Tensions en Corse : vers une forme d’autonomie ?

Yvan Colonna est décédé. L’assassin présumé du préfet Erignac, tué en 1998, est mort des suites des coups reçus en prison par le djihadiste Franck Elong Abé, incarcéré avec lui. La nouvelle de ses blessures, le 2 mars avait entrainé des explosions de violence dans l’Ile de Beauté. L’Etat français avait d’ailleurs été déstabilisé par l’ampleur de celles-ci. Il est décédé le 21 mars sans avoir repris conscience. Aujourd’hui, le retour de son corps dans son pays suscite une vague d’émotion importante. Petit retour en arrière : 

Yvan Colonna est un prisonnier politique très surveillé, classé DPS (Détenu Particulièrement Surveillé). Cet ex-militant du Front de Libération National Corse (FLNC) avait été au centre d’une affaire particulièrement médiatisée, fin 90 début 2000. En 1998, le préfet Erignac est abattu. Peu de temps après le nom d’Yvan Colonna apparaît dans les médias : il est accusé d’avoir exécuté le haut fonctionnaire. Il s’en suit une longue cavale qui se termine 5 ans après, en 2003. Il est alors condamné dans des circonstances débattables et avec un respect quelque peu douteux des droits de la défense. Ainsi Nicolas Sarkoy, alors ministre, avait largement transgressé la présomption d’innocence. L’affaire Colonna avait fait couler des fleuves d’encre. Elle était une de ces grandes affaires dans lesquelles il ne peut pas ne pas y avoir de coupables. Yvan Colonna, quelque soit la réalité de sa participation à cet assassinat, était condamné d’office. Ne pas trouver l’assassin aurait été un aveu de faiblesse terrible pour l’État. Il a donc mis les bouchées doubles pour obtenir un placement long en préventive, suivi d’une incarcération particulièrement lourde, loin de sa famille, sous le statut de Détenu Particulièrement Surveillé.  Ses soutiens demandaient la fin de ce statut, uniquement décidé par les hautes instances de l‘État, sans justification. 

Ce statut a été changé par le gouvernement après les émeutes, montrant ainsi que Colonna, et les autres prisonniers politiques, étaient maintenus loin de leurs proches par la seule volonté présidentielle. Cette annonce, loin de calmer les choses, a été perçue comme une provocation, et a suscité encore plus de colère. Il nous rappelle qu’il existe une volonté franche de briser les solidarités autour des détenus. C’est aussi le cas des Basques, qui sont systématiquement écroués loin de leur famille. 

Nous ne pouvons pas non plus oublier que cet acte de violence illustre le fait que le système carcéral français n’a aucunement des vertus de réhabilitation. Il est un inframonde, un cercle de l’enfer, dans lequel la violence et les mauvais traitement sont continuels. La prison n’est nullement un moyen de “transformation”, même selon les critères idéologiques de l’État. Elle est une punition, dans les rats, les cafards, la surpopulation. 

Le gouvernement : entre tensions et dialogue

En Corse, la colère a rapidement pris une ampleur telle que l’État s’est retrouvé dépassé. Elle a ravivé une flamme nationaliste qui s’était quelque peu atténuée : certaines concessions économiques avaient permis d’acheter la neutralisation des plus grands courants. Ce réveil est donc fracassant. Aujourd’hui, les mouvements demandent au minimum une autonomie de la Corse, sous la même forme que la Polynésie Française, seule solution pour calmer la colère du peuple. Ils demandent également une enquête sur le meurtre. Des menaces de reprendre la lutte armée, « le maquis », se font également entendre. Le consensus antérieur est donc fracturé.

Depuis le début de son mandat, Macron prête peu d’importance à la Corse. Il est aujourd’hui obligé d’affronter un ressentiment importante. À la suite des émeutes, Darmanin fut envoyé en Corse, dialoguer avec les différents élus locaux, où il fait miroiter un changement de statut de la Corse. Cette promesse est cependant assortie d’une condition : la réélection de Macron. L’en même temps proverbial fonctionne toujours. Mais le mot est lâché : l’autonomie est à portée de main. Gare à celui qui retirerait aux Corses cette perspective. Cette déclaration a entrainé un retour au calme, même si celui-ci a tout d’une paix surarmée. 

Malgré le déplacement de Darmanin et les nombreuses réunions avec les élus locaux, le gouvernement garde une attitude offensive suite à l’annonce du décès de Colonna : l’envoi de plusieurs centaines de CRS sur l’île, pour des manifestations qui n’ont pourtant pas encore eu lieu. 

Des perspectives positive ?

Nous considérons que l’autonomie va dans le bon sens : celui d’une prise en charge du destin de la Corse par les Corses eux et elles-mêmes. Elle serait encore insuffisante, mais serait un premier pas, pas qui pourrait ensuite permettre à d’autres revendications d’émerger, que ce soit dans l’hexagone ou dans les possessions coloniales. Nous ne pouvons pas oublier que la Corse peut s’enorgueillir d’avoir été la première nation de l’époque moderne à proposer une Constitution démocratique en 1755. Elle est alors le premier État dans lequel les femmes ont le droit de vote. Nous pensons que les questions d’autodétermination sont importantes et ne doivent pas être réduites à un folklore. Elles sont des questions importantes et qui méritent d’être traitées avec sérieux.

Nous voyons notre tâche, en tant qu’organisation ayant vocation à lutter sur l’ensemble du territoire détenu par la France, non pas comme prenant forcément des positions sur ce qui doit être fait pour tel ou tel territoire. Nous ne sommes pas des décrétistes. Nous la voyons comme une lutte pour permettre d’arriver aux conditions dans lesquelles ceux et celles qui habitent dans ces espaces puissent trancher ces questions : rester, être autonomes, ou partir. 

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