L’Unité Communiste de Lyon déclare soutenir l’appel suivant, signée par 314 membres du corps enseignant francophone. De tous niveaux confondus, de toutes matières, elles et ils ont lancé cet appel à supprimer la règle absurde du “masculin l’emporte sur le féminin.”
Sans être une révolution sociale, sans remettre fondamentalement en cause le caractère patriarcal et sexiste de la société actuelle, cet appel n’en apporte pas moins une réflexion intéressante et justifiée sur la question de la langue française, dans laquelle, sans raison linguistique, le masculin l’emporte sur le féminin. La pratique de la langue, cependant, revêt certaines implications et contribue à façonner la manière dont les rapports sociaux se font. Nous comptons, depuis un certain temps, produire un document s’attachant à, notamment, relier certains usages de la langue à des pratiques politiques douteuses. Si, souvent, les classes populaires sont accusés de martyriser la langue, alors qu’elles en font un usage vivant et inventif, au final, les vrais bourreaux sont ceux qui cherchent à vider de sens les mots, et à remplacer l’explication par l’insinuation.
Les réactionnaires sont ainsi des adeptes des mots-valises, lesquels jouent sur tout un jeu d’implicite pour transmettre un contenu politique sans jamais l’expliquer. “Gauchiasse”, “journalope”, “médiacrate” ou d’autres termes, dont l’extrême-droite n’a pas seulement l’apanage, malheureusement, sont tout autant de termes qui n’expliquent rien, qui ne fournissent aucune étude, aucun contenu scientifique, mais qui servent à entretenir un flou dangereux, lequel profit systématiquement aux factions les plus droitières. L’insinuation est l’ennemi de l’explication, et l’explication est le premier pas vers la compréhension. La compréhension mène à la maîtrise de la vérité, laquelle, en elle-même, est déjà révolutionnaire.
En revanche, là où la langue est brutalisée, les hommes et les femmes le seront.
D’ores et déjà, des réactionnaires de tout poil se sont empressés d’attaquer, sous tous les prétextes possibles, cette déclaration, l’assimilant à une volonté de détruire la langue française, à une volonté de la castrer, de la déviriliser. L’Unité Communiste de Lyon regarde avec mépris ces discours, qui ne révèlent qu’une crispation autour de traditions -pas si anciennes- et une peur de classes pourrissantes face à au changement.
Nous ne mettrons qu’un seul exemple, mais il est illustratif.
Nous, enseignantes et enseignants du primaire, du secondaire, du supérieur et du français langue étrangère, déclarons avoir cessé ou nous apprêter à cesser d’enseigner la règle de grammaire résumée par la formule «Le masculin l’emporte sur le féminin».
Trois raisons fondent notre décision:
• La première est que cette règle est récente dans l’histoire de la langue française, et qu’elle n’est pas nécessaire. Elle a été mise au point au XVIIe siècle. Auparavant, les accords se faisaient au gré de chacun·e, comme c’était le cas en latin et comme c’est encore souvent le cas dans les autres langues romanes.
Bien souvent, on pratiquait l’accord «de proximité», venu du latin, qui consiste à accorder le ou les mots se rapportant à plusieurs substantifs avec celui qui leur est le plus proche. Par exemple : «afin que ta cause et la mienne soit connue de tous» (Ronsard, épître à la Response aux injures et calomnies…, 1563).
La nouvelle règle a d’ailleurs dû attendre la généralisation de l’école primaire obligatoire pour être appliquée massivement: «On peut aller sur le lac [d’Évian], en bateaux à vapeur ou petits-bateaux, et visiter les coteaux et montagnes voisines, à pied ou en voiture» (DrLinarix, Guide pratique de la Savoie et Haute-Savoie médicale et pittoresque, 1896).
• La seconde raison est que l’objectif des promoteurs de la nouvelle règle n’était pas linguistique, mais politique: «Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif.» (Dupleix, Liberté de la langue françoise, 1651) ; «Le masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle» (Beauzée, Grammaire générale…1767).
Si l’école de la République a préféré abandonner cette formule au profit de celle qu’on connaît, c’est en reconduisant l’ordre de valeur qui est à son fondement. Un ordre que les classes politiques maintenaient parallèlement, en refusant aux femmes les droits politiques jusqu’en 1944, et en refusant plus longtemps encore de leur ouvrir les grandes écoles ou d’abroger les dernières dispositions du «Code Napoléon».
• La troisième raison est que la répétition de cette formule aux enfants, dans les lieux mêmes qui dispensent le savoir et symbolisent l’émancipation par la connaissance, induit des représentations mentales qui conduisent femmes et hommes à accepter la domination d’un sexe sur l’autre, de même que toutes les formes de minorisation sociale et politique des femmes.
Pourquoi n’accepteraient-elles pas de gagner moins que leurs collègues, ou d’accomplir des corvées dont leurs compagnons se dispensent, ou de supporter leurs coups, s’il est admis au plus haut niveau que «le masculin l’emporte sur le féminin»? La lutte contre les stéréotypes de genre, qui est essentielle au progrès de l’égalité réelle des femmes et des hommes, ne peut être efficacement menée si cette maxime n’est pas mise au ban de l’école.
D’autres mesures travaillant à l’expression d’une plus grande égalité dans la langue sont nécessaires, mais le plus urgent est de cesser de diffuser cette formule qui résume la nécessaire subordination du féminin au masculin.
En conséquence:
-
Nous déclarons enseigner désormais la règle de proximité, ou l’accord de majorité, ou l’accord au choix ;
-
– Nous appelons les enseignantes et les enseignants de français, partout dans le monde, à renouer avec ces usages;
-
– Nous les appelons à ne pas sanctionner les énoncés s’éloignant de la règle enseignée jusqu’à présent;
-
– Nous appelons le Ministère de l’Éducation nationale à donner à ses personnels et à ceux des établissements sous sa tutelle des instructions précises allant dans le même sens;
-
– Nous appelons les professionnelles et les professionnels de la presse et de l’édition, les correcteurs et correctrices, les écrivaines et les écrivains à en faire autant;
-
– Nous appelons les citoyennes et les citoyens francophones à en faire autant.