L’héritage de la Commune.

Nous avons présenté cette brève intervention à deux reprises : d’une part sur l’invitation de la Rete Dei Comunisti de Rome, mais aussi dans le cadre d’un webinaire ICOR dédié à la Commune de Paris. Nous pensons que l’héritage objectif de la Commune, celui qui a été synthétisé par Marx, notamment, n’est pas séparable de l’héritage subjectif, culturel, de celle-ci. La France, avec sa tradition historique romantique, des belles lettres, du Roman National, n’a pas, à notre avis, tiré tout ce qu’elle pouvait tirer de cette expérience. Nous pensons qu’elle est restée plus du domaine de la mémoire que de l’histoire. Il reste un travail à faire pour que non seulement la Commune soit analysée de manière juste, mais que son héritage puisse servir intégralement.

Tout d’abord, merci pour votre invitation et pour votre demande d’intervention. C’est, pour nous une expérience importante que de pouvoir partager avec des organisations étrangères, qui ont leur vécu, et qui sont à un stade de développement bien plus avancé que le notre.

Pour présenter brièvement l’héritage de la Commune en France, il faut revenir un peu sur la signification de cet événement et sur son écrasement.

En tant que première expérience de dictature du prolétariat, la Commune a marqué une rupture avec les révolutions précédentes, qui étaient principalement démocratiques. Certes la révolution de 1848 avait montré la capacité d’intervention de la classe ouvrière dans les affaires politiques, mais elle avait été rapidement balayée par les républicains modérés.

La Commune, en proposant une démocratie d’un type nouveau : une démocratie populaire, des exploités par les exploités et contre leurs exploiteurs, créait un précédent : il n’y avait plus de place pour la bourgeoisie, qui était une classe déjà parasitaire.

Sa défaite est liée à plusieurs raisons : face à des forces écrasantes, elle n’avait qu’une marge de manœuvre très faible. Malgré d’autres soulèvements à son image, elle est restée seule. Les campagnes avaient été montées contre les ouvriers depuis 1848 et l’affaire des ateliers nationaux. Il lui manquait aussi un État-major, une organisation capable de pouvoir la mener de la révolte à la victoire. Elle a parfois manqué de fermeté dans les moments critiques, refusant de prendre en otage l’or de la bourgeoisie.

L’héritage bourgeois.

La difficulté d’intégrer la Commune de Paris dans une narration républicaine – puisque la IIIe République est née du sang versé par le peuple de Paris (et d’ailleurs) explique le regard ambivalent sur elle, aujourd’hui encore.

Paris est défiguré par l’existence du Sacré Coeur, un bâtiment construit pour « expier les fautes de la commune ». La droite, en particulier la droite catholique y est profondément attachée. Elle continue d’être horrifiée par cet événement.

La mairie socialiste de Paris va ainsi organiser une commémoration officielle de la Commune, tandis que la droite catholique s’y oppose fermement. Mais la commémoration des réformistes n’est pas la notre. Pour s’emparer des aspects positifs de la Commune (droit des femmes, droits sociaux, égalitarisme…) tout en conservant le légalisme républicain, ils jouent un tour de magie. Ils font de l’écrasement de la Commune – car elle est intolérable pour un régime bourgeois ! – une mécompréhension, une brouille, une erreur. Cela permet de faire croire à une filiation entre la Commune et la République, donc de sauvegarder l’illusion qu’il est possible d’attendre quelque chose du pouvoir et de l’État.

L’extrême-droite, quant à elle, s’est lancée dans un pillage tout aussi odieux. Elle transforme la Commune en résistance à l’invasion étrangère, en ultra-patriotisme face à la déferlante prussienne et à la trahison du gouvernement. Elle essaiera sûrement de faire un parallèle entre cet événement et leur théorie selon laquelle la France est assiégée à nouveau.

Dans les organisations révolutionnaire, là aussi, il existe un double regard.

Il faut préciser une chose, tout d’abord, c’est que finalement ce qui apparaît comme le grand clivage est plus autour de la question collaboration / résistance pendant la période de 1940-1945. Ce qui fait que, là aussi, il y a un poids important de la question républicaine / antirépublicaine.

Finalement, la Commune de Paris à certainement plus profité aux autres qu’aux français. La Commune a causé une vague de répression énorme, immense, qui a décapité en grande partie le mouvement révolutionnaire français. En vérité, après les révolutions de 1789, 1830, 1848, 1870, à chaque fois la répression élimine une partie des penseurs et des théoriciens.

Les observateurs de la Commune, comme Marx et comme un grand nombre de révolutionnaires européens, vont pouvoir en tirer les bénéfices. En Allemagne et en Russie, notamment, ces expériences vont nourrir une nouvelle génération de penseurs et des théoriciens, qui vont parvenir à la mettre en application.

En France, elle a posé la question impérative de la construction d’un Parti, il en résulte, en 1905, la création de la SFIO, qui est le premier parti unifié, bien que réformiste. Mais aujourd’hui, il semble qu’elle soit quand même en grande partie vidée de son contenu et transformée en fétiche.

C’est un patrimoine commun qui unit tous les mouvements de gauche. Il existe des chansons, des lieux, des commémorations, un folklore important, vivant, qui se transmet. Mais il s’agit plus de célébrer un passé que de regarder vers l’avenir. Or, l’avenir de la Commune est bien vivant. Vivant et parfois gênant !

La Commune de Paris met toute une partie de la gauche, notamment les courants libertaires, réformistes ou anarchistes, dans une posture inconfortable. Elle pose la question de l’exercice du pouvoir, c’est à dire de la transition en la lutte pour le pouvoir vers une lutte pour exercer et conserver le pouvoir1. Cela reste un tabou.

En France, qui est devenue à partir des années 1970 le centre européen de l’idéologie antitotalitaire, cette question passe mal. Les droitiers veulent éliminer cette question en la résumant à une simple révolution par les urnes, voire une évolution citoyenne. Les ailes plus à gauche veulent, eux, ne garder que la révolte pour éluder la question du pouvoir. Cette idéalisation de la Commune comme quelque chose d’intrinsèquement anti-autoritaire finalement révèle le fait que ces courants plient devant les injonctions morales faites par la bourgeoisie.

Celle-ci est parvenue à vider l’héritage de la commune en déclarant qu’il est mal d’avoir une administration, une diplomatie, une justice, une armée, une police politique. Cette mentalité d’esclave, finalement, conduit à accepter un combat perdu d’avance. Elle va à l’encontre de l’expérience de la Commune.

Ca n’empêche pas ces courants de connaître des succès tactiques, dans les ZAD, et de parvenir à rendre les coups à la bourgeoisie. Mais au-delà de ça, la perspective stratégique demeure absente.

André Gide avait dit sur l’URSS que, sur ce sujet « le mensonge était dit avec amour, et la vérité avec haine ». Nous pensons que, 150 ans après la Commune, nous devons apprendre à regarder la vérité avec amour. A regarder les failles, les manques, les inconséquence et les succès, en sachant les utiliser pour nous faire avancer. Nous avons beaucoup à comprendre de la Commune, de ses succès comme de ses erreurs.

Nous en avons tiré la conclusions du besoin de la liaison avec la paysannerie, du besoin de l’organisation centralisée qu’est le parti, État-major de la révolution. Nous pensons que l’héritage de la commune n’est pas commémoratif, il est une expérience pratique qui doit être étudiée pour comprendre que faire, comment lutter, comment gagner, mais aussi comment construire, administrer, gérer… et finalement triompher.

Nous pensons avoir fait le tour d’horizon rapide de cette question, et nous vous remercions encore de votre invitation.

1Cela paraît un point très secondaire, mais il est pourtant incontournable. Nous pensons que chaque organisation révolutionnaire, quelque soit son stade de développement, doit réfléchir son activité non pas en terme de principes, mais surtout en termes d’objectifs stratégiques. L’arrivée au pouvoir du Parti Bol’chevique a été une transformation extrêmement complexe d’un parti clandestin construit pour l’action révolutionnaire en un parti construit pour gérer la société telle qu’elle était concrètement. (NdA)

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