Une réponse à « Antifas Profascistes » de Charlie Hedbo.

Une photo de l’article.

Il n’y a pas plus aveugle que quelqu’un qui ne veut rien voir.

Inna Shevchenko (parfois orthographié Chevtchenko) nous en fait une démonstration dans Charlie Hebdo. Dans un court article, elle fait la démonstration de tout son mépris envers la mouvance antifasciste, qu’elle accuse de ne pas voir le danger islamiste. En outre, elle considère que celle-ci a ramené le meurtre de Samuel Paty, advenu l’an passé, au rang de fait divers. Enfin, elle accuse l’extrême-gauche de censurer tout esprit critique dans la société.

Nous avons souhaité répondre à cet article, d’autant qu’aujourd’hui, à Lyon, la manifestation contre les violences d’extrême-droite se déroule. Alors que des antifascistes de la GALE sont en prison, alors que d’autres de la Jeune Garde ont été attaqués, voilà que notre autrice déclare : les antifas sont des profascistes.

Le pire d’ailleurs face à la médiocrité d’ici.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, l’autrice nous parle du Bélarus. Elle reproche que nous comparions la France avec ce pays. Quoiqu’un puisse penser de celui-ci, on retrouve un magnifique sophisme de la double faute. Le fait qu’il existe pire ailleurs devrait disqualifier les critiques qu’on peut formuler sur la démocratie libérale (ou du moins ce qu’il en reste) en France. Belle manière de censurer le débat. D’autant que nous voulons bien nous comporter comme des Lisa Simpson, qui profitent d’un moment à la télévision pour crier « Tibet Libre »… en étant aux USA. Quelle portée ? Quel intérêt ? Nous préférons nous occuper en priorité des problèmes sur lesquels nous avons une influence, ou sur lesquels nous pourrions en avoir une. Les dénonciations creuses et humanitaires ne servent à rien.

Faut-il accepter la restrictions du niveau de vie, des droits politiques, au nom de la situation plus complexe d’un pays coincé entre deux orbites géopolitiques écrasantes ? Voilà une curieuse manière de voir les choses. Mais bon, il ne s’agit que d’un point secondaire.

Le fond de l’affaire, c’est que l’antifascisme serait l’allié de l’islamisme. Après le judéo-bolchevisme, après l’islamo-gauchisme, voici l’islamo-antifascisme.

Islamo-antifascisme.

La très large majorité des organisations antifascistes ou d’extrême-gauche ont communiqué lors du meurtre Samuel Paty. Elles ont toutes dénoncé le terrorisme islamiste. En revanche, elles (et nous aussi) ont toutes été confrontés à une difficulté : celle de dénoncer l’islamisme pour ce qu’il est, une variante d’extrême-droite, sans pour autant alimenter le brasier incandescent de l’islamophobie. De plus, il fallait restituer le succès de l’islamisme dans son cadre socio-historique : l’assassin de Samuel Paty n’était pas organiquement lié à des groupes islamistes, mais il était influencé par une aura culturelle réactionnaire-obscurantiste qui prospère notamment grâce à l’islamophobie.

Il y a effectivement une question de tabou dans le fait parler de la violence et de crimes qui peuvent être commis par des personnes qui subissent-elles même des oppressions. Et effectivement certains trébuchent sur ce tabou en faisant, involontairement par contre, la même chose que Ernst Nolte, dans la querelle des historiens. Nolte avait fait du nazisme la réponse au communisme, et des crimes nazis la réponse aux violences de classe communistes. Il y a une part de vérité, mais dont Nolte s’est emparée pour exempter le nazisme de ses responsabilités. Aujourd’hui, certains font, naïvement, du terrorisme islamiste une simple réponse à la violence raciste au sein de la société. C’est là aussi partiellement vrai, mais cela fait oublier que l’islamisme possède aussi son autonomie, son agenda, ses ambitions. Cependant, le procès d’intention qui consiste à croire que l’extrême-gauche nie cette question est mensonger.

Un barrage contre le vent.

Votre « promesse de faire barrage aux islamistes » illustre la vacuité cosmique de vos propos. Qu’est ce que ça peut bien vouloir dire que cette phrase creuse ? Devrions nous nous engager dans les services secrets ?

Ce qui semble choquer l’animatrice du mouvement Femen est le refus d’exceptionnaliser l’islamisme et d’en faire quelque chose d’essentiellement différent du fascisme. Nous comprenons que Charlie Hebdo, du fait de ce qui est arrivé à une partie de sa rédaction, puisse être tenté de ne voir que leur bourreau et d’oublier les autres. Mais c’est là une erreur d’analyse, une myopie terrible. La sous-estimation de l’influence de l’islamophobie, du racisme (notamment du racisme systémique) est dangereuse. Elle conduit à ne pas vouloir comprendre pourquoi, parmi les exclus, certains cèdent au sirènes de l’islam radical. Et pourquoi certains, qui sont d’ailleurs des individus socialement atomisés et isolés, passent à l’acte.

D’un autre côté, peut-on minorer la menace de l’extrême-droite classique ? Cela nous paraît étonnant de la part d’une femme qui a elle même eut à subir les coups de CIVITAS lors de manifestations à Paris. Ainsi, l’extrême-droite raciste use de violence, elle menace, elle mutile, elle tue. Elle projette des attentats et en réalise certains. Mais la médiatisation n’est pas la même. Elle minore constamment les actes et les dépolitisent. Notamment parce que les terroristes fascistes blancs sont des « déviations à la norme » d’une stratégie qui vise rien de moins que le pouvoir. Et qui peut y parvenir.

D’autant que nous rappelons que le terrorisme n’est pas une nature mais une méthode. Nous détestons l’extrême-droite, qu’elle soit islamiste, catholique, paganiste ou athée. Mais nous lui accordons une certaine intelligence dans sa quête du pouvoir. Pourquoi se livrerait-elle au terrorisme maintenant, alors qu’elle est aux portes du pouvoir et que l’action de masse, publique, lui est permise. Les islamistes, qui profitent de l’intolérance pour prospérer, ont moins d’hésitations à passer à l’acte. De plus, leur vision du monde n’est pas la même : si les Talibans sont dans une logique de « libération » de l’occupation occidentale, Daesh poursuit des buts apocalyptiques : l’EI veut la guerre. Ils seraient les gagnants numéro 1 de la victoire de l’extrême-droite en France.

L’islamisme est il aux portes du pouvoir ?

Qu’on soit sérieux un moment, pourquoi les groupes antifascistes luttent-ils contre les fascistes ? Parce qu’ils sont aux portes du pouvoir.

L’autrice accuse les antifascistes de crier en permanence au loup, et donc, de voir du fascisme partout. Il est vrai que certaines organisations et certains groupes politiques sont passés maîtres dans l’idée de voir absolument partout des conjurations pour l’instauration d’un système totalitaire. Mais faut-il pour autant nier l’évolution dangereuse qui se produit dans notre pays et dans le monde ?

Que doit-on voir dans les mesures qui ont été prises par les gouvernements successifs, en s’appuyant d’ailleurs sur le levier de la peur des attentats ? Nous avons vu la délégation des fonctions de répression à la police et à l’administration, ce qui permet des stratégies de frappes préventives contre les militants et militantes. Nous avons vu l’entrée de l’état d’urgence dans la Constitution, la Loi Sécurité, les lois sur le renseignement… Le ministre de l’intérieur porte plainte contre ceux qui osent dire que la police tue. Certes ce n’est pas du fascisme au stricto sensu, mais cela indique un resserrement des libertés démocratiques sans précédent dans l’histoire récente de notre pays. Et cela ne résous d’ailleurs pas la crise politique actuelle, la désaffection pour la politique politicienne. La crise de régime couve, tandis que, sous les projecteurs des médias, les « hommes providentiels » s’avancent. Ce n’est pas du fascisme, mais cela contribue à rendre sa mise en place plus aisée, si le besoin se fait sentir. Et cela, c’est une réalité politique contre laquelle s’était battu Charlie Hebdo, quand ce journal était « de gauche ».

La lutte contre la réaction de l’extrême-gauche.

Nous luttons contre « les groupes islamistes » : par un travail fait dans les quartiers populaires pour recréer une solidarité autour de la classe sociale, de l’opposition à l’exploitation et de l’émancipation des femmes. C’est en cela que les antifascistes luttent contre les aspects réactionnaires de la pratique religieuse et contre la diffusion des idéologies réactionnaires. Pas en dessinant le prophète des musulmans sali, ou en limitant les femmes africaines à des utérus sur patte. Non seulement ça ne marche pas, mais cela contribue à polariser encore davantage les classes populaires de notre pays. Le fait de dire « on tape sur tout le monde équitablement » n’a pas de sens. Pour les dominants, qui ont leur relais d’expression, c’est un débat. Pour ceux qui reçoivent cela comme un baquet d’eau glacé de plus en plein visage, c’est une humiliation.

Nous défendons le droit à la caricature, c’est un droit démocratique. Mais qui demande deux chose : qu’on se pose la question de sa qualité, de son utilité, et qu’il y ait aussi une réciprocité des moyens de réponse. Nous n’avons pas vu en quoi certaines ont contribué à réduire l’influence des islamistes sur les classes populaires.

Il est vrai que ce sont des questions difficiles : les habitants des quartiers populaires ont été trahis par de nombreuses promesses politiques, ils se savent courtisés par des individus extérieurs à leurs problèmes, et qui se prétendent leurs porte-paroles. C’est également un militantisme complexe, dans lequel les questions sont rarement binaires, et dans lesquels ce ne sont pas de « gentils opprimés angéliques » face à de « méchants exploiteurs diaboliques », mais des situation complexes imbriqués, que le réductionnisme de classe ou intersectionnalité platement horizontale ne parviennent pas à traiter. L’un nie complètement la question du racisme, la question du féminisme, la question de discriminations spécifiques pour ne garder que la question de la place dans le système de production ; l’autre met cette dernière place, fondamentale, au même niveau que les autres, rendant impossible une résolution des contradictions dans la société.

Or, c’est souvent là où on retrouve une attitude compassée avec les aspects réactionnaires qui peuvent exister dans les classes populaires. Mais les erreurs et les manques ne la gauche révolutionnaire ne sont rien d’autres que des manques et des erreurs, pas des compromissions conscientes.

L’engagement international contre l’humanitarisme plat.

Nous apportons aussi une aide morale, politique, aux organisations progressistes qui sont sous le joug de régimes islamistes. Au sein de la coordination mondiale ICOR, nous travaillons avec des personnes qui « font barrage », parfois au prix de leur vie, à l’islamisme.

Islamisme régulièrement armé, équipé, financé par le commerce de la France avec les puissances réactionnaires. En 2017, la France était le deuxième partenaire commercial de l’Iran. L’Arabie Saoudite est le premier importateur d’armes françaises. Nous ne pensons pas que ce soit la gauchosphère qui négocie avec Daesh pour Lafarge, ou qui vend des armes aux bourreaux de Charlie Hebdo.

Les fascistes dans leur ensemble, sont dans une alliance tactique les uns avec les autres. Ils se répondent mutuellement. Nulle contorsion à cela : l’extrême-droite fait gagner l’extrême-droite. Point à la ligne.

Retourner la fausse citation de Churchill.

La victoire stratégique de l’extrême-droite peut être résumé par la fausse citation attribuée à Churchill « les fascistes de demain s’appelleront eux-mêmes antifascistes ». Elle est comprise dans son sens premier : les antifascistes sont en fait des fascistes. Mais la réalité est l’inverse : les fascistes mènent une campagne de fond, sur des thématiques qui étaient avant celles de la gauche : laïcité, liberté d’expression… en jouant sur des faiblesses que Karl Popper avait déjà illustré dans son ouvrage La société ouverte et ses ennemis : le fait de tolérer l’intolérance.

Or, ce « vrai fascisme » donc vous parlez, c’est en réalité simplement le rejet viscéral de gens qui n’en peuvent plus d’être moqués, conspués, insultés. Il est vrai que la cancel culture est révélatrice de quelque chose : le fait que, de manière croissante, qu’il n’y ait plus de tolérance pour certaines choses. Ni pour les expressions réactionnaires, ni pour le fait de laisser la parole à des personnes qui par leurs paroles et leurs actes, sont jugés infréquentables.

Les prises de conscience auxquelles, d’ailleurs, les femen ont contribué, ont été nombreuses. #Metoo, #BLM, ont mis en exergue des problèmes de structure dans la société. Des problèmes qui ne se résolvent pas par une simple mise en retrait. L’antiracisme qui consiste simplement à ne pas tenir de propos racistes est devenu insuffisant. Aujourd’hui, la demande est de mettre fin aux inégalité de traitement et au silence sur une histoire occultée, dominée par la vision eurocentrique du monde. De même, dans la question du sexisme, du patriarcat, dans les questions posées par les mouvements LGBT+, il n’y a pas qu’une exigence de l’absence d’action négative, mais aussi l’exigence d’une transformation des rapports sociaux et des rapports de genre.

Un mouvement totalitaire, et alors ?

Le décalage entre les aspirations de ce mouvement et l’inertie de la société créé ce gouffre qui suscite frustration et colère d’un coté, mépris et ignorance de l’autre.

Dans ce moment d’intolérance envers l’intolérance et la réaction, il existe, dans un sens, un caractère totalitaire1 : toute expression est politisée, et le silence est vu comme complice. Cela cause parfois des exagérations et des abus ainsi que des utilisations cyniques, notamment pour ceux et celles qui sont parvenus à l’utiliser à leur avantage. Mais ce sont des éléments secondaires dans un mouvement qui représente une volonté de transformation culturelle. Cette imperfection ne doit pas servir à l’inverse : laisser la réaction s’étaler partout, dans l’ensemble des médias. Le fait d’être plus inquiet de cela que de l’omniprésence de Zemmour dans les médias montre la myopie de l’autrice.

Nous n’allons pas mentir, nous n’aurions pas cette patience avec les agitateurs fascistes et réactionnaires. Nous n’avons pas l’intention de créer un zoo des pensées politiques, dans lequel il faudrait considérer que les chapelles fascistes font partie de la biodiversité politique. Nous voulons transformer le monde, le changer. Traitez-nous de totalitaires, cette injure nous glisse dessus.

Comme un de nos camarades du Togo nous l’a bien résumé : il faut être dur quand on doit l’être et démocratique quand on peut l’être. Nous, nous ne voulons pas maintenir la médiocrité d’ici en l’état actuel. Nous ne voulons pas vivre dans un monde où on accepte comme un état de fait la misère, la souffrance, l’exploitation. C’est pour cela que, si pour réduire les entraves vers un monde meilleur, il nous faut censurer quelques vipères, mettre sous les verrous des agitateurs qui appellent au terrorisme raciste, se protéger contre des agresseurs réactionnaires, nous le ferons sans mentir à quiconque. C’est pour cela que nous n’acceptons pas d’être dépeint ainsi dans un journal qui flirte aujourd’hui avec l’extrême-droite.

1 Nous employons ce terme comme un terme analytique, mais ni comme une critique, ni comme une disqualification du mouvement.

Notre article sur les attentats du 11 septembre.

20e anniversaire des attentats du 11 septembre.

Notre article sur l’assassinat de Samuel Paty :

Samuel Paty.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *