La guerre ne s’est pas arrêtée en 1945 – Partie 2

Une après guerre conflictuelle.

        Le nazisme s’est construit, comme pensée politique, autour d’une vision apocalyptique du monde. Les nationaux-socialistes concevaient leur lutte comme un combat sans merci pour la « survie de la race » et pour la « pureté du sang ». Leur imaginaire se mariait parfaitement avec une idée de légion des damnés, de Ragnarök ou de crépuscule des Dieux.

     La défaite a certainement causé un terrible choc, pourtant, à des Allemands endoctrinés à croire dans les promesses du Führer ou dans leur prétendue supériorité naturelle sur les autres races. Cependant, les 1 200 000 SS, les millions de membre du NSDAP, n’ont pas tous été passé par les armes ou jugés, loin de là. Leur acceptation de la victoire alliée et soviétique paraît invraisemblable. Il parait fou que les Werwölf, ces unités de sabotage, n’aient pas opéré sur les arrières des troupes alliées, qu’il n’y ait pas eu d’assassinats, d’attentats, de combats, dans les années qui suivirent la défaite. Pourtant, l’historiographie bourgeoise le clame. Le nazisme est présenté comme un cauchemar éveillé, donc les Allemands et Allemandes se réveillent dès le 9 mai 1945.

Le passage du nazisme à la future République Démocratique Allemande ne s’est pas fait sans heurts. La dénazification fut poussée le plus possible, chose permise par l’existence de cadres formés en exil en URSS, prêts à assumer la réalité du pouvoir et de la direction de l’Etat. La Nationale Volksarmee est gérée par des anciens du comité Freies Deutschland, le comité des officiers anti-nazis, tandis que les membres survivants du KPD et du SPD forment le SED, parti central de la vie politique. Le discours vers les Allemands et Allemandes de l’est a été celui d’une réconciliation. En somme, les autorités d’occupation ont déclaré aux Allemands qu’ils avaient été trompés par le nazisme, que celui-ci avait commi des horreurs, mais que désormais ils étaient, en quelque sorte, absous de leurs fautes, pour participer à la construction du socialisme.

Ce discours explique paradoxalement la montée de l’extrémisme de droite, aujourd’hui, dans les Landern de l’ex-RDA. N’ayant pas été confrontés à un devoir de mémoire, se sentant déliés de toute responsabilité dans le génocide et dans la guerre, les jeunes générations voient moins l’adhésion au néo-nazisme comme un tabou que leurs homologues de l’ouest.

            A l’ouest, la dénazification se produit faiblement. La question de la future Guerre Froide balaie toutes les appréhensions. Progressivement l’OSS, Office of Strategic Services, l’ancêtre de la CIA, recrute tout ceux qui peuvent lui fournir des informations. Au début, celles-ci concernent le fait de retrouver certains dignitaires nazis, certains membres haut placés de l’appareil d’Etat. Par la suite, la question de la présence des réseaux communistes se fait plus pressante, et les profils recherchés changent.

           Spécialistes de l’URSS, spécialistes de la lutte contre les partisans, enquêteurs… l’Ouest veut faire barrage aux communistes en racolant toutes les vermines génocidaires disponibles. C’est à cette époque que Klaus Barbie devient agent américain, travaillant sans relâche à constituer des réseaux d’officiers fiables -terme qui, en 1945, ne peut que glacer le sang.

           Reinhard Gehlen, officier de renseignement Allemand, spécialisé sur l’URSS, est en charge d’une mission importante : constituer les services de renseignement de la future RFA. Gehlen est un officier atypique. A sa décharge, il fut proche des officiers anti-nazis, notamment de Henning von Tresckow, un des chefs de la conspiration du 20 juillet 1944. Dans les faits, cela n’enlève rien à son nationalisme forcené et son anticommunisme viscéral. Ce n’est pas non plus un démocrate ou un libéral.

           Il est intéressant de noter qu’il fut un proche de Franz Halder. Halder avait été le chef d’Etat-major adjoint de la Heer, l’armée de terre entre 1938 et 1942, avant d’être éjecté de ce poste par Hitler. Après la guerre, Halder a travaillé pour le compte du service d’Histoire de l’Armée Américaine. Avec d’autres généraux « propres », il met au point une historiographie, qui, pour une fois, est celle des vaincus. Elle met en avant l’idée d’une Wehrmacht « propre », découplée de la SS et des crimes de guerres. Cela permet, dans les études historiques, de renvoyer dos à dos la RKKA et l’Armée Allemande et d’ouvrir une brèche permettant de mettre sur le même plan l’URSS et l’Allemagne Nazie, tout en célébrant des « héros » militaires, tels Stauffenberg. La thèse de la gémellité des totalitarismes, longtemps combattue par les historiens un tant soit peu sérieux est une thèse désormais enseignée dans le système scolaire français. Fin de parenthèse.

           En Allemagne, dès 1947, Gehlen joue la carte de l’alarmisme le plus total, en prétendant que l’URSS -sur laquelle il est la source principale de renseignement- prépare une guerre éclair. Il parvient ainsi à obtenir plus de 200 millions de dollars de subvention par l’OSS et la CIA. Cet argent, Gehlen va l’utiliser pour aider les nazis ukrainiens, fournissant des armes et des équipements à ces derniers.

           Là réside un fait tout bonnement hallucinant. La très large majorité du public ignore donc que la guerre s’est poursuivie jusqu’en 1956 dans certaines régions d’Europe orientale. Les Banderistes, ces ultra-nationalistes ukrainiens, ont continué ainsi le combat, avec l’appui de l’organisation Gehlen, puis du BND. Des agents étaient infiltrés pour commettre des assassinats, des sabotages, pour semer le chaos et organiser des groupes terroristes. Ce n’est que par un travail d’infiltration opéré par le KBG que ces réseaux clandestins ont pu être décapités et que le fasciste Stepan Bandera pu être liquidé, en 1959.

           Dans d’autres Etats, notamment dans les Démocraties Populaires, les groupes d’extrême-droite issu de la période fascistes ont opéré de la même manière. Profitant du moment de flottement lié à la déstalinisation, ces réseaux ont tenté de frapper en Hongrie, en 1956, entraînant l’intervention de l’Armée Soviétique. Les courageux et héroïques insurgés de Budapest étaient, pour une grande partie des cadres, des individus qui avaient marché au pas de l’oie quelques années plus tôt, et qui n’avaient jamais renié cet engagement.

           Fondamentalement, les enjeux de l’après-guerre sont tels que les Etats capitalistes, qui perdent pied un peu partout dans le monde, ont fait feu de tout bois. Nombre d’agents formés par les nazis, ou de nazis eux-mêmes, ont ainsi servi d’experts pour aider à la formation de services secrets terrifiants, pour faire passer des armes, pour entrainer des groupes paramilitaires ou terroristes.  Dans l’esprit des ex-SS, il s’agit de la poursuite de leur lutte première : lutter contre le bolchevisme. Malgré la mort du Führer, il n’existe fondamentalement, dans leur esprit, pas de rupture entre leur travail pendant la guerre et celui mené après. Les réseaux stay-behind de la CIA représentaient la poursuite du werwolf. Ce n’est nullement un hasard si des criminels notoires ne sont jugés qu’après le plus dur de la Guerre Froide passé. Ils sont désormais inutiles, bons à jeter.

           Dans une lettre écrite à son ami, le pilote nazi Hans-Ulrich Rudel, Klaus Barbie décrivit le drapeau à croix gammée flottant, à la suite du coup d’Etat de Banzer, en Bolivie. Pour lui, cela formait l’accomplissement de sa carrière. Il écrivit également qu’ils vieillissent, certes, mais qu’ils avaient chacun semé une petite graine qui donnera des fruits. Fruits criminels, fruits empoisonnés. Fruits qu’ont servi, dès la fin de la guerre, les puissance coloniales à ceux et celles qui voulaient se soustraire à leur ordre injuste.

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