consentement à la violence. Elle doit renaître.

Nous avançons progressivement dans une période qui s’assombrit. L’hypothèse d’une sortie de pandémie peut paraître réjouissante, mais elle n’en est pas moins l’entrée dans une période dure. Nous pouvons faire face à celle-ci empli de haine les uns envers les autres, ou nous pouvons être capable d’intelligence et de coopération. La réponse, une fois de plus, dépend de nous. Un nous au sens large, qui implique l’ensemble du spectre de la lutte sociale.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *