Misogynie et opportunisme
Cette année la France Insoumise fut bouleversée par une affaire récurrente au sein de la gauche : un cadre accusé et condamné pour des violences conjugales. Dès le départ, une frange du parti prit la défense de l’accusé, jusqu’à Mélenchon lui-même. Son soutien n’a jamais faibli, ainsi le 5 juin il déclarait que Quatennens reviendrait dans la course (des présidentielles 2027). Un président qui tape et harcèle sa femme ? C’est donc ce que les réformistes ont de mieux à nous proposer.
Les réactions à chaud sur cette affaire ont pu montrer un phénomène que nous retrouvons au sein de toute la gauche, même radicale ou extra-parlementaire. C’est l’effet d’entre-soi masculin (ou « groupe de mec »), les organisations, syndicats et partis étant souvent composés d’une majorité d’hommes, qui engendre une misogynie ambiante qui finit par habiter même les femmes de ces structures. Ainsi on s’habitue très vite aux blagues et réflexions misogynes, aux comportements sexistes des hommes, jusqu’à une certaine culture viriliste de la violence (encore plus visible dans les milieux antifascistes). C’est à partir de cette base que les histoires de viols et violences conjugales sont minimisées et sont source de divisions internes brutales. Ici, c’est le soutien collectif à Quatennens de la part d’une partie de la FI, allant même jusqu’au fichage des militants et militantes opposés au retour du député. Quant à Mélenchon, ce n’est pas le seul copain agresseur qu’il défend avec empressement, comme nous avons pu le voir avec l’affaire Coquerel, accusé d’agression et harcèlement sexuel (l’affaire a été classée sans suite mais il l’a défendu dès le dépôt de la plainte, niant la parole de la victime).
« Nos vies valent plus que vos carrières ». C’est ce que les militantes du collectif Relève féministe ont collé sur le siège LFI. Le collectif fut créé à la suite de plusieurs affaires de violences sexistes et sexuelles (VSS) au sein des différents partis de la NUPES. Malheureusement la mobilisation n’a pas suffi à empêcher le retour de plusieurs cadres accusés et coupables. Ainsi, en les réintégrant c’est toutes ces militantes qui se font piétiner par des hommes carriéristes qui se protègent les uns les autres, avec le silence coupable du reste de la gauche, y compris extra-parlementaire. La raison est simple : les revendications féministes sont jugées comme facultatives, de second ordre. Ce qui est important c’est de continuer à se mobiliser pour (perdre) les élections et (perdre) les luttes contre les réformes néolibérales. On continue donc de nourrir une belle et longue tradition : creuser le fossé entre les féministes et les mouvements de lutte du Travail.
Les militants les plus naïfs ou les plus opportunistes fantasment Mélenchon, alors qu’il n’est qu’un énième champion social-traître, au même titre que Hollande, Jospin ou Mitterrand, pour ne citer que les plus récents. Ses tweets pseudo-radicaux en réaction aux récentes émeutes des banlieues sont vides de sens politique, et n’ont qu’une visée électoraliste. C’est de la com. Au même titre que ses tweets féministes, ou même ses punchlines animalistes lors de sa campagne de 2017. Il entretient son image de seule alternative face à la montée du fascisme et de l’agressivité des capitalistes. Pourtant, par le passé le réformisme n’a jamais rempli cet objectif, bien au contraire, il cultive ce genre de professionnels de la politique qui ont toujours une bonne excuse pour dérouler le tapis rouge à nos bourreaux. Les balles sucrées de la bourgeoisie restent mortelles.
Plus grave encore : actuellement ce qui caractérise le plus ce mouvement, c’est son échec. Son échec à remporter les élections, sont échec à lutter contre les réformes de droite, son échec à développer des formes de lutte efficaces contre la radicalisation de la bourgeoisie, son échec à tenir correctement ses propres lignes. Ce dernier point est important. Mélenchon n’a pas juste trahi les féministes, il a aussi trahi les lignes qu’il était censé représenter, afin de protéger les postes de ses proches. Comment certains peuvent-ils encore penser qu’il trahit aujourd’hui, mais que cela serait différent dans l’hypothèse où il serait un jour au pouvoir ? Et ce alors que la bourgeoisie lui imposera une pression impossible à surmonter, comme ce fut le cas pour tous ses prédécesseurs, d’hier et d’aujourd’hui, en France et ailleurs.
Le soutien de Mélenchon à Quatennens crie que ce n’est pas si grave de taper et harceler sa femme. Le soutien de Mélenchon à Coquerel crie aux victimes de VSS qu’on ne les croira pas si elles dénoncent leurs agresseurs. Le soutien général de la gauche à Mélenchon, autant lorsqu’il est actif que lorsqu’il est passif, crie là aussi ces mêmes choses. Si cette même gauche s’était rangée du côté des féministes de la NUPES, au lieu de faire les paillassons sous prétexte que papy serait notre seul espoir (d’avoir un capitalisme moins méchant pour les Français), il ne se permettrait pas de défendre ses potes. L’opportunisme c’est aussi ça, céder toujours plus de ses principes, s’aplatir, s’interdire de combattre pour quelque chose de grand et choisir une médiocrité plus douce, même lorsque l’Histoire nous montre qu’elle est une impasse. Le réformisme semble être la voie la plus simple dans cette période de faiblesse — temporaire ! — chez les révolutionnaires. Mais le réformisme a toujours échoué à évoluer pour gagner, et continue de s’enliser dans la défaite, de décennie en décennie. Il n’a que l’impuissance à vendre à celles et ceux qui n’osent plus demander plus.
Ce qui transpire de nos positions, c’est la détestation de la mollesse et du manque d’ambition, celles-ci n’ont rien d’innocentes. Devrions-nous suivre aveuglément la FI parce qu’elle serait notre seul rempart contre la défaite ? Pourtant la défaite est bien là, c’est un invariable lorsqu’on lâche la grandeur pour se contenter de fantaisies soi-disant plus réalistes. Nous reposons notre question initiale : voulez-vous d’un président condamné pour avoir frappé et harcelé sa femme ? Et plus grave : voulez-vous mettre votre énergie dans un projet irréalisable qui ne consiste qu’à tenter d’avoir un capitalisme « moins méchant » pour les Français, uniquement les Français, et qui ne soit que temporaire ? Quel degré de capitulation ou de mélancolie suffit-il pour arriver à se satisfaire de chimère si pitoyable ?
Au final, nous devons aussi nous regarder nous-mêmes et faire notre propre bilan. Si cette situation est arrivée à ce point critique, c’est que nous, les révolutionnaires et les féministes, n’avons pas réussi à imposer un rapport de force conséquent, ni à proposer un projet satisfaisant capable de concurrencer l’appel des sociaux-traîtres. Pourtant, il n’y a qu’en visant grand que l’humanité pourra construire un monde nouveau — ni plus ni moins que celui nécessaire à notre survie au 21e siècle. Au terme de la compromission, il n’y a jamais une demi-victoire, toujours seulement une totale défaite.
Temps, patience et discipline joueront cependant en notre faveur, tant que nous n’arrêterons pas de vouloir construire le plus beau et le plus grand pour l’humanité entière, car demander moins que ce minimum est inutile et criminel. Ce n’est pas le chemin le plus simple, ni le plus doux lorsque nous sommes perdus face aux enjeux présents (crises économiques, guerres, réchauffement climatique, écocide, etc.). Mais c’est aussi le seul qui nous mènera à la victoire, la seule et la vraie.