20e anniversaire des attentats du 11 septembre.

Pour l’ensemble du monde, il y a un avant et un après 11 septembre 2001. Ce jeudi matin, quatre avions étaient détournés par des membres d’Al-Qaïda. Trois se sont écrasés sur des objectifs symboliques importants, le dernier a percuté le sol non loin de Pittsburgh, après avoir été repris par les otages.

Coalisés autour de la figure d’Oussama Ben Laden et du Mollah Omar, les terroristes avaient choisi de frapper le World Trade Center, centre économique et symbole de la skyline new-yorkaise, mais aussi le Pentagone, centre névralgique des opérations militaires US. La dernière cible est restée spéculative : Maison-Blanche, Capitole ? Impossible à dire avec certitude.

2977 personnes sont mortes, ainsi que 19 terroristes. 25 000 personnes, selon l’estimation maximale, ont été blessés. Aujourd’hui, reste difficile de faire l’évaluation des conséquences pour la santé de la destruction des tours. L’exposition aux fumées et aux aérosols liés à la destruction de celles-ci ont produit une élévation des maladies, en particulier chez les secouristes. Au delà des pertes humaines, un grand nombre d’œuvres d’art, exposées dans les tours, ont été détruites.

L’événement est un choc terrible, invraisemblable, dans un occident qui se croit invulnérable et en paix. Le 11 septembre est déchire un grand nombre d’illusions : celle de la fin de l’histoire et celle de la Pax Americana.

Du 11 septembre 1990 au 11 septembre 2001 de la fin de l’histoire au temps des troubles.

« Nous nous trouvons aujourd’hui à un moment exceptionnel et extraordinaire. La crise dans le golfe Persique, malgré sa gravité, offre une occasion rare pour s’orienter vers une période historique de coopération. De cette période difficile, notre cinquième objectif, un nouvel ordre mondial, peut voir le jour : une nouvelle ère, moins menacée par la terreur, plus forte dans la recherche de la justice et plus sûre dans la quête de la paix. » Ce discours, prononcé le 11 septembre 1990 par Georges Bush père marque l’ouverture d’une période de suprématie américaine totale. Une période qualifiée de « Nouvel Ordre Mondial », avant que ce terme ne devienne l’apanage des conspirationnistes. La domination américaine s’articule autour des conceptions définies par Zbinew Brzezinski, politologue ancien conseiller de Carter, grand manitou de la politique extérieure US. Brzezinski voit dans les USA le premier empire universel du monde, le seul capable d’assurer un ordre de prospérité économique et d’harmonie. Charge à lui d’être le gendarme du monde et de refouler la Russie et la Chine loin des océans du commerce mondial.

L’URSS est moribonde. Le mur est tombé. Les guérillas communistes semblent s’épuiser en vain. Les derniers régimes « voyous » sont encerclés par les USA et son hegemôn, qu’Hubert Védrine qualifie d’hyperpuissance. Ils ne peuvent plus profiter des interstices laissés par les affrontements entre occident et bloc est. La démocratie libérale déclare qu’elle a triomphé et qu’elle représente la forme de pouvoir ultime, l’aboutissement de l’histoire. Francis Fukuyama déclare que nous entrons dans l’ère de la fin de l’histoire. Désormais, elle coulera comme un fleuve tranquille, allant vers le futur radieux promis par le libéralisme, par l’Organisation Mondiale du Commerce et la mondialisation. Un été illusoire et anesthésiant s’installe.

11 ans plus tard, jour pour jour, celui-ci subit sa première tempête. Un nouveau paradigme commence à s’installer. Un paradigme sournois, génocidaire : celui du Choc des civilisations. Samuel Huntington proclame l’incompatibilité civilisationnelle entre les mondes. En faisant cela, il déclare la fin de l’universalisme et le développement d’une vision du monde dans laquelle l’humanité doit rester divisée. De fait, la paix ne peut être obtenue par le ralliement, par le soft power, elle ne peut l’être que par le hard power, par la domination, par un ordre impérial. Cette vision du monde conquiert les esprits d’une partie des décideurs américains, les néoconservateurs. Elle est celle qui sous-tend aussi aujourd’hui les discours de Zemmour.

Tout comme Pearl Harbor, le 11 septembre a broyé les tendances isolationnistes. Les Républicains, qui avaient critiqué la politique interventionniste de Clinton, vont s’en servir pour mobiliser les esprits américains. La politique intérieure américaine se durcit terriblement, avec notamment la mise en place du Patriot Act, qui permet à l’État de contrôler la liberté d’expression et de critique. Le war on terror se lance.

Les USA lancent une série de guerres : en Afghanistan, pour punir les protecteurs de Al-Qaïda. Puis en 2003, les USA attaquent l’Irak. La raison est différente : les liens entre les terroristes et les grandes familles d’Arabie Saoudite ont effrayé plus d’un. Prendre le contrôle de l’Irak, c’est assurer un approvisionnement en pétrole par une autre source. C’est également couper l’herbe sous le pied d’un concurrent des années 1990 : la France, premier partenaire commercial du régime de Saddam Hussein. En lançant ces opérations, les USA déclenchent un effet domino qui ne s’arrête jamais. Non seulement les guerres ne sont pas gagnées, mais elles décrédibilisent leur puissance. De plus, groupes après groupes se forment pour lutter contre leur présence, nourrie par un antiaméricanisme érigé en valeur cardinale. Cette « radicalisation cumulative » propulse sur le devant de la scène des formes toujours plus radicales d’opposition : Daesh par exemple, qui, contrairement à Al-Qaïda, ne cherche pas une « libération » d’un territoire. L’État Islamique cherche au contraire à attirer au maximum les armées occidentales au Moyen-Orient, dans le but de les battre au cours d’une bataille apocalyptique.1

Cette guerre sans fin et sans victoire possible2 martèle surtout les civils, pris en otage dans un conflit qui n’est pas le leur. La guerre contre le terrorisme se traduit surtout par des actes de cruauté des services de renseignement, les destruction, les déstabilisations, la mise en place de régimes fantoches… lesquels s’effondrent dès qu’ils ne sont plus portés à bout de bras.

Le reste de l’occident, notamment Londres et Madrid3, ont été frappés par la même foudre. Dans son sillage, une peur s’est installée, la peur de l’islamisme, la peur du migrant, la peur du réfugié, la peur d’une cinquième colonne formée par les descendants de migrants et de migrantes. Cette peur, les réactionnaires s’en sont nourris. En faisant cela, ils ont attisé la haine ans la population, marginalisant, stigmatisant. Et cette stigmatisation a entraîné des adhésions plus fortes aux théories des islamistes radicaux : « l’occident ne veut pas de vous, détruisez-le ». Ce jeu (partiellement conscient au moins) de question-réponse entre extrêmes-droites nous mène à la situation actuelle. Aujourd’hui, l’ombre du 11 septembre est toujours présente, toujours plus noire et venimeuse.

Impossible positionnement critique.

Les victimes du terrorisme ont suscité un émoi immense. Les images des tours jumelles s’effondrant, les sauts dans le vide de ceux qui préféraient une mort rapide à la morsure des flammes, les pompiers s’engouffrant dans le nuage de poussière… le choc traumatique a marqué tant les américains que le monde entier. On ne compte plus le nombre de productions qui ont fait plus ou moins référence à cet événement. Aujourd’hui encore, nine eleven est devenu un talisman argumentaire, saisi par l’ensemble des bords politiques, jusqu’à la saturation4.

Surtout, nimbés du statut de victime, les USA n’étaient plus critiquables. Un moment totalitaire, tel que décrit par Hannah Arendt, s’est mis en place. Le monde se coupait en deux : les alliés des USA, considérés incarnant la démocratie mondiale et ses ennemis.

Cette chape de plomb empêchait de se poser la question des responsabilités des USA dans leur propre malheur, mais aussi de s’opposer aux opérations de vengeance mises en œuvre. Ainsi, lorsque la France s’oppose à l’invasion de l’Irak (pour des motifs d’influence dans ce pays, non par humanisme), elle est conspuée et méprisée.

A la suite des attentats du 11 septembre, la chanteuse Axelle Red et le chanteur Renaud écrivaient « Manhattan – Kaboul », retraçant deux perceptions : celles d’une Afghane et celle d’un Portoricain américanisé. L’une tuée par les Talibans, l’autre victime des attentats du 11 septembre. Nous citons un extrait :

Deux étrangers au bout du monde, si différents
Deux inconnus, deux anonymes, mais pourtant
Pulvérisés, sur l’autel, de la violence éternelle

So long, adieu mon rêve américain
Moi, plus jamais esclave des chiens
Ils t’imposaient l’Islam des tyrans
Ceux là ont-ils jamais lu le Coran.

L’impression de cette chanson est celle d’une symétrie de la violence entre deux camps qui imposeraient une « violence éternelle ». Mais en réalité, elle résume celle-ci à un affrontement unilatéral : les terroristes contre les non-terroristes. Les USA y sont intégralement dédouanés de leur responsabilité dans le cycle de violences qui ont conduit à la perpétuation de cette attentat. Or, si ce texte se veut commémorer un événement terrible, ce n’est pas rendre hommage à la mémoire des victimes que de dénaturer la trajectoire qui a mené à ce que l’attentat ait lieu. La réalité étant que les USA, à la suite d’une politique criminelle, se sont défaits eux-mêmes.

Les fantômes du 11 septembre.

Derrière ces 11 septembre, celui de 1990, celui de 2001, il en existe un autre, en filigrane. Le 11 septembre 1973, lequel marque le coup d’État de Pinochet au Chili. Que vient faire le Chili ici ? Il vient illustrer une série de choix qui vont mener à ce que les USA subissent cette attaque.

Durant la guerre froide, les USA et l’occident en général sont au prise avec une menace absolument terrible pour eux : le risque de victoire du socialisme dans le monde, et, indépendamment de celui-ci, le risque de leur marginalisation géopolitique, au profit d’une nouvelle centralité du monde, eurasienne. Pour contrer cette double menace, ils font feu de tout bois5, et n’hésitent pas à apporter leur soutien à tout ce qui peut contrer l’avancée du bloc soviétique. Notamment, ils organisent un grand nombre de dictatures, à l’exemple du Chili, subventionnent les mouvements d’extrême-droite (mais aussi d’extrême-gauche antisoviétiques!) en Europe, ou les narcotrafiquants d’Amérique Latine. Jouant constamment sur tous les tableaux, ils se prennent parfois les pieds dans le tapis, notamment avec l’affaire de l’Irangate6.

En 1979, ils participent au financement, à l’entraînement et à l’équipement des réseaux anticommunistes d’Afghanistan. Parmi ces groupes, les Talibans. Les Talibans, faction radicale anticommuniste et islamiste, mouvement d’extrême-droite afghan, prennent l’ascendant sur les autres groupes. Ils finissent par dominer le pays. Maîtres chez eux, ils hébergent des groupes internationaux sous leur protection. L’un d’entre eux, fondé par Oussama Ben Laden et par Adballah Azzam, est Al-Qaïda. Ce groupe devient une « franchise » à laquelle se rallie un grand nombre de mouvements. Décentralisé, le groupe est une nébuleuse insaisissable. Il définit des objectifs simples : chasser des « lieux sacrés » la présence occidentale (dont israélienne). Possédant des moyens financiers importants, des combattants entraînés et un soutien populaire certain (lié à la déconfiture des régimes nationalistes arabes), ils sont en mesure de frapper leur ancien maître.7

En fin de compte, la politique sinueuse des USA s’est retourné contre eux. Leur choix de nourrir des monstruosités pour servir leurs desseins leur à coûté cher. Pourtant, ils continuent toujours, en particulier lorsque celles-ci font échec aux organisations du peuple et aux organisations révolutionnaires. En effet, même avec les mollahs, on peut faire des affaires. Il sufit de voir l’alliance entre USA et Arabie Saoudite, elle aussi partenaire de la France.

Le conspirationnisme, enfant du 11 septembre.

La caractère « incroyable » de l’événement, au sens premier du terme, fait qu’il est le point central d’un grand nombre de théories du complot. Il apparaît impossible que le pays le plus puissant du monde puisse être pris au dépourvu par des amateurs entraînés sur flight simulator et équipés de cutters. Une cohorte de légendes urbaines apparaissent, parfois relayées par des médias mainstream, lesquels laissent la parole de manière équivalente aux conspirationnistes et à leur détracteurs. Cela s’est logiquement traduit pas une crédibilité immense accordée à quelques clowns. Après le 11 septembre, le conspirationnisme va devenir le partenaire obligatoire de chaque événement. Le développement d’internet va aussi créer un nouvel espace dans lequel les conceptions paranoïdes du monde vont s’épanouir.

Faire l’inventaire de l’ensemble des scénarios serait fastidieux et sans intérêt. Mais ils possèdent un trait commun : ils nient la possibilité que les USA aient subit une réelle défaite et que le colosse américain ait des pieds d’argiles. Pourtant les événements qui ont suivi cet attentat ont marqué un déclin progressif de l’hyperpuissance US.

L’affirmation de la Chine, qui rentre dans l’OMC et gagne progressivement en influence. Le retour de la Russie sur le devant de la scène8, avec notamment la victoire contre la Tchétchénie, l’irruption au pouvoir de l’inamovible Poutine, puis, surtout, la guerre en Géorgie de 2008. Un pays membre de l’OTAN pouvait être attaqué sans réaction du camp occidental. Pendant ce temps, les guerres entamées ne sont toujours pas gagnées ou sont perdues. La transformation du monde en espace multipolaire fait ressurgir le spectre des guerres symétriques, des affrontements entre puissances.

Aujourd’hui, nous sommes dans ce monde post-9/11. Ce monde marqué par l’incertitude, l’inquiétude, la peur du terrorisme, de l’instabilité. Un monde de précarité constante, croissante, a laquelle s’est conjuguée la crise économique de 2008 et la crise climatique. Mais ce monde instable, qui est l’opposé complet d’une fin de XXe siècle figée par les blocs et les camps, est aussi un monde de perspectives nouvelles et d’opportunités de victoires. Des victoires mineraient à un monde qui serait tant la négation de l’US-Army que des Talibans : un monde d’égalité, de solidarité et de liberté réelle.

1En toute objectivité, cela ne leur a pas porté chance.

2« L’ennemi est le terrorisme. Cette désignation est inepte. Car le terrorisme n’est pas un ennemi : c’est une méthode de combat. » Jean-Pierre Steinhofer

3Le gouvernement de José Maria Aznar a tenté de faire porter le chapeau à l’ETA, avant de rétropédaler honteusement.

4Une illustration sarcastique du suremploi de l’argument du 9-11 : https://youtu.be/Gi4Z06IbSek

5Ils faut rendre justice, ils ne sont pas les seuls : la France gaullienne, dans sa « théorie des trois mondes », va nouer une série d’alliances aussi douteuses : avec Israël, avec l’Afrique du Sud, avec l’Iran et l’Irak en même temps, mais aussi avec le Chili de Pinochet ou l’Arabie Saoudite.

6« L’affaire Iran-Contra ou Irangate est un scandale politico-militaire survenu aux États-Unis dans les années 1980 pendant le second mandat de l’administration Reagan. Plusieurs hauts responsables du gouvernement fédéral américain ont soutenu un trafic d’armes vers l’Iran malgré l’embargo touchant ce pays. » (Wikipédia). L’argent servait à payer les escadrons de la mort, ou Contras du Nicaragua.

7En toute impartialité, la Russie a connu la même situation. Elle va entraîner et équiper des groupes caucasiens lors de la guerre d’Abkhazie (1992-1993). Elle les retrouve en face d’elle, par la suite, dans la guerre de Tchétchénie (1994-1996).

8Sous une forme et avec un contenu sans rapport avec celui de l’URSS.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *