Ce texte se concentre sur les pays du centre impérialiste, particulièrement sur la France.
Aucune organisation communiste ne peut totalement éviter qu’un agresseur rejoigne ses rangs, ou qu’un de ses membres ne devienne un agresseur. Cependant, grâce aux progrès amenés par les luttes féministes, aucune organisation ne peut actuellement ignorer les agressions en son sein, ou au sein des autres organisations. Les victimes s’expriment et dénoncent. Elles sont toujours trop peu soutenues, mais suffisamment soutenues pour pouvoir parler. Les choses évoluent : des vidéastes et des stars de télévision sont dénoncés et écartés de certains milieux, l’Abbé Pierre est répudié à titre posthume, l’Académie des César annonce suspendre, voire exclure, tout membre mis en cause par la justice pour violences sexistes ou sexuelles, et l’histoire de Gisèle Pelicot a eu un impact mondial — les exemples montrant une évolution ne manquent pas. Les luttes spontanées des femmes ont permis de toucher les masses, qui n’acceptent plus certains comportements. Cette transformation se traduit également par une montée de l’agressivité du camp de la défense patriarcale — la contradiction Homme-Femme s’intensifie à mesure que la Femme gagne du terrain, le patriarcat se défend.
Cependant, la plupart des organisations communistes se contentent d’être à l’arrière-garde de cette lutte, et payent leur faible niveau vis-à-vis de la théorie et de la pratique féministe en ne protégeant pas suffisamment les victimes, et en protégeant trop souvent les agresseurs. Actuellement, l’une des principales causes de crise interne des organisations communistes françaises est la mauvaise prise en charge d’une situation impliquant une violence patriarcale.
Nous nous intéresserons ici aux organisations ayant échoué à lutter contre les violences sexuelles, et donc, ayant échoué à lutter contre l’une des pires expressions du patriarcat.
Souvent le même schéma se met en place : l’agresseur nie les accusations de violence sexuelle et l’organisation réagit de la même manière que la justice bourgeoise, c’est à dire, en demandant des preuves à la victime. Pourtant, il est impossible de fournir des preuves de ce type de violences, puisqu’elles ont lieu dans un contexte privé, sans témoin et sans traces.
La victime aurait-elle donc dû se tourner immédiatement vers les forces de police afin de subir un examen médical et un interrogatoire humiliants ? L’appel à la justice bourgeoise lui aurait été reproché en prétextant une mise en danger de l’organisation ou une infraction au principe du centralisme démocratique. Et c’est en effet le cas puisque, outre le fait que la justice bourgeoise soit incapable de traiter les cas de violences sexuelles, une enquête expose l’organisation à la répression policière.
Il n’existe aucune manière de prouver un viol !
La défense de l’agresseur passe souvent par des attaques envers la victime. Tout est fait pour briser son image, la faire passer pour une personne manipulatrice, ou une aguicheuse ayant un comportement de « salope ». Pire, elle, et les femmes qui la soutiennent, sont accusées d’être des féministes radicales cherchant à détruire toute l’organisation.
La défense de l’agresseur peut aussi passer par une ligne superficiellement progressiste. C’est-à-dire que certaines organisations partent du principe qu’il y aura toujours des hommes agresseurs, et que ne pas les réhabiliter, qu’être trop radical avec eux, serait se couper d’une partie de la classe ouvrière. Cette ligne politique est un non-sens puisque tous les hommes ne sont pas des violeurs — tous les hommes ont des comportements patriarcaux mais cela ne veut pas dire qu’ils sont tous des agresseurs — et que la plupart des hommes communistes ne veulent pas défendre des violeurs. Également, ce serait oublier que la classe ouvrière est composée… de femmes. Est-ce que les femmes s’engageront dans des organisations communistes, généralement à majorité masculine, alors que ces organisations assument avoir des membres ayant commis des violences sexuelles ? Enfin, les masses qui expriment une colère légitime contre les agresseurs sexuels n’auront jamais confiance en une organisation communiste protégeant des agresseurs. La classe ouvrière des pays impérialistes elle-même ne souhaite pas la réhabilitation des agresseurs. Ces organisations se mettent à dos une partie du prolétariat en refusant d’agir avec force et justesse, en refusant de développer et d’appliquer leur pouvoir anti-patriarcal.
Nous pourrions décrire d’autres exemples de défense systématique des agresseurs. Mais, ces organisations font également des erreurs par manque d’expérience et ces erreurs sont graves puisqu’elles détruisent des vies. Pourtant, ces organisations ont au moins l’occasion de pouvoir tirer des leçons de leurs échecs afin de mettre en place des mesures qui fonctionneront dans l’avenir. Mais souvent, même les organisations prétextant s’être autocritiquées sur cette question ont tendance à commettre à nouveau les mêmes erreurs.
Lorsque les organisations communistes gèrent les affaires de violences sexuelles en ne se concentrant que sur l’agresseur, sur l’avenir de l’agresseur et non sur l’avenir de l’organisation, alors elles oublient leur rôle de construction du Parti et de formation de cadres communistes.
De quoi a besoin l’organisation ? De quoi ont besoin les cadres communistes en formation ? De quoi a besoin le mouvement communiste ?
Deux choses sont importantes : trouver la ligne politique juste et appliquer cette ligne ; former des cadres communistes et participer à la reconstruction du mouvement communiste.
Concernant les violences sexuelles et toutes les violences patriarcales la ligne juste est celle du combat contre ces violences.
Comment combattre ?
D’abord, en préparant la lutte, c’est à dire en créant une camaraderie forte permettant l’expression et le soutien des victimes et en formant les camarades à lutter contre les violences patriarcales. Puis, en combattant les agresseurs.
Comment former des cadres communistes et contribuer à la reconstruction du mouvement communiste ?
En trouvant et appliquant la ligne féministe juste et en développant la théorie et la pratique féministe. Il s’agit donc de prendre au sérieux le problème en amont, c’est-à-dire de former les femmes et les hommes mais également de construire un espace de travail théorique et pratique sur cette question ! C’est d’ailleurs l’un des intérêts à construire une organisation féministe au sein d’une organisation communiste.
Lorsqu’une victime dénonce un agresseur, l’organisation a pour tâche d’appliquer la théorie de la lutte contre la violence patriarcale. L’heure n’est donc pas à la bienveillance envers l’agresseur, mais à l’application du pouvoir anti-patriarcal.
La pratique de la lutte contre les agresseurs s’arrête souvent à la simple exclusion. Certaines organisations se perdent dans des tentatives de réhabilitation. Elles ne retiennent de l’échec de la justice bourgeoise que l’échec de la répression. Nous pensons que les communistes des centres impérialistes sont lâches. La plupart sont enthousiastes lorsqu’ils voient les maoïstes indiens mettre à mort des violeurs, pourtant, ici, ils n’imaginent pas faire plus que d’exclure les agresseurs du milieu militant — milieu généralement déserté après quelques années d’engagement. Il n’y a aucun développement de la lutte féministe, il n’y a qu’une fuite du problème.
Ces organisations communistes invoquent parfois la peur de la répression afin de justifier l’absence de l’utilisation de la violence anti-patriarcale. Pourtant, cette excuse de la peur de la répression policière ne tient pas dans le cas de la lutte antifasciste. Pourquoi ? En pratique, ces communistes montrent que pour eux, il est pire d’être dans un groupuscule fasciste que de trahir la cause communiste en détruisant une femme.
Ces communistes sont lâches et fainéants. Ils ne veulent pas appliquer leur théorie révolutionnaire, parce qu’ils n’y croient pas. Ils sont pourris par la corruption capitaliste et patriarcale. Si ces « révolutionnaires » ont peur de casser les genoux d’hommes ayant fait autant de mal à des femmes, à des camarades, à l’organisation et à tout le mouvement communiste, alors, comment comptent-ils faire la guerre de classe ?
Quoi qu’il en soit, dans tous les exemples cités, une chose saute aux yeux : ces organisations ne défendent qu’elles-mêmes et ne prennent en compte dans leur analyse que la survie immédiate de leur organisation et que certains individus (la victime, l’agresseur, l’entourage). Est-ce digne d’une organisation communiste ? Ce que ces organisations ne comprennent pas, c’est que leur existence n’a pas d’importance. Ce qui importe, c’est l’impact que l’organisation a sur le réel. Ce qui importe, c’est le collectif, c’est toute la classe, à travers le monde et l’Histoire.
Lorsqu’une victime accuse une organisation d’avoir un agresseur sexuel dans ses rangs, alors l’organisation doit abandonner l’idée de se défendre, puisqu’elle doit appliquer une ligne politique qui défend la Femme, c’est à dire qui défend toutes les femmes. Pas uniquement les victimes, pas uniquement les femmes de l’organisation, mais toutes les femmes, ici, maintenant, partout, demain.
La « vérité » subjective n’est pas importante, ce qui est important c’est de trouver et d’appliquer la ligne juste — et la ligne juste ne sera jamais celle qui ne prend en compte que le petit groupe, mais celle qui prend en compte l’humanité entière. Ce n’est pas important de défendre la « vérité » de l’agresseur toujours considéré comme un camarade, ce n’est pas important de défendre la « vérité » de l’organisation. Ce qui est important c’est de lutter contre le patriarcat et de montrer dans la pratique qu’on lutte contre le patriarcat.
Il est normal que les individus de ces organisations se sentent « attaqués » par des accusations de violences sexuelles, qu’ils et qu’elles aient peur de la destruction de ce qu’ils et elles construisent, qu’ils et elles soient persuadés que les tentatives de défense des victimes sont une attaque contre eux et elles. Ces sentiments sont normaux et font partie de l’aliénation capitaliste.
Mais, qu’est-ce qu’une vie devant l’Histoire ? Qu’est-ce qu’un individu devant l’ensemble de l’humanité ? Qu’est-ce qu’une organisation devant toutes les organisations et Partis qui existaient, qui existent et qui existeront ?
La réaction de ces organisations est celle des individus qui la composent (généralement celle de la direction), c’est-à-dire celle d’individus aliénés. Le capitalisme est le mode de production où l’individu est complètement déconnecté du collectif et de la nature. Par exemple, Marx1 explique que dans la Rome antique l’être humain est lié à la commune, il a une terre parce qu’il appartient à la commune, et cette terre est vue par lui comme condition première de son travail, comme prolongement de son corps. Ce rapport de l’humain à la commune, à la nature et au travail est similaire à tous les modes de production précapitalistes de classe. Mais, au cours du processus historique de progression vers le capitalisme, du processus historique de dissolution des anciens modes de production, l’être humain s’individualise.
« Dans la société bourgeoise le travailleur est purement sujet, sans objet ; mais la chose qui lui fait face est devenue la véritable communauté : il cherche à la dévorer, mais c’est elle qui le dévore. »
Au sein des pays du centre impérialiste, le pourrissement de l’impérialisme va de pair avec une aliénation jamais égalée. Nos esprits sont tués, nous sommes coupés du collectif, même la famille nucléaire est brisée, même les amitiés sont brisées, les relations sont superficielles. C’est la totale solitude qui crée le manque total de sens. Le vide ronge les esprits, certaines et certains ne tiennent debout que grâce à la sérotonine artificielle — en France un cinquième des « jeunes » sont dépressifs — voire s’imaginent « incarner » ce vide.2
L’une des tâches des communistes est de libérer les individus de l’individualisme. L’esprit clanique qui règne dans les organisations et le traitement des violences sexuelles qui ne prend en compte que les individus sont des expressions de l’aliénation individualiste.
La ligne juste concernant les agressions sexuelles, c’est-à-dire celle qui sort du point de vue des individus et de l’organisation (du « clan »), est celle qui doit être appliquée à la plupart des problèmes auxquels sont confrontées les organisations communistes des pays du centre impérialiste. Sortir de l’individu sur les questions relevant de la lutte anti-patriarcale permet de travailler à atteindre un développement supérieur de l’organisation et des cadres, non seulement sur les questions féministes, mais en général.
Que veut dire être communiste ?
Être communiste c’est construire l’unité communiste, c’est lutter afin que le collectif, pas uniquement celui de l’organisation mais tout le collectif, soit fusionné, et soit plus important que l’individu. C’est se dissoudre dans le collectif, dans le feu de la lutte, et devenir un individu libéré de l’aliénation individualiste, libéré de la solitude. Jusqu’au jour où, dans le communisme, nous aurons une connexion supérieure à la nature et au collectif.
1 K. Marx, Formes antérieures à la production capitaliste, 1858.
2 Au-delà de ce chiffre : « La dépression est une maladie très répandue : elle touche environ 280 millions de personnes dans le monde et l’Inserm estime à 20 % la part de la population française qui souffre au moins une fois dans sa vie de cette affection. » (« Tout savoir sur la dépression », Fondation pour la recherche médicale.)