30 anniversaire de la chute de l’URSS (4/4)

Partie IV : L’offensive idéologique

Pour beaucoup de personnes, y compris des personnes sincèrement progressistes, la fin de la guerre froide, la chute du mur, la dissolution de l’URSS signifiait la liberté. Aujourd’hui, il en reste des droits sociaux réduits de plus en plus, des régimes d’extrême-droite un peu partout sur la planète, et de nouvelles menaces de guerre. Cette génération qui chantait « le soleil se lève à l’est » ou « wind of change », a été amèrement trompée. Et l’espace politique, polarisé à gauche, est désormais sous l’hégémonie de la droite.

Parmi les conséquences de la chute de l’URSS, l’une des plus durables est l’impact historico-culturel. C’est à dire la naissance d’une hégémonie culturelle et historiographique qui fait du communisme une idéologie criminelle par essence. Les historiens pro-soviétiques n’ont pas toujours été particulièrement bons. Coincés entre les projets d’études et l’impérieuse nécessité de défendre, ils ont souvent échoué à produire une histoire scientifique viable. De même, l’analyse marxiste de l’URSS a constamment été remisée au placard pour comprendre l’URSS. Finalement, à la chute de l’Union Soviétique, leurs travaux tombent dans l’oubli et laissent le champ libre à leurs détracteurs.

Il faut rendre à César ce qui revient à César : les États-Unis sont loin d’être ceux qui ont porté le plus agressivement le flambeau de l’anticommunisme universitaire. Après le « moment totalitaire » du Maccarthysme, les universitaires américains vont rapidement abandonner les conceptions totalitaires. Elles ne fonctionnent soit pas, soit tellement qu’elles sont applicables partout, y compris sur le gaullisme. Mais dans la propagande d’État, dans les publications à scandale, dans la presse, elles sont omniprésentes.

Les crimes du communisme | lhistoire.fr
La pornographie de la terreur : il faut du sensationnel pour vendre. Quitte à jouer sur les chiffres.

C’est en Europe que la bataille se joue. Deux profils émergent : les intellectuels, d’un côté ceux d’extrême-droite, mais aussi ceux de la « seconde gauche », cette gauche que la droite aime. De l’autre les déçus, les renégats, les fanatiques.

La France et l’Allemagne sont devenus les centres idéologiques de l’anticommunisme. Dans son travail Les intellectuels contre la gauche: l’idéologie antitotalitaire en France, 1968-1981, Michael Christofferson rend compte de l’évolution idéologique des milieux intellectuels français. Le cycle est souvent le même : gauchisme, libertarisme, puis choix entre la démocratie bourgeoise ou le risque de dictature rouge. Ces intellectuels libéraux se sont constitués des réseaux de solidarité, d’autopromotion, qui leur donnent une hégémonie culturelle. Si les plus célèbres aujourd’hui sont Finkielkraut et BHL, le véritable orfèvre du grand retournement intellectuel est François Furet. Il s’attaque non seulement à la Révolution russe, mais son grand objectif est de réviser l’analyse de la Révolution française. Derrière cela, la volonté de faire triompher, au bicentenaire de celle-ci, l’analyse libérale. Il dessine une filiation Rousseau – Robespierre – Lénine, marquée du sceau infamant du totalitarisme. La CIA va analyser ce changement intellectuel et constater que celui-ci est extrêmement positif pour elle et pour la cause qu’elle sert. Elle considère que cette dégradation spectaculaire des milieux intellectuels français est une vraie contre-révolution culturelle. Nous en payons toujours le prix aujourd’hui, notamment en termes d’injonctions à échouer dans notre œuvre de transformation du monde.

BHL et moi - Ecrivain de la comédie romande
BHL, médiocre intellectuel, parvient à briller grâce à un poste de directeur de collection chez Grasset. Il s’y fait un grand promoteur de ses amis, tout comme un excellent autopromoteur.

A cela s’adjoint la cohorte des fanatiques déçus, retournés, désillusionnés. Isaac Deutscher, historien trotskiste, décrivait ainsi Stéphane Courtois, le maître d’œuvre du Livre Noir du Communisme :

« Il demeure un sectaire. Il est un stalinien renversé. Il continue de voir le monde en noir et blanc, sauf que les couleurs sont maintenant distribuées différemment. Lorsqu’il était communiste, il ne voyait pas de différences entre les fascistes et les sociaux-démocrates. En sa qualité d’anticommuniste, il ne voit plus de différence entre le nazisme et le communisme. Avant, il acceptait la prétention du parti à l’infaillibilité ; maintenant, il se croit lui-même infaillible. Ayant déjà été prisonnier de la « plus grande illusion », il est à présent obsédé par la plus grande désillusion de notre époque . »1 L’épithète stalinien, polysémique, est bien-sûr une injure dans la bouche de Deutscher. Il est devenu un anathème constant, permettant de tout réunir sous un seul épithète malsonnant, même les conceptions les plus contradictoires, sans jamais rien expliquer.

Même le PCF, sous la pression, sous l’injonction à condamner, va accélérer sa propre décomposition en rompant avec son histoire. Il se tourne alors vers l’eurocommunisme, vers des formes molles, sociales démocrates. Si il est devenu dès 1972 un croupion du PS, en perdant toute initiative stratégique, il sonne là son glas, résumé par la figure de Robert Hue.

En Allemagne, cette lutte idéologique se construit autour d’apologistes du nazisme, de réhabilitateurs discrets des années honteuses. Ernst Nolte, qui veut faire du nazisme une simple réponse défensive au « génocide de classe », devient le fer de lance de l’anticommunisme.

Les Allemands de l’Est, dont une partie est aujourd’hui marquée par l’Ostalgie, cette nostalgie de la RDA, ne pouvaient être bernés par les légendes sur le « socialisme réel ». Pour accélérer la destruction de la mémoire, le patrimoine architectural, industriel et culturel a été annihilé. Une purge immense frappe les universités d’ex-RDA, où le corps des professeurs est limogé. Nicolas Offenstadt parle ainsi du « pays qui n’existait pas ». C’est sur cette tabula rasa que les mythes du totalitarisme Est-Allemand se sont forgés.

Paradoxe cependant, L’ouverture des archives soviétiques lève le voile sur bon nombre de mystères. L’historiographie totalitaire, privée de concurrents, se déverse sur l’occident et sur l’ex-URSS. Mais au même moment, elle vit son chant du cygne. Les cent millions de morts promis par Le Livre Noir sont pénibles à trouver : il faut des astuces mathématiques telles que les « âmes mortes », ces enfants qui ne sont pas nés à cause de la démographie anémiée, ou encore compter les morts de l’invasion de 1941… La comptabilité morbide se mue en acte de foi, mais son influence est toujours immense. L’Éducation Nationale, par exemple, continue d’enseigner des billevesées sur cette période, au nom de sa fonction civique. C’est là une véritable frappe préventive contre les volontés de révolte sérieuses. Par ailleurs, les anticommunistes de droite ont réussi une véritable OPA sur l’antisoviétisme de gauche. Souvarine, Trotski, Orwell… sont omniprésents. Ils servent, à leur corps défendant, a construire une autre pince de la tenaille idéologique. Celle d’un communisme idéalisé, light, et qui mette à l’index toute discussion sérieuse sur l’Union Soviétique.

Le communisme et les fameux 100 millions de morts : une manipulation |  Progrès Humain
Robert Hue en figure d’un communisme criminel. Aujourd’hui cette affiche prête à sourire.

L’anticommunisme est un couteau suisse. Il sert à beaucoup de choses. Dans les anciennes républiques soviétiques, la construction à marche forcée d’une identité nationale anti-russe s’appuie sur des « héros » d’un genre douteux. Ainsi les ultra-nationalistes ukrainiens, comme Stepan Bandera, mais aussi les SS Lettons sont à l’honneur. A l’inverse, la Russie utilise aussi l’opposition soviétique – nazi pour tendre des pièges politiques : la résolution de l’ONU sur la condamnation du nazisme est ainsi une manière d’obliger l’Ukraine à désavouer son histoire nationale ou à passer pour un suppôt du fascisme.

En revanche, toutes les tentatives de « Nuremberg du communisme » se sont traduites par des échecs. Le couple Caeucescu, à la tête de la Roumanie est exécuté sommairement. Honnecker, qui dirigeait la RDA, est passé en procès. Il est accusé de 68 homicides : des personnes tuées en ayant tenté de passer la frontière. Le procès tourne au fiasco. Erich Honnecker se défend avec ardeur. Il compare les morts du mur avec ceux de la guerre du Vietnam, rappelle qu’il a agit selon les lois de la RDA, lois reconnues par la RFA lors de la signature du Traité Fondamental en 1972. En Pologne, Jaruzelski est lui aussi accusé en 2001 pour la répression de Gdansk. Là aussi, il parvient à retourner l’accusation, déclarant que c’était soit lui, soit les soviétiques. En 2007, il est à nouveau accusé. Les vices de procédure s’enchaînent et l’accusation finit par abandonner. A l’exception du procès des Khmers Rouges, tous les autres ont fait chou blanc. Il faut croire que, cette fois, les accusateurs ont tiré les leçons du procès de Leipzig : mieux vaut ne pas tenter la carte du procès.

À Gauche :

La chute de l’URSS a été diversement appréciée dans le monde et par les courants politiques. Pour un grand nombre, c’est un événement absolument positif. Nous retiendrons le « champagne »2 d’un Gérard Filoche, militant trotskiste, qui voyait dans la chute du mur puis de l’URSS une possibilité pour l’apparition d’une nouvelle révolution. Pendant presque 30 ans après cette déclaration, qu’a-t-il fait ? Gérard Filoche est resté au PS, dans lequel il a servi de caution de gauche, jusqu’à son exclusion de celui-ci pour avoir partagé une image antisémite. De même, pour les anarchistes proches de Guy Debord, la « destruction du stalinisme » devait être l’étape première vers la nouvelle vague révolutionnaire.

Grande gueule", amoureux du Code du travail, "troll" sur Twitter... Qui est Gérard  Filoche, le trublion exclu du PS ?
Gérard Filoche : hier champagne, aujourd’hui Alka Seltzer.

Le sentiment général était le suivant : l’URSS polarisait tout. Son existence rendait très difficile la possibilité pour d’autres forces révolutionnaires (ou se concevant comme telles) pour s’exprimer et pour agir. Ca n’est pas faux. Le Parti Communiste Français, comme le Parti Communiste Italien, par exemple, pesaient de tout leur poids dans la société. Il existait une contre-culture, un anti-monde formé par les réseaux de ces organisations. Des associations culturelles, des manuels scolaires (qui n’ont pas connu un très grand succès), des maisons d’éditions, des centres de vacances… Exister comme organisation politique révolutionnaire à côté de cet immense océan militant était quasiment impossible. Les groupes maoïstes, par exemple, ont connu quelques succès, mais n’ont pas réussit à devenir un pôle – sauf ponctuellement. Mais lorsque l’URSS s’est effondrée, ces partis se sont délités. Ils n’étaient pas capable de pouvoir survivre autrement que comme des excroissances de l’Union Soviétique.

Il y a là un paradoxe dans l’existence même de l’URSS. Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’existence de deux mondes entraînait des phénomènes d’actions-rétroactions. La double diplomatie soviétique, en tout cas de l’ère stalinienne, était marquée par deux exigences contradictoires : d’une part le fait de devoir assurer sa protection, sa survie, sa possibilité de grandir. De l’autre, l’objectif lointain, dont l’accomplissement était nébuleux, qui était le déclenchement d’une série de révolutions dans les pays capitalistes. Mais cet espace politique et idéologique n’était pas fixe, il était mouvant. Ainsi le monde capitaliste installait d’un côté des dictatures et de l’autre des droits sociaux. L’URSS devait faire des concessions qui la fragilisait. Finalement, Marcuse pose la question : est-ce que l’existence de l’URSS ne rendait pas, finalement, impossible un changement à l’échelle mondial ? Incapable de dépasser l’Occident, il faudrait qu’elle renonce à son existence, qu’elle passe par une nouvelle Anabase, pour revenir plus forte et tout emporter comme un raz-de-marée.

Pour Trotski, par exemple la construction était perdue dès le départ. Sa seule perspective était de tout miser sur une hypothétique révolution mondiale, quitte à faire de l’URSS et de sa population des janissaires3 de celle-ci. La révolution devait être imposée par les armes ou périr. Face aux défaites militaires de l’Armée Rouge4, privé de ces perspectives révolutionnaires, il fallait donc renoncer.

Pour Staline, exemple typique du pessimisme stratégique des praktiki, il fallait faire avec ce que les bolcheviques avaient, c’est à dire un espace contrôlé, et en second lieu uniquement tenter d’aider les autres. Cette construction pragmatique n’allait pas sans sacrifices. Lénine avait déjà décrit ce chemin comme extraordinairement ardu. Mais fallait-il ne pas tenter de l’arpenter ?

Les opportunités de victoire sont rares, et la conjonction des facteurs qui permirent aux bolcheviques de l’emporter en 1917 et en 1921 également. Ce choix est loin d’être une évidence.

Mais bien que difficile, il a quelque chose de rassurant : tout n’était pas parfait lorsque l’Union s’est élancée. Il n’y a donc pas à attendre que les choses soient parfaites pour essayer à nouveau.

Toujours est il que le temps est passé. Trente ans après la chute de l’URSS, les accusations sur l’obstruction « stalinienne », sur le fait que l’URSS serait ce qui empêche une révolution mondiale, paraissent des arguments précaires. Le boulevard ouvert pour la révolution mondiale ne s’est pas traduit par de brillants succès. Après sa chute, les organisations politiques qui pensaient tirer bénéfice de cet effondrement ne sont pas parvenus à s’imposer. L’audience dont ils bénéficiaient quand ils participaient à la Sainte-Alliance contre l’URSS s’est ténue. Privés de la possibilité de fonctionner par incantation : « lorsque l’URSS tombera, ce sera la révolution », ces groupement se sont retrouvés sans boussole. Ironiquement, certains groupes, comme en Allemagne de l’Ouest, étaient portés à bout de bras par la Stasi. La fin du camp socialiste a sonné le glas de leur activité, pourtant supposée anti-soviétique.

L’espace politique laissé laissé vide par la fin de l’Union Soviétique a été rempli par un renouveau réactionnaire, tandis que les groupes politiques d’extrême-gauche ne progressent que très peu. Et ceux qui bénéficient de la plus grande audience ne parviennent qu’a se concevoir en outsiders qui raillent les travers du pouvoir actuel, sans jamais se concevoir en dirigeants, en conquérants du pouvoir.

En écrivant ce que nous écrivons là, nous pouvons donner l’impression que nous regrettons amèrement cette période. Notre posture pendant cette période de déclin aurait certainement été celle d’un rejet de l’URSS brejnevienne et gorbatchevienne. Mais nous énonçons là un fait : l’espace né de la chute de celle-ci s’est transformé en espace perdu.

Célébrer ou commémorer ?

La question n’est pas si anodine.

L’histoire de l’URSS n’est pas un monolithe. Elle est constituée de plusieurs phases que nous apprécions différemment. Nous ne pouvons ni de devons célébrer de manière acritique l’URSS comme un paradis socialiste. Nous savons aujourd’hui que ça n’est pas vrai. De plus, cela n’a aucun intérêt, dans le sens où nous n’apprendrions rien si nous refusons de voir les manques, les erreurs. Nous n’apprendrions rien sur les manques et les insuffisances dans le processus de transition vers le communisme. C’est dans cet état d’esprit que nous avons publié des articles sur notre perception de l’histoire. Nous rejetons l’analyse apologétique de l’intégralité de l’URSS. À ce titre, nous abordons le conspirationnisme en URSS dans notre brochure sur ce fléau.

Nous ne pouvons pas non plus tout jeter au feu.

Dire que l’expérience était vouée à l’échec dès le départ. Faire des procès d’intention constant à sa direction, en partant du principe qu’elle agissait comme une sinistre conspiration ayant vocation à manipuler les soviétiques. Là non plus nous n’apprendrions rien. Nous rejetons cette histoire totalitaire qui fait de l’URSS après 1928 un continuum, un pays sans société. Nous rejetons aussi cette histoire qui se limite aux rôles romancés des « grands hommes », aux « grandes figures ». Qui ferait du succès ou de l’échec de l’URSS une simple affaire de personnalité. Quelles que soient les appréciations de l’histoire soviétique, elle mérite d’être analysée par des moyens scientifiques. C’est le travail que les chercheurs anglo-saxons tels que Sheila Fitzpatrick, John Arch. Getty, ou des francophones comme Alain Blum, Marc Ferro, Charles Bettelheim ont aussi essayé de réaliser.

Faire des bornes abstraites, donner des dates fixes : 1921, 1928, 1936, 1956, 1985, 1991, 1993… comme date à partir de laquelle l’ami soviétique devient ennemi n’a pas plus de sens. Les dates charnières sont simplement l’expression visible de processus sous-jacents. Ce sont ces processus qui sont à comprendre pour l’avenir et pour comprendre qu’est ce que nous même nous aurons à affronter. Nous n’essayons pas seulement de définir des bornes de ce qui est bien ou ce qui est mal. Nous essayons d’utiliser cet héritage, de le comprendre, pour l’avenir. Comme nous l’indiquions, les révolutions sont heuristiques, elles défrichent une réalité inconnue. Les autres pays qui se sont lancés dans cette expérience, au premier plan desquels la Chine, ont pu bénéficier de ces enseignements pour essayer de nouvelles méthodes de résolution des difficultés. Mais elles aussi ont défriché des secteurs nouveaux, elles aussi ont du faire face à des problèmes tout aussi nouveaux.

Oui, nous pouvons constater certaines choses importantes qui permettent d’analyser la nature de l’URSS. Notamment que, après le XXe congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, il n’existe plus de révolutions victorieuses, à l’exception de Cuba en 1959. Que l’économie soviétique s’éloigne de plus en plus d’une structure sans marché, d’une structure démonétarisée après le XXIIe. Que le processus d’intégration des pays du Bloc-Est, subséquente à la réforme du COMECON de 1955, marque les débuts d’une économie basée sur des échanges inégaux entre pays frères. Que la rupture sino-soviétique en 1963 marque le début du déclin du camp socialiste… Ces éléments nous permettent effectivement de considérer que le délitement de l’équipe dirigeante après 1953 engage définitivement l’URSS sur une pente descendante, laquelle l’amène à l’agonie.

Mais cela ne signifie pas que les éléments qui expliquent cette défaite ne préexistent pas. Nous avons à reconnaître les erreurs, à reconnaître les torts, mais aussi à célébrer l’espoir immense que pouvait incarner ce projet. En ce n’est pas un point insignifiant. L’enthousiasme planétaire pour la création de l’URSS a traversé tous ceux qui rêvaient d’un monde meilleur : des catholiques sociaux jusqu’aux ouvriers syndicalistes. Pour la population d’URSS, qui sortait du Moyen-Âge, l’impression de voir, concrètement, réellement, le monde nouveau naître sous leurs yeux était un enivrement qui faisaient accepter les privations et les difficultés. En notre époque grinçante, ironique, cet enthousiasme prête à sourire. Il est pourtant essentiel dans tout projet de création d’un monde nouveau.

Un projet brut, frustre, émergeant au milieu des décombres d’une des pires guerres de l’histoire. Un projet dont les traces, aujourd’hui, restent visibles, laissent transparaître un peu des lustres du passé. Sous la couche de crasse qui couvre les immeubles d’URSS, restent les mosaïques naïves qui célébraient les ouvriers et les ouvrières.

La chute de l’URSS est une date rupture. Elle déchaîne les passions, car c’est un rêve déçu. On ne peut qu’avoir un goût doux-amer, en déambulant aujourd’hui, dans les rues qui portent encore les traces de ce passé. Messages d’espoir, mosaïques, architectures démesurées, devenus fantômes.

Les mosaïques des immeubles soviétiques, symboles d’un passé qui ne passe pas encore. (source RTBH)

Il n’est pas possible non plus de ne pas être ému en lisant ainsi les messages laissés par de jeunes soviétiques à leurs descendants :

“Vous êtes la génération chanceuse : les guerres ne sont que de l’histoire ancienne”.

Ukraine

“Vous parlez de collaborations scientifiques et culturelles avec des représentants d’autres galaxies”.

Novossibirsk

“Vous ferez probablement pousser des jardins dans le cercle arctique”

Mourmansk

“Vous avez éliminé les bactéries et les virus nuisibles, le vieillissement et la maladie”

Tiraspol

“Nous nous adressons à vous, ceux qui ne savent pas ce qu’est la guerre”

Okulovka

Messages d’un avenir qui n’a pas existé. Les fautes sont nombreuses, et les manques criants. Mais c’est là où connaître ce passé, cette histoire est l’un des seuls vaccins pour s’immuniser contre ces manques. Et préparer l’avenir.

1 Isaac Deutscher, « The Ex-Communists Conscience » [1950], Marxism, Wars and Revolutions. Essays from Four Decades, Verso, London, 1984, p. 5354.

2 Récit. Souvenirs de trente ans. Chute du Mur de Berlin. Champagne ! http://www.gerard-filoche.fr/2019/11/04/recit-souvenirs-de-trente-ans-chute-du-mur-de-berlin-champagne/

3 Les janissaires formaient un ordre militaire très puissant composé d’esclaves d’origine européenne et initialement de confession chrétienne avant leur conversion à l’islam, constituant l’élite de l’infanterie de l’armée ottomane à l’apogée de l’Empire. (Wikipédia)

4 Celle-ci sont très souvent prises en otage pour des controverses Staline / Trotski. Dans l’imaginaire collectif, elles seraient du fait des volontés staliniennes de briller. Aujourd’hui, les historiens militaires sont plus nuancés à ce propos, mettant en avant des oppositions bien moins politiques qu’au départ. Ainsi, l’aventurisme de Toukhatchevski, étirant les lignes de communication démesurément ainsi que la qualité de l’encadrement des polonais sont considérés comme des facteurs déterminants.

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