23 août 1939, la décision terrible. 1/3

Extrait de “100 millions sinon rien”

Brochure complète :

Petit aparté sur la question du bilan de l’URSS, mais importante à faire. Le 80ème anniversaire du pacte germano-soviétique approche à grand pas. Cette date a été érigée comme un symbole d’une prétendue collusion entre fascisme et communisme. Elle est aujourd’hui la date de commémoration des « victimes des régimes totalitaires », rassemblant sous une même bannière ceux qui ont fait Auschwitz et ceux qui l’ont stoppé.Nous répondons, car nous ne pouvons laisser ce genre de propagande être répandue sans laisser faire.

Ce dossier, en trois parties, sera publié jusqu’au 23 août, date de la signature du traité. Il sera intégralement disponible sur notre site rapidement, soit en tant qu’objet séparé, soit au sein de la brochure 100 millions sinon rien.

E. Vertuis, 21 août 2019

L’un des fers de lance de la campagne de calomnie contre l’URSS sous la direction de Staline se situe sur la question du traité de non-agression conclu avec le régime hitlérien. Ce traité est employé, sans la moindre vergogne par ceux qui veulent condamner l’URSS et sa direction, dans le but de la disqualifier complètement, de la rendre indéfendable. Plusieurs apprentis-sorciers de la déformation de l’histoire ont voulu surfer sur ce choix ô combien difficile, pour faire la démonstration de la trahison du socialisme, pour faire l’illustration de la symétrie Staline / Hitler ou d’une similitude de fond entre communisme et nazisme.

Aujourd’hui, il est de coutume de charger Staline et l’URSS. Cependant, même chez les contemporains, le regard est nettement plus lucide. Churchill, grand commentateur de l’actualité, bien que férocement anticommuniste, a considéré que le pacte était la réponse logique à l’inconséquence de la diplomatie anglaise et à la politique de Chamberlain. 80 ans après, il demeure encore un événement historique brûlant, dévorant, repoussoir terrible. Modestement, nous essayons d’en apporter une compréhension qui, d’une part, replace le traité de non-agression germano-soviétique dans le contexte extraordinairement particulier des années 1930, mais également permet de comprendre comment, au moment de sa signature, la direction soviétique percevait l’attitude des démocraties libérales et de son antagoniste direct : l’Allemagne nazie.

Avant toute chose, il est important de couper court à un jeu basé sur la sémantique. Le traité de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS était ce qu’il était. Son but était de déclarer une absence d’hostilité entre deux États. Il n’était pas une alliance. Une alliance consiste en un nombre de dispositions d’assistance militaire réciproques en cas de conflit, déclenché ou subit. Rien de tel dans le cas du traité signé le 23 août 1939.

Jusqu’à la fin de la Guerre froide, la thèse de la similitude entre les régimes n’était que l’apanage d’une minorité, qui, souvent, l’utilise pour défendre le nazisme. L’histoire officielle française, sanctionnée par l’Éducation Nationale, n’instille ce genre de sottises qu’à partir des années 1990. A ce moment-là, il n’y a plus grand monde pour défendre l’Union soviétique, y compris le PCF, donc tout peut-être dit sur son compte, tant qu’il s’agit de quelque chose de négatif. Les théories d’équivalence et de guerre préventive de la part de l’Allemagne nazie ont désormais pignon sur rue.

De même, la sémantique des termes n’est pas neutre. Les Occidentaux signent des accords, les Soviétiques, des pactes. Le terme renvoie à une idée très faustienne de la diplomatie, des pactes avec le Diable. Ainsi, l’OTAN est l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, tandis que le vrai nom du Pacte de Varsovie est Traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle. Signé à Varsovie, le 14 mai 1955. Nombre d’imprécisions sont faites pour accroître l’idée d’une collusion entre les deux entités juridiques et leurs dirigeants. Mais les formes ne doivent pas influencer outre mesure le contenu.

Il est en effet aisé de séparer cet événement de son contexte, et d’en faire, même, un aboutissement. Ce n’est pas une démarche d’historien. Ce procédé est une démarche de rhéteur, qui cherche uniquement à illustrer une notion préétablie en sélectionnant les événements historiques qui servent sa chapelle. C’est d’ailleurs ce que fait l’Éducation Nationale, qui en fait, depuis 1995, un des éléments fondamentaux de la dimension comparative des régimes totalitaires.

Il ne s’agit pas de dire que l’événement, le pacte, était un choix parfait. Il ne s’agit de le défendre comme étant un événement positif. Il est une souillure amère sur l’histoire soviétique. Cependant, nous refusons de le voir comme quelque chose qui soit une infamie étant donné les éléments d’enquête que possédait l’URSS, le Komintern et leur direction à l’époque, tout comme nous pensons qu’il est possible d’affirmer que si l’URSS, le Komintern et sa direction avaient été omniscients sur la nature et les projets du régime nazi, probablement l’attitude de la diplomatie soviétique aurait été différente. Cette affirmation n’est pas qu’un acte de foi gratuit de la part de nostalgiques aveuglés par le folklore, elle est un fait qui peut s’établir sur la base d’un travail d’enquête, même à minima, sur les conditions dans lesquelles le choix soviétique s’est effectué.

Qu’est-ce que le IIIe Reich en 1939 ?

Ce qui donne son caractère particulier au pacte est l’idée qu’il soit possible de signer le moindre traité avec ce qui apparaît comme le distillat le plus pur de la brutalité sauvage et génocidaire. Hitler et ses séides sont le diable et ses démons, et il n’est pas possible d’imaginer le moindre terrain d’entente avec eux. Sans rentrer dans le champ lexical du christianisme, cette analyse est véridique, à un détail près.

Premièrement, l’Occident, et même la Pologne, ont signé, eux aussi, des pactes avec ce Diable, sur lesquels nous reviendrons. Ces pactes avaient également leur protocole secret, à ceci près que le contenu l’est resté. Ce qui le différencie donc des autres n’est uniquement que le fait que le traité signé le 23 août a été le prélude à la guerre. Ces signatures de pactes sont, en revanche, passés sous silence, alors qu’ils ont contribué, bien plus que l’Union soviétique, à la reconstitution d’une Allemagne en pleine possession de ses moyens militaires, capable de pouvoir tenir la dragée haute à pratiquement toutes les armées du continent.

Deuxièmement, nous pouvons regarder l’activité du régime nazi sur l’ensemble de la période, avec un recul qui nous permet de juger de sa nature profonde. Indépendamment des débats sur l’intentionnalité des génocides perpétrés par le Reich ou sur leur caractère ‘fonctionnel’, il n’était pas possible de préjuger de ce que celui-ci commettrait. Avant la Shoah, il n’y avait pas eu cet événement qui a marqué ce régime du sceau indépassable, ou du moins indépassé de l’infamie. Aktion T4, Shoah par balle ou dans les camps, massacres systématiques des élites des régions à aryaniser, politique délibérée de réquisition de l’intégralité des ressources. Ces politiques cependant sont postérieures au déclenchement de la guerre, voire postérieures même, pour la Solution Finale, à l’invasion de l’URSS. Même la Nuit de Cristal suscite les réprobations de la part de certains dirigeants nazis, Himmler, Göring, Funk, qu’on ne saurait taxer de pusillanimité à l’égard des Juifs. Au sein même des populations juives de l’époque, l’idée qui domine est que le nazisme surfe sur l’antisémitisme comme réclame publicitaire pour s’assurer des voix, que le régime enchaînera brimades et vexations, mais que celles-ci s’intègrent dans une longue série d’actes et de déchaînement antisémites traditionnels. Le consensus, au sein de l’intelligentsia, est que les massacres sont bons pour les barbares de l’est, les Cosaques et les Huns, mais que le peuple de Goethe, de l’Aufklärung ne peut se lancer dans ce genre d’abominations. D’ailleurs, avant le 22 juin 1941, le régime nazi, qui cherche une paix de compromis avec l’Occident, temporise son projet d’élimination complète des populations Juives, Tziganes, ou même, à terme, Slaves.

Avant le génocide, qu’est ce qui qu’est ce qui démarque le régime nazi de l’époque d’autres régimes ? Difficile à dire. Il est fasciste et extrêmement anticommuniste, mais d’autres le sont tout autant, telle la Hongrie, la Pologne, l’Espagne, la Roumanie…Etc. Même chez les pays « démocratiques » Comme la France ou l’Angleterre, lorsque vus dans leur ensemble, avec leur système colonial et leur réseau de dominion, il est possible de se rendre compte que leur contenu démocratique se limite à une « démocratie d’impérialistes ». La France, par exemple, à ses lois de Nuremberg, qui instaurent une inégalité juridique entre différentes personnes vivant sur un même territoire : le code de l’Indigénat en Algérie. Elle a ses camps de concentration, comme le bagne de Poulo Condor en Indochine, ses lieux de relégation, comme la Nouvelle-Calédonie… Elle possède ses charniers, comme nous l’avons évoqué plus en amont. De ce point de vue, il n’est pas si évident de déterminer quelle limite est faite entre les régimes fascistes et les autres. C’est pour cela que la diplomatie soviétique, tout comme le Komintern, s’est fondamentalement intéressée à séparer les régimes entre régimes agressif et pacifiques. Ce point de vue n’était pas unique à l’Union soviétique. Un grand nombre d’acteurs, y compris de l’opposition antisoviétique, se sont aussi liés à la Gestapo, au Kempetai, à d’autres services secrets, considérant, dans leur rhétorique que cela n’était pas différent de l’aide qu’avait pu avoir Lénine pour passer de la Suisse à la Russie en 1917, sans la moindre once de vergogne.

C’est précisément cette attitude qu’a dénoncé le grand poète chinois Lou Sin en 1936, soulignant « le côté pitoyable de l’exil, des pérégrinations et de l’échec de M. Trotsky, qui « forcèrent » celui-ci à accepter, dans sa vieillesse, l’argent de l’ennemi. » Mais, également le fait que leur « « théorie » est certainement plus sublime que celle de M. Mao Tsé-toung et d’autres : la vôtre plane haut dans le ciel, la leur est terre à terre. […] Partant, je crains que lorsqu’elle tombera du haut du ciel, elle n’atterrisse à l’endroit le plus répugnant du globe. Les Japonais saluant vos théories sublimes. Je ne puis m’empêcher de me faire du souci pour vous à la vue de vos publications si bien imprimées. Comment vous disculperez-vous si quelqu’un venait à répandre délibérément des rumeurs malveillantes vous accusant d’accepter de l’argent des Japonais pour sortir ces publications ? » (Lou Sin, Réponse du 9 juin 1936 aux organisations trotskistes) .

C’est également celle que pouvait directement avoir Trotski, lequel, sur la guerre à venir, écrivait « Contre l’ennemi impérialiste, nous défendrons l’URSS de toutes nos forces. Mais les conquêtes de la révolution d’Octobre ne serviront le peuple que si celui-ci se montre capable de traiter la bourgeoisie stalinienne comme autrefois il traita la bureaucratie tsariste et bourgeoise ». C’est-à-dire de saboter l’effort de guerre et de pratiquer le défaitisme révolutionnaire. Si Trotski lisait avec ardeur la Pravda, la direction soviétique lisait aussi avidement, parfois en avant première, les écrits trotskistes. Dès lors, comment ne pas, à minima, soupçonner d’une collusion, confirmée par les archives et les acteurs (notamment Soudoplatov, qui s’occupait de cet aspect-là au NKVD).

Il est de bon ton de clamer que « l’intransigeance de Staline a aidé à mettre Hitler au pouvoir ». C’est faire bon marché de l’autonomie du KPD. De plus, si Staline, comme l’affirment certains, avait jeté par-dessus bord toute idée de révolution et ne s’intéressait qu’aux affaires de l’URSS, il aurait logiquement poussé à une alliance du KPD et du SPD contre les nazis. Or, si le Komintern pratiquait effectivement une ligne du « classe contre classe », c’était avec le souvenir cuisant de la répression de mouvements révolutionnaires par les sociaux-démocrates. Comment le KPD, qui, 20 ans auparavant s’était fait massacrer par les assassins du SPD, pouvait-il envisager d’emblée une alliance avec ceux-ci ? De plus, face à un inconnu complet. Même si la phrase est curieuse, elle mérite d’être prononcée : Hitler n’était pas Hitler avant d’être Hitler. Rien ne permettait de savoir que son régime serait si différent de celui d’une présidence militaire appuyée sur les ultra-conservateurs, ni que celui-ci pratiquerait rapidement la mise au pas du pays. C’est également faire bon marché des questions internationales qui ont facilité la mise en place du régime nazi, mais également de sa possibilité de se constituer en tant que force militaire d’ampleur.

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