Un regard à chaud sur les élections européennes.

Les élections européennes viennent de se terminer. D’une manière générale, en Europe, elles ont été marquées par la progression de l’extrême-droite. Celle-ci s’octroie même la majorité absolue en Hongrie, ou le Fidesz a fait 52,3% des voix. Dans l’ensemble, entre 2014 et aujourd’hui, les partis de droite extrême passent de 155 à 172 sièges.

La participation générale est à la hausse. Elle est à 50,95% pour l’UE. Elle s’étale de 22,74% en Slovaquie jusqu’à 89% en Belgique. Les résultats sont donc très variables en fonction des Etats, et nous aurons, aux côtés de nos camarades de l’ICOR Europe, l’occasion de commenter plus tard la situation dans l’UE. 


En France, qu’en est-il ? 

La participation est à peine au-dessus de la moyenne européenne (50,97%). Les électeurs et électrices se sont donc plus mobilisés pour celle-ci qu’en 2014, où elle était de 42,43%. Il semble que la période de mobilisation et de lutte intense se soit plus traduite par une mobilisation électorale que par le fait de bouder les urnes. Cependant, il est difficile de faire encore un tableau précis de la sociologie électorale. 
Les sondages ont été remarquablement précis. Alors que certains pensaient que Macron s’effondrerait -nous l’avions-nous même cru un moment- les résultats révèlent que LREM dispose d’une base sociale stable. Elle s’est mobilisée : elle représente donc 22% des 50% de population. Ce sont les cadres supérieurs du privé et les CSP++. Ces 11% de la population en âge de voter paraissent énormes, hypertrophiés. Mais cette prévalence importante est logique : la France, en tant que pays impérialiste, concentre des fonctions supérieures et de commandement de sa sphère de domination. L’exploitation des pays dominés permet donc de redistribuer une partie du surplus aux agents de l’impérialisme, mais également à des fonctions parasitaires, comme les managers.

L’électorat RN est socialement beaucoup plus complexe. Cependant, il est bien moins marqué par un caractère ouvrier que ce que les propagandistes méprisants expriment. Finalement, il s’agit d’un agrégat hétérogène, constitué d’individus partageant un même constat : l’implosion progressive du « système » (avec toutes les manières d’interpréter ce terme). Face à cela, le souhait des électeurs est de rétablir l’ordre, de revenir à un hypothétique « avant » meilleur. Les uns se dressent contre les immigrés, les autres contre « le mondialisme », les Juifs, les musulmans, ou, d’autres encore, contre les mouvements LGBT… En somme contre ceux et celles qu’ils considèrent responsable de la « perdition » de la France. Il n’y a donc pas un profil unique, mais celui-ci, en revanche, est stable électoralement. 

Chez Les Républicains, cela a été un coup dur. “Tout est à reconstruire” selon Bellamy, tandis que Eric Woerth s’en prenait à Laurent Wauquiez “A sa place, je tirerais sans doute les conséquences de ça. […] C’est le pire score de notre histoire, alors que la droite est majoritaire en France”. Ce que cela révèle est surtout qu’il n’y a pas de place pour plus d’une liste d’extrême-droite. LR s’est placée sur le même créneau que le RN, pensant le vampiriser, avec, probablement, à termes, l’objectif de faire sauter les barrières qui les séparent. En réalité, faute d’espace, leur score est un pitoyable 8,5%. Ces 4,75% des individus en âge de voter sont donc des réactionnaires, comme le RN, mais avec du patrimoine, plus âgés, plus catholiques, mais aussi moins en rupture avec les institutions. La question du patrimoine est d’ailleurs ce qui sépare, in fine, de l’électeur RN.

La stabilité joue aussi sur les échecs des listes réactionnaires : Dupont-Aignant, Asselineau ou Philippot, sans compter les quelques listes ultras, se partagent quelques miettes. Incapable de trouver un espace, ils n’apparaissent pas comme des alternatives. 

Pourquoi ce score est-il stable ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’immense victoire fasciste ?

Malgré ses tentatives, l’extrême-droite n’est pas parvenue à se greffer sur le mouvement des Gilets Jaunes. Elle ne parvient pas à se faire l’écho de la colère sociale, du fait de ses ambiguïtés constantes, sur la police, sur la justice, sur l’économie. La démagogie n’est pas parvenue à absorber les légitimes revendications sociales des classes populaires. L’extrême-droite végète donc, la formule faisant son succès relatif étant également celle qui l’empêche d’être victorieuse.
Les classes populaires demeurent toujours les premières en termes d’abstention, aucune force politique ne s’est faite leur porte-parole de leurs intérêts. Même les inconséquentes listes des « Gilets Jaunes » ont échoué. Leur tentative de surfer sur la vague ont fait long feu. 

Le vide populaire se fait d’autant plus sentir lorsqu’on analyse ce qui s’est produit à gauche de l’échiquier politique. Seul 30% des suffrages sont allés de l’autre côté de LREM.

Finalement, la force qui a le plus recueilli de suffrages est constituée par EELV. C’est le produit de la mobilisation de la petite bourgeoisie progressiste urbaine, laquelle s’est déplacée pour voter « à gauche ». La nature de cette mobilisation se ressent. L’ancienne coalition de Hollande (PS-EELV-Génération-s) récolte 20% des voix. Cette résurrection de la « gauche-qui-trahit » est plus que déplorable. Ces organisations sont durablement associées à la casse sociale, à la loi El-Khomri, à la naissance de Macron. Elles captent pourtant toujours assez de voix pour empêcher qu’une autre « gauche » apparaisse comme un pôle. 

La petite bourgeoisie des centres urbains est retournée chez elle. Ce n’est pas étonnant. Le social-libéralisme, même maquillé en vert, bénéficie toujours d’un espace possible d’existence dans la puissance impérialiste qu’est la France. 20%, cependant, soit 10% des individus possédant le droit de vote, est une « victoire » précaire.

La gauche non-Hollande, PCF, LFI, LO (soutenue par le NPA) n’ont pas plus mobilisé les classes populaires.Les groupes trotskistes, tout en se parant des oriflammes de la révolution et en portant un discours de syndicat, ont obtenu 0,7% des voix.Le PCF, rompant avec la stratégie du Front de Gauche, a tenté sa chance seul.La tentative est louable, mais ne pouvait que tomber à plat.Entre une image trop lisse pour attirer les parties les plus radicalisées de la population et l’anticommunisme atavique de la petite bourgeoisie, il est tombé dans un entre deux coûteux.L’abstention lui a ôté les voix qu’il voulait intégrer.Il est talonné par le « parti animaliste.» Nous avons une position sur le PCF qui fait que nous ne partageons ni le fond, ni la forme de ce que ce parti est devenu.Cependant, cette contre-performance ne nous réjouit pas.Elle contribue encore davantage à invisibiliser la place du communisme dans le débat politique et réduit l’espace idéologique ouvert aux idées marxistes.

La France Insoumise, quant à elle, est en pleine décrue.Elle se retrouve même a égalité avec le Parti Socialiste, malgré tout ce que celui-ci a fait de néfaste.Elle n’est pas parvenue à rassembler autour d’un programme un minimum progressiste.Prise au piège de sa propre stratégie, tabler sur le populisme, elle se confronte aujourd’hui a ses limites.

L’agressivité dont elle a pu faire preuve, notamment pour se placer par rapport au PCF et à la CGT, a donné un flot très fort, mais un reflux tout aussi puissant.En cause, notamment, les contours flous, les contradictions internes, les affaires Kotarac et Kuzmanovic.L’espace que laisse la décrue de LFI n’a pas été récupéré par le PCF, il a été vampirisé, finalement, par le PS-EELV, sur un programme libéral au possible.

Les gauches réformistes ont échoué.Le concept, confronté à la crise du capitalisme, est à bout de souffle, même pour ceux et celles qui peuvent encore y croire. La gauche révolutionnaire, extra-parlementaire, a un boulevard devant elle.Elle a une opportunité qu’elle doit saisir.

Elle est toujours émiettée, toujours fragmentée en groupuscules, en sectes, en petits clans.Elle n’est pas parvenue à une visibilité à l’échelle du pays, ni à jouer le rôle qu’elle doit jouer.Il ne tient en revanche qu’à elle de sortir de cette situation.

C’est ce à quoi, avec d’autres, nous appelons et nous appellerons d’une manière beaucoup plus précis prochainement.

La situation décatie que nous voyons aujourd’hui ne peut qu’évoquer ce qu’écrivait Gramsci : “le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à naître, et dans ce clair-obscur surgissent des monstres”

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