Rwanda : les assassins reviennent sur les lieux de leurs crimes.

Le 27 mai 2021, Emmanuel Macron est venu en visite au Rwanda. Cette visite a été l’occasion pour le Président de la République de revenir le rôle de la France dans le génocide des Tutsis. Les archives de cette période commencent à s’entrouvrir et le voile opaque qui entourait les activités militaires françaises se déchire progressivement. Nous saluons cette ouverture comme quelque chose qui peut permettre de faire éclater la vérité, comme sur la Guerre d’Algérie, avec la commission Stora.

Mais nous ne pouvons que nous associer à la déception des Rwandais et des Rwandaises devant les déclarations en demi-teinte du Président.

Celui-ci a reconnu un rôle de la France dans ce génocide. Il a admit une responsabilité « politique, institutionnelle, intellectuelle, morale et cognitive ». Il a également annoncé que « en s’engageant dès 1990 […] la France n’a su entendre la voix de ceux qui l’avaient mise en garde ». Il faut « regarder l’histoire en face et […] reconnaître la part de souffrance qu’elle a infligée au peuple rwandais en faisant trop longtemps prévaloir le silence. » Mais il a refusé de parler de complicité et de présenter des excuses aux habitants et habitantes du Rwanda, bien qu’il ait demandé qu’elles leur accordent le pardon :« Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don alors de nous pardonner. »

Ces aveux en demi-teinte, dans la droite ligne du « responsable mais pas coupable », ne peuvent que laisser un goût amer. La France, une nouvelle fois, se distancie de ses responsabilités et des conséquences de ses choix politiques. Elle se distancie aussi d’une condamnation sur le fond de l’impérialisme et du colonialisme, en dépit des discours de 2017, dans lesquels le candidat-Macron parlait de crime contre l’humanité.

Car c’est bien le colonialisme qui est à l’origine du génocide des Tutsis du Rwanda.

Le génocide du Rwanda n’est pas un acte complètement isolé. Il n’est pas un instant de folie meurtrière qui s’est emparée d’un pays. Il s’agit d’un acte brutal, criminel, qui vient parachever une montée en tension.

L’Afrique a été découpée comme un gâteau par les colonisateurs. Au moment de la conférence de Berlin, les tracés qui ont été définis ne l’ont pas été sur la base des peuples, des ethnies, des aires civilisationnelles. Elles ne l’ont pas même été sur les bases d’une géographie naturelle. Le plus souvent elles ont été le fruit de négociations âpres, au rapport de force, entre les puissances. Les peuples d’Afrique n’ont pas été consultés, ils n’ont pas été pris en compte. Pire : le fait de fragmenter ces populations entre les États a été un choix : celui du diviser pour mieux régner. Il fallait pouvoir appuyer une ethnie (ou un clan) contre un autre. L’un devenant client (Lénine parle de Compradore) l’autre étant dominé. Ce petit jeu a exacerbé les tensions à plusieurs reprises : entre communautés, entre peuples, entre familles. Que des rancœurs se muent en haine n’avait pas d’importance pour le colonialiste. Tout ce qui importait était le fait de pouvoir continuer à faire des affaires tranquillement.

Au Rwanda, les colonisateurs, Allemands, puis Belges, ont consciemment monté les ethnies les unes contre les autres. Les Belges, qui possédaient le pays, ont ainsi choisi de faire des Tutsis une aristocratie. Ils ont racialisé les rapports entre les habitants en créant des documents spécifiant l’ethnie et attisé les tensions pour maintenir le pays divisé. Mais la naissance d’une bourgeoisie nationale Tutsi, indépendantiste, pousse les colonisateurs à changer leur fusil d’épaule : ils vont s’appuyer sur les Hutus, en retournant comme une chaussette leur argumentaire raciste1. Dès 1959, une politique d’exclusion et d’exil des Tutsis se met en route. Les premiers massacres commencent dès 1963. Dans le même intervalle de temps, la France prend le pas sur la Belgique, comme au Congo. Elle contribue à installer certaines des plus cruelles dictatures.

Au Burundi, en 1972, l’inverse se produit : l’armée du Burundi, majoritairement Tutsie, massacre les Hutus du pays, causant 200 000 morts. Ce massacre terrifie le pouvoir en place, qui renforce les mesures d’exclusion, polarisant encore davantage la société. Les tentatives de retour des exilés Tutsis débouchent finalement sur la Guerre Civile Rwandaise, qui débute en 1990 et se termine fin 1994. A ce moment là, les violences sont quotidiennes. La Radio Libre des Mille Collines, surnommée « Radio Machette » lance ses appels à la haine quotidien.

Le Rwanda occupe une place particulière : il est une tête de pont francophone dans un secteur charnière. A l’est, les autres pays sont dans la sphère d’influence anglo-saxonne. Les rivalités sont fortes entre les puissances coloniales.

La vie politique Africaine des années 1950-1990 n’échappe pas à la guerre froide. Le but de l’occident, à ce moment, est d’empêcher à tout prix la mise en place de gouvernements affiliés à l’URSS. A ce moment, la France contribue à soutenir et à organiser les gouvernements les plus réactionnaires. Même l’infréquentable gouvernement de l’Apartheid, sous embargo,est un de ses partenaires privilégiés.

Après la chute du Mur et la fin de l’Union Soviétique, la politique change. La France s’est maintenue dans presque toutes ses possessions. Elle a remplacé le direct rule par une domination rénovée. Les Africains peuvent « choisir » leurs présidents. Si une ligne rivale triomphe, elle intervient pour dompter ou renverser celui qui voudrait changer les choses. De toute manière, la France contrôle la monnaie, l’économie, la formation des élites, et possède des bases militaires pour « aider ». La rivalité anglophones / francophone devient de plus en plus forte. Les Tutsis étant reliés aux anglophones, notamment au Burundi proche, la France appuie les factions les plus radicales du mouvement Hutu.

1994 : les cent jours du génocide.

Le 6 avril, l’avion présidentiel, qui transporte le Président Rwandais Juvénal Habyarimana et son homologue du Burundi Cyprien Ntaryamira est abattu. Les enquêtes semblent cibler une fraction ultra-radicale Hutu, mais c’est le Front patriotique rwandais qui est accusé officiellement. Dès le lendemain les leaders Hutus modérés sont assassinés et la RLMC lance un appel à « abattre les grands arbres ». Pendant 100 jours, plusieurs centaines de milliers d’assassinats sont commis. Le but : exterminer les Tutsis présents au Rwanda.

Le 22 juin 1994, l’Opération Turquoise, lancée par la France, impose une zone de sécurité. En réalité, cette zone de sécurité sert à refouler les forces Tutsi du FPR, qui déferlent sur le pays. Dans ce havre de paix, protégé par l’État suzerain, les massacres continuent. La France assure l’évacuation des génocidaires vers le Zaïre. Une dizaine d’entre eux ont pu vivre paisiblement pendant plus d’une dizaine d’année, couverts par leurs anciens maîtres. Parmi eux Félicien Kabuga, homme d’affaire puissant, qui était le financeur du génocide. Il avait organisé l’achat d’armes, notamment de machettes. Il n’est arrêté qu’en mai 2020.

Macron et la mémoire sélective.

Dans son discours, Macron s’est défaussé sur la politique menée par François Mitterrand. C’est un ingénieux tacle fait à la gauche parlementaire, laquelle célèbre le 40 anniversaire de son élection, et où elle rêverait d’un Mitterrand-bis pour 2022. C’est une petite entorse à la réalité : si Macron se défausse sur Mitterrand, il occulte le fait que Giscard a signé, en 1975, l’Accord particulier d’Assistance Militaire qui va fournir en armes les génocidaires. Il est vrai que c’est entre 1987 et 1994 que les livraisons atteignent des sommets, mais les réseaux de la Françafrique ne peuvent être laissés au monopole du PS : ils préexistaient, et impliquaient d’ailleurs un très grand nombre de personnalités de droite ou extrême-droite. Jacques Foccart, le Monsieur Afrique du gaullisme, est ainsi resté immuablement en place. Ce haut fonctionnaire, ex-résistant, avait monté ses cellules de renseignement-action partout sur le continent africain, et exerçait une influence considérable.

Les réseaux Foccart quadrillent encore l’Afrique. S’ils ont été affaiblis, ils n’en sont pas moins un des points essentiels de ce que nous pouvons nommer les « fonctions neurovégétatives de l’impérialisme français ». C’est à dire tout cet ensemble politico-économique qui est plusieurs cran « au-dessus » de la démocratie. Sont existence est trop vitale pour être soumise au débat, même dans le cadre feutré et cossu de la démocratie parlementaire. Ils sont intouchables. Ce n’est pas un hasard si une personne ambitieuse comme Marion Maréchal-Le Pen est allée travailler quelques temps en Afrique : pour envisager la question du pouvoir, il faut avoir ces noms dans son carnet d’adresse : ceux qui dirigent les ramifications de l’impérialisme français.

Mais au-delà de ça, Macron fait aussi une impasse sur un point important : la France n’a pas changé de politique. Avant, elle s’est positionné sur tous les marchés les plus sanglants et les plus répugnants. Même ceux que les USA jugeaient trop coûteux politiquement. Les Mirages ont porté les cocardes de l’Apartheid, tandis que les Exocets iraniens ont terrifié la Navy.

Aujourd’hui, elle continue à jouer la carte de l’intolérance, de la montée en tension, de la fragmentation des pays. Total arrose d’argent la Junte Birmane pour bénéficier des concessions sur le pétrole. Orena paie l’ensemble de l’échiquier politique du Niger (terroristes inclus) pour acheter la paix. Lafarge signait des contrats avec les fanatiques de Daesh. Quant au régime monarchique saoudien, il est un excellent client de la France. L’argent n’a pas d’odeur, même celle du sang.

L’impérialisme français : notre ennemi.

L’impérialisme français, en dépit de son déclin relatif, reste l’ennemi premier.

Il est celui qui nous enferme : tant qu’il existe, le capitalisme et l’exploitation en France existeront continuellement. La bourgeoisie continuera sa vie parasitaire, redistribuant quelques miettes pour assurer le soutien de la plupart des organisations politiques. Ce ne sont pas des capitalistes étrangers, ou un capitalisme mondialisé, apatride, thèse d’extrême-droite, qui nous opprime. Ce sont les « bien de chez nous » : nos bourgeois.

Il est celui qui écrase une partie du monde : nous avons une responsabilité internationaliste, celle de lutter contre l’ensemble des bourreaux. Il est celui sur lequel nous pouvons avoir une action directe et concrète. Il y a un sens à lutter contre lui, plus que dénoncer hypocritement les violations sur les droits dans des pays concurrents.

Nous n’avons que faire des discours qui le présente comme étant souffrant devant la concurrence internationale, comme vacillant devant la Chine et les USA. Certains courants, dans le fond, prennent fait et cause pour lui. Ils déclarent que sa faiblesse fait le jeu des autres. Qu’il est plus poli, plus civilisé, que celui des autres. Ce rappel sur le Rwanda montre qu’il n’en est rien. Il est d’un cynisme glaçant et d’une sévérité de fer. Rien ne le sépare des autres.

Si son affaiblissement profite aux autres impérialismes, et c’est un fait, il n’en profite pas moins aux peuples qui vivent sous son joug. C’est dans l’effondrement des impérialismes que naissent les espaces de liberté qui permettent aux peuples de s’émanciper, de ses libérer. Plus l’impérialisme français s’affaiblit, plus la vie économique et politique est dure, il est vrai. C’est une époque difficile. Mais plus les chances de voir une société meilleure, plus juste, libératrice, émancipatrice, grandissent.

Nous exigeons toute la lumière sur les crimes de notre État, ou plutôt de celui de notre bourgeoisie. Nous exigeons que soient reconnus ses crimes, et que soient trouvés les moyens de les compenser. Nous le faisons non pas en flagellation, non pas pour tirer des larmes de crocodile, mais bien pour tracer une route : une route qui se débarrasse d’une bourgeoisie criminelle et parasitaire, une route d’émancipation et de liberté.

1Il existe des parallèles intéressants d’ailleurs : pour la noblesse française, le « sang bleu » était d’ascendance germanique, tandis que la population était gauloise. Cela devait légitimer le « rôle social » de celle-ci. Mais l’argumentaire s’est inversé pendant et après la Révolution Française, laquelle a fait de la noblesse un « corps étranger »

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