Hommage au président Gonzalo

Ce samedi 11 septembre 2021, le docteur Abimael Guzmàn est décédé à 86 ans à la suite d’une aggravation de son état de santé ces derniers mois, au centre pénitentiaire de haute sécurité de la base navale de Callao, près de Lima, au Pérou, après 29 années d’emprisonnement dans des conditions difficiles.

Plus connu sous le nom de Président Gonzalo, il fut en 1978 un membre fondateur du Parti Communiste du Pérou – Sentier Lumineux (PCP-SL).

Affirmant la nécessité de suivre la voie ouverte par José Mariátegui, grand théoricien communiste péruvien et introducteur du marxisme en Amérique latine, et de mener la lutte armée contre l’impérialisme et l’état péruvien, il participa en 1980 au lancement de son mouvement dans la guerre populaire.

Pendant la décennie qui suivit, le conflit mené par le PCP-SL a progressé dans toutes les provinces du pays en partant de la région rurale et abandonné d’Ayacucho, appliquant une stratégie maoïste de prise du pouvoir en construisant des fronts de guérillas et en s’implantant dans la paysannerie pauvre et dans les bidonvilles de Lima. Le PCP-SL possédait ainsi en raison de la sociologie de ses zones d’activité une base militante à majorité indigène et observait une quasi-parité de genre en son sein à tous ses échelons1.

Après sa capture par le GEIN (les services secrets péruviens) en 1992 et le reflux progressif du PCP-SL qui suivit sa condamnation2, lui et son mouvement furent diabolisés de la plus abjecte des manières par les forces réactionnaires.

Cette entreprise anticommuniste nourrit de falsification a pour double objectif de salir indélébilement le combat révolutionnaire au Pérou et de relativiser les crimes terroristes commis par l’état péruvien, notamment (mais pas seulement) sous le régime fasciste d’Alberto Fujimori.3

Nous, l’Unité Communiste, ne possédons pas de positions définies et définitives sur les théories de Gonzalo et de ceux s’en réclamant, et plus largement sur le PCP-SL et la guerre populaire au Pérou. Nous nous concevons dans une position de recherche ouverte vis-à-vis de ces théories et expériences. Cependant, en cette funèbre occasion, nous pensons qu’il est utile que nous formulions plusieurs points fondamentaux sur la méthode de divergence entre communistes, que nous considérons pertinents de rappeler et dont nous soulignons ici l’importance concernant le PCP-SL et Gonzalo.

Dans les années 80, l’URSS n’était plus qu’un cadavre pourri par le révisionnisme depuis 1956, la Chine a pareillement choisi la voie capitaliste en 1978, et l’Albanie, en tant que bastion socialiste, est également tombé. C’est dans ce contexte international qu’il y a seulement 40 ans, le PCP-SL mène un des processus révolutionnaire les plus explosifs depuis la guerre du Vietnam en menaçant l’ordre impérialiste et capitaliste par une lutte armée intense qui va pousser l’état péruvien dans ses retranchements. Alors que le drapeau rouge, terni et en berne, semblait fini aux yeux de beaucoup, le PCP-SL à su le lever haut.

Aucun débat entre communiste ne peut se faire sur la base de mensonges et de calomnies réactionnaires.

Pour cela, nous rejetons les conclusions de la Commission pour la Vérité et la Réconciliation (TRC), crée en 2003 par le gouvernement péruvien pour effectuer un compte rendu des violations des droits humains et des violences ayant occurré pendant la guerre civile jusqu’aux années 2000, avec la fin du règne de Fujimori. Nous considérons les rapports de la TRC comme non-scientifique, faisant état de graves biais méthodologiques lorsqu’il ne s’agit pas simplement de manipulations, et comme fortement motivé politiquement à charge contre le PCP-SL.4

Ainsi, par exemple, une majorité significative des 48,000 victimes estimées de ce conflit l’ont été de la main du gouvernement péruvien5, ce que ce dernier nie dans sa narration anticommuniste et contre-révolutionnaire qui reprend les meilleurs codes de la « pornographie de la terreur »6, mettant en exergue les violences et le rôle de la direction du PCP-SL dans ces dernières, le décrivant systématiquement comme coupé du peuple péruvien et agissant isolé de sa volonté.

Il n’est pas l’objet ici de développer le bilan du « Fujimorisme », mais il nous paraît nécessaire de noter quelques points supplémentaires. Fujimori fut l’instigateur d’une répression implacable dans toute la société. Il s’est entre autres rendu coupable de l’organisation de massacres et de viols systématiques dans les campagnes, d’assassinats d’étudiants, de professeurs et de journalistes, par des escadrons de la mort similaire à ceux de l’opération condor sous le Chili de Pinochet. Il fut aussi à l’origine de la stérilisation forcé d’un total de 355 000 indigènes entre 1995 et 2000, à qui il reprochait « d’enfanter des communistes ».7

Rien de nouveau sous le soleil, l’hypocrisie bourgeoise est totale. Gonzalo a été condamné 3 fois de suite à la perpétuité depuis sa capture et est resté depuis enfermé en isolation dans une prison de haute sécurité où des soins lui ont à plusieurs reprises été refusé.

Fujimori, lui, pourtant poursuivi pour crime contre l’humanité, n’a été condamné qu’a 25 ans de prison, après avoir essayé d’échapper à la justice péruvienne en se faisant réélire au Pérou et élire au Japon, et bénéficie toujours en détention de tous le luxe : « 10 000 m² sont alloués à son seul usage, disposant d’un jardin planté de 5 000 rosiers, d’une clinique privée, d’un atelier de peinture et d’un salon de réception lui permettant de recevoir des visites sans restriction ».8 En 2017, il fut même gracié par le président Kuczynski (pour permettre à ce dernier, menacé de destitution par l’opposition « Fujimoriste », de rester au pouvoir) avant que ce pardon ne soit finalement annulé sous la pression des familles de victimes dans l’année suivante.

Il est important de rappeler qu’il est impossible de déterminer une qualité, ou de tirer des conclusions politiques sur un mouvement ou un évènement, en s’adonnant a un décompte morbide des morts et des massacres, réels ou présumés.9 Bien que ce soit le jeu préféré des réactionnaires, et ce depuis au moins la révolution française (avec par exemple le « Livre noir du communisme »), et que certains membres des forces progressistes s’y plient pour se blanchir et condamner avec opportunisme (et fainéantise) les tendances opposées aux leurs, cette « méthode » n’a jamais été un tant soit peu utile pour comprendre en profondeur et adéquatement la réalité.

Il n’existe d’ailleurs aucun mouvement révolutionnaire (au sens où nous l’entendons, de subversion d’une classe par une autre), d’aucune tendance politique, victorieux comme défait, qui n’ait pas été accouché dans des flots de sang. Ce constat est attristant et à prendre avec toute la gravité qui s’impose, mais reste cependant un fait indéniable ainsi qu’une réalité faisant loi dans l’histoire et à laquelle les révolutionnaires n’ont pas d’autres choix que de se plier « bon gré, mal gré » et ce quel que soit leur rapport idéologique à la violence.

Que ce soit il y a 150, 100 ou 50 ans, les révolutions ne sont jamais venues au monde autrement que dans la violence, et ce fait à toujours été exploité par la propagande réactionnaire et/ou contre-révolutionnaire. L’on ne peut en attendre autrement, car l’on ne peut que comprendre l’aversion d’une partie du peuple pour une violence perçue comme illégitime ou déraisonnable, et qu’elle soit ensuite habilement exploitée par l’appareil de la classe dominante et ses laquais. Mais l’on peut le savoir, et ainsi se rappeler des précédents : Comment la bourgeoisie française a-t-elle parlé de la commune de Paris ? Comment la bourgeoisie impérialiste, l’aristocratie, mais aussi les anarchistes, les partis socialistes anti – bolchevique et les partisans paysans russes ont-ils parlé de la révolution d’octobre ? Ou plus récemment, comment les fils de bureaucrates et de droitiers, réels ou perçus, ont-ils parlé de la révolution culturelle chinoise ?

Il existe à gauche une tendance de fond, qui n’a rien de récente et est particulièrement présente dans les pays impérialistes, à draper de « rouge » (ou de noir, selon les affiliations) ces rhétoriques anti-communiste et anti-« totalitaire » pour se les approprier. C’est par exemple habituellement le cas à l’encontre des expériences soviétique, chinoise et albanaise. Contre le PCP-SL, l’on observe aujourd’hui ces mêmes rhétoriques mobilisées, et parfois même chez certains défenseurs sincères des régimes socialistes !

Nous pensons qu’il s’agit d’une erreur (parfois d’un double standard spécifique au Pérou), qui n’est pas seulement le produit d’une critique du PCP-SL dont serait tiré un bilan négatif, qui en lui-même pourrait être juste. Nous voyons dans ces discours plutôt une erreur d’appréciation échouant à délimiter correctement les amis des ennemis, traitant les premiers comme les seconds, particulièrement lorsqu’il s’agit de Gonzalo et du PCP-SL. Il n’est pas question ici de dire que le PCP-SL n’est pas critiquable et que toute attaque est donc nécessairement un égarement d’une quelconque sorte, simplement d’affirmer que le cadre de la camaraderie et de la scientificité10 sont les seuls standard possibles.

Ce traitement de défaveur à l’encontre des révolutionnaires péruviens est selon nous un double symptôme :

Premièrement, le produit d’une hégémonie réactionnaire virulente à l’encontre de ses opposants affaiblis11, allant parfois jusqu’à user et abuser de comparaisons confondantes de ridicule dans ses attaques, en usant par exemple d’appellations comme le « Pol Pot des Andes » pour qualifier Gonzalo.

Deuxièmement, l’expérience dans nos cœurs impérialistes de la proximité historique d’une révolution, dans le contexte a-historisé, (ie, où l’histoire n’est plus un processus historique dans son sens transformateur totalisant, mais seulement l’affaire du temps qui passe) et pacifié de l’hégémonie des pays dominants.

Il ne s’agit pas d’un évènement vieux de 100 ans, parfois romantisé ou partiellement récupéré par le consensus bourgeois, rendu inoffensif, mais plutôt d’une réalité possédant un caractère immédiat et direct auquel nous ne sommes plus habitués, mobilisant contre lui tous ce qu’il y a de réactionnaire. Il n’est pas anodin dans la différence de traitement subit par le PCP-SL que les images de sa guérilla et des témoignages lui étant en rapport, soit en couleur, non pas en noir et blanc, et que les camarades les moins jeunes se souviennent d’en entendre parler aux informations télévisées étant enfant, en des termes peu élogieux qui ne se sont pas taris depuis.

Contre les attaques réactionnaires, malhonnêtes ou erronées, nous défendons l’héritage du PCP-SL et l’œuvre de Gonzalo, en tant que camarades sincères.

Comprendre et tirer des conclusions, tant factuelles que politiques, sur un événement aussi complexe et riche en interprétations que la guerre civile au Pérou ne peut pas se faire sans un certain recul, tant idéologique12 que historiographique. C’est pourquoi nous pensons que toutes les conclusions sur les théories et la pratique du PCP-SL n’ont pas encore été tirées, que ce soit leurs succès ou leurs échecs, et ce particulièrement concernant les années 80 et 90. La synthèse de ces enseignements n’est pas encore achevée, en conséquence, nous invitons, en tant que socialiste scientifique, autant à l’humilité qu’à la critique inflexible.13

En ce jour, nous rendons hommage à feu Gonzalo en tant que révolutionnaire pleinement dévoué ayant payé le cher prix de la lutte communiste, à sa veuve la combattante et dirigeante Elena Iparraguirre, et à travers eux, au PCP-SL et au peuple péruvien pour leurs contributions dans le combat pour la cause de l’humanité toute entière. Notre drapeau est rouge aussi de leur sang et nous ne saurons l’oublier.

« Quelle pourrait être la plus grande peur ? La mort ? En tant que matérialiste, je sais que la vie se terminera un jour. Le plus important pour moi est d’être optimiste, avec la conviction que d’autres continueront le travail dans lequel je suis engagé, et le poursuivront jusqu’à ce qu’ils atteignent notre objectif final, le communisme. Car la crainte que je pourrais avoir, c’est que personne ne continue, mais cette crainte disparaît quand on a confiance dans les masses. Je pense que la pire crainte, en fin de compte, est de ne pas avoir confiance dans les masses, de croire que l’on est indispensable, le centre du monde. Je pense que c’est la pire crainte, mais si vous êtes forgé par le Parti, dans l’idéologie prolétarienne, dans le maoïsme principalement, vous comprenez que les masses sont les faiseurs de l’histoire, que le Parti fait la révolution, que l’avancée de l’histoire est certaine, que la révolution est la tendance principale, et alors votre crainte disparaît. » – M. R. A. Guzmàn Reinoso, Président Gonzalo.

1 https://www.monde-diplomatique.fr/2020/04/ZAMORA_YUSTI/61627

2 En raison de l’objet de ce texte ne portant pas premièrement sur la révolution péruvienne et de la complexité du sujet, nous n’aborderons pas ici les questions relatives aux successions de Comité Central, aux rumeurs fondées ou infondés de reddition, à la capitulation présumée de Gonzalo après sa capture et généralement aux luttes de lignes intense ayant conduit à la dislocation du le PCP-SL dans les années 90.

3 Nous utilisons ici une définition large de « Fascisme », basé sur celle de G. Dimitrov comme « Dictature ouverte et terroriste des franges les plus réactionnaires de la bourgeoisie », ici, compradore.

4 https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/2053168019840972

5 https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/2053168018820375
On parle de 30 % attribué aux sendéristes contre 47 % à l’état péruvien.

6 Selon la TRC, le conflit aurait fait 69 000 victimes, dont 46 % seraient imputées aux sendéristes et seulement 30 % à l’état péruvien.

7 https://www.monde-diplomatique.fr/2004/05/BARTHELEMY/11190

8 https://www.lefigaro.fr/international/2012/11/27/01003-20121127ARTFIG00655-au-perou-la-prison-c-est-parfois-l-eldorado.php

9 Comme le note d’ailleurs Alain Badiou dans sa conférence sur la Révolution Culturelle Chinoise : https://youtu.be/S491NAvwzUw

10 Ces deux exigences sont équitablement fondamentales. Sur cette question, nous redirigeons vers ce bref texte : https://vivelemaoisme.org/proposition-en-cinq-points-pour-le-reglement-des-divergences-et-la-realisation/

11 Comme il est répandu de le dire, « l’histoire est écrite par les vainqueurs », ou du moins, avec eux. À quoi l’on peut rajouter dans une certaine mesure : « malheur aux vaincus ».

12 À comprendre dans un sens large, tant vis-à-vis de notre rapport à l’appareil idéologique situé socio-historiquement de nos états impérialistes, que vis-à-vis des débats sur les pensées produites et les controverses soulevées par le PCP-SL lui-même.

13 « L’oiseau de Minerve s’envole au crépuscule »

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