Cortège de tête et autonomie prolétarienne.

Nous sommes très attachés à l’autonomie prolétarienne. C’est-à-dire l’autonomie vis-à-vis de la bourgeoisie, de ses institutions, de ses relais politiques. Cette autonomie est souvent traduite en « compter sur ses propres forces », ne pas dépendre du bon vouloir des autorités et de leurs décisions pour l’activité et l’expression politique.

La dépendance organisationnelle, politique, mais aussi technique ou financière est un une chaîne qui, fort souvent, contraint un grand nombre d’organisations à des concessions ou à des compromis. Tendanciellement, elles assujettissent les organisations et leurs membres, et brisent la possibilité de développer un ordre du jour indépendant. La bourgeoisie le sait, et elle achète régulièrement ses opposants. Une subvention contre une concession, un poste contre un silence, un local contre un vote… Ces « balles sucrées » sont des balles réelles. Elles tuent les organisations, car « on ne mord pas la main qui nous nourrit. »

Cette autonomie prolétarienne n’empêche pas le travail unitaire, y compris sur des questions démocratiques, avec des organisations bourgeoises. Mais il consiste à ne jamais leur laisser la direction politique des fronts et à toujours chercher à faire triompher les lignes les plus révolutionnaires et les plus conformes aux intérêts objectifs du prolétariat, tout en tenant compte de leur état d’esprit subjectif.

Le mouvement anarchiste autonome à repris certains éléments justes de ces conceptions. Il a repris également des éléments issus du maoïsme, telle que les zones libérées ou des tactiques de la guérilla. Mais il a fait d’éléments tactiques des fétiches stratégiques. Les zones libérées, temporaires, bases d’appui, ont été transformées en ZAD, possessions stratégiques, tandis que la tactique de la guérilla est devenu le moyen d’action principal. Le postulat de départ étant que toute manifestation, sous les bonnes conditions, peut devenir une insurrection révolutionnaire. Ce lyssenkoïsme manifestant se base sur des conceptions fausses. Quand bien même la police serait bousculée, chassée, cela n’en serait pas pour autant la révolution. Elle demande d’autres préalables qu’une simple victoire tactique. La possibilité notamment de pouvoir démolir exercer la réalité du pouvoir. Nous pensons que c’est pour réussir à réaliser ces tâches que nous avons besoin d’une organisation, qui est le Parti Communiste Révolutionnaire. Organisation dont la construction est notre préoccupation principale.

Ces groupes cristallisent parfois des critiques acerbes. Une partie se justifie, mais certaines méritent d’être écartées. Il existe, pour une part de ceux qui pratiquent l’action dite autonome, une tendance à agir de manière parasitaire par rapport aux mouvements. Cela passe par le faire de transgresser de manière constante et consciente le consentement des manifestants et des manifestantes, en les considérant uniquement comme des protections, ou comme de la chair à canon. Cette pratique est justifiée par des procédés rhétoriques plus ou moins nauséabonds, avec un mépris plus ou moins constant pour les espaces de prise de décision démocratiques. Cette tendance existe, c’est un fait avéré, mais reste extrêmement minoritaire. De plus, la création du « cortège de tête » en a neutralisé les aspects les plus néfastes, en structurant les manifestations en fonction du degré d’acceptation de la violence de la part de ses participants et participantes.

Le cortège de tête a été une nouveauté apparue à partir de 2016. Alors que, par le passé, les affrontements étaient en queue de cortège, ils se sont déplacés en avant de celui-ci. Alors qu’ils étaient l’apanage de petits groupes, opérant le plus souvent en marge, ces cortèges sont devenu des points de ralliement. En stratifiant les cortèges en fonction de l’acceptation de la violence, ils permettent, in fine, que chacun trouve son compte. Ceux qui sont dedans acceptent tacitement de participer de manière active ou passive aux affrontements avec la police. Il n’est pas possible de faire semblant d’ignorer ce fait.

La mise en place des cortèges de tête s’est régulièrement heurtée au problème, qui peut paraître secondaire, mais qui est en réalité hautement symbolique, de « qui est devant ». Par le passé, c’était traditionnellement les cadres dirigeants des organisations qui tenaient la banderole de tête. Ces organisations représentaient les lignes les plus droitières, l’aristocratie ouvrière et la bureaucratie syndicale ou politique. Cela se ressentait particulièrement à Paris, où se trouve concentré une grande partie des cadres supérieurs. La permutation, parfois conflictuelle, a renouvelé l’aspect des manifestations.

Les médias font les choux gras sur la violence des manifestations. Mais, s’ils ne vomissaient pas leur haine sur celle-ci, ils les ignoreraient et ne parleraient que de ceux qui « sont pris en otage », par les grèves. Dans un cas comme dans l’autre, leur but est de saper le mouvement social.

Les dégradations découragent les gens de venir en manifestation. Cet argument est partiellement vrai. Mais le plus souvent, ce qui décourage n’est pas le fait d’avoir quelques vitrines cassées. C’est la forme que prend la répression policière, arbitraire, aléatoire et brutale. Ce qui effraie, c’est principalement le risque policier. Risque de prendre une grenade de désencerclement dans le visage, un tir dans l’œil, de perdre une main, ou d’être interpellé sans raison, sachant que les preuves se trouvent a posteriori. Dans le pire des cas, le duo outrage / rébellion suffit. En dernière instance, c’est le mode de réponse par l’État, spécifiquement choisi pour effrayer, qui est en cause.

L’apparition et la massification de ces cortèges n’est pas uniquement du fait du mouvement autonome ou de franges minoritaires. Elle est révélatrice tant d’une radicalisation diffuse dans l’ensemble de la société que du fait que les cadres habituels ne paraissent plus adapté. Le cortège classique, la manifestation traditionnelle, sont vécus comme des confrontations trop timorées avec l’autorité et avec les exploiteurs.

Non pas que les syndicats ou les organisations de masse de la classe ouvrière et des travailleurs et travailleuses soient inadaptées en tant que tels. Leur travail est irremplaçable. Cependant, il existe des limites à celui-ci. Dans le fond, il existe un sentiment général qui se traduit par le fait qu’il n’y a pas de prise et de droit de regard sur les négociations entre les « partenaires sociaux », que celles-ci se font sans que la base des syndicats, mais plus largement que les travailleurs et travailleuses dans leur ensemble ne sont pas consultés.

De plus, les syndicats ont une estimation du gain qu’ils peuvent obtenir dans la négociation et de ce qui n’est pas possible d’obtenir. Ne rien obtenir est vu comme une défaite intolérable, mais l’obtention de demi-mesures n’est pas plus perçu comme une victoire. Cela entretient un mauvais esprit et un taux de syndicalisation bas, qui pèse à son tour dans les capacités à négocier, entraînant une spirale descendante.

Le fait est que les syndicats ont aussi atteint certaines limites. Outils tactiques, ils ne peuvent obtenir que des victoires tactiques. Celle-ci se limite le plus souvent à une politique du moindre mal, du « toujours ça de gagné », qui finit par rogner lentement mais sûrement les droits sociaux. Ils ne sont pas conçus pour obtenir la « rupture de front » qui permet d’arracher de nouvelle victoire ou de remettre en cause le système politique en tant que tel. Cela est du ressort des organisations politiques et plus précisément des partis. Or, ceux qui existent ne le font pas, ceux qui pourraient le faire n’existent pas.

C’est aussi ce vide stratégique qui créé l’apparition de solutions de moyen-terme comme le « cortège de tête. »

Aux yeux des masses, il existe un certain consensus autour du fait que la grève et que la manifestation n’est pas écoutée par ceux qui possèdent le pouvoir politique et qu’il s’agit d’un outil dont la portée est trop limitée. Comme l’outil manque, ce sont d’autres formes d’expression qui prennent le relais, comme le fait de rechercher la destruction de symboles du capitalisme, ou d’affronter les forces de l’ordre. Cette forme de radicalité reste superficielle, dans le sens où elle ne vise pas le renversement du pouvoir et sa prise. Mais elle est néanmoins un début.

Ce consensus est largement partagé, il a fait souche. Des militantes et militants CGT tout comme les Gilets Jaunes l’ont fait leur.

Dans le fond, nous ne voyons pas tellement de contradiction entre les différentes manières de concevoir les manifestations, dans la mesure où leur existence et leur action d’entrave pas celle des autres. De ce point de vue là, cela demande des moyens des discussions et de coordination. Cette coordination doit faire fi d’un problème récurent, c’est le rapport, pour le coup, assez viriliste à la violence et à l’affrontement. C’est-à-dire que certains (surtout certains, bien plus que certaines), ont tendance, parce qu’ayant peur de participer aux affrontements (ce qui peut se comprendre parfaitement) à condamner celles-ci et à condamner le cortège de tête, car il les renvoie à leur propre peur. Cela peut se mêler à un double discours, en façade appelant sans cesse à l’émeute, et, dans la pratique, étant terrifiés. Nous ne pensons pas que cela doive être reçu comme argument pour condamner l’ensemble. Nous devons dépasser cela et nos querelles d’égo. Nous jouons tous un rôle dans la lutte sociale, et chacun de nous, dans une certaine mesure, est une pièce dans le puzzle de la lutte des classes.

Nous ne pensons pas que le fait de casser une vitrine de banque ne soit une perte pour elle, ni réellement un électrochoc pour les consciences de ceux et celles qui observent la scène. Nous pensons que cette energie peut trouver d’autres débouchés. En revanche, nous nous refusons à hurler avec la meute pour exiger la condamnation de l’acte ou de ses auteurs.

Nous-mêmes ne condamnons pas les « violences » et les « dégradations ». Cela nous paraît très secondaire. Nous n’appelons pas à en commettre, mais nous considérons comme injustifiable de nous faire des auxiliaires de police. Nous rappelons que la violence première est le fait de l’exploiteur, et que celui-ci définit également le degré de violence des mouvements sociaux.

Dans ces affrontements, la police s’est démasquée, tout comme l’État en général. Celui-ci, par le fait d’avoir mis en place une politique forcenée de répression, mais également en niant totalement contre toutes les évidences l’existence des violences policières, a montré sa nature réelle. De ce point de vue là, la violence des manifestations a contribué à faire accoucher les consciences et à briser le consensus réformiste.

Cette remise en cause de la légitimité des institutions et du régime, notamment dans le mouvement des Gilets Jaunes, débouche sur la réalisation d’une certaine forme d’opposition extra-parlementaire. Dans celle-ci, le mouvement autonome a également joué un rôle, avec des hauts et des bas, parfois positif marqué par l’esprit d’action et de décision, parfois moins, marqué par une impatience et un sectarisme gauchiste.

Mais, dans l’ensemble, si nous devons tirer un bilan contrasté, nous ne pouvons que constater que, à choisir entre les positions réformistes, politiciennes, et les positions gauchistes et aventuristes, nous nous méfions bien davantage des premières. L’une est celle d’ennemis qui peuvent être parfois des partenaires, l’autre est celle d’amis qui commettent des erreurs. Si, tactiquement, il est arrivé que les choses se passent très mal, cela ne contredit pas cette position.

Quoi qu’il en soit, même dans l’erreur, nous mettons en avant le fait que la solidarité est fondamentale, y compris vis-à-vis de camarades avec lesquels les relations peuvent être tendues. L’existence d’un réseau de solidarité, de protection, autour des uns (et unes) et des autres est un élément fondamental pour permettre de ne pas être balayés.

Nous pensons, quant à nous, que les différents modes d’expression se confortent les uns les autres. Qu’ils ont tout intérêt à se fondre et à se coordonner. Nous pensons, en outre, que la question de la forme des manifestations est étroitement liée au contexte. Parfois, une manifestation agitée peut être contre-productif, parfois cela peut être extrêmement utile.

Nous pensons, en outre, que la radicalité est avant tout sur le fond de l’affaire : c’est-à-dire sur la capacité à trouver les moyens de rallier, de rassembler, d’organiser, dans le but de pouvoir faire tomber le pouvoir répressif de la bourgeoisie et de pouvoir construire celui du prolétariat.

Nous pensons que c’est le renforcement de l’influence des idées communistes-révolutionnaires dans la société, dans le prolétariat, mais également auprès de la petite bourgeoisie radicale, qui permet de trouver une manière de résoudre positivement, dans une esprit de synthèse, la contradiction entre le « cortège » et le « cortège de tête ».

Étant donné la situation sociale et politique, cette question prend une importance vitale. Vitale aussi, celle de la création d’une alliance des révolutionnaires, permettant la coordination, le renforcement mutuel, et la défense mutuelle. Nous continuons à placer très en avant cette question, et nous pensons que tout communiste ou tout révolutionnaire conséquent se doit d’en faire de même.

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