La mémoire de l’Holodomor

Le parlement vote une loi sur la reconnaissance de l’Holodomor comme génocide, imitant en cela une loi mémorielle Allemande de décembre 2022.

Le 28 mars 2023, le Parlement a voté une loi reconnaissant la famine de 1932-1933 comme un génocide organisé par la direction soviétique contre le peuple ukrainien. Nous ne nions nullement l’existence de la famine ou le fait qu’elle ait été meurtrière. En revanche nous considérons que le Parlement français a voté cette loi non pas sur la base d’une analyse historique mais uniquement dans un but d’image.

L’étude de la famine de 1932-1933 sera donc bridée et une partie des universitaires qui traient de cette question –dont une grande partie sont loin d’être des communistes fanatiques- pourraient être passibles de sanctions. Nous nous inquiétons de voir appliquée une loi mémorielle qui serait plus dure que celle en vigueur en Ukraine même, dans laquelle les débats historiographiques avant-guerre étaient largement pluralistes sur leurs interprétations.

 En revanche, nous considérons qu’il n’y a pas de consensus entre spécialistes de la question sur le caractère décidé et planifié de cette famine. Contrairement à d’autres génocides dans lesquels la volonté d’extermination est établie et avérée (Shoah, Rwanda, Arménie), la famine de 1932-1933 est multifactorielle : angoisse de l’insécurité frontalière, dysfonctionnements du ravitaillement, sacrifice des campagnes pour l’alimentation des villes, maintien des populations dans des régions en pénurie alimentaire, lutte à mort contre des expressions nationales vues comme des “manigances extérieures”… Si nous soulignons que cette famine possède un caractère anthropique fort, nous considérons que sa programmation reste à démontrer.

Nous considérons que l’utilisation du terme génocide (comme de celui de totalitaire) correspond plus à une volonté de rejeter un adversaire géopolitique dans une altérité monstrueuse qu’à réellement analyser le passé. Elle contribue à illustrer le fait que la public history (l’histoire publique, faite par les non-spécialistes) se réécrit constamment au prisme du présent et selon l’utilité actuelle. En cela, pour reprendre la formulation d’Andreï Gratchev “le passé […] est imprévisible”.

Il s’agit enfin pour la France de, à peu de frais, se donner une bonne image et une bonne conscience. Elle est en concurrence pour s’attirer les sympathies ukrainiennes, sésame utile en pleine crise des retraites. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’une tentative est faite en ce sens : on se souvient de la bouffonnerie des séances photos de Macron, grimé en Zelenski.

La Russie emploie l’image du nazisme, l’intégrant dans une narration largement déconnectée de la réalité, dans le but d’appuyer ses prétentions internationales et de se doter d’une légitimité à agir. Cependant, le Parlement français ne fait pas autrement en instrumentalisant l’histoire d’un événement terrible dans le but de s’en servir comme levier. Cette loi a été votée aujourd’hui, alors que l’Ukraine est placée sur un piédestal, par les mêmes qui la considéraient comme la maison close de l’Europe.

La forme même de la question prend en otage moral : voter contre la reconnaissance d’un génocide revient à s’exposer à l’accusation de complicité. C’est précisément ce qu’avait fait la Russie en proposant une résolution à l’ONU :  « Lutte contre la glorification du nazisme, du néonazisme et d’autres pratiques qui contribuent à alimenter les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée », USA et Ukraine avaient refusé de la voter, permettant à la Russie d’asseoir son image usurpée de “puissance antifasciste”.

Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté que le passé communiste soit régulièrement mis en avant. Nous nous souvenons de la tentative déshonorante de la Victims Of Communism Memorial Foundation de fait de la pandémie un “crime communiste” : “Alors que le bilan humain final de la pandémie est encore inconnu, ceux qui ont péri de l’épidémie doivent être inclus dans le compte mondial des 100 millions de morts des mains du communisme.

Il faut reconnaître un courage certain aux élus de la LFI et du PCF qui ont refusé de voter cette loi. Elle revient à s’exposer au risque d’être pris dans une tornade médiatique, tornade basée sur l’assimilation nazisme-communisme. Tornade d’autant plus forte que ceux qui s’en empareront n’auront qu’une connaissance superficielle de l’histoire, qu’ils compenseront par une volonté d’abattre la gauche parlementaire en cette période de luttes sociales.

Il est regrettable que les tragédies du passé soient utilisées avec un tel manque de discernement. D’autant que l’Occident, qui s’est illustré par sa solidarité à deux vitesses, s’illustre aussi par son examen de conscience tout aussi différentié. Tandis que l’actualité poussé à mettre en avant l’Holodomor, elle tend aussi à rejeter dans l’ombre d’autres souffrances. Ainsi, la famine artificielle du Bengale, dont l’étude sur le caractère organisé a été réalisée par le prix Nobel d’économie Amartya Sen, n’a jamais fait l’objet de la moindre condamnation.

Nous avons choisi de soutenir la lutte du peuple Ukrainien contre l’invasion Russe. Nous considérons que ce choix est justifié. Mais tout comme nous n’avons pas accepté que, lors des attentats, on tue une nouvelle fois les victimes sur l’autel de croisades anti-musulmanes, nous n’acceptons pas que les victimes de la famine de 1932-1933 le soient au nom des antagonismes géopolitiques et de l’hypocrisie.

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