Six mois de lutte et une élection.

 La mobilisation des Gilets Jaunes a défié tous les pronostics. Elle a tenu et tient encore. Depuis six mois, désormais, chaque samedi est marqué par les défilés, par les affrontements avec les forces de l’ordre, par les violences policières et par le mépris du gouvernement. Depuis 6 mois, une lame de fond a déferlé, secouant de fond en comble la société française. 
Cette lutte a jeté dans la rue des pans de la société. Elle a confronté les masses populaires et la jeunesse à l’expression même de la dictature de la bourgeoisie. Surdité face aux revendications, mépris politique, violences policières, maintien d’une politique rejeté par la très large majorité de la population…

Il y a eu des luttes féroces les années précédentes, notamment la bataille autour du contrat de travail. Ces luttes ont été intenses et durement réprimées. Mais elles étaient restées, dans leur majorité, des luttes économiques, sur les conditions de travail, sur les normes de travail, sur le contrat, sur le salaire ou sur les services publics.

Au cours de ces six mois, le mouvement que nous vivons actuellement, qui a commencé par un combat contre la cherté de la vie s’est mué en quelque chose d’autre. Ce quelque chose d’autre est un mouvement politique d’ampleur, radical et subversif, ciblant directement comme ennemi le régime et son caractère anti-démocratique.

Ce choc a ébranlé tant la bourgeoisie que les forces habituelles de la lutte sociale. La CGT, par exemple, est, au cours du 52e congrès, qui se tient actuellement, en pleine ébullition. La direction de celle-ci paie le prix de son refus de s’engager en plein dans la bataille qui se joue, tandis que la base participe au mouvement des Gilets Jaunes. 
Les organisations politiques, particulièrement les organisations politiques progressistes ou révolutionnaires, ont été, elles aussi, transformées. Celles qui ont rejeté l’idée de participer à la lutte, elles aussi, périclitent. En ayant voulu ignorer l’existence du mouvement des Gilets Jaunes, elles se sont marginalisées elles-mêmes. Lorsqu’elles veulent, maintenant, s’intégrer dans le mouvement, c’est avec une grandiose difficulté, car elles ne partagent pas une somme d’expérience commune, un vécut de lutte particulier, ce qui leur donne un côté suranné, désuet…et arriviste. 

Pour les autres, c’est une fantastique somme d’expérience et une grande leçon de politique réelle qui leur a été donnée. Leurs militants et militantes en ressortiront grandis et aguerris. 

Les masses populaires aussi. Toute une génération sera marquée par la défiance envers les institutions, envers les forces de l’ordre, envers une justice de classe, inique et arbitraire. 

Macron et la classe bourgeoise, qu’il sert, a tenté de répondre, sans jamais céder sur son programme, à la crise de régime que constitue ce mouvement. D’un côté par la force brute, en autorisant la police à faire un usage massif des gaz, des matraques, des LBD… 
Elle a tenté aussi et tentera de semer le chaos et la division en montant des « affaires », comme l’affaire Finkielkraut, dans le but de pouvoir opérer une contre-offensive idéologique. Elle ne reculera devant rien pour reconquérir le terrain perdu, dès que la mobilisation sera tue.

De l’autre côté, elle a opéré en tentant d’utiliser la colère des Gilets Jaunes et des masses pour la mettre à son propre service. Le Grand débat à servi à cela : tenter de faire un effet levier pour appuyer sa politique réactionnaire. Mais la brutalité du régime n’a pas eu raison de la colère, tout comme les faux débats ne l’ont pas calmée. 
Restent alors deux armes : la première est le temps, le temps qui use, qui épuise, qui décourage… le temps qui amène aussi à la période de creux de l’été. Été que Macron saisira certainement pour lancer de nouvelles attaques, contre les droits sociaux, contre la retraite, contre les salaires… La liste est encore longue.
La seconde est celle de la diversion. Et l’arme numéro 1 de la diversion est, à l’heure actuelle, la mise en œuvre d’une élection des plus inutiles : celles des Européennes. 

Le miroir aux alouettes des Européennes. 

Les élections européennes cristallisent, aujourd’hui, une part de l’attention de ceux et celles qui se mobilisent. Pour certains et certaines, elles incarnent une forme d’espoir.
Un espoir de changement, en supposant qu’une liste qui s’approche des intérêts des Gilets Jaunes puisse s’imposer. 
Un espoir de sortir d’un hypothétique « carcan » de Bruxelles.
Un espoir d’infliger une sanction à LREM et à ses alliés, dans le but d’infléchir la politique gouvernementale, voir d’en obtenir un changement. 

Nous comprenons ces espoirs, nous comprenons que beaucoup vont se diriger vers les urnes avec des états d’esprit complètement différents les uns des autres. Certains avec conviction, d’autres, à la manière d’un jeu de loto, car « on ne sait jamais », malgré la sombre impression que les votes ne changent, en définitive, pas grande chose.

Nous, UCL, mais aussi l’Union Prolétarienne Marxiste Léniniste, avons fait le choix de ne pas donner de consigne de vote. Nous pensons que ce scrutin est avant tout une diversion, qui détourne de la lutte, pour entraîner vers les urnes. D’autant que l’impact de ce scrutin est infinitésimal. 

Premier point fondamental : qui domine qui ? L’Union européenne possède une nature particulière. Elle est une alliance entre les Etats impérialistes que sont l’Allemagne et la France – avec une forme de participation éloignée du Royaume-Uni. Cette alliance entre les impérialismes est le fruit d’une nécessité reconnue de longue date. 

Dans les faits, l’histoire de la fin du dix-neuvième siècle et du vingtième siècle européen est l’histoire de cette alliance. Mais, même si elle est reconnue par l’un comme l’autre comme le seul moyen de pouvoir faire face à la naissance de géants industriels, une question n’est pas résolue : qui dévorera qui ? Car, s’il existe des tendances à ce que les industries, les banques, les cartels fusionnent, il n’en demeure pas moins qu’ils sont également en concurrence. C’est ce qui explique les guerres, les occupations, les tentatives de forcer les choses. Mais même à l’heure actuelle, alors que des concentrations se font, alors que des accords se nouent, il reste toujours un certain nombre de choses qui ne se négocient pas. Ainsi, la Deutsche Bank, endettée, a vu son rachat par la BNP Paribas interdit. 

Aujourd’hui, la France est-elle dominée par l’UE ? Non. Elle est un élément moteur de celle-ci. De plus, son impérialisme est principalement orienté sur l’Afrique, avec des possessions sur les autres continents. Là-bas, là où réside le fond de ses intérêts, elle ne tolère aucune concurrence et n’hésite pas à lutter pied à pied pour se maintenir, contre la pression chinoise, russe, ou même américaine. 
Ce n’est pas l’UE qui dicte sa loi à la France (ou à l’Allemagne) mais ce sont ces Etats qui utilisent l’interface de l’Europe pour dicter la leur aux pays les moins puissants.
Il y en a qui en bénéficient, ou plutôt des fractions de leurs bourgeoisies en bénéficient. D’autres, comme la Grèce, sont aux abois, tenus par leurs dettes aux ordres de la France – qui possède la majorité de celles-ci, contrairement à une idée répendue – et de l’Allemagne. 


La crise de l’UE, que nous constatons actuellement, est avant tout la répercussion de la crise des impérialismes qui la constituent. Ces crises soumettent cette alliance, temporaire par sa nature même, à une telle force de marée qu’elle menace de se disloquer.

Le vote peut-il y changer quelque chose ?

Dans l’Union européenne, le Parlement européen ne bénéficie que de prérogatives faibles. Il prend des résolutions, mais leur application est soumise entièrement à la discrétion des gouvernements nationaux. Dans les faits, certains de ces gouvernements sont écrasés par le poids des dettes, contractées non pas envers l’ « Europe », mais envers des établissements financiers privés (BNP Paribas, Crédit Agricole…) C’est cet étau financier qui les oblige à adopter ce que les cartels bancaires imposent également à l’Europe. Ca n’est pas l’UE en tant que tel.
L’UE n’est pas unie, ni fédérale. Elle reste un des rares exemples de système confédéral, dans lequel la loi des pays prime sur celle de l’ensemble. Le vrai cœur du pouvoir est dans ce qu’on n’élit pas. Le Conseil des ministres européens est, en réalité, le centre de gravité des décisions.
Le Parlement européen est, en dernière analyse, un cadeau fait aux organisations politiques pour s’assurer de leur fidélité au projet européen, pour leur offrir un nouveau moyen d’engranger de l’argent. Elle est une des « balles sucrée » qu’offre régulièrement la grande bourgeoisie.

Les questions fondamentales ne sont pas soumises au vote, en Europe comme en France. Elles ne se négocient pas ainsi. Bien que ce concept revienne dans les argumentaires des réactionnaires, il est difficile de contester qu’il existe une forme « d’Etat profond. » Cet « Etat profond » correspond à des questions fondamentales liées à l’imbrication de la grande bourgeoisie monopoliste et de l’appareil d’Etat. 
Ainsi, l’impérialisme français, les interventions militaires, les ventes d’armes lourdes, les soutiens diplomatiques, l’activité des services secrets, en somme le « système végétatif » de la sphère économique et politique profonde des Etats impérialistes est hors de portée des bulletins de vote. Les enjeux sont trop essentiels pour qu’ils puissent faire l’objet d’un débat public.

Au sein de l’UE, par extension, se reproduit ce même type de schéma. L’UE, comme les institutions « supranationales », est avant tout une arène dans laquelle les affrontements entre cartels monopolistiques -et les Etats qui y sont liés- sont arbitrés, dans l’idéal le plus pacifiquement possible. Une norme européenne, par exemple, qui va déterminer comment un bien doit être produit, correspond à la manière de produire d’un groupe monopoliste particulier, qui va l’imposer aux autres. 
Emmanuel Macron a lancé un appel à combattre le RN, en voulant ainsi engranger des voix supplémentaires et se poser en rempart de la démocratie et du progrès. Il essaie de rallier derrière lui les partisans de l’Union Européenne et de placer le curseur du débat politique entre partisans de la « Renaissance » et liquidateurs. 
Mais dans les faits, d’une part LREM a repris les éléments de programme des identitaires, notamment sur la « défense des frontières de l’Europe ». De l’autre, même si le RN était tout-puissant, il ne quitterait pas l’UE, ni aucun des candidats, quel qu’il soit. Même l’UPR, qui place comme leitmotiv son « article 50 », ne le fera pas non plus.
L’expérience du Brexit montre qu’une séparation de l’UE, avec la rupture des accords qui l’accompagnent, est une rupture beaucoup plus économique que politique. Il s’agit, pour un grand nombre de cartels, d’un véritable déchirement, au sens physique du terme. La bourgeoisie s’y opposera donc de toutes ses forces.
Cependant, l’UE peut s’effondrer. Elle peut s’effondrer, mais les résultats seraient un choc immense pour les marchés, mais également pour une grande partie du tissu industriel et bancaire de notre impérialisme. Il existe des signes de cet effondrement, mais il sera probablement cataclysmique.

La question de l’UE, en dernière analyse est paradoxale. Il faut lutter contre l’UE pour ce qu’elle est, une coordination d’impérialismes, traînant à leur suite des impérialismes croupions et des laquais serviles. 
Il faut lutter contre ce que cette coordination fait subir à ceux qui sont sous son joug implacable, aux dégâts qu’elle cause, sur la nature, par rapport aux risques de guerre, sur la destruction des droits sociaux. 
Mais ce sont des luttes tactiques. La victoire stratégique est ailleurs. Elle est dans le renversement du système impérialiste-capitaliste. 
Et là, l’UE apparaît comme secondaire. La sortie de l’UE sera refusée par « l’Etat profond », par les forces économiques, les cartels et des conglomérats. Il n’existe pas de pouvoir démocratique assez fort, en régime bourgeois, pour l’obtenir. Et si les masses populaires avaient le pouvoir réel entre leurs mains, la question de l’UE ne se poserait plus, balayée qu’elle serait par la chute du capitalisme. 
Nous pensons que mettre en avant l’UE (comme l’OTAN) comme une étape ou un préalable, c’est mal analyser ce qu’est la nature profonde de ces institutions et les limites du pouvoir populaire en régime bourgeois. 

C’est pour cela que nous pensons que ceux qui insistent obstinément sur ces points, finalement, nient la question stratégique de la conquête du pouvoir par les masses populaires.

Nous n’en sommes cependant pas même là. 

Aujourd’hui, quel mot d’ordre ? Boycott ? Abstention ?

Nous pensons que le terme boycott ne recouvre pas forcément une réalité pratique. Un boycott suppose une campagne active qui viserait à perturber la bonne tenue du scrutin, à l’image de celui organisé en Inde par la guérilla. À l’heure actuelle, il ne semble pas que cela soit dans les projets de ceux qui tiennent cette position. Nous le comprenons, certes, mais il se limite à un acte, en réalité, passif. Il reste incantatoire s’il n’est pas accompagné d’une ligne pratique, concrète et immédiate pour les masses populaires. 

Aujourd’hui, nous pensons que rentrer dans un débat sans fin sur la question d’un vote aussi marginal, aussi peu essentiel, batailler là-dessus, revient à perdre une énergie colossale pour quelque chose qui ne nous intéresse pas. Cela revient à nourrir un point de focale qui ne nous intéresse, finalement, pas. Autant nous focaliser alors, sur ce qui est fondamental.

Nous avions défendu le boycott lors des élections présidentielles, pour proposer comme issue la question de l’opposition extra-parlementaire dont l’objectif est de rassembler toutes les forces progressistes qui ne se retrouvent pas dans la politique bourgeoise. 

À nos yeux, cette opposition doit rassembler les forces politiques, syndicales, associatives, mais aussi les mouvements de lutte qui ne se retrouvent plus dans les cadres étroits et tronqués de la fausse démocratie électorale. Nous pensons que la légitimité n’est pas dans ces salons de discussion entre bourgeois bien-séants. Elle est à réclamer par les masses populaires, pour elles.


Elle est le fait de réclamer que nous représentons une « fraction du pouvoir réel ». 

Nous pensons que l’expérience du mouvement des Gilets Jaunes, avec ses assemblées populaires et ses assemblées des assemblées (Commercy, Saint-Nazaire, plus tard Montceau-les-Mines) forment une incarnation embryonnaire de cette opposition. C’est, de fait, elle -avec les discussions de rond-point, plus que tout autre chose, qui a donné le ton lors des sept derniers mois de lutte.
Nous pensons que c’est cela qu’il faut défendre, plus qu’un débat sur la question du vote, pour que cette expérience ne s’évapore pas, mais puisse être synthétisée et former une nouvelle base de départ pour d’autres luttes d’ampleur. Ce sont ces assemblées, éminemment politiques, qui ont formé le plus grand saut qualitatif au cours de la lutte des Gilets Jaunes, lui conférant son caractère politique de lutte la plus poussée de ces dernières décennies. 


Il reste un travail fantastique à faire. 

À la fois dans les luttes, pour qu’elles se rejoignent et se renforcent mutuellement, autour d’un centre constitué par les assemblées populaires et démocratiques. Elles continueront d’éclore tant que les attaques perdurerons. Et elles perdureront.
Nous appelons également à ce que les organisations politiques révolutionnaires soient renforcées. Nous appelons à ce qu’elles travaillent conjointement, pour faire face à la gravité de la situation sociale et économique, mais également, car, jusqu’à présent, la présence communiste révolutionnaire est restée bien trop anecdotique, à l’exception de succès locaux, dans le mouvement des Gilets Jaunes. Non pas en tant que force visant à contraindre la lutte à adopter des mots d’ordre qui ne sont pas les siens, en lançant des incantations, mais bien en faisant le travail politique qui permette aux revendications de triompher.


Comme le mentionnait le Manifeste :  « Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers.

Ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat.

Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.

Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.

Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. »

Nous devons le faire : la bourgeoisie a perdu du terrain. Elle a perdu de l’espace pour ses manigances, face à la résistance populaire, face aux luttes. Cet espace, elle n’accepte pas de le considérer comme perdu. Elle ourdi sa contre-offensive idéologique.

Elle trace aussi ses plans pour l’avenir. Car lorsque les droits économiques sont touchés, le lendemain, ce sont les droits politiques. Nous devons garder à l’esprit que la plus grande épreuve de force est encore devant nous.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *