Que faire de mieux ?

Dans notre précédent article au sujet de l’assassinat de Nahel et de ses conséquences, nous avons exposé quelques principes qui nous paraissent fondamentaux dans l’appréhension de tout mouvement collectif. L’on peut noter :

  1. Conserver et défendre une autonomie politique de classe dans notre discours, pour que ce dernier ne puisse ni être phagocyté ni participer à celui des réactionnaires.
  2. Faire preuve du discernement requis pour distinguer le nécessaire du contingent, et ne tomber ni dans la déviation gauchiste ni droitière. C’est à dire, éviter autant de projeter avec naïveté nos aspirations et nos frustrations sur la réalité, que de ne pas voir en quoi cette réalité, aussi imparfaite et insatisfaisante soit-elle, peut déjà posséder un caractère politique et populaire. Autrement dit, se prémunir tant de la cécité qui voit du politique là où il n’y en a pas (« tout ce qui bouge est rouge »), que de celle qui ne voit pas là où il y en a (« ce ne sont que de la racaille avide de pillages »).

Oui, ces émeutes ne sont pas révolutionnaires. Comme nous le notions, il est à déplorer un total manque de direction politique, l’immaturité des mots d’ordre et l’absence d’une conscience de classe. Mais devrions-nous donc, sinon la condamner, simplement regretter cette explosion de colère ? Cette position qui semble plus modérée n’est pourtant pas plus sage. Premièrement, car pour les 2 raisons évoquées plus haut, une telle rhétorique ne reviendrait qu’à avaliser (volontairement ou non) l’ensemble des appels au calme, c’est-à-dire le discours bourgeois anti-populaire. Deuxièmement, car elle ne voit pas en quoi les perspectives de progression ne sont pas dans le rejet des émeutes qui s’observent aujourd’hui, mais dans leur dépassement.

Quelle est la différence ? Il est indéniable — comme nous l’avons déjà dit — que ce mouvement social fait face à une impasse causée par son manque de construction politique (organisationnel, stratégique, tactique, idéologique, etc.). Cela signifie que la colère qui s’exprime, cette violence, n’est pas canalisée. Elle n’est pas « sauvage », car elle possède indéniablement un contenu politique, mais celui-ci est brut et encore stérile. Cette révolte est spontanée et désorganisée, d’où la proportion importante de dommages collatéraux qui ne peuvent pas être expliqués ou justifiés politiquement. Cependant, le politique est là — ce qui ne veut pas dire qu’il est conscientisé comme tel ou qu’il est suffisant.

Des observateurs se croient très intelligents en disant que les violences urbaines n’ont plus rien à voir avec Nahel, ou qu’elles reviendraient à salir sa mémoire. Cette « dérive » s’appelle la « montée en généralité » : la colère dépasse le meurtre de Nahel pour révéler celle du prolétariat, plus particulièrement celui des nations dominées de métropole (celles de l’ancien empire colonial français, aujourd’hui néocolonial). L’on apprend également que les pillages ne sont pas politiques car, comme chacun le sait, les intérêts matériels, ou la haine sociale, sont apolitiques. Les pillages n’ont rien de récent dans l’histoire ouvrière, et ont été historiquement plus la norme que l’exception. Rejeter radicalement et violemment un statu quo désigné comme insupportable est toujours politique. Il est normal que ce rejet ne corresponde pas aux catégories misérabilistes ou pacifistes qui séparent la révolte acceptable de l’inacceptable, qui se voit par là déchue de son statut de politique.

L’on constate à gauche, même chez certains communistes, l’émergence de sentiments bien paradoxaux. Celles et ceux habitués aux invocations les plus enflammées de discours révolutionnaire sont soudainement frappés de modération, et appelle à la pondération et à la retenue. Pourquoi ? Car cette violence et cette colère ne sont pas la leur, ils ne la partagent pas, ou ne l’expriment pas de cette manière, donc ne la reconnaissent pas pour ce qu’elle est. C’est ainsi que la frange du prolétariat aujourd’hui en action se voit destituée de sa nature de classe, et excommunié dans la catégorie du « sous prolétariat » (lumpen prolétariat). Cette analyse est simplement fausse, et très symptomatique d’une déviation de droite (tout comme y voir la révolution déjà là, ou n’avoir un jugement qu’a-critique, est une déviation de gauche). Aujourd’hui, 6 ans après, il est facile d’oublier que les prolétaires ayant participé aux Gilets jaunes ont d’abord été qualifiés par la même gauche qui aujourd’hui regrette l’effervescence d’alors, de petit bourgeois poujadistes et complotistes. Nous y reviendrons.

Ils ont raison de se révolter, et ils ont raison aussi lorsque la révolte n’est pas optimale ni réfléchie. Comme nous l’avions déjà dit, la liberté et le devoir de critiquer les excès (actes et idées réactionnaires, brutalités antisociales, etc.) et les manquements (absence de projet politique et de stratégie), ne dois pas nous faire dévier de la seule position fondamentalement juste lorsque se déchaîne une révolte prolétaire (car c’est bien ce dont il s’agit) : la défense de l’autonomie politique de classe contre le bloc réactionnaire. Ce combat ne peut tolérer aucune lâcheté ni aucun pessimisme de la part des communistes. Il faut tracer une ligne de démarcation entre notre classe et les liquidateurs-pacificateurs, qu’ils le soient par frayeur des débordements ou par vaine exigence d’un mouvement pur et parfait — idéal sinon rien ! — qui n’existe que dans leur aspiration.

Les seuls appels au calme audibles sont ceux émis par les collectifs de mères des quartiers concernés. Car elles connaissent l’ampleur de la répression qui vient, dont elles seront directement en première ligne. Cette peur n’est pas moins compréhensible que la colère de leurs fils et filles. Il faut reconnaître qu’elle est autant inévitable que cette dernière.

À court terme, on ne peut pas s’attendre à des résultats correspondant à l’ampleur de l’énergie déployée. Cela ne veut pas dire qu’elle aura été en pure perte. Il est peu probable que la situation des banlieues s’améliore substantiellement prochainement, mais la plus-value de cette mobilisation doit être attendue ailleurs.

Les jeunes qui par milliers ont pris la rue les nuits dernières rentreront-ils sagement et définitivement chez eux ? Cet événement — aussi dans ce qu’il a de plus négatif — marque une génération d’une expérience indélébile, c’est une connaissance intime qui ne s’oublie pas. Tous ne sont pas de futurs révolutionnaires, beaucoup en resteront là, certains n’évolueront pas dans un sens plus politiquement construit, mais le terreau existe et ces événements s’y ajoutent. Il en va de même pour tous les mouvements de lutte collective, qu’importe le degré de défaite, car chacun d’eux est une étape inévitable jusqu’à la victoire. Il ne faut pas projeter nos aspirations révolutionnaires sur les quartiers populaires, pas plus que sur les syndicats ou tout autre mouvement populaire. Mais il faut voir le potentiel et les promesses futures qu’il y existe, là aussi.

Certains s’offusquent car la violence sociale ne brûlerait pas les bons bâtiments ou ne pillerait pas les bons magasins. Ceci serait le révélateur que ces actions n’ont rien de politique et ne serait que strictement récréatives. Il y a trois choses à répondre à cela.

  1. D’abord, il n’y a aucun sens à opposer récréatif et politique, même lorsque le premier peut être contre-productif et empiéter sur le second. Ils ne s’excluent pas, et dans les mobilisations spontanées et désorganisées que l’on observe aujourd’hui, l’un est à attendre avec l’autre. La catharsis d’une colère sociale ne serait-elle politiquement valable et apte à être exprimée violemment que si et seulement si elle est aussi correctement organisée ?
  2. Ensuite, les questions de tactiques sont justes (« Quelles cibles sont prioritaires ? Pourquoi attaquer X ou Y bâtiment ? »), mais restent hors sol lorsque nous parlons d’une révolte spontanée et désorganisée. Cela serait comme reprocher aux luddites de ralentir l’accumulation des forces productives en détruisant des machines, au lieu de s’organiser comme classe relative à celles-ci — le capital, ce qui ne serait pas faux per se, mais politiquement inutile si ce n’est pour concourir aux discours contre-révolutionnaires.
  3. Enfin, ces débats sont condamnés à rester scolastiques s’ils abordent le problème « dans l’abstrait » de « ce qu’il faudrait faire s’il y avait une direction organisée », et surtout, ils apportent de l’eau au mauvais moulin. Qui a aujourd’hui l’autorité pour dire qu’il est bon et révolutionnaire de brûler un commissariat ou une mairie mais qu’il serait mal et autodestructeur s’il s’agit d’une école ou d’une bibliothèque ? Là où nous voulons en venir, c’est qu’il n’y a personne aujourd’hui qui puisse se revendiquer capable de définir quels sont les bons symboles à attaquer, et au contraire ce qui relèverait du bien commun à protéger.

Le récréatif est l’expression d’une haine de classe profonde, personne n’aime spontanément collectivement piller ou brûler. Ce discours part du principal qui devrait sembler évident qu’il est communément amusant de dépouiller un LIDL ou d’attaquer des institutions d’État. Comment en arrive-t-on là ? Est-ce naturel ? Culturel ? Non. C’est une catharsis de classe qui répond à une haine de classe.

Cette haine et ce désir de destruction, ce n’est pas une violence apolitique, c’est une violence prolétaire. Beaucoup la ressentent dans leur tripe, cette envie de « tout cramer ». Il paraît si évident que « les jeunes de quartiers populaires veulent tout détruire » que l’on oublie de se rappeler que cela n’a rien d’un allant de soi, et tout d’un problème à poser dont la réponse est là encore que c’est un phénomène de classe. L’aspect prolétaire est principal, là où la dimension culturelle propre à ces quartiers est secondaire, comme toujours, il ne faut pas s’échouer dans la réification des identités — confondre cause et conséquence en utilisant comme explication ce qu’il faut expliquer.

Les accusations de « mobilisation plus récréative que politique » ne sont pas nouvelles non plus. Les occupants des ronds-points étaient ainsi allègrement qualifiés de « chômeurs buveurs de bière ». Les Blacks blocs « d’étudiants en manque de frisson ». Ou encore les syndicalistes de « fainéants amateurss de barbecue ».

La gauche radicale a — malgré ses divisions — ses codes. Ainsi, sans que cela ne fasse consensus, pour beaucoup attaquer une banque ou un organisme d’État est positif. Pourquoi ? Car cela revient à s’en prendre aux symboles honnis de l’État et du Capital ! Mais, attention, attaquer une école ou une bibliothèque serait le fin fond de l’erreur ! Pourquoi ? Car cela reviendrait à pénaliser les travailleurs et travailleuses du quartier. Cela peut paraître une évidence, mais cela ne fait que révéler les doubles standards de cette gauche, qui selon que les cibles de l’émeute correspondent à ses codes ou non, se croit capable de différencier le bon du mauvais vandalisme. Une école ne serait pas le lieu de la reproduction sociale de la hiérarchie capitaliste ? Le premier lieu de l’exclusion et de la distinction sociale ? Une institution de contrôle, calibré pour « surveiller et punir » ? La bibliothèque ne serait pas pareillement le temple d’une culture dominante, légitime, qui écrase et nargue celles et ceux à qui elle n’appartient pas, où certains sont refusés à l’ascension sociale qu’elle représente ? Soit, un autre lieu symbolique de l’ordre républicain, ou de la bienséance bourgeoise ? À l’opposé, une banque et une mairie ne sont-elles pas des lieux essentiels de la vie d’un quartier ? Tout et rien peuvent être des « bonnes » ou des « mauvaises » cibles. L’on peut toujours choisir de voir « l’assaut contre le monde capitaliste » ou « l’acte irréfléchi qui retombera sur le dos de monsieur et madame tout le monde ».

Quant à la rhétorique des dommages collatéraux de la casse, elle n’est ni plus ni moins que celle qui est utilisée par les partisans de la politique bourgeoise, à chaque occasion. Et ce autant contre les Blacks blocs que les Gilets jaunes ou les mobilisations syndicales. Ce furent les arguments invoqués dès les premières casses de la Loi travail (« Ils font la faillite des petits commerçants ! »), lors des blocages de ronds-points de 2018-2019 (« Ils gênent tout le monde ! »), mais aussi à chaque grève (« Ils prennent la France en otage ! »). Il y a et il y aura toujours des dommages collatéraux. Et plus une mobilisation est anarchique, plus la proportion d’excès est à attendre dans celle-ci.

Les tenants de la critique des violences urbaines en manifestation pourraient répondre que ce sont là de bons arguments anti-casse (« il faut user de méthodes qui n’ont pas de dommages collatéraux »). Mais nous pouvons répondre alors qu’une grève réussie est précisément une grève qui bloque le pays. Quid des pauvres usagers qui ne peuvent plus circuler lors des grèves à la RATP ou à la SNCF ? Quid des ordures qui s’accumulent aussi dans les quartiers défavorisés lors des grèves des éboueurs ? Nous pourrions continuer longtemps dans cette fuite en avant, à la recherche désespérée d’un mode d’action efficace à la précision chirurgicale (qui ne dérangerait que les « bonnes » personnes). Du côté syndicaliste des choses, le problème se pose aussi, l’on attend l’invention de la grève qui ne gêne que les bourgeois. Pourquoi serait-il glorieux que des grévistes détruisent les machines de leur usine menacée de délocalisation, mais le comble de l’autodestruction d’incendier des bâtiments de son quartier ? Sans que ces deux pratiques soient équivalentes pour autant, la différence de traitement concernant leur point commun (« l’autodestruction ») est un autre double standard.

Chaque mode d’action peut être accusé de « faire le jeu des politiques bourgeois en décrédibilisant le mouvement », de « ne pas s’en prendre aux bonnes personnes », et de « handicaper en premier les travailleurs et travailleuses ». Si nous descendons sur cette voie, nous finissons chez les partisans de la négociation et de la politique bourgeoise. Ce n’est pas alors que les émeutes ou la casse qu’il faut abandonner, mais toute forme de lutte ! Mieux vaut accepter qu’il n’existe pas, et qu’il n’y aura jamais d’omelettes sans casser des œufs. Cela ne clôt pas le débat de la juste tactique dans la juste stratégie, car il faut être le plus économe et impactant possible dans notre lutte (le meilleur rapport coût/bénéfice possible dans un plan au long terme). Mais l’existence ou même la prolifération de dommages collatéraux ne sera jamais un argument valable pour frapper d’anathème une méthode ou une autre.

Quel est le ressort tactique d’une grève ? Bloquer le travail et le capital pour bloquer la production de profit. C’est aussi fondamentalement un principe commun avec les opérations de blocage ou d’occupation. C’est précisément l’argument invoqué par les cortèges de tête (poser un problème à l’État en s’en prenant à la propriété privée qu’il est tenu de protéger). Les émeutiers ont frappé là où ça fait mal : la propriété privée. Cette transgression est révélatrice, les révoltés s’en prennent aux lois de la société de l’accumulation. Ils prennent ou détruisent par la force ce qu’elle leur promet sans leur délivrer. Sans que cela soit consciemment conçu comme tel, c’est une attaque contre l’ossature de la société capitaliste, ses normes, ses valeurs, son appareil de subordination, ses affronts, etc., de la part de ceux qui ont appris à la détester le plus. Le prolétariat n’a pas besoin d’attendre d’être une classe pour soi (consciente) pour connaître le capitalisme en soi (le vivre et le haïr).

Nous ne nions ni que 1) cette mobilisation présente des dommages collatéraux importants, que 2) ceux-ci sont sûrement par sa nature chaotique plus importants que nécessaires, et que 3) il existe indéniablement également un caractère récréatif et cathartique. Et alors ? En quoi cela change-t-il quoi que ce soit par rapport à tout autre mouvement ? L’on peut débattre des proportions (coût/bénéfice), et nous ne pensons pas que l’actuelle révolte soit identique à aucun des exemples cités. Mais in fine, nihil novi sub sole ! Si nous pensons qu’il est juste de se révolter contre le capitalisme et les politiques racistes héritées du système colonial, alors il n’est pas moins juste de le faire avec des méthodes qui ne seraient pas les nôtres. Nous pouvons critiquer le manque d’efficacité, ou les fautes politiques, mais nous ne pouvons pas nous permettre d’être des communistes ayant peur des ruines. Disons-nous que les émeutes équivalent à toutes ces autres mobilisations ? Non, elles ont leurs propres mots d’ordre, tactique, stratégie, etc. Mais ce que nous voulons exprimer avec ces comparaisons, c’est que ces émeutes doivent être jugées équitablement, selon les mêmes mesures que toute autre mobilisation.

En 2018, lorsque le mouvement des Gilets jaunes a spontanément débuté, quelle était la position juste ? De le condamner car non-organisé, infesté par les fascistes (Action française, Bastion social, Front national, etc.), aux mots d’ordre vagues, et lui aussi propice aux excès ? Après plusieurs années de recul, cette position semble ridicule. Pourtant, c’était celle d’une partie non négligeable de la gauche. Les discours n’étaient en rien différents de ceux que l’on entend aujourd’hui : « ça ne mènera nulle part », « il n’y a ni objectif ni ligne politique claire », « beaucoup ont des idées réactionnaires ou confusionnistes », etc. Rétrospectivement, il est facile d’oublier que les Gilets jaunes connurent leur lot de scandale et de procès en progressisme (justifiés !). Cependant, l’on doit tous et toutes se remémorer qu’il exista alors des faits aussi graves que d’intercepter des migrants en voyage dans un camion, pour ensuite les remettre aux autorités.1

Pour continuer avec l’exemple des Gilets jaunes, là aussi nous avions entendu un florilège de pseudo-arguments pour justifier la retenue de la gauche, qui prit plusieurs mois à dégeler. Mais que doit être notre logique maîtresse dans le jugement d’un mouvement X ou Y ? Premièrement, en connaître les mots d’ordre, explicites et implicites. Et deuxièmement, après une observation d’ensemble, distinguer le principal du secondaire, c’est-à-dire le nécessaire du contingent. Le mouvement des Gilets jaunes a — lui aussi — regorgé de slogans réactionnaires (anti-immigration, racistes, collaborationnistes de classe, etc.) et d’actes antisociaux, mais qu’est-ce qui qui était le principal? Que la sociologie était populaire, les revendications étaient concentrées sur des problématiques populaires (« justice sociale ») et des désirs d’appropriation du pouvoir politique (« démocratie directe », « 1789 »). Les aspects racistes et antisociaux n’étaient pas le cœur du mouvement, mais des dérives, importantes mais qui furent progressivement combattues et ostracisées (autant organiquement que consciemment). Les émeutes actuelles ne connaîtront malheureusement peut-être pas la même maturation (en raison de leur méthode de mobilisation plus fatalement éphémère), mais elles possèdent tout autant un aspect principal et secondaire. La nature de classe — prolétaire — et la qualité de la colère — populaire — sont principales, le reste est secondaire (ce qui ne veut pas dire négligeable !). Les idées réactionnaires et les comportements antisociaux existent dans les masses populaires, on l’a constaté, on le constate, et on le constatera toujours.

En quoi les modes d’action traditionnels de la gauche seraient-ils fondamentalement meilleurs que ceux qu’on choisit les jeunes de banlieues ? Le récent mouvement contre la Réforme des retraites, aussi organisé et large qu’il fût, se solda par un échec, qui n’est que le dernier dans l’histoire des luttes syndicales en France. Il faut faire mieux que des émeutes sans cadre et sans projet politique positif, mais qu’avons-nous à leur proposer dans l’immédiat ? L’impasse n’est pas que celle de l’émeute, elle est plus générale face à l’État bourgeois et à la politique néolibérale.

Il ne faut surtout pas être béatement admiratif des « réussites » martiales des émeutes (comprendre : avoir réussi à dépasser largement l’échelle des destructions matérielles de tous les apôtres du Black bloc rassemblé depuis 2016). Premièrement, car ces réussites ne sont que pyrrhiques (le nombre d’interpellations est très important et demain la répression étatique ne s’annonce pas plus douce). Deuxièmement, car malgré leur envergure, elles sont sans lendemain et ne sont que l’autre facette de l’impuissance du peuple face à la bourgeoisie et son État (l’explosion fait beaucoup de bruit et de fumée, mais elle est courte, contrôlée et n’aura qu’effleuré superficiellement la structure capitaliste et étatique). Et troisièmement, car elles sont le symptôme le plus éclatant de notre propre incapacité à convertir dans un sens transformateur et organisé ce potentiel révolutionnaire exploitable (les communistes sont encore inaptes à remplir leur devoir).

Nous avons toute la liberté de regretter cet état de fait, ou de redouter l’envergure de la contre-offensive réactionnaire, qui exploitera autant que possible à son compte les présents événements, et qui fera peser le poids de l’oppression d’autant plus lourdement sur ces quartiers. Mais dans les 2 cas, nous n’avons aucun pouvoir sur ces événements. Nous ne pouvons ni revendiquer, ni proposer une direction communiste à ce mouvement, ni empêcher les réactionnaires d’être réactionnaire, ou l’État bourgeois d’être bourgeois. Notre seule issue par le haut n’est pas dans le rejet ou la désolidarisation, mais dans le soutien (il faut en retenir ce qu’il y a de positif). Mais celui-ci n’est pas satisfaisant en soi, il ne doit être qu’une base, un pré requis, pour le travail qui attend les communistes : reconstruire l’organisation de classe et de combat du prolétariat, grâce à laquelle la violence ne sera plus le langage de la frustration sans avenir, mais celui de la transformation révolutionnaire.

Cet outil de notre victoire doit quitter notre imagination, pour aller s’enraciner dans les masses populaires de France. Mais en attendant qu’il existe, et puisse revendiquer avec succès être l’unité et l’arme des exploités et opprimés, nous ne pouvons pas nous contenter de réagir avec une morgue ou un défaitisme indécent devant les expressions innées de la résistance populaire et prolétaire. Pour quiconque se dit sincèrement et sérieusement communiste (sans même parler d’être une avant-garde), ce sont des principes de base.

Nous avons dit plus haut que cette colère et cette violence étaient stériles. Est-ce vrai ? Oui, au sens où elle ne porte pas de projet transformateur et n’est donc réduite à n’être qu’une réaction, puis à se disperser par manque de cohésion et de prévision. Mais elle fait partie d’un processus d’accumulation (d’expérience, de pratique, de connaissance, etc.) qui lui n’est pas stérile, elle en est une étape. La société capitaliste « s’échauffe », la pression augmente, et les soupapes qui ont suffi ces 70 dernières années sont maintenant incapables de jouer leur rôle dissipatif face au néolibéralisme et à la crise de l’impérialisme. Le résultat, ce sont les expressions nouvelles, plus antagoniques et plus improvisées, de la violence sociale. Les Gilets jaunes en étaient aussi une étape. La dernière défaite syndicale aussi. Ce que cette progression contient en germe — seulement mais effectivement — c’est la révolution communiste.

La tendance que nous décrivons, c’est celle de l’intensification croissante de la lutte des classes en France. Ce sont dans les quartiers populaires que la hausse du coût de la vie et que le renforcement de la violence du capitalisme et de son État se fait sentir en premier, ce n’est donc en rien étonnant que ce soit de là que proviennent aussi les premières secousses.

Nous en revenons à notre question originelle. Que faire de mieux ? La première étape est de ne pas passer plus de temps à dénoncer les excès du mouvement qu’à le défendre face à la contre-offensive réactionnaire raciste et ses éléments de communication animalisant : défendre notre classe. La seconde est de ne pas se renfrogner dans un désespoir capricieux au vu de la présente absence de débouchés de ce nouveau mouvement, et des représailles qui s’annoncent : ne pas confondre gravité et mélancolie. La troisième est de poser à nouveau le problème stratégique qu’a ressassé le mouvement ouvrier dans son histoire : comment transformer une classe en soi en classe pour soi ?

Deux slogans éprouvés apportent des solutions : « étude, organisation, propagande » et « servir le peuple ». Il n’y a pas de « gauche blanche » en tant que telle, en revanche, la gauche s’est embourgeoisée, et du même coup « blanchie ». La gauche des banlieues a disparu, car elle s’est détachée de l’ensemble de la classe prolétaire. Mais elle a existé (les « banlieues rouges »). Ce qu’il faut reconstruire, c’est une gauche politique et ouvrière, c’est-à-dire communiste. Celle-ci sera mécaniquement aussi une gauche des banlieues, car c’est là que se concentrent les populations prolétaires les moins « privilégiées » de nos pays impérialistes. Il n’y a que cette édification qui puisse être capable de proposer une issue de l’impuissance en donnant à la colère un pouvoir transformateur.

C’est un travail long qui viendra autant de l’intérieur que de l’extérieur des banlieues, dans une dynamique générale portée par tous les exploités et opprimés, et toutes les exploitées et opprimées.

Cet optimisme n’est pas celui de l’impatience, c’est tout à l’inverse, celui du temps long qui sait gagner sur la distance.

En bref, il s’agit de penser et d’agir en révolutionnaire conséquent.

  1. https://www.leparisien.fr/faits-divers/quand-des-gilets-jaunes-remettent-des-migrants-aux-gendarmes-21-11-2018-7948308.php

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