Le Service National Universel

Un piège.

La question d’un retour d’un service national est une constante.

Croire la jeunesse en perdition, sans repères, sans valeurs, sans amour pour la patrie est une ritournelle constante, dans la bouche d’un certain électorat conservateur, que celui-ci assume ou non, par ailleurs, son conservatisme.

Emmanuel Macron, entre deux offensives contre les droits sociaux, a tendu l’oreille à cet appel. Il faut dire que, contrairement au fait de s’en prendre à bras le corps aux raisons profondes du chômage, ce qui risquerait d’incommoder ses soutiens, ce cri réactionnaire était aisé à satisfaire.

1,5 milliards d’euros ont été mis en place pour cette opération. A titre de comparaison, seul 70 millions d’euros ont été alloués aux urgences. Cependant, il est possible de relativiser à l’inverse. Cela ne représente qu’un minuscule 1,5 % de la fortune de Bernard Arnault. Cela démontre qu’il existe des réserves de moyens non-employés, qui auraient pu certainement être mieux utilisés. Nous ne pensons pas que le gouvernement soit stupide. Si ces lignes de budget sont employées dans ce domaine, c’est bel et bien qu’il y a un espoir d’un retour sur investissement d’une manière ou d’une autre.

En termes d’économies, en remplaçant ponctuellement des travailleurs et des travailleuses par des engagés volontaires, tout comme le Service Civique. L’un et l’autre permettent de sous-payer, voire de faire travailler à prix coûtant une partie de la jeunesse.

Soit en termes politiques, selon lesquels on considère comme justifiable d’injecter une somme colossale dans un cadre d’embrigadement de la jeunesse. D’autant que le public est particulièrement malléable, entre ses 15-16 ans, sortant à peine du collège.

La question d’un embrigadement de la jeunesse se pose depuis de longues années. Elle est une ritournelle constante, basée sur le dépit de la fin du service militaire. Celui-ci était vu comme un creuset pour la construction de la Nation, inculquant des pratiques et des valeurs censées incarner la République.

Durant cette vacance, le travail de diffusion de ces valeurs a été transféré à l’Éducation Nationale. Mais, l’Éducation Nationale n’a jamais paru un vecteur crédible aux yeux des plus réactionnaires, contrairement à l’Armée. Pourtant, elle a réussi un travail on ne peut plus impressionnant dans son œuvre de propagande, les programmes scolaires d’Histoire étant en tout premier lieu à visée civique.

Ainsi, ils sont orchestrés dans le but de démontrer que :

1) La démocratie bourgeoise est le seul système politique viable.

2) Le capitalisme est le seul système économique possible.

3) La France est la seule véritable démocratie à l’échelle mondiale.

4) Qu’elle bénéficie d’un exceptionnalisme dans son histoire et dans ses actions dans le monde.

5) Qu’elle est à l’avant-garde de la diffusion des idées des Lumières et de l’Humanisme dans le monde, et que, par voie de conséquence, ses interventions sont justifiées et morales.

De ce point de vue là, il s’agit d’un succès monumental, ces idées étant profondément ancrées dans l’esprit d’une grande partie de la population, à l’exception de ceux et celles qui, dans leur vécu ou celui de leur pays d’origine, ont eu une confirmation de ce qu’est la nature réelle de l’activité française dans le monde.

Mais ce n’est pas tout. En 1968, l’enseignement de la « morale » a été supprimé des programmes, au grand dam de toute une frange de la population, qui n’a eu de cesse de réclamer son retour. En 1999, le PS, alors au pouvoir, remet dans les programmes la question de l’Enseignement Civique, Juridique et Social. Celui-ci permet de diffuser les « valeurs de la République » et de faire savoir qu’elle est « parfaite » dans son fonctionnement. Une nouvelle fois, cette connaissance de papier est démentie par la réalité de la confrontation avec l’appareil d’État et ses représentants.

Après les attentats de 2015, le gouvernement, PS, toujours, cède et accepte que soit mis en place, à nouveau, en Enseignement Moral et Civique. Celui-ci reprend les thématiques de l’ECJS, mais les double par une composante intangible, formées de valeurs supposément françaises. Ces valeurs ont pour but de défendre un fond culturel et civilisationnel envers une menace tout aussi intangible. Ses objectifs, une nouvelle fois, sont de mettre les enseignants au service d’une mission de propagation de conceptions sur l’État et sur la France, qui n’ont rien de commun avec une lecture critique de son fonctionnement et de son histoire.

Il n’y a rien d’étonnant en cela que les termes employés par le SNU soit globalement les mêmes que ceux qui sont employés pour décrire l’EMC. Leurs objectifs sont les mêmes, la seule distinction étant l’intensité de la démarche et le fait qu’elle ne soit pas confiée à des enseignants et enseignantes, envers lesquels une méfiance existe.

« Les objectifs assignés au SNU sont au nombre de trois :

  • Cohésion sociale et territoriale ;
  • Prise de conscience, par chaque génération, des enjeux de la défense et de la sécurité nationale ;
  • Développement de la culture de l’engagement. »

Ces objectifs ne peuvent être séparés d’une idée politique sous-jacente, qui est de créer une cohésion sur la base d’une illusion, d’instiller l’esprit réactionnaire et chauvin, et de trouver des recrues pour le travail de l’Armée.

Le déroulement du SNU se fait dans une ambiance de casernement de deux semaines, avec des horaires stricts et un très grand nombre d’activités dans le but de maintenir dans une stimulation constante les jeunes. Le fait que le temps entre l’extinction des feux et le lever représentent tout juste huit heures ne semble pas émouvoir outre mesure les concepteurs.

Les ambitions donc de comprendre quels sont les enjeux de la défense nationale, autour d’un jeu stratégique, dont nous sommes particulièrement curieux de connaître le contenu. Nul doute que celui-ci serait particulièrement révélateur sur la perception géostratégie de la part de l’Armée.

Elle est également autour de la question de la Mémoire nationale. La première sortie en force du SNU, durant la commémoration de l’appel du 18 juin, à Bourges, a illustré la manière dont les intervenants et intervenantes se font une idée de cette mémoire. « Pétain, vainqueur de Verdun ». Benjamin Griveaux est désormais dépassé. Il serait là aussi intéressant de connaître les fondements qui sous-tendent une analyse historique aussi teintée.

D’autres ateliers, moins fondamentaux, s’axent autour de « réflexes-défense » et de « cyberdéfense », ce dernier étant effectivement au centre des questionnements de l’état-major.

En tout, ce sont 104 intervenants et intervenantes qui sont prévues pour l’ensemble des préparations. Cette liste, une nouvelle fois, mériterait de pouvoir être consultée.

Il est révélateur d’un changement de stratégie dans la question de la défense. Auparavant, la norme choisie dans les Livre Blanc successifs était celle de la réduction du format des armées, pour ne garder qu’un noyau cuirassé permettant des opérations de type coloniales. Or, la nouvelle sortie du Livre Blanc de 2019-2025 prend le complet inverse. Les formats sont étendus à nouveau, dans le but de « faire face aux nouvelles menaces ». C’est dans ce cadre que le SNU doit être compris, comme conçu conjointement au développement d’une Armée française qui envisage des conflits symétriques dans un cadre international.

L’objectif de recréer un lien « Armée-Nation » est dans cet état d’esprit là. Dans l’idée que, aujourd’hui, dans l’état actuel des choses, il est possible qu’un conflit de repartage du monde entre les grandes puissances puisse naître.

Une fois ces deux semaines passées, il est possible d’entreprendre « une période d’engagement d’une durée d’au moins trois mois, liée à la défense et la sécurité (engagement volontaire dans les armées, la police, la gendarmerie, les pompiers, la sécurité civile), à l’accompagnement des personnes, à la préservation du patrimoine ou de l’environnement ou encore au tutorat, sans que cette liste soit limitative. » (Site .gouv)

En somme, nous revenons aux deux retours sur investissements : politique, mais aussi également pour remplacer des emplois. Le fondement ne va pas plus loin.

Lors du lancement du projet, le 18 juin, les résultats ont plutôt prêté à rire. De nombreux malaises suite à l’insolation, des chants répétitifs de la Marseillaise, des saluts au drapeau stéréotypés et sans émotion, des conférences où les intervenants et intervenantes ont tenu des propos idéologiquement douteux…

Cependant, demain, il est possible que cette machinerie prête moins à rire.

Comment, dans tout cela, ne pas être gêné aux entournures lorsque la France Insoumise, par l’entremise d’Adrien Quatennens, déclare que l’idée était bonne, mais -pour rester dans le rôle de l’opposition – qu’un vrai service de 9 mois aurait été nécessaire.

À nos yeux, ce n’est pas une question de durée, de moyens, mais de fond. Un service de ce type, tout comme le service militaire, est, en tout premier lieu un moyen d’endoctrinement politique au service de « la France », en réalité des intérêts de la bourgeoisie française.

Un système comme celui-ci ne peut être qu’un vecteur de conceptions réactionnaires, qu’un outil visant, non pas à « aider la jeunesse à s’émanciper », mais bien, au contraire, à la faire marcher au pas.

Dans l’ensemble des pays socialistes, la jeunesse participait à des mouvements. Ces mouvements avaient vocation à développer des choses positives, une émulation, un esprit d’entraide, car le cadre politique était différent. Il est d’ailleurs divertissant de voir que cela a toujours été brutalement attaqué par les anticommunistes.

Dans un cadre politique réactionnaire, un Service National Universel ne peut être que réactionnaire et servir des projets d’agression militaire.

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