Tribune de E. Vertuis.
Un PCF qui s’approche des 5% semble suffire à réveiller de vieux démons chez les réactionnaires et les bourgeois. L’anticommunisme atavique se dresse dès qu’il flaire son ennemi.
Invité sur le plateau des « Grandes Gueules », le 21 mai, le candidat du PCF aux élections européennes, Ian Brossat, a été pris à partie par le journaliste sportif et chroniqueur Daniel Riolo. Celui-ci a affirmé que le PCF avait collaboré avec les nazis durant la Seconde Guerre mondiale.
« On ne va pas avoir un débat historique. Le général de Gaulle a sauvé le Parti communiste après la guerre en l’intégrant au pouvoir décisionnel alors qu’il avait complètement collaboré. » Cette falsification de l’histoire, nourrie de raccourcis, à la vie dure. Elle tend à faire oublier l’importance fondamentale des communistes, avant même l’entrée en guerre de l’URSS, dans toutes les résistances à l’occupation allemande et au fascisme, y compris au sein des camps de concentration. Elle surfe sur le mythe d’un monopole gaulliste de la Résistance intérieure, monopole construit a posteriori.
L’affront a fait bondir Ian Brossat, à juste titre. Mais si les propos d’un journaliste sportif peuvent passer pour une bêtise nourrie d’anticommunisme, d’autres cas sont plus inquiétants.
Un jour avant, le 20 mai, Nicolas Lecaussin publiait dans Le Figaro, une tribune intitulée « Le communisme français, un cadavre qui bouge encore, hélas ». Le directeur de l’Institut de Recherches Économiques et Fiscales déclarait, en somme, que « le communisme aurait dû depuis longtemps sortir de l’histoire.Et ce n’est pas à l’honneur de la France d’avoir toujours un parti communiste…»
Puisque M. Lecaussin prend la peine d’intervenir sur un si grand média, nous ne pouvons que prendre la plume pour lui répondre.
En tout premier lieu, nous plaignons quelque peu Nicolas Lecaussin. Sa terreur, son effroi, envers le communisme semble sincère. Devant la candidature du PCF, autour d’un programme plus que timoré, semble déjà lui donner des sueurs. Espérons qu’il ne sache pas que d’autres sont bien pires. Et qu’ils assument.
Car il est difficile de penser que l’« Europe des Gens, pas l’Europe de l’Argent » soit une émanation pure et dure du marxisme-léninisme, du bolchevisme. D’ailleurs, l’auteur de cette diatribe est rapidement en souffrance lorsqu’il doit avancer des arguments pour la caractériser ainsi. Il se contente alors cette unique passe d’armes : « Toujours la même rengaine contre «le marché, la concurrence, l’austérité…». C’est toujours l’Etat qui résout tout, pas de salut ni solutions hors les services publics, haro sur les banques, les entreprises et bien entendu les riches, qui doivent être punis.»
Le Figaro, avec ses 5 699 521 € d’aides d’Etat versées par an, ce qui en fait le 3e journal le plus subventionné de France, pourrait au moins avoir la politesse de se débrouiller seul avant de cracher dans la soupe des finances publiques.
Indépendamment de cela, nous sommes loin de voir renaître un discours de dictature du prolétariat. Mais s’en est déjà trop pour notre homme, pour qui Ian Brossat et « son programme repren[nent] les formules creuses et les propositions éculées du PCF. » Nous n’allons pas essayer ici de défendre celui-ci, que ous jugeons inadapté. En revanche, cela ne singifie pas qu’on accepte de recevoir les crachats d’ignares.
Donc, à ses yeux, le gentillet adjoint à la mairie de Paris traîne avec lui les cadavres de dizaines de millions de morts… Sauf que l’accusateur semble bien en peine de nous en dire plus.
Un accusateur à la peine.
Quelque
part, nous avons un peu de peine, en lisant la prose de
M. Lecaussin. Malgré
la charge véhémente qu’il adresse, en termes orduriers, au PCF, à
M. Brossat et au communisme, il semble hésitant. Les
terribles coups qu’il entend porter semblent mal assurés. Et
pour cause.
« Des
dizaines de millions de morts » ; « Comme
si l’on avait gommé tout simplement les dizaines de millions de
morts. » ; « une
idéologie ayant entassé les cadavres. »
Voilà des arguments qui reposent sur des preuves scientifiques
dûment étayées. Et
pour cause, notre compère est un fin historien.
Les auteurs qu’il cite, pour se donner une contenance, sont des têtes connues. Marc Lazar, auteur de l’ouvrage Le Communisme, une passion française, sorti en 2002. L’omniprésent Livre noir, de Stéphane Courtois, mais aussi Thierry Wolton.
Si le premier est un petit réactionnaire assez inoffensif, un disciple de François Furet sans envergure, les deux autres méritent qu’on s’y attarde.
Le Livre noir, publié en 1997, est toujours un cheval de bataille au centre de l’anticommunisme français et international. Un cheval cependant bien décati, car plus aucun universitaire sérieux ne l’emploie, tant les analyses de son directeur sont tirées par les cheveux. Même plusieurs rédacteurs ont choisi, par la suite de s’en détacher, en fustigeant l’obession des 100 000 000 de morts. Nicolas Werth, par exemple, auteur de la plus grande partie de l’ouvrage, s’en est détaché, du fait des incohérences de la direction. En effet, celui qui avait écrit « Goulag, les vrais chiffres », ramenant à sa juste proportion le système carcéral soviétique, se retouvait cité au milieu de fanatiques anticommunistes.
M. Lecaussin, par ailleurs, se garde bien de donner un chiffre, soit parce qu’il ne sait pas, soit parce qu’il ne sait que trop bien combien ses sources sont fragiles, et combien il est risqué de tracer un bilan mal assuré. Pourtant, les sources, elles, ne manquent pas. Il est aisé de trouver les écrits d’A. Blum ; de S. Fitzpatrick ou même de simplement ouvrir un de nombreux livres de N. Werth pour avancer des chiffres qui, à défaut d’être correctement utilisés, aurait au moins eu le mérite d’être justes d’un point de vue comptable.
Le troisème larron de M. Lecaussin, Thierry Wolton, mérite qu’on s’y attarde un moment. En effet, cet auteur a été au centre de tellement de controverses que nous sommes bien en peine de les lister. S’il a été soutenu par les historiens réactionnaires A. Kreigel et F. Furet, bien d’autres l’ont brocardé avec véhémence. Obsédé par une conspiration du Komintern, T. Woltan cherche longuement à démontrer, au travers de raisonnements au second ou au troisième degré, que Jean Moulin était un agent soviétique.
Pierre Vidal-Naquet considère
que T. Woltan au travers de ses attaques contre le
communisme et contre Jean Moulin, sa bête noire, fait œuvre de
« révisionnisme
mou »,
et que le fond de sa pensée était constitué de ses « intentions
de réhabiliter Vichy ». Il
l’a également accusé d’être « un
falsificateur du genre de Faurisson ». Dans
son ouvrage Douze leçons
sur l’histoire,
A. Prost prend même l’exemple de T. Wolton comme représentation du
non-historien. Il
a qualifié ses méthodes de « peu
rigoureuses »
et son travail de « prétendument
historique. »
François Bérida en parle également comme auteur peu
rigoureux et commutant régulièrement des contre-vérités.
La dernière œuvre de cet historien décidément fort peu admiré de ses pairs est un triptyque sur l’histoire du communisme. Les titres sont éloquents. Un tome 1, nommé les bourreaux, sur la direction des partis communistes. Un tome 2, nommé les victimes, sur les habitants des pays dirigés par ces mêmes partis. Un tome 3, en préparation, les complices, sur l’admiration du communisme par des intellectuels engagés.
Les historiens de garde, pour reprendre l’expression employée par William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin dans leur ouvrage éponyme, sont les références de M. Lecaussin. Ces « historiens », plus portés sur l’histotainement le divertissement historique, que sur l’étude de l’histoire elle-même, forment un fer de lance redoutable. Les noms de Lorànt Deutsch, Stephane Bern ou Patrick Buisson reviennent sans cesse chez ces royalistes, ces réactionnaires, qui maquillent l’histoire. Au nom d’une liberté de la science, ils escamotent ce qui ne sert pas leur chapelle et grossissent le trait de ce qui les arrangent.
Voici donc la base scientifique qui sous-tend la pensée de M. Lecaussin.
Contrairement
à ce que pense M. Lecaussin, nous, communiste, sommes
particulièrement attentifs à l’actualité de la recherche
concernant l’histoire des expériences socialistes. Il
s’agit d’un matériel dont nous avons besoin pour permettre de
déterminer les erreurs, les fautes et les manques que les
communistes d’alors ont pu commettre. Nous
avons besoin également de connaître quels succès ont été
réalisés, quelles avancées. Parfois,
le bilan est dur à accepter, par rapport à la promesse du paradis
socialiste, mais nous l’acceptons, car nous ne nous nourrissons pas
de mythes et d’invention.
C’est pour cela que nous ne lisons pas que ce qui est le fruit de notre chapelle. Aujourd’hui, de plus, avec l’ouverture des archives soviétiques, l’évolution de l’historiographie tend, en dernière analyse, à éliminer les thèses totalitaires des années 50-60 aux USA, ou des années 90 en France.
Aujourd’hui, les recherches actuelles dressent un portrait incomparablement plus flatteur de l’Union soviétique qu’à l’époque des inventions de Robert Conquest, des mensonges de Khrouchtchev, des racontars de Trotski ou des délires de Courtois. Les dizaines de millions de morts du Goulag ou des purges se sont évaporés.
Les travaux actuels de S. Fitzpatrick, de A. Getty ou de S. Wheatcroft tendent à remettre les pendules à l’heure. Peut-être ceux de M. Tauger, sur les transformations de l’agricultre soviétique et sur la famine en Ukraine, de G. Furr sur les rapports entre le NKVD et la direction de l’Etat, permettront d’obtenir une nouvelle rupture historiographique.
En revanche, nous pouvons vois que notre auteur semble bien mal inspiré d’étaler sa science. Car une construction si mal étayée tombe bien vite en ruine, d’autant que lui-même, en prenant position, oublie de balayer devant sa porte. En termes de comptabilité morbide, son propre camp est loin d’être à la traîne.