Décès de Jacques Chirac. Quel sens à sa vie et aux hommages ?

Il y a-t-il un sens a écrire quelque chose sur le décès de Jacques Chirac ?

S’il existe des problèmes autrement urgentissimes, il paraît néanmoins convenable de faire un bref point sur l’ancien Président de la Ve République. En dépit de la réputation qui est fait aux communistes, nous ne nous réjouissons jamais de la mort de qui que ce soit. Notre programme n’est pas basé là-dessus. Chirac ne fait pas exception à cela. Il était un ennemi politique, il était un oppresseur impérialiste et capitaliste, mais il n’en reste pas moins qu’il n’y a pas lieu de bondir de joie.

En revanche, il existe une certaine image de sympathie, de nostalgie, qui entoure Jacques Chirac. Nous ne nous associons pas à la perpétuation de cette image. Elle n’a pas de sens pour nous.

Chirac est devenu une icône. Il n’en méritait pas tant. Pourtant, nous ne pouvons occulter le fait qu’une partie de la nostalgie chiraquienne se base sur une certaine réalité. Dans les esprits, Chirac incarne certes un gouvernement corrompu, mais une certaine nonchalance. Les temps paraissaient moins durs, l’avenir moins sombre. La vie paraissait meilleure.

Elle l’était, mais pas grâce à lui. La crise est passée par là.

En effet, avant la crise de 2008, la vie, pour une grande partie des classes populaires françaises, était plus aisée. Cela ne veut pas dire que la bourgeoisie n’était pas agressive, loin de là, mais, cependant, il est impossible de nier que ses offensives suivaient une autre logique : accroître le taux de profit. En somme, se gaver plus.

Aujourd’hui, la crise économique aiguillonne les bourgeoisies. Non seulement elles veulent augmenter leur taux de profit, protéger leurs marchés, mais elles le doivent ! Il en va, à leurs yeux, de leur survie en tant que couche la plus dominante de la classe la plus dominante. C’est cela, et uniquement cela, qui donne aux années Chirac ce sentiment sympathique. Sarkozy n’a pas bénéficié du même climat. Il marquait également une rupture générationnelle, mais aussi dans le style de travail et dans la relation aux masses. De ce point de vue là, Chirac, avec la bonhommie, s’opposait aux agités Sarkozyste et à l’insignifiance des personnages du PS.

Hormis cette parenthèse mythologique, le bilan de Chirac, quel est il ?

Entre ses rôles de Premier ministre, de maire de Paris et de Président, il laisse derrière lui un lourd passif.

Des actes réalisés au nom de l’État français, comme le massacre de la grotte d’Ouvéa, la répression des banlieues en 2005, la reprise des essais nucléaires…. Des réformes, comme les premières attaques contre les retraites, la tentative de mettre en place le CPE et le CNE (contrats première embauche et contrat nouvelle embauche, travail dépassé par les lois Macron et El-Khormi), la mise en place de l’autonomie des universités… Mais aussi la loi Devaquet, retirée après le tabassage à mort de Malik Oussekine par la police.

Mais également des affaires crapuleuses, qui ont émaillé toute la carrière du Corrézien. Angolagate et barbouzeries (avec Pasqua comme avec Mitterrand), frais de bouche hallucinants, emplois fictifs… la liste est sans fin.

Nous n’oublions pas également qu’il a aussi joué sur le terrain des réactionnaires, avec le ‘bruit et l’odeur’, tout comme avec une misogynie qui ne l’a jamais quitté.

Existe-il quelque chose à mettre au crédit du mandat de Chirac ?

Oui.

Une seule. La reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans la collaboration et dans la rafle du Vélodrome d’Hiver. Elle marque une rupture par rapport à l’amnésie hypocrite des prédécesseurs.

En revanche, l’hostilité à la guerre en Irak ne peut pas être mise sur le même plan. Elle est souvent mise en exergue par toute une frange chauvine, qui voyait dans cela une dernière manifestation de gaullisme, de résistance aux faucons de Bush. En réalité, la raison fondamentale de la non-intervention française résidait ailleurs : Pour mémoire, en 2003, voilà ce qu’écrivait le journal Le Monde :

Les entreprises françaises sont d’autant plus agacées par le probable hold-up américain qu’elles cultivent depuis des années des relations privilégiées avec l’Irak. En 1996, dès la mise en place du programme «pétrole contre nourriture», le Medef avait expédié sur place une délégation de chefs d’entreprise, virée devenue annuelle. L’organisation patronale organisait avec l’entreprise BOI la présence des firmes hexagonales à la Foire annuelle de Bagdad, où le stand français occupait encore en 2001 la première place. Résultat ? Depuis 1996, la France était devenue le premier pays fournisseur de l’Irak, avec près de 15 % des importations, dont la moitié en biens d’équipements. »

Premier partenaire commercial de l’Irak, la France s’est mise en colère uniquement car ce marché allait devenir un monopole américain. Ce conflit, en réalité, s’inscrit dans une série de conflits entre les deux impérialismes. Il s’est exprimé tant dans l’Angolagate que dans le génocide du Rwanda, ou les deux puissances soutenaient chacune leurs pions.

Loin d’être une défense du droit international, le veto était avant tout une manœuvre de l’impérialisme français. Pas de quoi se pâmer.

Quel sens pour les hommages ?

Nous avons écrit, en introduction, que Chirac était un ennemi. Le sens de ce terme est important. Parmi ceux et celles qui ont encensé l’existence de Jacques Chirac, il est possible de trouver un certain nombre de personnes qui n’étaient pas de son bord. Le PCF, par Ian Brossat ou par Fabien Roussel, LFI, par Jean-Luc Mélenchon…

Les uns et les autres l’ont salué, en dépit de leurs désaccords, mais soulignant son « amour de la France », « Il etait un homme du peuple, celui aussi qui a refusé la guerre en Irak en 2003. »… En sommes, ils agissaient avec un certain fair-play envers un adversaire tombé. Adversaire, certes, mais néanmoins respectable, et, souvent, respecté.

C’est sur ce point que nous voulons venir. Il ne s’agit pas de stigmatiser ceux qui ont écrit cela. Charge à chacun de défendre ces tweets. Mais il s’agit de souligner un fait important : l’effet du parlementarisme bourgeois.

Pourquoi Chirac est, à nos yeux, un ennemi, pourquoi est-il, à leurs yeux, un adversaire ?

Fondamentalement, le parlementarisme et le réformisme se basent sur le postulat qu’il est possible de triompher légalement, par les voies prévues à cet effet, des adversaires politiques. Qu’il n’existe pas d’ennemi irréductible, à partir du moment où l’adversaire acceptait les règles définies par la République. Chirac n’était donc pas un bourreau au service des grands cartels industriels et de la bourgeoisie monopolistique, mais il était le représentant d’un parti, qu’il fallait battre aux élections. Egalement, le postulat mentionne le fait que, selon le principe de départ, l’adversaire déposera les armes et saluera la victoire de l’opposition si celle-ci triomphe. Les vainqueurs et les vaincus s’embrassent, se saluent, et charge à l’autre de faire mieux la fois d’après.

Sauf que l’Histoire et l’expérience de la démocratie bourgeoise tend à prouver l’inverse. Lorsque, hypothétiquement, une force anti-capitaliste (même modérée !) s’approche du pouvoir ou se met en position de réaliser son programme, elle rencontre une résistance opiniâtre et acharnée de la part de la classe sociale opposée. Nous avons vu, régulièrement, la bourgeoisie ne pas hésiter à transgresser les règles (qui sont d’ailleurs les siennes!) pour réprimer.

Deuxième aspect fondamental, un aspect de classe. Jacques Chirac et Fabien Roussel, quels que soient leurs chemins personnels, appartiennent à la même corporation : celle des élus, des agents de l’appareil de l’État. Ils partagent les même conditions de vie, les même indemnités, et dans le fond, ont tout intérêt, à titre personnel, à ce que les choses se maintiennent en l’État. Il n’existait pas de réel antagonisme social entre les deux. Ils n’étaient pas les membres de deux classes ennemies, qui devaient se détruit, mais simplement deux bourgeois bien payés, achetés par la bourgeoisie pour ne pas trop chambouler les choses, hormis quand elles vont dans son sens.

Cette tendance corruptrice, ces balles sucrées de la bourgeoisie, sont fondamentalement celles qui ont tué le PCF. Elles tuent tout autant les révolutions que organisations révolutionnaires et leurs militants. Même les réformistes sincères sont poussés par tous les moyens possibles à transgresser les règles. Cela finit par devenir un moyen de pression, une méthode aussi vieille que la démocratie elle-même.

Pour en finir, il n’y a pas à diaboliser ou à encenser Chirac. Il a fait le travail pour lequel il avait été fondamentalement mandaté : gérer au mieux les intérêts des cartels bourgeois. Moins irritant, plus nonchalant que les autres, n’y change fondamentalement pas grand-chose. Il n’en était pas moins un ennemi de classe et un fer de lance des exploiteurs et des exploiteuses.

Qu’il repose en paix, et que le système qu’il a si bien servi le rejoigne rapidement.

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