Mourir pour Kiev ?

La tension continue de monter. Depuis plusieurs jours, des signaux inquiétants s’adjoignent les uns aux autres.

La Russie, depuis plusieurs mois opère une concentration de forces à proximité de la frontière ukrainienne. Des rapports font état d’une présence militaire Russe au Bélarus voisin.

La Russie a formulé un nombre important d’ultimatums irréalistes ou qui ne peuvent être acceptés par l’occident. Notamment, elle exige la neutralisation militaire de l’ensemble des pays qui n’étaient pas membres de l’OTAN en 1997. De même, il exige que soient « juridiquement fixés : le renoncement à tout élargissement de l’OTAN [vers l’est], l’arrêt de la coopération militaire avec les pays postsoviétiques, le retrait des armes nucléaires américaines de l’Europe et le retrait des forces armées de l’OTAN aux frontières de 1997 ». Elle n’a pas mentionné de contreparties, telles que sur la Crimée, le Donbass ou l’Abkhazie.

Elle fait pression sur le Bélarus pour que celui-ci modifie sa Constitution et accepte de posséder des bases de lancement de missiles sur son sol.

Dans le même temps, une série de cyberattaques a été organisée en Ukraine. Elle est soit-disant en provenance d’ultranationalistes polonais, mais il semble qu’elle provienne, là aussi de Moscou. Des agents russes ont été également décelés sur le terrain. L’Ukraine redoute des sabotages sur ses arrières.

Par ailleurs, des rumeurs d’évacuation du personnel diplomatique russe et biélorusse ont été entendues.

À l’opposé, la Russie développe également un réseau d’amitié et de solidarités. Ainsi, la nomination de François Fillon au poste d’administrateur du géant pétrochimique Sibur est une manière de se doter d’alliés et de montrer qu’elle peut être généreuse.

Dans l’ensemble, la situation est suffisamment inquiétante pour qu’un risque de guerre puisse être sérieusement considéré. Comme l’a mentionné l’ancien vice-ministre de la Défense Andrei Kartapolov (Comité de défense de la Douma) : « Nos partenaires doivent comprendre que plus ils feront traîner l’examen de nos propositions et l’adoption de vraies mesures pour créer ces garanties, plus grande est la probabilité qu’ils subissent une frappe préventive. »

Cependant, si dans ce cadre précis la Russie apparaît comme à l’initiative de la guerre, les responsabilités sont clairement imbriquées. Est et Ouest sont dans une lutte géopolitique à laquelle il n’existe que deux issues : soit la soumission et le compromis, soit la guerre.

Les raisons du conflit.

Comme nous l’avions mentionné dans notre texte précédent (la guerre couve en Ukraine), nous pensons qu’il faut reprendre les raisons de ce conflit :

  • À l’échelle régionale, celle sur laquelle se focalise l’occident, l’Ukraine fait incontestablement figure de victime. Pour leur malheur, ils sont à la fois un espace pivot de la géopolitique mondiale, mais aussi un butin sur lequel lorgnent bien des rapaces1. Elle n’existe que comme espace à intégrer, soit par les uns, soit par les autres. Les ukrainiens et les ukrainiennes sont ballottés aux gré des évolutions des rapports de force entre Russie et Occident. Leurs intérêts, en tant que peuple, en tant que pays, ne sont jamais pris en compte.
  • À l’échelle mondiale, c’est tout aussi incontestablement le résultat d’une pression exercée sur la Russie dans le but de l’encercler, de l’enclaver, de la maintenir dans un état de sujétion face aux puissance impérialistes dominantes. La Russie a le sentiment d’être encerclée, étranglée par l’action des impérialistes d’occident. Pour sa bourgeoisie, elle est devant une croisée des chemins : soit parvenir à s’affirmer comme une puissance dominante, soit être dominée par les autres puissances. Pour sa population, c’est la question du sentiment national et du chauvinisme qui se pose : elle s’est sentie amputée d’une partie de son espace, considère qu’on lui a arraché une partie de son système économique. Pour se protéger, elle se sent légitime à neutraliser l’espace autour d’elle et à défendre son « étranger proche ».
  • Nous ne pouvons totalement blâmer la Russie : elle joue une carte géopolitique logique et cohérente. Elle sait qu’elle est une ennemi par essence de l’Occident et des États-Unis, que, quelque soit le régime, quelque soit la politique menée, elle serait toujours traitée de la même manière. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette frustration, de ce ressentiment. Menacée, elle est prête à mordre. Et là, elle pense qu’une opportunité existe.
  • La Russie pense que l’UE n’est pas capable de réagir de manière unifiée. Elle sait que les format des armées occidentales correspondent aujourd’hui à des modèles de corps expéditionnaires coloniaux, et non pas à des forces capable d’encaisser les dégâts et les pertes d’un conflit face à un adversaire équivalent. De plus, la nouvelle génération n’a pas été autant nourrie à la russophobie. Aujourd’hui, comme le souligne l’Express : Qui, en Europe et dans l’Otan, est prêt à mourir pour l’Ukraine ?2
  • En outre elle ne pense pas les USA capables de pouvoir réunir une unité de volonté suffisante pour s’investir dans un conflit de ce type. Les USA sont d’ailleurs fort préoccupés par la situation entre la Chine et Taïwan3, laquelle est elle aussi potentiellement explosive. Cette sollicitation sur deux fronts ne facilite pas l’engagement. Quant à leur départ d’Afghanistan, qui est une victoire pour les Russes et les Chinois, elle confirme l’idée d’un affaiblissement de la superpuissance.
La guerre couve en Ukraine.

Krieg oder nicht ?

Ces griefs et ces tensions ne signifient pas forcément une guerre. La montée aux extrêmes n’est pas systématiquement intéressante pour les belligérants. Il est possible que la Russie ne recherche qu’une amélioration relative de sa situation intérieure et extérieure. Tous les scénarios sont sur la table, depuis l’utilisation d’une frappe préventive sous une forme similaire à celle d’Israël pendant la guerre des Six Jours4 jusqu’à une simple négociation en passant par un conflit limité aux régions à l’est du Dniepr. Mais un risque d’internationalisation est lui aussi possible.

Ce conflit, s’il a lieu, sera une boucherie qui n’a aucun intérêt pour le peuple, pour les travailleurs. C’est leur sang qui sera versé, tandis que les puissants négocieront un nouveau partage du monde. Cette guerre sera une guerre injuste, une guerre comme la décrivait Anatole France : « on croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels ».

Se pose alors la question : quelle sera l’attitude à tenir dans le cas où cette guerre éclaterait ?

Une position délicate.

Tout comme la Première Guerre mondiale, les responsabilités sont partagées. L’Occident ne veut pas perdre sa suprématie, la Russie ne veut plus de son statu de challenger et pense qu’elle est menacée, l’Ukraine en a assez d’être traitée comme un butin et comme un théâtre d’opération. Si cette guerre se déclenche, la Russie sera l’agresseuse. Elle partira avec un désavantage moral. Il est certain qu’une vague de solidarité va naître pour l’Ukraine. Mais les bons sentiments ne font pas une politique. Que faire ?

En tant que membre de l’ICOR, nous avons des camarades d’un côté et de l’autre de la future ligne de front. Nous tiendrons une position unifiée : cette guerre n’est pas la nôtre, nous ne verserons pas notre sang pour savoir quel sera notre exploiteur.

En France, nous savons qu’une immense pression sera exercée pour que tous et toutes soutiennent la participation de la France à la guerre « au nom de la liberté ». Cette pression est inacceptable. La France ne sert aucune grande cause, elle ne sert que ses intérêts propres dans la région. De toute manière nos choix sont limités : soit nous soutenons notre propre impérialisme, soit nous luttons contre celui-ci. Mais c’est notre seul champ d’action. Les cris humanitaires n’auront pas d’impact. Cela demande de ne pas céder aux sirènes des impérialistes va-t-en-guerre. Eux n’ont rien à faire des Ukrainiens et des Ukrainiennes. A leurs yeux, ils sont de la chair à canon, de la chair à patron, de la chair à proxénète.

Nous appelons ceux et celles qui se retrouvent sur cette position à se mettre en rapport avec nous. Nous rejetons ces préparatifs de guerre organisés par la France. Nous ne voulons pas d’une nouvelle guerre pour l’or. Nous appelons à ce que toutes les forces anti-guerre, toutes les forces contre l’impérialisme, se rejoignent et appellent à cesser cette escalade et ces provocations dangereuses. Nous appelons aussi à venir en aide aux organisations qui œuvrent en faveur de la paix de l’autre côté de la muraille géopolitique. Personne n’a rien à gagner dans ce conflit : au contraire, nous avons tout à perdre.

Dans le cadre de cette rivalité inter-impérialiste nous avons une tâche : entraver l’effort de guerre, lutter contre la propagande de guerre, faire en sorte que les impérialistes paient cette guerre : en perdant leur influence, en perdant leur pouvoir.

C’est dans l’esprit de Zimmerwald, cette conférence de ceux qui refusaient la guerre de 1914-1918, que nous appelons à tendre la main aux uns et aux autres. Que nous appelons à résister à l’injonction de faire front avec nos propres maîtres. C’est dans cet esprit de paix que nous appelons à faire obstacle à la marche à la guerre, à l’OTAN, à ceux faux démocrates et vrais tyrans.

1Dont notre propre impérialisme, qui s’y est bien implanté, notamment la famille Mulliez, propriétaire du groupe Auchan.

2Face à la menace Poutine, qui, en Europe et dans l’Otan, est prêt à mourir pour l’Ukraine ? Express du 19/01/2022.

3À plusieurs reprises, la République Populaire de Chine a exercé des pressions sur Taïwan. Ces pressions, soit sous la forme d’incursions navales, soit sous celles de patrouilles aériennes, sont susceptibles de se matérialiser en un affrontement. La prise de Taiwan et la réunification des deux Chines serait une porte vers l’Océan mondial.

4Cette guerre fut déclenchée par Israël en réaction aux mouvements de troupes de l’Égypte et à la suite du blocus du détroit de Tiran aux navires israéliens par l’Égypte le 23 mai 1967 (les Israéliens avaient préalablement annoncé qu’ils considéreraient cet acte comme un casus belli). Le soir de la première journée de guerre, la moitié de l’aviation arabe était détruite ; le soir du sixième jour, les armées égyptiennes, syriennes et jordaniennes étaient défaites. (source Wikipédia)

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