Conférence de RAWA à Lyon (1/2)

Nous avons participé, au côtés d’autres organisations, syndicats et individus non-organisés, à la venue d’une militante de RAWA, l’Association Révolutionnaire des Femmes en Afghanistan. Une conférence s’est tenue le 12 octobre à la Bourse du Travail de Lyon. Deux autres tournées s’étaient tenues par le passé, en 2002 et en 2009. Cette tournée est la première qui a lieu après le retour au pouvoir des Talibans.

Nous remercions tout d’abord notre intervenante, M., qui est venue d’Afghanistan pour nous parler des luttes de RAWA. Nous remercions la coordination qui a permis que cette tournée ait lieu et nous transmettons notre salut le plus chaleureux à celles qui sont venues à Lyon accompagner M.

Nous remercions Solidaire étudiante-es d’avoir effectué la réservation de salle auprès de l’université Lyon 2. Cependant, un mouvement étudiant pour l’inscription des sans-facs a poussé l’administration à annuler celle-ci moins de 24h avant l’événement.

Nous saluons donc l’effort de la CGT-Educ pour nous permettre de disposer de la salle des congrès de la Bourse du travail, ainsi que celles et ceux qui nous ont proposé une solution de secours.

Cette annulation a eu un impact sur la possibilité pour un plus grand nombre de participants et participantes de venir assister à cette conférence, mais n’a pas empêché sa tenue. La tenue de cette conférence ouvre de nouvelles perspectives de coopération entre différentes forces pour soutenir RAWA.

Nous avons choisi, plutôt que de reprendre mot pour mot ce qui a été prononcé, de synthétiser les interventions et de les enrichir d’exemples.

Quelle situation pour l’Afghanistan

L’Afghanistan est, pour son grand malheur, situé dans un espace de rivalité géostratégique actif. Sans remonter depuis l’Antique Bactriane, l’Afghanistan est, depuis le XIXe siècle, au cœur du “Grand Jeu”. Depuis l’opposition entre l’Empire tsariste et l’Angleterre (racontée par l’auteur du Livre de la Jungle dans Kim), puis l’opposition entre URSS et USA, et enfin aujourd’hui, la question du tracé du projet BRI (Belt & Road Initiative) par la Chine.

Entre ces forces de marées, l’Afghanistan, entité composite sans unité ethnique et culturelle, a connu presque continuellement des troubles et des changements de régime.

Le début d’un cycle de guerres

En 1973, un coup d’État organisé par Mohammad Daoud Khan met en place un régime d’inspiration socialiste, laïc et progressiste. En 1978, le Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan chasse du pouvoir Mohammad Daoud Khan et installe un régime radical. C’est la “révolution de Saur”. L’URSS, qui soutient le pouvoir en place, marque sa réticence : selon elle, le nouveau pouvoir veut aller bien trop vite. Ce régime se heurte rapidement aux structures tribales et religieuses dans le pays. De plus, le Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan est formé de deux tendances adverses. Une, modérée, celle du Président Nour Mohammad Taraki, proche des soviétiques, et la tendance radicale du Premier ministre Hafizullah Amin. Taraki est assassiné, tandis que le Pakistan et l’Iran, en pleine Révolution islamique, tentent d’organiser des soulèvements dans le pays. Ces événements provoquent l’intervention de l’URSS. C’est l’ouverture d’un cycle de violence qui ne se referme plus.

La Révolution de Saur en 1978.

Avant même l’intervention soviétique de 1979, des groupes fondamentalistes religieux sont repérés et soutenus par les Américains. Ils forment une résistance qui va aller crescendo. Soutenus par les USA, équipés d’armes modernes, bénéficiant de sanctuaires au Pakistan et d’un appui populaire important, les moudjahidines prennent l’avantage. Les Soviétiques perdent 26 000 hommes, et ont été les auteurs de terrible brutalité contre la population. Ils se replient à partir de 1988. Cette guerre est une catastrophe totale pour les Afghans et les Afghanes. Elle est également un clou dans le cercueil de l’URSS. En 1989, il n’y a plus de présence soviétique. La guerre devient une guerre civile.

En 1992, le régime de Mohammad Najibullah s’effondre. Il a tenu trois ans sur ses propres ressources, une performance étonnante quand on songe à l’effondrement immédiat de Kaboul en 2021. À son crédit, une unité de volonté importante, alors que les islamistes se déchirent entre groupes rivaux. Entre 1992 et 1996 la guerre fait rage entre ces groupes. Le pouvoir est officiellement entre les mains de Burhanuddin Rabbani, islamiste membre des Tadjiks du Nord, une des minorités d’Afghanistan.

Les Talibans (“étudiants”) s’imposent finalement. Ils mettent en place un régime islamique fondamentaliste et entraînent une régression politique, sociale – en particulier pour les femmes – et économique. Le règne des Talibans est marqué par la disparation des femmes de l’espace public, par la fermeture d’écoles, la destruction des livres et des moyens médiatiques. Le ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice s’assure du respect des règles, tandis que la justice repasse sous la loi du talion. Il se marque aussi par son iconoclastie, notamment lors de la destruction d’œuvres d’art préislamiques et de représentations humaines. Les plus célèbres sont les Bouddhas de Bâmiyân, bien que le Mollah Omar ait prévu initialement de les protéger. L’Afghanistan est aussi un pays de narcoéconomie, bien que les Talibans aient essayé de limiter la production d’Opium, sans succès. Il sert de sanctuaire à des mouvements terroristes. Le régime du mollah Omar hébergea ainsi le terroriste saoudien Oussama Ben Laden, leader de Al-Qaïda.

Le grand enfermement des femmes d’Afghanistan

Le changement de 2001

Après le 11 septembre 2001, les USA interviennent avec l’OTAN en Afghanistan.

Notre intervenante a amplement insisté sur ce point : cette guerre était déjà pressentie : une campagne avec été lancée en amont sur les méfaits des Talibans. L’Occident a mis en marche une fabrique à héros nationaux, dans le but de pouvoir promouvoir une future guerre contre les Talibans. Ainsi, le commandant Massoud est apparu comme le symbole de l’opposition aux islamistes.

L’Alliance du Nord, terme construit, à l’origine, de toutes pièces par les services secrets pakistanais pour la décrédibiliser (elle serait une ligue d’ethnies du nord contre celles du sud) est devenue un nom connoté positivement. Le mot alliance est en effet connoté très positivement en Occident : ainsi l’OTAN est une alliance et le Pacte de Varsovie un pacte, lui donnant une connotation faustienne.

Bernard-Henri Levy, l’infatigable VRP des interventions militaires, écrivait : « Massoud […] ne transigea jamais, on le sait, sur le droit des femmes à travailler et des petites filles à être éduquées. »

BHL et le fils de Massoud. Le VRP de l’interventionnisme occidental et le fils du héros construit de toutes pièces.

Héroïsé en France, Massoud est ainsi cité dans au moins 22 chansons et fait l’objet d’une grosse demi-douzaine de films. Une promenade du jardin des champs Élysée porte son nom.

Hélas, entre la littérature et la réalité, il existe un océan. Le Front uni islamique et national pour le salut de l’Afghanistan de Massoud, en réalité, a monté une opération de relation publique efficace pour être bien vu, tout en appliquant la loi islamique, en réduisant les droits des femmes et en commettant de nombreux crimes de guerre. Les Hazaras, la deuxième minorité ethnique du pays, lui reprochent aussi l’épuration ethnique organisée par Massoud dans le sud de Kaboul. C’est en partie une des raisons qui a permis la victoire des Talibans.

L’invasion : succès militaire et échec politique

L’opération est déclenchée le 7 octobre et est un succès militaire. Kaboul tombe sans combats, tandis que des soulèvements ont lieu contre les Talibans. Peu de vraies batailles ont lieu, on retient ainsi celle de Tora Bora, mais elle fait plus figure d’exception que de règle. Malgré cela, non seulement Al-Qaïda parvient à se replier au Pakistan au travers des montagnes, mais aucun régime stable n’est installé. L’Afghanistan devient une terre d’insurrection permanente, dirigée par des cliques mafieuses cooptées par les occupants. Hamid Karzai s’installe au pouvoir et monte des réseaux de clientèle. Le pays est corrompu jusqu’à l’os, il est dans le top 5 des pays où la perception de la corruption est la plus forte. La production d’opium grimpe en flèche tandis que la situation de la population ne s’améliore pas. La promesse de démocratie, de droit des femmes et de prospérité n’est pas tenue. Les attentats, nombreux, continuent sans cesse.

L’Afghanistan : une narco-économie

Fait intéressant, l’opposition à Karzai est constituée d’un bloc atypique, rassemblant à la fois Burhanuddin Rabbani, des commandants de la résistance afghane contre les Soviétiques, mais aussi des anciens dirigeants membres du parti communiste, le petit-fils de l’ancien roi Mohammed Zaher Chah, le fils de Massoud divers groupes sociaux et ethniques. Ce groupe prend le nom de Front national uni. Il représenterait 40% de la population selon ses dirigeants, mais ne possède pas de pouvoir.

La situation reste donc instable. Le régime d’occupation est impopulaire, tandis que la population n’accepte pas la présence militaire. Le mépris des Occidentaux pour les Afghans et le caractère anxiogène de la guerre se marie à une culture militaire souvent marquée à l’extrême droite. Il en résulte alors des crimes importants, comme ceux commis par les Australiens contre des civils, les abattant de sang-froid, tout en riant. Ces mêmes Australiens ont été aperçus avec un drapeau nazi accroché à leurs véhicules, ou exhibant un étendard sudiste. Les transfuges entre armée afghane et insurgés sont nombreux. Ces derniers, en dépit des pertes, continuent d’exister et se renforcent même. Ils bénéficient du fait que l’attention soit attirée par d’autres sujets, comme l’Irak, puis la Syrie ou Taiwan. Al-Qaïda perd son caractère de priorité, devenant même fréquentable, pour l’Occident, dans certains cadres, comme celui de la Syrie.

Le retrait

Essoufflées, les troupes occidentales essaient de passer la main au régime de Hamid Karzai, sans succès. Comme dans la plupart des opérations de contre-insurrection échouées, les troupes finissent par tenir des points de forces et des centres urbains, et vivent dans leurs casernes. Cette absence de contact entre troupes et population accentue aussi l’impression d’occupation étrangère et une détestation profonde de la présence occidentale. La stratégie change : les combats entre troupes et les bombardements laissent la place au “drone strike” sur des cibles “à haute valeur ajoutée”. Mais cette guerre supposée chirurgicale ne répond pas à ses promesses. Par exemple, pour assassiner Baitullah Mehsud, chef de guerre Taliban du Pakistan, on estime que 164 personnes ont été tuées. En 2014, on estimait que les tentatives d’éliminations de 41 suspects ont engendré la mort de 1147 personnes.

Soldats australiens arborant le drapeau nazi.

Le 22 juin 2011, Barak Obama annonce l’intention des Américains de sortir du guêpier afghan. Cependant, le repli passe par une “afghanisation”, laquelle doit voir l’émergence d’un pouvoir stable en Afghanistan et d’une armée fiable. Avant le retrait, un surengagement doit être réalisé. Finalement, le départ est différé puis enterré en octobre 2015. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump relance celui-ci. Le néo-isolationnisme trumpien se traduit par des gestes unilatéraux brutaux, conçus pour satisfaire un public domestique qui en a assez des interventions. C’est également une manière de se démarquer des Démocrates, menés par Hillary Clinton, lesquels veulent s’engager davantage. Sans grande confiance dans le régime de Karzai, le départ se négocie avec les Talibans.

Le 29 février 2020, les accords de Doha sont signés entre “l’Émirat islamique d’Afghanistan qui n’est pas reconnu par les États-Unis comme un État et est connu sous le nom de Taliban et les États-Unis d’Amérique” (sic.) C’est une victoire absolue pour les Talibans : ils sont reconnus, malgré les formulations tarabiscotées, comme des interlocuteurs. Seule promesse arrachée aux Talibans : ils ne devraient pas accueillir de membres d’Al-Qaïda.

Les Talibans ont procédé par une conquête des campagnes, dans lesquelles ils ont installé une administration qui leur donnait autorité sur la population. Elle leur assurait aussi un monopole des services sociaux et de la justice. Considérés comme des obsédés du droit, ils ont été plutôt bien accueillis par certaines populations qui avaient souffert du régime mafieux à Kaboul. D’autant que le successeur de Hamid Karzai, Ashraf Ghani a purement et simplement confisqué l’élection présidentielle en l’annulant. Cette déception supplémentaire a accéléré la victoire des talibans.

Après avoir pris le contrôle des campagnes, ils ont fait chuter rapidement, et sans combat, les grandes villes. Kaboul est tombé au moment pile où l’évacuation du personnel des ambassades occidentales se terminait. Comme souvent dans l’histoire, les supplétifs des Occidentaux ont été abandonnés à leur sort. Fin aout 2021, il n’y avait plus d’Occidentaux en poste en Afghanistan.

Double ironie de l’histoire : les créatures de la CIA se sont retournées contre leurs maîtres. Elles servent désormais les ennemis géopolitiques de leurs créateurs. Tout aussi mordant, on peut voir que les Talibans ont été des élèves assidus et efficace des méthodes de Guerre Populaire, et qu’ils en ont fait une application stricte des principes, mais pervertie dans ses fins.

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