11 300 000 000 000$ et 3 200 prédateurs.

11 300 000 000 000$. Un chiffre qui donne le tournis. Onze mille trois cent milliards de dollars. Ouest France nous donne des repères : 75 fois le coût de la Station Spatiale Internationale. 113 000 avion de ligne. Le salaire de Cristiano Ronaldo sur 90 400 ans. Mais aussi celui d’un SMICard depuis la disparition des dinosaures. 2456 le coût de la vaccination contre le Covid de la population française.

Cette somme est celle qui est retrouvée, camouflée, dans les comptes offshore révélés par les Pandora Papers.

Il y a quelque jours, l’ICIJ, le Consortium International des Journalistes d’Investigation a reçu un fichier contenant des millions d’entrées. Dans ce fichier, une somme astronomique et une série de noms. 300 responsables publics, 35 chefs d’Etat, 130 milliardaires…

Le roi de Jordanie, Abdullah, qui s’est doté d’opulentes villas aux USA et en Angleterre, achetées par ce réseau. Le premier ministre Tchèque Andrej Babis, milliardaire ayant acquis le château Bigeaud, à Moungins. L’ancien Premier Ministre anglais Tony Blair et son épouse, lesquels ont économisé 400 000$ d’impôts sur des transactions grâce au réseau. Le président Uhuru Kenyatta, du Kenya, qui a fait campagne contre la corruption, tout comme Nawaz Sharif, au Pakistan. Le premier possède au moins 30 000 000 de dollars, le second « des millions ». Le président de l’Azerbaïdjan, Illham Aliev, qui a fait endosser un achat de 45 000 000$ de bureaux à son fils de 11 ans. Enfin, Shakira et Claudia Shiffer, tout comme le mafieux Raffaele Amato sont également cités.

En France, le patron de Rolland-Garros, Guy Forget, tout comme Sylvain Maillard, député LREM sont mentionnés, ainsi que DSK.

DSK est ainsi pointé du doigt comme un des acteurs centraux. Après sa disparition des radars à la suite de l’affaire de viol au Sofitel, il se reconvertit dans les affaires. Et elles sont fructueuses. Il installe ainsi des sociétés au Maroc, bien qu’elles aient la majeure parti de leur activité en France. Il profite de 5 années d’exonération fiscales dans le pays. Lorsqu’elle se termine, en 2018, il déménage aux Émirats Arabes Unis. Un de ces émirats, le Ras Al Khaimah, ne demande pas de remplir de registre, ce qui en fait un des trous noirs de la finance.

Les clients de DSK sont variés : Rosnef, entreprise pétrolière russe dirigée par un proche de Poutine ; la Sicpa, une entreprise qui fabrique des encres de sécurité pour les billets. En Chine, HNA, aujourd’hui en faillite, était de la partie. Des particuliers aussi : Faure Gnassingbé, président du Togo ; Denis Sassou-Ngesso, président du Congo-Brazzaville, dont DSK est devenu le conseiller spécial… Cet ensemble permet à l’ex-cadre du PS de bénéficier d’un salaire digne d’un PDG.

Dans l’ensemble, le nom de Philippe Houman revient sans cesse. Avocat Suisse, il est celui qui a organisé la dissimulation des avoirs de Jérôme Cahuzac. Spécialiste de l’évasion fiscale, l’avocat travaillait depuis mai 2009 à Dubaï, où il réalisait des commandes de création de sociétés offshores. Bien qu’épinglé par la justice à plusieurs reprises, il ne fait l’objet d’aucune condamnation.

5 ans après les Panama Papers, qui avaient révélé une immense affaire d’évasion fiscale, ces nouveaux papiers montrent l’ampleur et le caractère presque systématique de ces pratiques. Pourtant, elles sont accueillies avec une relative indifférence. Elles semblent se fondre dans la masse des nouvelles, et ne jamais déboucher sur rien.

Elles s’oublient d’ailleurs facilement. Il y a quelques jours, l’homme d’affaire Bernard Tapie est ainsi décédé. Bernard Tapie était un homme d’affaire qui avait réussi à toujours conserver une certaine image sympathique auprès de la population. Pourtant, dans la réalité, c’était un homme d’affaire corrompu et retors. Il laisse certes une famille épleurée, mais aussi pas moins d’un demi milliard d’euros de dettes, des vies brisées par sa politique de reprises-liquidations d’entreprises.

En somme, une série de scandales touchent les « Grands » de ce monde.

Dans le même temps, le rapport Sauvé sur l’Église catholique en France est une nouvelle onde de choc. Rien qu’en France, on estime que 216 000 personnes ont été victimes d’agressions sexuelles part des prélats de tous rangs et de toutes congrégations depuis 1950. Le chiffre atteint 330 000 en comptant les axillaires. L’Église estime qu’elle compte entre 2 900 et 3 200 prédateurs dans ses rangs.

L’Église catholique, en pratiquant une omerta systématique, a été rongée de l’intérieur par les pratiques les plus répugnantes. Dans ce rapport, on découvre des témoignages glaçants des victimes et le cynisme de leurs agresseurs. Des individus qui avaient par exemple noté leurs méthodes dans des carnets, et qui les pratiquaient systématiquement.

Au Vatican, ces informations ont suscité l’émoi du Saint-Père, lequel a annoncé vouloir réagir immédiatement et indemniser les victimes. Cependant, dans la société française, prompte à réagir à tout ce qui concerne certaines religions, l’information semble traitée comme un simple fait divers.

Pourquoi une telle anesthésie ?

Tous les événements et tous les scandales, dans une acceptation très large du terme, n’ont pas la même portée. Dans l’ensemble, les immenses détournements d’argent sont perçu de manière très abstraites par la très grande majorité de la population. Ces sommes sont difficilement visualisables de manière concrète et en termes d’impact sur la vie de tous les jours. Ils sont perçu comme des « crimes sans victimes », puisque ce qui est lésé est le système d’imposition, lequel est perçu comme un ennemi par la grande majorité de la population. D’ailleurs, cette apparente innocuité de la transgression fiscale est parfois même perçu positivement, comme un rejet de l’État et de son autorité. Pourtant, il existe des conséquences.

Car il existe des conséquences quant à ce trou perpétuel dans les finances publiques. Cette fuite signifie moins d’argent pour l’ensemble du secteur public, pour la science, pour la médecine, pour la santé, pour la recherche, pour l’éducation, pour la culture, pour l’épanouissement des larges masses populaires. La fraude se paie en souffrances, en morts prématurées, en retard scientifique. Aujourd’hui, il est exigé que que les chômeurs soient plus pauvres. Que les retraités partent plus tard et avec moins. Il est exigé que les malades paient plus. Tout cela au nom de la stabilité économique. Tout cela nourrit le parasitisme d’une classe inutile:la grande bourgeoisie.

Le fait que la bourgeoisie tente perpétuellement d’échapper aux impôts peut être perçu comme légitime, d’autant que beaucoup se projettent facilement dans la peau de quelqu’un qui verrait « son succès » entravé par les taxations. C’est d’ailleurs ce qui fait que les fraudes aux aides sociales sont beaucoup plus facilement condamnées moralement que les fraudes aux taxes. Il y a là une victoire idéologique incontestable de la part de la bourgeoisie et de son emprise culturelle : elle parvient à générer la défiance et la méfiance entre ceux qui vivent la même situation, mais parvient dans le même temps à créer une solidarité entre riches et pauvres.

Tout le monde dans le même bateau.

Il ne faut pas non plus oublier un point : la tendance à la corruption systématique des personnalités d’influence. C’est un élément qui a été mis en avant par Mao sous le nom des « les balles enrobées de sucre ». Ce sont des balles qui tuent (l’esprit révolutionnaire) tout autant que les balles de plomb. Pour résumer, il existe une tendance de la part d’acteurs économiques ou politiques à vouloir obtenir certaines choses de la part de personnes d’influence. Cela peut être le fait d’être favorisé pour un marché, d’obtenir la paix, ou de « souiller » une personne pour obtenir une subordination. Pour obtenir ce lien de clientèle, un grand nombre de méthodes existent. Mais elles ont toutes un point commun : elles cherchent à « mouiller » les différents acteurs. On peut prendre plusieurs exemples : la corruption pure et simple ; l’assouvissement de pulsions (comme les réseaux de prostitution) ; les avantages matériels ou moraux… etc. Et l’ensemble des acteurs peut être concerné.

Ce système est extrêmement facile d’accès, il est d’ailleurs érigé en norme. On se souvient de l’affaire Fillon, par exemple. Il était moins choqué de ce qu’on lui reprochait plutôt que du fait qu’on le lui reproche. De même, comme il s’agit d’une tendance généralisée, le fait que tout le monde le pratique assure un certain sentiment de sécurité… jusqu’au jour où le fait d’être mouillé devient un moyen d’élimination. Carlos Ghosn, par exemple, n’était probablement pas plus corrompu que d’autres. Mais là, il était au centre d’une rivalité entre impérialismes. De même DSK n’en était certainement pas à son premier crime. Mais il y avait un contexte précis qui facilitait la révélation de ceux-ci, du fait de la tension autour de son rôle au FMI.

Cette capacité d’intégration touche toute le monde. Le clan Le Pen, par exemple, est une boutique qui tourne sur le détournement d’indemnités parlementaires. Ils se gardent bien de remettre en cause ce fonctionnement. Même dans l’extrême-gauche, ce processus peut être à l’œuvre. Quiconque a pu voir Antifa chasseurs de skins a entendu un des protagonistes dire qu’ils ont été doté d’une camionnette et d’essence par SOS Racisme. Une bonne manière de les châtrer politiquement et d’en faire des auxiliaires de la sociale-démocratie.

Stabilité avant tout.

La dénonciation d’abus ou de crimes internes à l’Église est mis dans la balance avec les avantages d’un maintien de la stabilité du système. Il en est de même avec les violences policières, ou, il y a plus d’un siècle, avec l’honneur de l’armée dans l’affaire Dreyfus. Par « raison d’Etat », les transgressions, même criminelles, sont niées et mises de côté pour conserver les apparences de probité, de rigueur et d’honorabilité des instituions. Admettre une faille, admettre une défaillance, cela reviendrait à fragiliser toute la structure et donc à prendre un risque inacceptable. On note que ce phénomène n’est pas limité aux institutions réactionnaires, mais est une tendance générale qui existe au sein de tout système organisé, y compris, là encore, au sein du milieu militant.

Pour le système dominant, les déviations à la norme qui menacent structurellement la stabilité de la société, comme les mouvements sociaux ou révolutionnaires, mais aussi la concurrence d’autres entités réactionnaires comme l’islamisme, sont donc traitées par la brutalité et par la répression. Celles qui ne le menacent, qui lui sont consubstantielles (qui ont une substance commune) comme la fraude fiscale), ou qui la renforcent, en dépit de la transgression de la loi, comme la violence fasciste ou policière, sont simplement régulées d’une manière « non répressive ».

Ainsi, les scandales éclosent sur certaines thématiques, tandis que d’autres manquent tout simplement de caisse de résonance.

Sans organisation : pas de changement à l’horizon.

On ne peut pas vraiment parler de censure sur ces thématiques. Il existe des médias qui retransmettent ces informations. C’est comme cela que nous en avons été informé. Mais il manque quelque chose qui permette de passer de l’information à la compréhension, de la compréhension à l’action.

C’est là le rôle d’un parti du peuple au sens large, mais surtout du Parti, capable de pouvoir étendre ses analyses sur l’ensemble de la réalité concrète, de les expliquer et de les renvoyer vers les exploités et les exploitées pour qu’ils s’en saisissent. Mais aussi impulser, mobiliser, faire passer du scandale, de la posture d’indignation à la posture de transformation : c’est à dire liquider ce qui génère ces scandales.

Tant que le capitalisme existe, la corruption et les scandales financiers existeront aussi. Car l’un ne peut aller sans l’autre, et la course à l’accaparement des ressources ne se fait pas sans triche. Et cette triche n’est pas sans victimes. De même, tant que l’impératif de stabilité sera exigée par le fait que les sociétés soient contradictoires : qu’elles essaient de faire tenir dans un même bloc les exploités et leurs exploiteurs, il y aura des crimes honteux et de sombres corridors dans lesquels ils pourront se produire. Pour arriver à l’exigence de la transparence, il faut mettre fin de manière définitive à cette culture du secret et pouvoir parvenir à une vraie société ouverte, transparente, démocratique. Mais cela demande de longues transformations, un grand engagement : celui d’un changement révolutionnaire.

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