Le NUPES en question

Le NUPES – Nouvelle Union Populaire Écologiste et Sociale est une alliance lancée autour de LFI dans le but de présenter des candidatures communes aux élections législatives. Après des discussions pour permettre une sorte de Yalta des partis de gauche, cette liste a avancé plusieurs revendications, assez basiques, mais allant à l’encontre du courant politique actuel : défense des retraites, du chômage, transition écologique…etc. Cette alliance est créditée d’un certain nombre de voix aux législatives, suffisantes pour envisager peut-être de bons scores, voire pour les plus optimistes d’obtenir la majorité. Elle est ainsi créditée de 34 % des intentions de votes, la plaçant première parmi les forces politique candidatant. L’importance possible de ces résultats ainsi que les effets liés à une possible victoire sont à prendre en compte. Il nous paraît important de prendre du temps pour définir une position sur cette liste.

En dépit de la situation catastrophique de l’élection, et du match-retour entre Le Pen et Macron, les hauts scores de Mélenchon (une fois passé la frustration d’avoir raté le second tour), ont suscité un véritable engouement. A inverse, les scores médiocres des autres formations de gauche ont tendance à décourager, en particulier au PS. C’est suffisant pour justifier des concessions pour une alliance. Des alliances, il y en a déjà eu par le passé : le cartel des gauches, le front populaire, le programme commun, la gauche plurielle… mais ces alliances datent toutes du XXe siècle, et surtout elles avaient un point commun : elles plaçaient toutes au centre de gravité électoral les sociaux-démocrates, qui ont été les grands bénéficiaires de celles-ci. Aujourd’hui, la configuration n’est pas la même.

Les rapports internes à la gauche.

C’est un changement dans le rapports de force intérieurs à la gauche. Pour le première foi depuis longtemps, ce n’est plus le PS qui représente le centre de gravité, mais il se retrouve satellisé par LFI. Ce n’est pas évident à vivre pour une organisation qui a exercé plusieurs fois le pouvoir. Des « éléphants » sont partis, rejetant cet accord qui formalise la défaite de leur organisation. On ne peut pas ne pas se réjouir de la déconfiture du PS, voire de sa disparition. Cette organisation a été un agent zélé de l’intérêt des capitalistes. Cela ne veut pas dire que le NUPES ne se comportera pas de la même manière. Les garanties n’existent aucunement en politique. D’autant que le programme est modéré : il reprend globalement celui de la gauche Mitterrand. Pourtant, cela suffit à créer une véritable paranoïa totalitaire chez certains.

Le bouclier antitotalitaire.

À l’annonce des négociations entre PS et LFI, une partie des ténors du PS ont choisi de rompre. Il existe une part opportuniste dans ces départs : il s’agit de personnalités sans vergogne, carriéristes, qui n’ont jamais travaillé en dehors de la politique. Elles vivent mal une marginalisation du PS. Mais dans le déclin et les départs, il y a également une authentique dimension idéologique. Elle est résumée par les propos de Manuel Valls, lequel n’hésitait pas à déclarer que le mélenchonnisme est son adversaire. Raphael Enthoven a aussi fustigé tout esprit collectiviste et toute idée selon laquelle il serait possible de bénéficier d’un système de répartition étatique sans que celui-ci ne sont injuste. BHL, quant à lui, n’a pas hésité à considérer que le PS et Mélenchon allié était contraire à tout ce pourquoi il s’était battu pendant 50 ans. Dès qu’on creuse un tant soit peu les positions des détracteurs du NUPES, ce sont des poncifs sur le stalinisme qui ressortent. Même si l’habitude nous pousse à regarder ces individus comme de simples intellectuels faussaires, il est indubitable qu’au delà du discours purement politicien, il existe aussi une croyance réelle dans ce qu’ils disent eux-même. Et pour cause, l’antitotalitarisme est pour certains d’entre eux leur raison d’être.

Les personnalités comme Bernard-Henry Lévy ou Daniel Cohn-Bendit ont gagné une place importante comme membres de ce qu’on nomme la « seconde gauche », ou la « gauche antitotalitaire ». Cette gauche est celle qui est née autour du PCF et en opposition au projet soviétique ou chinois (même si certains ont été des maoïstes d’opérette dans les années 1970.) Ce continuum, qui rassemble dans une même maison les tenants du communisme libertaire et les sociaux-démocrates, à comme alpha et comme oméga de défendre à tout prix les libertés démocratiques.

Pour mémoire, dans les années 1970, l’émergence d’une Union de la gauche avait entraîné une levée massive de boucliers. Elle avait effrayé terriblement toute une partie du spectre politique, y compris du côté de la gauche intellectuelle. Elle a entraîné une capitulation intellectuelle d’une grande partie des penseurs et est la base de la naissance des « nouveaux philosophes ». Elle a donné naissance à une gauche antiautoritaire et antitotalitaire. Cette gauche antitotalitaire considérait que tous les projets politiques et tous les projets de société devaient être subordonnés à une conception abstraite de la liberté. Une liberté de riche, une liberté d’exploiteur. Toute transformation qui risquerait de devenir autoritaire, totalitaire, devait être écartée au profit d’une longue transition « sans heurts. » Du moins ces heurts étaient ceux qui pouvaient toucher leur catégorie sociale. Les sacrifiés quotidiens de la pauvreté étaient passés sous silence. Cette conception s’est appuyée sur tout ce qui pouvait être trouvé comme « dissidents » et comme « résistants » à l’ordre totalitaire moscovite. Qu’importe si, comme Soljenitsyne, il s’agissait d’authentiques réactionnaires tsaristes.

Dans les vociférations effrayées des intellectuels français, il faut faire un peu la part des choses, entre les « métaphores idéologiques », c’est à dire le fait de transformer Mélenchon en épouvantail, et la croyance réelle et sincère en une contamination bolchevique. Mais, en somme, nous voyons la résurgence d’un conflit entre deux conceptions de la gauche : une gauche qui veut faire « des choses » – en dépit de marges de manœuvre politiques limitées – et de l’autre côté une « gauche morale » qui considère que si les actions entreprises menacent la sacro-sainte liberté individuelle, il vaut mieux de rien entreprendre.

Or Mélenchon ne peut pas réellement être perçu comme étant de manière crédible un agent du totalitarisme. Sa conception des choses est, au mieux, basée sur une redistribution des richesses un peu accrue, des mesures sociales et un retour à une conception géopolitique gaullo-mitterandienne : c’est à dire à une relative autonomie de l’impérialisme français à l’échelle internationale.

Les longs couteaux de l’alliance.

Allié ne veut pas dire ami. Elle est le plus souvent une construction ad hoc qui se fait autour d’une puissance hégémonique. Une alliance ne veut pas donc dire que tout se déroule bien et dans le meilleur des mondes. Ainsi, le NUPES reste une coalition qui parvient à trouver un moyen terme entre des intérêts profondément divergents. Au delà de conceptions idéologiques qui peuvent faire l’objet d’un débat, il existe aussi des questions très pragmatiques : qui va manger qui ? Le PS n’est ainsi pas ravi de ne plus être celui qui est le centre de gravité de la gauche. Le PCF possède des bastions qu’il ne veut pas perdre. D’autant que LFI est l’organisation qui dispose, en termes d’élus, de la plus grande marge de progression possible. Et cette marge de progression peut se faire aussi au détriment d’alliés.

Nous pouvons prendre le cas de Taha Bouhafs en exemple. Nous précisons d’emblée que les accusations qui viennent d’être émises sur des violences sexuelles et des agressions commises par cette personne sont prises en considération dans ce que nous allons écrire. Ces révélations causent une énorme déception pour beaucoup, qui l’ont soutenu. Elles doivent être traitées sérieusement, et elles doivent permettre d’alimenter une réflexion générale sur leur omniprésence y compris au sein des milieux militants de gauche radicale.

Le fait que ces accusations soient portées invite à reconsidérer, bien sûr, l’opinion que nous avons de Taha Bouhafs. Cependant, cela n’en rend pas moins abominable – et minable – la campagne qui a été orchestrée par le PCF, le PS et par la droite contre cette personne. Ceux qui se réjouissent de pouvoir ajouter cette corde à leur arc pour alimenter leur campagne aux relents boutiquiers et racistes ne s’honorent pas de cette manœuvre. Ils ne sont nullement les alliés ou les appuis des victimes des violences sexuelles, mais sont simplement des charognards.

Ainsi Fabien Roussel, l’ex-candidat du PCF, dont la campagne a été marquée par des bassesses assez pitoyables, s’est empressé de taxer Bouhafs d’avoir émis des injures raciales à l’encontre de la représentante du syndicat policier, Linda Kebbab (Unité SGP Police-Force Ouvrière). Il l’a traité « d’arabe de service », ce qui, sans être particulièrement élégant, n’en est pas moins une réalité : c’est ce même SGP qui déclarait que « Bamboula » était un terme « convenable ». Cette accusation était fausse et visait à salir et à stigmatiser le candidat prévu pour Vénissieux, ville dans laquelle le PC conserve de solides positions. Michèle Picard reste donc la candidate inamovible, en dépit du fait qu’elle ait eu, comme son prédécesseur André Gérin, des accointances plus que douteuses avec une partie de l’extrême-droite (Riposte Laïque, la Manif pour Tous…).

Du fait de la nature des organisations politiques, très souvent boutiquières, les coalitions et les alliances sont toujours complexes. Elles sont tout autant des volontés de faire triompher des positions politiques que des volontés d’assurer une carrière. C’est un système qui n’est pas accidentel : au contraire tout est mis en œuvre pour que la corruption, les à-côtés, les réseaux d’influence se développent. À la fin, cela permet pour le tissus économique local ou national de placer ses pions, et de contrôler aussi les personnalités politiques.

Notre position

De notre côté, nous observons les choses avec un peu de recul. Dans le fond, on ne peut croire réellement qu’une élection suffise à bouleverser les choses. Le système démocratique capitaliste n’est pas conçu pour cela : il est avant tout construit pour exploiter de la manière la plus optimale les forces productives. Il peut donc passer par des détours à gauche comme par des détours à l’extrême-droite pour atteindre cet objectif suprême.

Nous ne nous voyons pas participer à une campagne en faveur du NUPES, bien qu’on puisse avoir de l’estime personnelle et militante pour des candidats ou leurs équipes. Nous restons cependant toujours méfiants : nous nous souvenons de personnes comme Alexis Kotarac, qui sont passées avec armes et bagages du côté de l’extrême-droite du jour au lendemain. Dans le même ordre d’idée, il ne faut pas oublier que la cooptation des militants et des militantes de terrain pour les élections est aussi une manière de parfois les éliminer à coups de « balles sucrées », pour reprendre l’expression chère à Mao.

Sur le contenu des organisations qui composent l’alliance, nous pouvons partager un certain nombre de critiques. L’une de celles qui reviennent est sur les fonctionnements « nébuleux » de la LFI et la faible démocratie interne, mais l’expérience démontre que les congrès du PCF ne le sont pas plus. À l’inverse, nous ne nous voyons pas non plus chercher à entraver en quoi que ce soit leurs possibilités d’élection. Cela n’aurait aucun sens : mieux vaut une victoire du NUPES qu’autre chose.

En revanche, nous observons que, chez certains et certaines parmi les milieux extra-parlementaires, l’engouement pour le NUPES fait oublier certaines positions sur le fonctionnement général de la démocratie en système capitaliste. Le caractère de la démocratie actuelle. Notamment l’oubli du fait, que, dans le fond, il ne soit qu’une interface entre les intérêts dominants et l’ensemble de la population. Un espoir un peu naïf naît parfois. Un des risques de cette situation est d’affaiblir encore davantage l’avancée des organisations révolutionnaires ou extra-parlementaires et d’alimenter aussi le mythe de l’alternance auprès de la population. En somme : le risque est une dépolitisation, alors qu’un terrain nouveau avait été ouvert au moment des Gilets Jaunes et des luttes précédentes, qui avaient disqualifié la sociale-démocratie.

Des perspectives en demi-teinte

Il est clair qu’il est difficile de croire qu’une majorité NUPES puisse structurellement faire gagner des victoires significatives aux exploités et exploitées. De même elle ne peut pas remettre en cause les fondements de la richesse de la France, basés sur la surexploitation impérialiste. Ces marges de manœuvre politiques limitées contraignent à ne pas dépasser certaines limites : il est possible, dans une certaine mesure, de discuter de la répartition des profits et des surprofits. Il n’est pas possible de discuter leur existence.

Les conséquences sont contradictoires : une majorité NUPES peut tout à la fois bloquer des réformes prévues par les grands cartels économiques tout comme accompagner ces projets, en les jugeant nécessaires pour la bonne santé économique du capitalisme français, aiguillonné par la crise. Il est tout à faire possible d’avoir une politique de soutien aux pays dominés, au travers du 3D (Démocratie, Droits, Développement), tout comme un ré-amarrage à l’impérialisme français.

Si les routes sont inconnues, la direction ne l’est pas. L’influence grandissante d’une gauche à gauche du PS tout comme d’une droite à droite de LR illustre une polarisation toujours plus grande de la vie politique parlementaire – et extra parlementaire – française. Ces tensions grandissantes ouvrent de nouveaux espaces pour les forces les plus radicales, dans un sens comme dans un autre. Le sentiment obsidional, sentiment d’être assiégé, que peut connaître la bourgeoisie français, peut la jeter dans les bras de solutions inhabituelle. En 2012, pour obtenir un effet levier et faire passer des réformes que Sarkozy ne pouvait faire passer, elle a appuyé le PS. En 2017 et en 2022, elle a appuyé le centre. Mais si celui-ci ne peut plus réalisé la commande passée, si une peur du « totalitarisme » s’installe, rien ne garantit que les puissants de notre pays ne choisissent pas des solutions ultra-réactionnaires. Il ne faut pas oublier qu’après le Front Populaire, ce fût Pétain.

Nous pensons donc qu’il est important de faire abstraction des législative dans nos plans stratégiques : construire un camp du peuple et renforcer l’apparition d’une contestation qui se place en dehors du jeu truqué organisé par nos exploiteurs.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *