Conférence de RAWA à Lyon (2/2)

Aujourd’hui

Aujourd’hui, les Talibans tiennent légalement les rênes du pouvoir. Les ambassades occidentales ont fermé leurs portes. En revanche, celles de la Chine et de la Russie continuent d’exercer et sont acceptées par les Talibans. Nous écrivions en aout 2021 :

L’ambassade de Chine a ainsi déclaré qu’elle « continue de fonctionner normalement » et qu’elle désire des « relations amicales » avec le gouvernement Taliban. D’après la porte parole de la diplomatie chinoise, Hua Chunying, « Les talibans ont indiqué à plusieurs reprises leur espoir de développer de bonnes relations avec la Chine ». Moscou a également maintenu en place ses diplomates.

L’ex-ambassadeur de France en Afghanistan, David Martinon, déclarait au micro du Collimateur, le podcast de l’IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire) que les Talibans, en dépit de pertes absolument terrifiantes n’avaient jamais connus de problème de recrutement. Les régimes successifs n’ont fait que faciliter leur retour, les faisant apparaitre comme des libérateurs. Les Talibans avaient pourtant “changé”. S’ils n’ont fait aucune concession sur le fond, ils ont joué la carte des relations publiques pour essayer d’avoir l’air “acceptables” par l’Occident. Cette mascarade a eu un succès important. C’est un fait que souligne M. : aujourd’hui, ils passent pour des interlocuteurs possibles et sont même courtisés. La prééminence russo-chinoise n’empêche pas les tentatives de retour de l’Occident. D’où la recherche de liens avec les Talibans ou l’aide -directe ou indirecte- fournie à leurs opposants, y compris Daech. L’État islamique est en effet très mal vu par les Talibans et par les succursales d’Al-Qaïda, qui procédaient à des exécutions systématiques de leurs membres lors des ouvertures de prison.

L’Afghanistan est isolé du monde : il n’y a pas, ou peu, de connexion internet, dès qu’on sort des centres urbains, le pays n’est pas électrifié. La pauvreté est forte et le chômage a grimpé en flèche, même si toute une partie de l’économie dépend du secteur informel. Les infrastructures sont insuffisantes ou délabrées. Dans ce climat de crise économique, sanitaire et humanitaire, certaines familles doivent pour survivre vendre certains de leurs enfants. Ils sont cédés pour un peu plus d’une centaine de dollars, ce qui représente une petite fortune. Le trafic d’organes s’est aussi développé. Les femmes n’ont plus le droit de travailler ou d’étudier et doivent porter la burka, le peu de femmes qui passent à la télé doivent être complètement masquées.

David Martinon note que les rapports des Talibans aux femmes étaient marqués par la peur et par l’ignorance. Beaucoup de Talibans étaient des orphelins réfugiés au Pakistan, qui avaient grandi dans des milieux sans la moindre mixité, et qui n’avaient pratiquement jamais vu de femme durant leurs périodes de combat. Il en ressortait un comportement marqué par la brutalité. Ce comportement n’a pas changé. Il fait qu’aujourd’hui, l’Afghanistan est le seul pays où les femmes n’ont pas le droit à l’éducation, sauf rares exceptions. Il est aussi l’un des rares où elles ne peuvent sortir sans qu’un homme de leur famille les accompagne.

La guerre civile n’est pas pour autant terminée. Les attentats se poursuivent toujours, avec l’infiltration de Daesh. Début octobre, un attentat a visé une école pour femmes de la minorité chiite Hazara. 53 morts, dont 46 jeunes filles et femmes sont à déplorer.

Notre intervenante nous a décrit sa tristesse de voir les moindres ors des obsèques de Elizabeth II décryptés par les médias, tandis que pas un mot n’a été dit au sujet de cet attentat.

C’est dans ce cadre extraordinairement difficile que travaille RAWA.

Qu’est ce que RAWA ?

Fondée en 1977, RAWA s’est depuis sa création opposé à tous les régimes ayant gouverné l’Afghanistan. L’organisation s’est heurtée à l’invasion soviétique, au régime des Talibans, mais aussi à l’intervention américaine. Elle a constamment dénoncé l’hypocrisie de l’Occident, qui en place et lieu de la démocratie promise, n’a fait qu’installer des potentats toujours plus mafieux.

Sa première dirigeante, Meena Keshwar Kamal est assassinée en 1987 dans des circonstances troubles. Son opposition à la fois au gouvernement de Najibullah et aux fondamentaliste en fait une cible de choix. D’après notre intervenante, il s’agirait d’une action dans laquelle le KGB a joué un rôle. Cela peut paraître étonnant qu’un groupe de défense des droits des femmes soit attaqué par les services secrets soviétiques.

Deux raisons à cela : à l’origine de l’intervention soviétique se trouve le “gauchisme” issu de la révolution de Saur de 1978 et la volonté d’attenuer ses politiques. En second lieu, dès 1982, l’URSS essaie de sortir du guêpier afghan, quitte à céder du terrain aux islamistes, à condition que le Pakistan n’intervienne plus. Gorbatchev amplifie ce volte-face, en essayant de revenir à l’Afghanistan d’avant 1973 et en incitant Kamal, le dirigeant du Parti démocratique populaire d’Afghanistan à laisser de côté les revendications socialistes et à promouvoir un Islam modéré. Dans ce cadre de bataille à front renversé, il apparait tout de suite moins illogique que le KGB cherche à éliminer des courants rivaux. Cependant, il existe toujours des zones d’ombre.

À la suite de cet assassinat, l’organisation passe dans la clandestinité et continue la lutte, que ce soit contre les forces d’occupation successives ou contre les obscurantistes. Notre conférencière a pu nous expliquer les activités menées par RAWA. RAWA agit dans l’ombre, avec des réunions secrètes souvent maquillées en mariages (les femmes et les hommes le célèbrent séparément. Cette clandestinité rend forcément le travail difficile, mais pas impossible. Ainsi, il existe des structures légales et visibles qui permettent à l’organisation d’agir concrètement sur la société.

L’organisation diffuse un journal : Payam-e-Zan (le message des femmes). Il s’adresse majoritairement aux femmes afghanes et dénonce tant les fondamentalistes que la corruption et les crimes US/OTAN. Il sert aussi d’organe d’échange qui permet de rassembler les expériences, de confronter les points de vue.

Il se double de reportages menés par les femmes, notamment des photos ou des vidéos des exactions réalisées par des caméras cachées sous les burkas. Ces documents ont été essentiels dans la dénonciation de l’hypocrisie occidentale auprès du reste du monde. Les femmes d’Afghanistan participent aussi à des conférences internationales (certaines avec l’ICOR, notamment.) Ces conférences permettent de créer les bases d’une solidarité des femmes du monde entier.

L’association joue aussi un rôle social important : nous avons pu voir les opérations de distribution alimentaire en direction des plus démunis et surtout démunies. Les femmes ne pouvant travailler, les veuves sont laissées dans la pauvreté. Elle organise aussi des actions de solidarité, de soin dans les villages reculés. Les femmes subissent d’autant plus cette absence de corps médical qu’elles ne peuvent se faire soigner que par des médecins femmes. RAWA organise des distributions d’affaires scolaires pour les enfants. Les militantes s’occupent également de l’éducation des femmes. Ces activités sont difficiles et dangereuses.

L’activité de RAWA permet de faire connaître la cause des femmes d’Afghanistan dans le monde

Les déplacements et tournées de RAWA existent depuis des années. En France, il s’agit de la troisième (2002-2009-2022). Ces tournées permettent de faire connaître les luttes de RAWA et d’apporter de l’aide à des organisations qui luttent dans des conditions terribles. Le camp progressiste en Afghanistan peine à se réorganiser et à surmonter les vagues de terreur successives. L’aide internationale joue un rôle de premier plan.

L’occident ne s’intéresse à l’Afghanistan que sous son caractère de champ de bataille géopolitique. En revanche, aucune facilité n’est accordée pour permettre le départ depuis le pays – pour ne pas froisser les Talibans non plus – ni pour l’accueil des réfugiés et réfugiées. Ainsi, M. a du patienter huit mois et fournir des garanties de retour pour obtenir un passeport Schengen, et être accompagné par un homme de sa famille (lien du sang). Ce traitement contraste toujours plus durement avec les facilités d’accès et les aides fournies aux réfugiés d’Ukraine, à condition qu’ils « aient l’air » ukrainiens.1 Ce gouffre entre les valeurs officielles de l’UE et de l’Occident et ses pratiques réelles contribue à les isoler encore davantage.

Que faire pour aider RAWA ?

Il est possible d’aider financièrement et de rejoindre les comités de soutien qui vont se créer. En France, celui qui naît de cette tournée va bientôt entrer en activité. Il n’est pas une coalition d’organisation : l’adhésion est individuelle pour éviter les clivages et le sectarisme. Enfin, il est plus qu’utile d’aider à diffuser leurs mots d’ordre et à dénoncer l’hypocrisie occidentale.

Notre interlocutrice nous l’a dit : elle veut nous encourager à alerter sur la réalité de la condition des femmes en Afghanistan. Diffuser son message, c’est participer activement. Vous pouvez contacter le collectif à l’adresse withafgwomenfrance@gmail.com et suivre la page facebook du collectif.

1 Nous considérons que le statut des Ukrainiens et des Ukrainiennes devrait être érigé en norme, nous ne sommes pas pour un nivellement par le bas !

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