La croisée des chemins pour la Catalogne.
Aujourd’hui, 21 octobre 2017, le conseil des ministres de l’Etat espagnol s’est réuni. Il a décidé, après une longue réunion, de recourir à l’article 155. Cet article instaure la suppression de l’autonomie Catalane, supprime le pouvoir accordé à la Generalitat. De facto, la Catalogne cesse d’exister en tant qu’entité juridique reconnue par l’Etat espagnol. Par effet domino, elle cesse d’exister aux yeux de l’Union Européenne et, au final, aux yeux du monde.
Cette situation était prévisible. Le roi Felipe IV et le gouvernement des fils de Franco s’étaient exprimés sur le sujet. Le fond de leurs discours ne laissait que peu de place à l’ambigüité. Les catalans étaient présentés comme des “sujets déloyaux”, comme des “égoïstes économiques”, comme des traitres qu’il fallait châtier. Partant de cette expression politique, rien d’autre ne pouvait être envisagé, pour le gouvernement de l’Etat espagnol, qu’une capitulation intégrale, un renoncement total.
L’article 155 permet à l’Etat espagnol de prendre le contrôle de la police, permet de prendre le contrôle de l’exécutif. Dans son discours, Rajoy indiqua que le pouvoir serait assumé “en principe par les ministères (nationaux) aussi longtemps que durera cette situation exceptionnelle“. Le contenu de l’article est le suivant :
“1. Si une Communauté autonome ne remplit pas les obligations que la Constitution ou d’autres lois lui imposent ou si elle agit de façon à porter gravement atteinte à l’intérêt général de l’Espagne, le gouvernement, après avoir préalablement mis en demeure le président de la Communauté autonome et si cette mise en demeure n’aboutit pas, pourra, avec l’approbation de la majorité absolue du Sénat, prendre les mesures nécessaires pour la contraindre à respecter ces obligations ou pour protéger l’intérêt général mentionné.
2. Pour mener à bien les mesures prévues au paragraphe précédent, le gouvernement pourra donner des instructions à toutes les autorités des Communautés autonomes.”
Au final, cet article autorise tout. Permet tout. Il est illustratif de la nature de la monarchie espagnole, laquelle possède toujours un fond d’absolutisme, un fond de fascisme, vernis de multiples couches de démocratisme.
Rajoy s’est empressé de tempérer la déclaration : “On ne suspend pas l’autonomie de la Catalogne “ , “On destitue les personnes qui ont placé ce gouvernement en dehors de la loi, de la Constitution et du statut.” Constitution crée à la suite du franquisme, inspirée et négociée dans l’esprit de son pouvoir, de sa droite ligne. En somme, une référence absolue à un texte qui tire ses origines du fascisme.
Belle manière de faire une négation du contenu du vote des catalans. “Aucun gouvernement d’aucun pays démocratique ne peut accepter qu’on ignore la loi (…) Il faut ouvrir une nouvelle étape, dans laquelle la loi sera préservée.” Le vote de la Catalogne serait donc antidémocratique, serait un camouflet, une offense à la loi de Madrid. Quant à la nouvelle étape, son contenu ne peut que faire couler une sueur glacée le long de l’échine de celles et ceux qui sont favorables -même pas à l’autonomie- à l’autodétermination.
Rajoy essaie de se montrer rassurant, en annonçant que des élections auront lieu en janvier. Mais les modalités sont inconnues. Les partis et organisations de cette nouvelle étape seront-elles cooptées par Madrid ? Les organisations indépendantistes auront-elles droit de cité ? Le flou le plus total règne. Ce type de pratique n’est guère surprenant. “On destitue les personnes qui ont placé ce gouvernement en dehors de la loi, de la Constitution et du statut”, des personnes membres d’organisations politiques élues, mandatées, pour entamer la séparation. Seront-elles interdites ?
Nul doute que la démarche de Madrid met en porte-à-faux les indépendantistes modérés. Le président -ou ex-président de facto- Puigdemont participe à la grande manifestation des partisans de la démocratie et de l’indépendance. Mais sa position est minée.
Le dialogue qu’il promouvait a échoué face au refus complet de Madrid de discuter. Le 10 octobre, nous écrivions, à la suite du discours du Président, la chose suivante : “Du point de vue de Puigdemont, les options sont restreintes : si l’Etat espagnol choisit la voie de la violence et de l’écrasement, il n’y aura que peu de forces pour le sauver. Son option est donc un départ négocié, pour éviter une guerre civile espagnole bis, dans laquelle les Catalans n’auraient ni force armée, ni soutien extérieur, et dans laquelle -de nouveau- les grandioses démocraties regarderaient avec détachement se faire massacrer les masses et les forces progressistes.”
Cette position de moyen terme, nous ne la partageons pas, mais elles correspond à une rationalité certaine. Une rationalité qui trahit le caractère de classe de Puigdemont, une position bourgeoise vacillante. Enthousiaste face à l’idée d’être indépendant, effrayée par les conséquences.
Puigdemont est désormais dans les cordes. Désormais le choix est limité à deux options : proclamer unilatéralement l’indépendance ou renoncer, perdre la face, et ravaler la Catalogne au rang de province.
Madrid, en choisissant une dureté de fer, souffle dans les voiles de celles et ceux qui ont toujours dénoncé le caractère antidémocratique de la monarchie espagnole, mais plus encore, dans les voiles de celles et ceux qui ont toujours dénoncé le fait que la démocratie bourgeoise soit une dictature de classe.
Car c’est là une illustration fascinante de la vraie nature de cette démocratie de contrefaçon.
Sans même être une révolution prolétarienne qui mette à bas la propriété privée et l’exploitation, la lutte des catalans déclenche une levée de bouclier de la part de la bourgeoisie madrilène et de l’Europe. Le simple fait de remettre en cause la mainmise de la monarchie sur l’économie provoque une situation explosive.
Nous soutenons l’indépendance de la Catalogne dans la mesure où le droit des peuples à s’ériger en nation indépendante est un principe essentiel. D’autant qu’il ne s’agit pas d’une fragmentation provoquée par la pression d’un Etat impérialiste sur l’Etat espagnol, mais bien d’une volonté populaire. La Catalogne s’est exprimée et exige l’indépendance.
Nous la soutenons aussi dans la mesure où la lutte pour l’indépendance est comme un flash dans une pièce obscure, elle fait ressortir les moindres détails d’une sinistre scène. La lutte pour l’indépendance de la Catalogne balaie les théories réformistes, balaie les mensonges des sociaux-démocrates et pose la question, au sein d’une des grandes puissances économiques du monde, du pouvoir.
Celles et ceux qui veulent “changer les choses” en passant par une “révolution dans le cadre des institutions” doivent regarder cet exemple qui se déroule sous nos yeux. Le gouvernement, élu sur le mandat de préparer l’indépendance, se heurte au cadre d’une Constitution qui maintient le status quo. Qui maintient la situation stationnaire.
Elle se heurte, en l’occurrence, à un Etat tutélaire qui n’hésitera probablement pas à recourir à la violence. Non pas du fait d’une méchanceté propre, mais bien du fait des intérêts de classe sous-jacents, qui sous-tendent cette volonté de ne pas céder un pouce de terrain. Ces intérêts de classe se retrouvent dans notre Etat, et s’exprimeraient avec une virulence terrifiante si jamais une menace prenait corps. Quant à négocier la fin du capitalisme, en voilà un doux rêve. Les sociaux-démocrates peuvent rêver de trouver un modus vivendi avec la bourgeoisie, peuvent rêver de trouver une sortie du capitalisme sans unilatéralité. De fait tout rupture a un caractère unilatéral, car il s’agit du choc entre une volonté de domination et une volonté de libération. Entre l’esclave et son maître il ne peut exister de rupture qui ne soit pas unilatérale.
D’autant qu’il ne suffit pas de gagner un vote, un référendum, pour faire d’un désir une réalité. La proclamation ne suffit pas. La réalisation concrète exige des moyens. Au Kurdistan Irakien, le référendum, qui vient de déboucher sur une victoire de l’indépendance, doit maintenant être défendu par les armes, par les masses, par la population. Pour devenir un Etat indépendant, le Kurdistan doit être en mesure d’exercer la réalité du pouvoir et de sanctuariser son territoire.
Sans le pouvoir de se défendre, sans le pouvoir d’écraser celui de la bourgeoisie, de détruire sa machine d’oppression, rien n’est possible. Tout peut se proclamer, tout peut se déclarer, mais rien ne peut se faire sans pouvoir.
Ce pouvoir n’est pas décrétiste, n’est pas une enclume qui tombe sur les masses, mais il en est l’émanation. Le pouvoir que nous défendons est un pouvoir populaire. Il est le pouvoir de la mobilisation de celles-ci, mobilisation guidée par le Parti Communiste.
C’est la signification de la citation de Mao Zedong “Le peuple, le peuple seul, est la force motrice, le créateur de l’histoire universelle. “ Car c’est entre les mains des masses que peut seul émerger la réalisation concrète de la Révolution.
En Catalogne, cette citation s’applique également. Seule la mobilisation des catalans et des catalanes, seule leur capacité à s’opposer de manière concrète aux ordres de Madrid peut permettre à une indépendance réelle de s’instituer. Nul doute que cela ne se fera que dans un moment de tension, de brusquerie ou de brutalité.
La Catalogne, et les masses qui la composent, est à la croisée de chemins. Entre accepter la tutelle ou se battre, il n’existe pas d’entre-deux.
Nous sommes solidaires d’eux et d’elles, et nous appellerons à toutes les initiatives de solidarité et de soutien. Nos yeux se tournent vers-eux, vers-elles, car leur lutte illustre celle que nous aurons à mener contre la bourgeoisie de France, contre l’exploitation. Elle est un terrible test, une terrible première expérimentation de choc frontal dans les pays impérialistes d’Europe.