Aujourd’hui, le 18 mars, nous célébrons le déclenchement de la Commune de Paris, en 1871. Ce jour reste dans les mémoires du mouvement, non seulement communiste, mais bien révolutionnaire dans son ensemble.
La Commune de Paris est la première expérience de gouvernement ouvrier, la première expérience de dictature du prolétariat, contre les rapaces, les parasites de la bourgeoisie.
La Commune de Paris a servi de base au mouvement révolutionnaire, au mouvement ouvrier, au mouvement communiste comme une expérience démontrant qu’il était possible, qu’il était réalisable, que le pouvoir soit conquis par les travailleurs et les travailleuses. C’est une démonstration du fait que l’exercice réel de l’autorité se conquiert par la lutte, non par la négociation, les urnes, les manigances. Engels la décrivit ainsi :
« Dans la Commune ne siégeaient presque que des ouvriers ou des représentants reconnus des ouvriers ; ses décisions avaient de même un caractère nettement prolétarien. Ou bien elle décrétait des réformes, que la bourgeoisie républicaine avait négligées par pure lâcheté, mais qui constituaient pour la libre action de la classe ouvrière une base indispensable, comme la réalisation de ce principe que, en face de l’État, la religion n’est qu’une affaire privée ; ou bien elle promulguait des décisions prises directement dans l’intérêt de la classe ouvrière et qui, pour une part, faisaient de profondes entailles dans le vieil ordre social. »1
Dans la lutte contre l’autocrate Napoléon III, mais également contre l’invasion par la Prusse et contre d’autres forces de la réaction, les habitants et habitantes de Paris se sont soulevés. Non seulement pour se défendre et défendre une plate « république », que les bourgeois venaient de proclamer, mais bien pour aller au-delà.
Après l’effondrement de la structure pourrie qu’était le Second Empire, la bourgeoisie avait appelé aux armes les travailleurs pour servir ses intérêts de classe, à savoir négocier une paix, l’accès au pouvoir et son plein exercice.
Après la capitulation de Paris, le 28 janvier 1871, la Garde nationale, constituée de ces travailleurs, ne déposa pas les armes. Elle tint en respect les Prussiens, hors de Paris. Le peuple régna en maître, les Prussiens à sa porte, n’osant entrer.
Autant ces derniers ne mettaient que peu d’ardeur à pénétrer dans Paris, autant la bourgeoisie, quant à elle, s’empressait de vouloir reprendre les armes qu’elle avait données. Dès lors, le casus belli fut consommé, la rupture entre les deux, totale.
« Pendant la guerre, les ouvriers parisiens s’étaient bornés à exiger la continuation énergique de la lutte. Mais, maintenant qu’après la capitulation de Paris la paix allait se faire, Thiers, nouveau chef du gouvernement, était forcé de s’en rendre compte : la domination des classes possédantes — grands propriétaires fonciers et capitalistes — se trouverait constamment menacée tant que les ouvriers parisiens resteraient en armes. Son premier geste fut de tenter de les désarmer. Le 18 mars, il envoya des troupes de ligne avec l’ordre de voler l’artillerie appartenant à la garde nationale et fabriquée pendant le siège de Paris à la suite d’une souscription publique. La tentative échoua ; Paris se dressa comme un seul homme pour se défendre, et la guerre entre Paris et le gouvernement français qui siégeait à Versailles fut déclarée ; le 26 mars, la Commune était élue ; le 28, elle fut proclamée ; le Comité central de la garde nationale qui, jusqu’alors, avait exercé le pouvoir, le remit entre les mains de la Commune, après avoir aboli par décret la scandaleuse “police des mœurs” de Paris. Le 30, la Commune supprima la conscription et l’armée permanente et proclama la garde nationale, dont tous les citoyens valides devaient faire partie, comme la seule force armée ; elle remit jusqu’en avril tous les loyers d’octobre 1870, portant en compte pour l’échéance à venir les termes déjà payés, et suspendit toute vente d’objets engagés au mont-de-piété municipal. Le même jour, les étrangers élus à la Commune furent confirmés dans leurs fonctions, car “le drapeau de la Commune est celui de la République universelle”.
— Le 1er avril il fut décidé que le traitement le plus élevé d’un employé de la Commune, donc aussi de ses membres, ne pourrait dépasser 6 000 francs. Le lendemain furent décrétées la séparation de l’Église et de l’État et la suppression du budget des cultes, ainsi que la transformation de tous les biens ecclésiastiques en propriété nationale ; en conséquence, le 8 avril, on ordonna de bannir des écoles tous les symboles, images, prières, dogmes religieux, bref “tout ce qui relève de la conscience individuelle de chacun”, ordre qui fut réalisé peu à peu.
— Le 5, en présence des exécutions de combattants de la Commune prisonniers, auxquelles procédaient quotidiennement les troupes versaillaises, un décret fut promulgué, prévoyant l’arrestation d’otages, mais il ne fut jamais exécuté.
— Le 6, le 137e bataillon de la garde nationale alla chercher la guillotine et la brûla publiquement, au milieu de la joie populaire.
— Le 12 la Commune décida de renverser la colonne Vendôme, symbole du chauvinisme et de l’excitation des peuples à la discorde, que Napoléon avait fait couler, après la guerre de 1809, avec les canons conquis. Ce qui fut fait le 16 mai.
— Le 16 avril, la Commune ordonna un recensement des ateliers fermés par les fabricants et l’élaboration de plans pour donner la gestion de ces entreprises aux ouvriers qui y travaillaient jusque-là et devaient être réunis en associations coopératives, ainsi que pour organiser ces associations en une seule grande fédération.
— Le 20, elle abolit le travail de nuit des boulangers, ainsi que les bureaux de placement, monopolisés depuis le Second Empire par des individus choisis par la police et exploiteurs d’ouvriers, de premier ordre ; ces bureaux furent affectés aux mairies des vingt arrondissements de Paris.
— Le 30 avril, elle ordonna la suppression des monts-de-piété, parce qu’ils constituaient une exploitation privée des ouvriers et étaient en contradiction avec le droit de ceux-ci à leurs instruments de travail et au crédit.
— Le 5 mai, elle décida de faire raser la chapelle expiatoire élevée en réparation de l’exécution de Louis XVI. »2
Socialement, la Commune de Paris était une pointe fichée dans la chair des patrons et des exploiteurs. En quelques mesures, dûment appliquées, la base économique de la misère noire qui sévissait était jugulée.
Malgré le fait que, de l’autre côté de la ligne de front, les versaillais exécutèrent à tour de bras les prisonniers communards, malgré le fait que la Commune ait pris des otages, elle ne riposta pas au crime par le crime.
Elle fut un formidable creuset d’expériences politiques, un « broyeur » d’idées fausses, battant en brèche successivement les thèses erronées des proudhoniens, des partisans de Louis Blanc, mais également des blanquistes, sectaires et dogmatiques.
Libérée des entraves du crétinisme parlementaire, du parasitisme de la bourgeoisie, la Commune put chausser des bottes de sept lieues pour avancer vers l’égalité — non plus formelle, mais bien réelle.
C’est ce qui lui valut la colère, la haine, la rage de la bourgeoisie, laquelle n’eut cesse de chercher à l’écraser par tous les moyens possibles. Si la ville devait être réduite en cendres, la bourgeoisie l’aurait accepté du moment que, l’offense à leur ordre était lavée dans le sang.
Agenouillés devant Bismarck, les versaillais quémandèrent le rapatriement des troupes prisonnières pour écraser la Commune. Le gouvernement du sinistre Adolphe Thiers l’obtint. Que valent les discordes de la bourgeoisie, discordes de gentlemen face au péril de la lutte des classes ?
La Semaine sanglante fut un bain de sang. Cependant, Marx lui-même le note dans La guerre civile en France (1871), nombreux furent les soldats qui, par humanité, épargnèrent leurs adversaires ou leur laissèrent le libre passage. La fraternité de classe n’est pas un mot vide.
En écrivant La guerre civile en France, Marx s’était fixé cette tâche :
« Analyser cette expérience, y puiser des leçons de tactique, réviser sur la base de cette expérience sa théorie ».3
En effet, c’est un travail qui était plus que nécessaire. La Commune de Paris posa les bases de la forme que doit prendre l’État prolétarien. Elle lui donna corps, pour la première fois de l’Histoire. Les théories pourries et idéalistes qui proclamaient que les révolutions aboliraient immédiatement la lutte des classes, mais aussi l’État, ces idées de cristal, se brisèrent sur le fer de la réalité : tant que la lutte des classes existe, le conflit antagonique existe, et donc le prolétariat doit réprimer ses ennemis.
Comme nous l’avons développé plus haut, cette expérience fut une machine d’une dialectique impitoyable, laquelle écrasa bien des conceptions fausses. Ainsi, les thèses pourries de Proudhon, petites-bourgeoises et antisocialistes, furent battues à plate couture par l’irruption terrible de la réalité. Au lieu d’être la consécration, ce fut la défaite : c’est la socialisation du travail, les valeurs communistes, qui l’emportèrent sur le mutuellisme anarchiste. Les blanquistes, conspirateurs incapables de faire naître une ligne de masse, persuadés que les révolutions de palais font tout, durent réviser leur doctrine.
La Commune commit des erreurs également : le respect sacré de la Banque de France, dont les fonds ne furent pas saisis. Ce qui aurait pu être une dévastation pour la bourgeoisie, un abominable otage, a pu être récupéré dès la fin de la Commune.
Le siège versaillais ne put être levé, la Commune resta confinée dans un espace étroit et uniquement urbain, uniquement local. Si des émules apparurent ailleurs en France, dont à Lyon et à Vienne, le mouvement ne trouva pas la clé que trouvèrent les bolcheviques : l’alliance des ouvriers et des paysans, seule à même de pulvériser la bourgeoisie.
Manqua également le Parti, capable de coordonner, de diriger cette alliance, de faire naître, d’une insurrection victorieuse, une guerre révolutionnaire balayant la bourgeoisie. Ce sont ces conclusions que tirèrent les continuateurs et les observateurs. La Commune donna le matériel pratique qui put être étudié pour en tirer les conclusions politiques et idéologiques qui enrichirent l’idéologie communiste.
La bourgeoisie réactionnaire, les Mac Mahon, les Thiers, les vermines crachèrent sur les communards, les déportèrent comme Louise Michel, les envoyèrent au bagne en Algérie et en Kanaky, les assassinèrent. Les ennemis du peuple souillèrent la terre de la Commune en construisant le Sacré-Cœur, cet édifice monstrueux, une injure au prolétariat parisien.
Mais la Commune n’est pas morte. Car, comme la révolte des opprimés, elle ne peut être exorcisée et renaît sans cesse, tant que l’exploitation dure.
Lénine dira, à Zurich : « Ou bien la révolution aboutira à une seconde et victorieuse Commune de Paris, ou bien nous serons écrasés par la guerre et la réaction. » L’URSS s’est bâtie sur la Commune de Paris, lui rendant hommage en nommant un de ses rares cuirassés « Parizhskaya Kommuna ». L’ensemble du camp communiste, du camp du peuple, doit rendre hommage à cette expérience, à cette œuvre.
La Commune de Paris, les communardes et les communards sont immortels !
1 F. Engels, Introduction à La guerre civile en France, 1891.
2 Ibidem.
3 V. I. Lénine, « Chapitre III : l’État et la révolution. L’expérience de la Commune de Paris (1871). Analyse de Marx », L’État et la révolution, 1917.