Loi « anti-casseurs » une loi anti-populaire.

Loi « anti-casseurs » une loi anti-populaire.

Les gouvernements savent saisir la balle au bond. Ils savent utiliser des moments de crise pour réussir à faire avancer leurs projets réactionnaires. En l’occurrence, les manifestations des Gilets Jaunes et les affrontements qui ont pu avoir lieu servent d’alibis à accroître un arsenal répressif destiné à mater les mobilisations dans leur ensemble.

La gauche rend de grands services, mais pas toujours à ceux qu’on croit. En 2016, à la suite des attentats, sous prétexte de devoir réagir rapidement, le gouvernement de l’époque, dirigé par Valls, a mis en place un système qui court-circuite la justice pour placer au centre de l’action le préfet. Les décisions d’interdiction de manifester sont désormais entre les mains d’une autorité administrative, directement sous tutelle de l’Etat, et outrepassant régulièrement ses prérogatives.

A partir du 1er novembre 2017, l’état d’urgence est entré dans la constitution, le transformant de facto en Etat d’urgence. Gérard Collomb, lui aussi membre et ex-membre du Parti Socialiste, a été l’architecte de cette mesure. Cette inscription dans la durée d’un régime d’exception a eu pour conséquences de banaliser l’usage d’une répression à caractère préventif. Autrement dit, il est né une conception qui ne peut être résumée autrement que par le « délit d’intention ». En somme, le soupçon d’un passage à l’acte est suffisant pour qu’il puisse être retenu comme une charge.

L’usure des forces de police, à la suite de la mobilisation inefficace des forces de l’ordre pendant la période de l’état d’urgence, a servi, là aussi, de prétexte à accorder des largesses juridiques. La police s’est blindée contre les accusations d’abus et de bavures, tout en accroissant son arsenal répressif.

La fabrique du « casseur ».

Hier, c’est cet arsenal qui a permis de réprimer les luttes contre la loi travail ou contre la réforme de la SNCF. Aujourd’hui, ce sont celles-ci qui permettent d’écraser le mouvement des Gilets Jaunes dans le sang.

L’argument qui revient sans cesse est celui de la présence dans les rangs des manifestations de « casseurs ». Cet argument mérite qu’on s’y attarde un petit instant. Ces « casseurs » servent d’alibi à des lois répressives qui, en dernière analyse, mettent en péril le droit à manifester. Il est un terme qui revient sans cesse dans les rhétoriques du gouvernement pour dire aux Gilets Jaunes « ne manifestez pas », pour décourager les familles, les personnes vulnérables ou qui redoutent la violence.

Or, cette rhétorique ne sort pas de nulle part. La fabrique du casseur, d’une image mentale de celui-ci, est en grande partie le fruit de l’influence des médias, au service des exploiteurs. Le pouvoir de l’image tout comme le pouvoir de la dénomination ont permis à ceux-ci, qui ne sont pas neutres, de forger dans l’esprit de la population une représentation de ce que peuvent être les « casseurs ». Ils ont ainsi créé une représentation de cette nébuleuse comme constituée d’individus opportunistes, utilisant les manifestations uniquement comme bouclier humain pour commettre des dégradations et des actes de violence, sans lien avec le mouvement, avec sa lutte, avec ses revendications.

Les images des médias, même pour des individus qui se méfient de ceux-ci, frappent l’imagination. Même parmi les organisations politiques de gauche ou d’extrême-gauche, ce vocabulaire revient. Or, les vidéos qui passent en boucle sur les médias sont le fruit d’un travail d’édition. Elles ne montrent pas ce qui s’est passé avant un événement, après, ou hors champ.

L’expérience des manifestations nous indique que, oui, il y a parfois de la casse et de la violence. Mais que dans la très large majorité des cas, celle-ci est à l’initiative des agents provocateurs des forces de l’ordre. Le plus souvent, les manifestations deviennent brutales après que la police soit passée à l’action, le plus souvent sans sommation et sans raison, autre que les ordres de semer le chaos.

Ce qui se produit est une réaction d’autodéfense qui vise à se protéger de la police, voire parfois à répondre, du fait de la colère et du sentiment d’injustice, à la violence policière. Et ce, malgré l’immense disproportion de moyens physiques, matériels et juridiques entre les deux forces en présence. La tendance au conflit est constante, notamment vis-à-vis de la jeunesse populaire, qui ne connaît que les contrôles constants, la privation de perspectives et d’avenir, et la violence de la part de l’Etat. Mais là, également, l’origine est dans le fait que la société française génère une violence majeure.

Il existe également des individus, politisés, qui s’attaquent à des banques, des vitrines de grands magasins, des symboles du capitalisme. Cela dans le but de générer une « propagande par le fait » et de stimuler la combativité des masses. Il ne s’agit là, encore, pas d’une violence aveugle. Les « blacks blocs » sont des individus présents dans les mouvements de luttes et qui opèrent ainsi dans le cadre de la lutte. Et, d’une manière générale, leur modus operandi répond au caractère répressif de la police.

Il est possible d’être en désaccord avec ces pratiques, de les trouver inadaptées. C’est un débat. Nous ne justifions pas ce choix tactique, nous l’expliquons comme découlant d’une logique. En revanche, nous n’acceptons pas l’injonction de la condamnation qui est régulièrement posée par le gouvernement, les réactionnaires et les médias. Nous ne ferons pas comme Fabien Roussel, dirigeant du PCF, qui a déclaré qu’il demandait à la police d’intervenir lorsqu’il repérait des « casseurs ». Ce n’est pas notre rôle.

En revanche, nous maintenons que, d’expérience, l’initiative de la provocation, de la violence, du conflit est dans une majorité écrasante déclenchée par la police. Chaque manifestation, ce qui est vu régulièrement, aussi pacifique soit-elle, finit sous les nuées de lacrymogènes.

Par ailleurs, les « casseurs » ne sont qu’un alibi. Ce que vise ces lois, le cœur de leur cible, ce sont les manifestants en général, les mobilisés et mobilisées en général. Il ne s’agit pas de cibler ces chimères, mais bien de réprimer les masses populaires dans leur ensemble, et de les enfermer. 

Quelles mesures dans la loi ?

Cette « fabrique du casseur » à permis de justifier un très grand nombre de lois qui mettent en cause la liberté de manifester. Mais ces lois ne suffisent pas encore ! Il faut pouvoir réprimer plus, aller plus loin, frapper plus fort.

La majorité parlementaire propose alors d’accroître ces possibilités de broyer le mouvement de contestation.

Première mesure : le grand retour des interdictions administratives de manifester. Le préfet peut interdire une manifestation, mais également interdire à des individus précis de participer à un événenement déclaré. Cerise sur le gâteau, il est possible également d’interdire « sur la base de (…) relations régulières ». Si les fréquentations d’une personne paraissent suspectes, elle aussi peut donc être mise à l’index. Amnesty International indique que cela revient à « donner tout pouvoir aux autorités politiques ou policières pour déterminer si une personne a le droit de manifester ou pas, sur la base de suspicions extrêmement faibles ». Déja l’article 222-14-2 du code pénal, qui punit « le fait de participer sciemment à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations » est utilisé de manière extrêmement large par la répression. Le « sciemment » devient un enjeu majeur. Dans un sens, ce genre de procédure rejette à la défense la responsabilité de trouver des preuves de l’innocence ou de l’inconscience de l’interpellé.

Il convient de rappeler que, d’ores et déjà, des Gilets Jaunes présumés passent en jugement et risquent de la prison sur la base d’interpellation arbitraires. Comme tout ou presque peut servir de pièce à conviction, il est facile de justifier à postériori les interpellations. Cela vise tout simplement à semer la terreur dans les rangs de ceux et celles qui se mobilisent, pour casser toute dynamique d’élargissement du mouvement.

Deuxième aspect particulièrement redoutable, c’est l’aggravation de mesures déjà votées et appliquées. L’une d’entre elle est le fait de se dissimuler le visage. Elle se mue de dissimulation totale en dissimulation partielle. Elle pourrait être sanctionnée d’un an d’emprisonnement ainsi que de 15 000 euros d’amende. Amnesty International déclare :« Beaucoup de personnes se dissimulent partiellement le visage parce qu’elles souhaitent se protéger ». Tenter de se protéger contre les gaz peut donc faire l’objet de poursuites judiciaires.

Pour peu que des manifestants souhaitent ne pas être asphyxiés, éborgnés, perdre des mains… ceux-ci peuvent être désormais arrêtés. Il faut offrir uniquement des chairs tendres, des peaux nues, aux armes des policiers.

En somme, il faut rester chez soi et maugréer en attendant de prochaines élections. Faire le dos rond pendant que les droits sociaux partent en fumée, pendant que les salaires s’effondrent.

Dernière mesure : l’article 3 de la loi prévoyait de créer un fichier de « casseurs ». Si cette disposition semble désormais caduque, elle est remplacée par une « inscription provisoire » des personnes interdites de manifestation dans le « fichier des personnes recherchées ».

Tout comme les fichiers des empreintes ADN ne devaient être utilisées que pour identifier les délinquants et criminels sexuels, et sont maintenant appliqués à tous, ce système de fichier ne peut que laisser pensif.

La loi de la terreur.

Cette loi a déclenché l’ire de certaines forces politiques, de droite comme de gauche. L’extrême-droite, elle, a joué la carte d’une position très révélatrice : « Oui, probablement on le votera, en assurant qu’il n’est pas utilisé pour être une entrave au droit de manifester pacifiquement dans ce pays » (Marine Le Pen).

Or, c’est littéralement le but de cette loi. Le RN a toujours été en faveur des lois qui permettent l’écrasement des mouvements sociaux ou de contestation, pour la simple et bonne raison qu’il s’agit de leur programme. Au lieu de hurler hypocritement, les apprentis-fascistes devraient applaudir Macron et ses laquais.

Il est difficile d’accorder aux partis de droite le moindre crédit et la moindre sincérité dans leur protestation. Cependant, des exclamations extrêmement vigoureuses ont été prononcées.  « Mais où sommes-nous, mes chers collègues ? » a-t-il lancé. « C’est la dérive complète ! On se croirait revenu sous le régime de Vichy ! » a ainsi déclaré Charles de Courson, député centriste. Jacques Toubon, défenseur des droits, a également attaqué cette loi pour son caractère liberticide.

Sur les rangs de l’Assemblée, la France Insoumise a également protesté, déclenchant un conflit entre députés, du fait d’insultes de la part d’une députée LREM.

Le fait que cette loi passe ne fait que confirmer une sombre constatation que nous avions faite dès avant l’élection de Macron. La politique kamikaze de Macron jette dans la rue des pans entiers de la société. Cela s’aggravera encore avec l’application de la « loi alimentation » qui frappera les ménages les plus précaires. Ne pouvons céder un pouce de terrain, tenus par les injonctions de ses donneurs d’ordres de la grande bourgeoisie, le gouvernement ne peut que tenter d’étouffer la colère sous les coups et les tirs.

En empêchant les manifestations de se tenir, en usant de la répression à tout va, la direction politique de l’Etat produit, au contraire, une tendance au conflit encore plus marquée. D’une part car la colère populaire trouvera toujours un échappatoire sous une forme ou une autre, de l’autre car la police et la justice seront réduit à user toujours plus de la violence.

Déja, des armes à feu classiques et des blindés ont été déployés. Déja, des policiers ont sorti leurs armes de service pour viser la foule. Fatalement, si cette logique se poursuit, cela se traduira non seulement par plus de blessés, mais également par une hausse du nombre de morts, tués par balles, comme cela pouvait être le cas jusqu’au début des années 1960.

L’Unité Communiste de Lyon dénonce cette loi dangereuse et criminelle. Elle considère en revanche que celle-ci démasque intégralement la nature du régime dans lequel nous vivons : antidémocratique, antipopulaire, réactionnaire. Nous ne cesserons pas notre présence aux manifestations et nous appelons les Gilets Jaunes ainsi que les autres mobilisés à ne pas céder à cette politique de terreur.

Soyons soudés, unis, solidaires, et nous triompherons de tout !

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