Depuis maintenant 21 semaines, le mouvement des Gilets Jaunes se poursuit et continue d’être le centre de gravité des luttes sociales en France.Il s’agit d’un mouvement d’ampleur d’une durée incomparable avec ce qui a pu être connu sous la Cinquième République.
Ce mouvement possède une double nature : il est un mouvement social, un mouvement possédant des revendications économiques, relatives au niveau de vie, au salaire, aux impôts et aux taxes.
Mais il est également un mouvement politique au sens premier du terme, en ce sens qu’il porte des revendications qui concernent le fonctionnement du régime, de la démocratie bourgeoise, du pouvoir d’Etat.
À ce titre, il s’inscrit dans une continuité avec d’autres mouvements politisants, tel que les indignés, ou nuit debout. Cependant, la classe sociale qui l’anime n’est pas la même. Les premiers mouvements étaient surtout organisés par la petite bourgeoisie urbaine, intellectuelle. Les Gilets Jaunes, quant à eux, possèdent une base populaire, prolétarienne et ouvrière.
Les 21 semaines de lutte ont été pour des pans entiers de la population, un véritable bassin révélateur. Elles ont démasqué le caractère dictatorial du régime dans lequel nous vivons, régime au service de la grande bourgeoisie monopolistique.
Elles ont démasqué la nature de l’Etat, nature de classe au service des exploiteurs et des oppresseurs.Ces semaines de lutte ont également démasqué le rôle de la police, comme agent de la répression des masses, comme agent de la protection des intérêts des puissants. Elles ont pour, finir, démasqué le rôle des médias bourgeois comme fer de lance de la propagande anti-populaire.
Ce mouvement a brisé les mythes d’un « exceptionnalisme » démocratique dont la France serait championne.
À l’inverse,
les
tendances réactionnaires, fortes au départ,
appuyées par certaines organisations -comme le Bastion
Social ou l’Action Française- ou par des tribuns
réactionnaires -à l’exemple de Wauquiez- ont
progressivement renoncé, été mis en minorité ou éjectés.
Il
est aussi une fantastique expérience politique et démocratique. Les
ronds-points, les assemblées populaires, les assemblées des
assemblées forment une expérience de la démocratie populaire, une
expérience de la prise de décision, de l’application de
celle-ci. Une
expérience de la liberté, fondamentalement. À
l’inverse, ce mode de fonctionnement à permis de détacher les
opportunistes, les électoralistes, les parasites-sectaires du
mouvement, qui voulaient le détourner, l’enfermer vers des voies
électoralistes, ou même le solder pour compte dans l’intérêt de
leur organisation. Cette
expérience immense doit décanter pour renforcer la capacité des
mouvements de lutte à avancer et à être plus efficaces.
Certaines organisations -y compris parmi celles se revendiquant du communisme- ont été dépassées par la question politique au sein du mouvement.Ou elles ne l’ont pas comprise, en ne voyant dans ce mouvement qu’une simple force d’appui des luttes économistes et syndicales, ou elles ont carrément été effrayées par le développement politique interne, essayant même de le combattre. Dans les deux cas, même à leur corps défendant, ces organisations ont joué un rôle réactionnaire : elles ont lutté contre l’approfondissement du mouvement et ont travaillé à freiner la conscientisation politique.
Les organisations sont passées également par un processus de décantation. Celles qui sont restées à l’écart du point central de la lutte des classes ont été marginalisées, tandis que celles qui se sont investies dans ces questions en ressortent renforcées, au minimum en termes d’expérience.
Nous considérons que notre rôle est, au contraire, l’inverse : permettre un approfondissement politique, en appuyer les tendances du mouvement qui défendent la nécessite de la faire sur des bases progressistes, et, au contraire, mener une lutte -avec elle- contre le développement de tendances réactionnaires et liquidatrices.
Notre position est synthétisée dans le Manifestedu Parti communiste.
Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers.
Ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat.
Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.
Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.
Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien.
La fin générale, nous, nous ne la percevons pas comme devant être guidée vers les urnes, vers la soumission à un autre laquais de la bourgeoisie, qui n’aurait comme avantage par rapport à Macron que l’unique fait d’être un peu plus consensuel.
Notre
fin générale, elle est dans l’avancée vers le pouvoir populaire.
Le poids de l’usure.
Après autant de temps, cependant, il est indéniable qu’une certaine usure est apparue dans le mouvement des Gilets Jaunes. D’une manière générale, deux tendances apparaissent au sein du mouvement :
Une tendance au découragement, du fait de la brutalité avec laquelle répond le gouvernement, du fait de son absence de réaction face aux revendications qui ont été avancées par ceux et celles qui combattent et qui manifestent depuis 150 jours.
De l’autre, une tendance à l’approfondissement du mouvement, à sa structuration, impulsée notamment par Commercy hier, par Saint-Nazaire aujourd’hui. Lyon a été également parmi les pionniers, en impulsant les Assemblées Populaires.
Le gouvernement fait tout pour que la première tendance soit dominante. Il veut liquider au plus vite le mouvement des Gilets Jaunes. Par la propagande mensongère, par le déni de l’existence du mouvement, mais aussi par la force brute et l’intimidation. Mais cette brutalité n’est pas un signe de force, mais bien de faiblesse, pour un gouvernement qui doit recourir au mensonge constamment.
En revanche, il fera également tout pour que la deuxième soit marginale. Il veut liquider ce mouvement, car il prévoit d’autres attaques, terribles, contre tous les secteurs de la société. Il sait que ces attaques entraîneront des réactions vives, mais qu’il espère canaliser, en comptant sur le fait qu’elles restent isolées, tandis que les forces mobilisables seront épuisées et usées par un conflit de grande durée.
Le gouvernement est sommé par ses commanditaires de la grande bourgeoisie d’avancer dans les réformes à marche forcée. Cet empressement, reflet notamment de l’angoisse de la crise qui étreint cette grande bourgeoisie, fait qu’il ne peut attendre patiemment que les luttes s’éteignent avant d’allumer un nouvel incendie. Et ses objectifs sont immenses. Ils sont synthétisés dans le document CAP 2022.
Déjà, la réforme Blanquer est en marche, ayant pour objectif de rationaliser le nombre d’établissements scolaires et de réduire le nombre de personnels enseignants. Elle prépare également la voie à la privatisation générale de l’enseignement, maternelle, primaire et secondaire.
À sa suite s’accumulent un grand nombre de projets dans la même veine : réduire les services publics, réduire les dispositifs de solidarité, faire de la santé, de l’éducation, du transport des marchés offerts à leurs commanditaires. Et, comble, certaines ont été intégrées comme proposition du grand débat ! Une manière de faire plébisciter aux masses l’instrument même de l’aggravation de leur situation.
Il est certain que des luttes syndicales vont naître prochainement du fait de la mise en place de ce programme. Il se pose la question cruciale de savoir s’il sera possible d’unifier les forces qui luttent ou si elles continueront à rester séparer les unes des autres. Il se pose la question cruciale de savoir s’il sera possible d’unifier les forces qui luttent ou si elles continueront à rester séparer les unes des autres. C’est une question dont la réponse n’est pas définie.
En tant qu’organisation politique, nous appelons à ce que les barrières entre les luttes soient abolies, qu’elles puisse -non pas seulement « converger »- mais faire naître une synthèse, marcher ensemble, comme un seul front, un seul rang.
Nous pensons qu’à l’heure actuelle, il existe le cadre qui permette de pouvoir réaliser cette synthèse des luttes. Ce cadre est celui des Assemblées Populaires. Toutes les forces combattant avec résolution et sincérité contre la politique gouvernementale ont leur place en son sein.
Déjà, des liens se tissent grâce à son activité, elle a permis, sur Lyon, plusieurs actions communes et concrètes depuis le début du mouvement. Que ce soit des actions rassemblant écologistes, syndicats, étudiants et étudiantes, membres du corps enseignant… Elles se poursuivent et se systématiseront.
Les lieux de débat et de prise de décisions communes doivent être renforcés. L’Unité Communiste de Lyon considère que l’accroissement de l’influence des Assemblées Populaires est fondamental dans la poursuite d’une lutte de longue durée contre la politique du gouvernement.
L’Unité Communiste de Lyon appelle également à renforcer les organisations combatives qui luttent politiquement, syndicalement, mais également par l’autodéfense, contre les attaques des exploiteurs et de leurs agents provocateurs fascistes.
La contre-offensive qui vient.
Pour le moment, la mobilisation demeure stable. Elle incarne une véritable lame de fond qui secoue les masses populaires. Nous pensons que ceux et celles qui veulent l’utiliser pour leurs intérêts électoraux, qui essaient de la subordonner en catimini seront engloutis par le torrent que la colère populaire représente.
Il n’est pas possible, cependant, de ne pas évoquer la question de l’avenir et d’un reflux possible du mouvement des Gilets Jaunes. Nous devons prendre en considération l’approche des élections européennes, qui forment, comme toutes les élections, une diversion et une chape de plomb, mais aussi de l’été.
Le mouvement des Gilets Jaunes a généré, de fait, une opposition aux différentes formes d’expression de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise. Cet espace gagné aux idées de pouvoir populaire et prolétarien est intolérable pour la bourgeoisie. Il n’est pas possible pour elle de laisser, même dans le reflux, les choses en l’état. Elle doit regagner cet espace perdu par une contre-offensive idéologique.
Au reflux fera suite la répression, sous des formes potentiellement encore plus aigües qu’aujourd’hui, notamment dans les réquisitions des procureurs. Mais à la répression fera également suite une phase de réaction.
Cette phase de réaction avait été déjà tentée au travers de l’affaire Finkielkraut, qui, derrière le vernis louable de la lutte contre l’antisémitisme, ouvrait, en réalité, une boîte de Pandore. La boîte de Pandore de l’opposition entre musulmans et juifs, permettant aux discours les plus réactionnaires et les plus agressifs de s’exprimer. Discours qui se traduisent également par des intégrations de thèses ultra-réactionnaires dans les programmes électoraux.
Ainsi, nous avons pu constater que les thèses identitaires sont maintenant répercutées dans le programme des Républicains, mais, également, même, dans des organisations issues de la gauche. La création de « République Souveraine » par l’ancien porte-parole de la France Insoumise, Djordje Kuzmanovic, illustre cela. Nous reviendrons d’ailleurs sur cette création à l’occasion d’une autre publication.
L’affaire Finkielkraut à fait long feu, mais il est impensable que la bourgeoisie ne relance pas un coup de boutoir réactionnaire. Car, au-delà de la question des mouvements se pose également une question politique fondamentale. Il est clair que la destruction des droits économiques se traduira également, mécaniquement, par des attaques sur les droits démocratiques et politiques.
A moyen-long terme, il se profile une question, derrière le gouvernement LREM, qui ne sera jamais réélu, qui est un gouvernement à usage unique, missile téléguidé contre les droits sociaux. Cette question est celle du successeur qui sera adoubé par la grande bourgeoisie pour parachever le travail de liquidation de tout ce que les luttes du XIXe et du XXe siècle ont arraché.
Au travers des appels du pied que se font les uns et les autres, des tractations, des imitations de programme, ce qui apparaît, à l’horizon, est la question de la droite élargie. Ce cartel des droites, réunissant les notables des Républicains, les orateurs du RN/FN, les nervis fascistes du Bastion Social, de Génération Identitaire ou de l’Action Française, se dessine. Il est ce qui semble être la réponse la plus cohérente de la part de la grande bourgeoisie au climat de tension sociale prévisible à la suite de la destruction du niveau de vie, mais également des risques de conflits internationaux.
Nous avons pu voir des ponts se lancer, déjà, d’un côté à l’autre des deux rives de la droite.
La grande bourgeoisie monopoliste a toujours choisi comme héraut des groupes qu’elle jugeait les plus aptes à défendre cet intérêt le mieux possible. Cependant, avec l’aggravation des tensions, il n’est pas exclu qu’elle fasse un choix plus dur, plus brutal pour les protéger au mieux.
L’Unité Communiste de Lyon considère qu’il faut regarder avec sérieux l’apparition de ce pôle politique ultra-réactionnaire. Même la dissolution possible de Génération Identitaire, qui peut être perçue comme une victoire, peut paradoxalement permettre à celle-ci de renaître sous une forme compatible avec une ligue ultra-réactionnaire.
Nous considérons que face au triptyque Reflux-Répression-Réaction nous devons développer la nôtre : Organiser-unifier-consolider qui permette de transformer la victoire morale du mouvement des Gilets Jaunes et des luttes sociales et écologiques en victoire durable.
La meilleure manière de conjurer cette menace est par le renforcement des luttes, mais également par le renforcement du camp populaire et des organisations communistes révolutionnaires partout où elles sont. Nous appelons à l’unité et au travail commun pour être préparés à faire face aux questions qui s’imposeront à nous dans les années futures.