TKP-ML : « L’appel du siècle », solution ou dissolution ?

Note [du TKP-ML] : Cette brochure est une évaluation de « l’Appel pour la paix et la société démocratique » annoncé par le leader du PKK, A. Öcalan, le 27 février 2025.

Tout d’abord, un bref rappel s’impose. À la suite de l’opération Déluge d’Al-Aqsa menée par la Résistance nationale palestinienne le 7 octobre 2023, le Proche-Orient a connu des développements d’une portée historique. Israël a lancé des opérations militaires d’abord contre Gaza, puis contre le Liban. Pendant ce temps, en Syrie, le régime Baas s’est effondré et le pouvoir est passé aux mains du gang salafiste et djihadiste HTS.

Les contradictions entre les puissances capitalistes-impérialistes sur la scène internationale ont dégénéré en guerre ouverte avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les guerres et conflits en cours au Moyen-Orient. Cette situation redéfinit les alliances et les réalignements entre les puissances capitalistes-impérialistes sur la base de ces contradictions. Tous les partis se préparent à une nouvelle guerre de redivision (la troisième guerre impérialiste de division).

Comme l’a dit le président Mao, « le chaos règne sous les cieux ».

Il est impensable que ces développements n’affectent pas l’État turc et les classes dominantes turques. Depuis sa fondation, la Turquie est un marché semi-colonial pour l’impérialisme et, en raison de sa position géopolitique, elle a servi de « gendarme régional » pour les puissances impérialistes, ce qui rend cette situation d’autant plus inévitable.

Si les buts et objectifs de la Turquie en Syrie sont bien connus, l’émergence de l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie — dirigée par le mouvement national kurde et englobant diverses nationalités et confessions, en particulier la nation arabe — est devenue un facteur critique. Cette « autonomie » ayant de plus en plus de chances d’obtenir un statut officiel, les classes dominantes turques ont été contraintes d’élaborer une nouvelle politique sur la question nationale kurde.

L’État turc s’est à nouveau tourné vers Abdullah Öcalan, qu’il maintient dans un isolement total sur l’île d’İmralı depuis 26 ans. Des informations sont apparues selon lesquelles un processus, qui n’était pas officiellement appelé « processus de solution », était en cours à la suite de réunions qui auraient débuté il y a environ un an. À la suite de ce processus, le 27 février, la « délégation d’İmralı » a annoncé un appel intitulé « Paix et société démocratique », rédigé personnellement par Öcalan. Après la lecture de la déclaration écrite en kurde et en turc, Sırrı Süreyya Önder, membre de la délégation, a partagé une note d’Öcalan : « Tout en présentant cette perspective, elle nécessite sans aucun doute l’abandon des armes, la dissolution du PKK et la reconnaissance du cadre juridique et politique pour la politique démocratique. »

Ces développements ont une fois de plus mis au premier plan les discussions centrées sur la question nationale kurde. Naturellement, les approches des « partis » au processus diffèrent radicalement. Le mouvement national kurde a répondu à l’appel d’Abdullah Öcalan et a annoncé que les forces de guérilla déposeraient les armes. Il a été déclaré que le mouvement national kurde ne posait aucune condition au processus. Comme l’a dit Sırrı Süreyya Önder de la « délégation İmralı » : « Il n’y a pas de conditions pour cela. Il n’y a ni condition préalable, ni condition postérieure. » (3 mars 2025)

La position des porte-parole de l’État turc sur le processus est bien connue, il n’est donc pas nécessaire de la rappeler.

Ce n’est pas la première fois que l’État turc et le mouvement national kurde s’engagent dans des négociations directes ou indirectes sur la question nationale kurde. Par exemple, en 1993, sous l’initiative du président Turgut Özal, le chef du PKK, Abdullah Öcalan, a déclaré un cessez-le-feu unilatéral pour la première fois le 20 mars 1993.

Après la capture d’Öcalan le 15 février 1999, à la suite d’une conspiration internationale, il a appelé à un nouveau cessez-le-feu, que le PKK a déclaré en septembre 1999. Parallèlement, des ordres ont été donnés pour le retrait des forces de guérilla des frontières turques. Le PKK s’est largement conformé à cet appel, entamant une période d’« inaction unilatérale » qui a duré jusqu’en 2004.

L’État turc n’ayant pris aucune mesure en vue d’une « solution », le PKK a mis fin à son cessez-le-feu unilatéral et a repris la lutte armée le 1er juin 2004. Le gouvernement AKP a lancé le processus dit « Initiative démocratique » en 2009 sous le nom de « Projet d’unité nationale et de fraternité ». Les pourparlers avec Abdullah Öcalan ont repris sur l’île d’İmralı, et des fonctionnaires de l’Organisation nationale du renseignement (MİT) et certains représentants de l’AKP ont tenu des réunions secrètes avec des représentants du PKK (cadres du KCK) à Oslo, en Europe. Ces réunions, connues sous le nom de « pourparlers d’Oslo », ont eu lieu entre 2009 et 2011.

En décembre 2012, l’alors Premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan, a annoncé publiquement que des négociations étaient en cours avec Öcalan sur İmralı. À la suite de cette déclaration, début 2013, des représentants du gouvernement, dirigés par le sous-secrétaire du MİT, ont eu des discussions avec la « délégation d’İmralı ». Cette période, qui a duré de 2013 à 2015 et qui est devenue connue sous le nom de « processus de solution » dans le discours public, a vu le gouvernement AKP prendre des mesures juridiques pour institutionnaliser le processus. En 2014, une loi a été adoptée, la Grande Assemblée nationale turque (TBMM) a créé une « Commission des solutions » et le « Comité des sages » a été formé. Le 21 mars 2013, lors des célébrations du Newroz à Amed, la lettre d’Öcalan a été lue au public.

Le 28 février 2015, la « délégation d’İmralı » et les représentants du gouvernement AKP ont tenu une conférence de presse conjointe au palais de Dolmabahçe. Au cours de cette conférence, le cadre de négociation en 10 points d’Öcalan a été lu, et il a été annoncé qu’Öcalan appelait le PKK à convoquer un congrès extraordinaire au printemps pour décider du désarmement. Cependant, en mars 2015, le président Recep Tayyip Erdoğan s’est opposé à l’accord de Dolmabahçe, déclarant qu’il n’avait pas donné son approbation et déclarant : « Je ne reconnais pas l’accord. »

Vers la fin de l’année 2024, des rapports ont fait état d’un nouveau processus de « négociation » entre l’État turc et Abdullah Öcalan. Ce processus se distinguait des précédents par le fait qu’il n’était pas officiellement qualifié de « processus » et que les détails des réunions n’étaient pas divulgués au public. Alors que le mouvement national kurde n’aurait reçu aucune condition ou exigence, l’État turc, quant à lui, n’a pris aucun engagement et n’a fait aucune concession. Par conséquent, la nature de ce processus reste inconnue. Il convient toutefois de souligner l’importance de l’engagement renouvelé de l’État turc auprès d’Abdullah Öcalan concernant la question nationale kurde. La raison principale en est l’évolution de la situation au Moyen-Orient, en particulier en Syrie. Il est donc essentiel d’analyser la nouvelle politique de l’État turc dans ce contexte.

Renforcer le « front intérieur »

Il est entendu que l’agression d’Israël, le processus en cours en Syrie et les développements généraux au Moyen-Orient ont poussé l’État turc à développer une nouvelle politique. Les signes de cette politique ont commencé à apparaître il y a un an. Le premier signe est apparu lorsque le président de l’AKP, Recep Tayyip Erdoğan, a déclaré : « Lorsque nous regardons les événements que nous vivons aujourd’hui, nous voyons beaucoup plus clairement à quel point le front intérieur est crucial pour une nation. » (30 août 2024.) Plus tard, à New York, lors de la 79Assemblée générale des Nations unies, Erdoğan a réitéré cet accent en déclarant : « Les objectifs de notre front intérieur sont notre “Kızıl Elma” (pomme rouge). » (27 septembre 2024.)

À la suite d’Erdoğan, Devlet Bahçeli, leader du MHP, a également mis l’accent sur le « front intérieur », déclarant : « Notre premier devoir est de fortifier notre front national et spirituel face à un monde chaotique. Notre front intérieur, qui est ébranlé, ainsi que notre unité et notre solidarité, qui sont menacées de dissolution, ne peuvent être ignorés, et nous ne le permettrons pas. » (2 octobre 2024.)

Fruit de cette nouvelle stratégie politique, le processus a commencé lorsque le leader du MHP, Devlet Bahçeli, a serré la main du groupe du parti DEM à la Grande Assemblée nationale turque le 1er octobre 2024. Le même jour, Bahçeli a déclaré : « Nous entrons dans une nouvelle ère. Tout en appelant à la paix dans le monde, nous devons également assurer la paix dans notre propre pays. »

Le même jour, le président de l’AKP, Recep Tayyip Erdoğan, a déclaré dans son discours à l’Assemblée générale : « C’est maintenant plus qu’une nécessité — c’est une obligation — de réaliser que, face à l’agression israélienne, ce ne sont pas les zones de conflit mais les zones de réconciliation qui doivent passer au premier plan, tant sur le plan national qu’international. » Autre signe de cette nouvelle stratégie politique, le 22 octobre 2024, Bahçeli déclare lors d’une réunion du groupe MHP au Parlement : « Si l’isolement du chef des terroristes est levé, qu’il vienne s’exprimer lors de la réunion du groupe du parti DEM au Parlement. Qu’il déclare que le terrorisme est complètement terminé et que l’organisation a été dissoute. » Erdoğan a également fait une déclaration : « Nous espérons que la fenêtre d’opportunité historique ouverte par l’Alliance des peuples ne sera pas sacrifiée pour des intérêts personnels. » (22 octobre 2024.) Suite à ces déclarations, la « délégation d’İmralı » a publié la déclaration d’Abdullah Öcalan, intitulée « Paix et société démocratique », marquant la 26année de son emprisonnement par l’État turc. Comme indiqué ci-dessus, bien que cet appel ait été rédigé par Öcalan lui-même, il semble être essentiellement le fruit de négociations menées au cours de l’année écoulée entre des représentants de l’État turc et Öcalan, qui ont finalement abouti à un certain accord. Étant donné qu’aucune explication officielle n’a été fournie au public concernant la nature de ces pourparlers ou de l’« accord » conclu, il est difficile de procéder à une évaluation concrète. Il est toutefois entendu qu’en échange du dépôt des armes et de la dissolution du PKK, certaines mesures ont été prises par l’État turc.

Selon des informations accessibles au public, des négociations et des discussions entre l’État turc et Abdullah Öcalan sont en cours depuis un an. Il semble que l’État turc ait mené ce processus avec Öcalan, qu’il a maintenu en captivité — une situation intrinsèquement problématique et fondamentalement injuste. Dans ces conditions, il est nécessaire de parler de « diplomatie secrète ». Cela limite la possibilité de procéder à une évaluation objective de la question.

L’appel d’Öcalan est-il une capitulation ?

Tout d’abord, il convient de noter qu’il n’est pas inhabituel pour les parties en guerre d’engager des négociations avec leurs ennemis, de passer par des « processus de paix » ou de conclure des cessez-le-feu mutuels ou unilatéraux. Tout au long de l’histoire, les communistes et les dirigeants de divers mouvements de libération nationale et sociale ont pris des mesures pratiques similaires. Ces mesures doivent être considérées comme des manœuvres tactiques au service de l’objectif de la révolution et de la libération, tant que cet objectif n’est pas abandonné.

Bien que l’appel d’Öcalan du 27 février, qui comprend la dissolution du PKK, représente une rupture politique significative, il ne faut pas oublier que ce n’est pas la première fois qu’il lance un tel appel. En effet, Öcalan a déjà affirmé dans plusieurs déclarations et écrits qu’en raison des revers subis par le socialisme et de l’effondrement des régimes révisionnistes modernes (ce qu’Öcalan appelle « l’effondrement du socialisme réel »), un changement de ligne (qu’il qualifie de « changement de paradigme ») était nécessaire et que de nouvelles méthodes et de nouveaux modèles d’organisation devaient être adoptés.

Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est initialement apparu comme un mouvement national influencé par le marxisme, menant une guerre révolutionnaire contre les politiques de négation et d’extermination nationales des classes dominantes turques. Cependant, dans ses déclarations et ses défenses après son emprisonnement, Öcalan a renoncé au « droit à la libre sécession », c’est-à-dire à la demande d’établissement d’un État séparé. Au lieu de cela, il a conduit le mouvement national kurde vers ce qu’il a conceptualisé comme la « modernité démocratique », caractérisée par un « paradigme écologique, de libération des femmes et de nation démocratique ».

Dans ses déclarations et ses défenses, Öcalan a défini son changement idéologique comme une « rupture avec le socialisme réel » et s’est distancié des idées socialistes révolutionnaires qui ont influencé la fondation du PKK. Au lieu de cela, il a introduit divers modèles alternatifs, y compris des théories écologiques, des courants « post-marxistes » et des tendances anarchistes, en tant que « nouveau modèle d’organisation » pour le mouvement national kurde. En ce sens, il n’y a rien de vraiment « nouveau » dans la dernière déclaration d’Öcalan.

Toutefois, comme le montre la récente déclaration, il semble que même ce « paradigme » ait été abandonné. Notamment, Öcalan a explicitement décrit le PKK, l’organisation qu’il a dirigée lors de sa fondation, comme souffrant d’un « manque de sens et d’une répétition excessive ». Si cette remarque marque une rupture politique importante, elle doit également être comprise comme un appel à la direction pratique du mouvement national kurde pour qu’elle « actualise son sens ». En ce sens, il serait inexact d’interpréter la position d’Öcalan comme une « reddition ». Compte tenu de sa position idéologique, de ses manœuvres politiques et de son pragmatisme en tant que représentant d’un mouvement national, cela devient encore plus significatif. Par conséquent, réduire la question à un simple « liquidationnisme », une « reddition » ou même une « trahison » serait trompeur. Il ne faut pas oublier que la nation kurde s’est rebellée avant même l’apparition du PKK et que, avec le PKK, elle a soutenu sa rébellion par une guérilla de longue haleine. Une lutte nationale qui a subi l’oppression, l’interdiction de son existence et de sa langue, et des massacres ne peut pas être simplement résumée à une « capitulation » à ce stade. En outre, la question nationale kurde ne se limite pas au seul Kurdistan turc ; elle continue d’exister sous diverses formes dans différentes parties du Kurdistan.

À ce stade, la question nationale kurde a dépassé le « paradigme » d’Öcalan à maintes reprises. Les réactions à sa déclaration ont placé la nation kurde et la réalité du Kurdistan à l’ordre du jour mondial. Le principal responsable de cette situation n’est autre qu’Öcalan lui-même, qui est maintenu dans un isolement total sur une île depuis 26 ans. Malgré toutes ses faiblesses et ses lacunes, la lutte ininterrompue de la nation kurde, et surtout sa résistance armée, a été le facteur déterminant. Même dans son état actuel, le mouvement national kurde, qui a débuté au Kurdistan turc et s’est ensuite étendu au Kurdistan de l’Irak, de la Syrie et de l’Iran, est devenu un sujet du discours politique non seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans le monde entier. Cette évolution a sans aucun doute été façonnée par la direction pratique du PKK et par l’élévation du peuple kurde à Öcalan à une position symbolique de « direction nationale », même si ce n’est pas le cas dans la pratique directe.

C’est pourquoi il est problématique d’évaluer la situation en partant du principe que, sous la direction d’Öcalan, le Mouvement national kurde s’est rendu par la négociation et est prêt à être dissous, imposant ainsi la liquidation du mouvement révolutionnaire dans son ensemble. Évaluer la question uniquement à travers cette possibilité est fondamentalement une question de ligne idéologique et politique. La question nationale kurde reste l’une des principales contradictions dans notre région. Sa résolution, que ce soit par tel ou tel moyen, ou la réduction de son intensité et de son urgence ne signifie pas nécessairement que d’autres contradictions dans notre région, ou même la contradiction principale, seront également résolues.

Ceux qui fondent toute leur analyse et leur critique sur la « capitulation » et la « liquidation » exposent leur propre insécurité idéologique et politique. Plus important encore, ils révèlent leur tendance à lier l’ensemble du processus révolutionnaire exclusivement à la lutte de la nation opprimée, sans tenir compte de la lutte des classes au sens large.

Comme tout mouvement national, le Mouvement national kurde peut, bien entendu, conclure des accords et des compromis avec l’ennemi qu’il combat. Cette possibilité existe depuis l’émergence du mouvement national et, à certains stades de la guerre, il est compréhensible que le mouvement reconnaisse et mette en avant cette possibilité comme une considération tactique. Cependant, le fait de se focaliser continuellement sur cette possibilité en tant que question principale reflète une approche problématique. Ce ne sont pas les possibilités qui doivent rester intransigeantes, mais les principes. Il est essentiel d’être inébranlable sur les principes tout en conservant une certaine flexibilité dans la formulation des politiques en fonction des conditions concrètes.

Principe : le droit de faire librement sécession

Tout d’abord, il est problématique qu’un droit fondamental tel que le droit à la libre sécession, qui découle de l’existence même d’une nation opprimée, fasse l’objet d’une renonciation, en particulier lorsque cette renonciation est exprimée par un seul individu (Öcalan) dans des conditions de captivité. De plus, criminaliser le fondement légitime et juste sur lequel repose la lutte de la nation opprimée, tout en proposant un compromis (ou un accord) avec la bourgeoisie dominante de la nation oppresseur, ne change pas la réalité : la nation kurde en Turquie reste une nation opprimée.

Un autre aspect problématique de la déclaration d’Öcalan est son insistance sur ce que l’on appelle le « destin commun des Turcs et des Kurdes ». Cette rhétorique est fréquemment utilisée par les représentants de la nation oppresseur. Des expressions telles que « fraternité » et « nous sommes comme la chair et les os » ne servent qu’à masquer et à légitimer l’oppression exercée par la nation dominante sur la nation opprimée. La véritable fraternité entre les nations ne peut être discutée que lorsque la pleine égalité nationale est reconnue. Par conséquent, la véritable question n’est pas de renouveler et de renforcer une soi-disant « alliance turco-kurde », mais plutôt de mettre fin aux injustices historiques imposées à la nation kurde.

Les Kurdes de Turquie existent en tant que nation et sont soumis à l’oppression nationale par la nation dominante. Les changements dans la forme ou les méthodes de cette oppression — que son intensité augmente ou diminue — ne nient pas le fait que les Kurdes sont une nation. Cela n’invalide pas non plus leurs demandes démocratiques légitimes et justes, en particulier leur droit à la libre sécession, qui découle de leur statut de nation.

En général, la question nationale, et plus particulièrement la question nationale kurde, est en fin de compte une question de droits et de statut. Comme le terme lui-même le suggère, il ne s’agit pas uniquement d’un problème à résoudre sur une base de classe. Si sa résolution finale est liée à la lutte des classes, cela ne l’empêche pas de produire diverses « solutions » intermédiaires en cours de route. À l’époque de l’impérialisme et des révolutions prolétariennes, certaines questions nationales ont été, d’une manière ou d’une autre, « résolues » par l’intervention impérialiste.

La demande de statut d’État, qui est au cœur de la question nationale en termes de garantie des droits nationaux et d’établissement d’un espace économique indépendant, peut prendre différentes formes. Elle peut évoluer vers des arrangements tels que l’autonomie ou la fédération, comme le montrent divers exemples historiques. En effet, l’établissement de droits culturels collectifs, d’un statut politique et de structures organisationnelles, notamment en ce qui concerne la langue, constitue un stade avancé du point de vue des critères nationaux. En ce sens, il s’agit d’un changement de statut. En outre, ces revendications sont les revendications démocratiques de la bourgeoisie nationale opprimée contre la bourgeoisie dominante de la nation oppresseur. La possibilité que ces revendications soient instrumentalisées par l’impérialisme ou cooptées pour d’autres intérêts n’invalide pas leur contenu démocratique. Dans notre cas spécifique, la solution à la question nationale kurde réside dans la réalisation des droits nationaux-collectifs de la nation kurde, y compris le droit à la sécession, à la fédération, à l’autonomie et aux droits culturels. Renoncer ou refuser d’exiger ces droits nationaux-collectifs ne signifie pas que la question nationale kurde a été résolue, ni que la contradiction entre les nations oppresseurs et opprimées a disparu.

C’est pourquoi, dans son « Appel pour la paix et la société démocratique », Öcalan déclare que « la conséquence inévitable d’une dérive excessivement nationaliste, telle que la création d’un État-nation séparé, d’une fédération, d’une autonomie administrative et de solutions culturalistes, n’apporte pas de réponse à la sociologie de la société historique ». Si cette déclaration met en évidence une impasse dans la résolution de la question nationale, elle accepte aussi implicitement le privilège d’État de la nation turque tout en rejetant, même au sens démocratique bourgeois, le droit de la nation kurde à établir un État indépendant, qui découle de son statut de nation. Un tel point de vue est, bien entendu, inacceptable pour les communistes.

En Turquie, la question nationale kurde n’est toujours pas résolue. Elle se poursuit avec toute son intensité. Contrairement aux affirmations d’Öcalan, la question des droits nationaux de la nation kurde en Turquie persiste.

L’ère de la lutte armée est-elle terminée ?

D’autre part, il est nécessaire de souligner la réalité suivante : lorsqu’il s’agit de résoudre la question nationale kurde, il faut se méfier des récits qui peuvent être formulés comme « déposer les armes et ouvrir la voie politique », récits qui ont également trouvé un écho dans les rangs du mouvement kurde. S’il est compréhensible que ceux qui se trouvent du côté de la nation oppresseur promeuvent de tels récits, ceux-ci n’ont aucune valeur réelle pour le prolétariat et les peuples opprimés du monde. Après tout, « si un peuple n’a pas d’armée, il n’a rien ! ». Il s’agit là d’un autre principe.

Bien sûr, « la lutte politique démocratique au lieu de la lutte armée » est un choix. Mais ce qui est décisif, c’est de savoir si les conditions sont réunies pour un tel choix. Dans les circonstances actuelles en Turquie, en laissant de côté les obstacles bien connus à la « lutte politique démocratique », même les moindres miettes de démocratie bourgeoise ne sont plus tolérées. En Turquie, les conditions d’une « politique démocratique » ont toujours existé sur le papier, mais dans la pratique, elles n’ont aucun fondement réel. Le fascisme n’est pas seulement une forme de gouvernement, c’est le mode de gouvernance et l’essence même de la politique. C’est pourquoi la moindre revendication de droits ou toute lutte démocratique et révolutionnaire est accueillie par la terreur fasciste. Dans la période récente, sous le soi-disant « système présidentiel », le fascisme AKP-MHP a imposé une politique de répression fasciste contre toutes les demandes démocratiques, y compris la liberté d’expression. L’un de ceux qui ont fait l’expérience la plus aiguë de cette réalité est le national kurde.

Il ne faut pas oublier que le mouvement national kurde a eu recours à la lutte armée parce qu’il n’y avait pas de voie pour la lutte démocratique, puisque le déni et l’anéantissement lui étaient imposés. Ce n’était pas seulement un choix, mais une nécessité dans les conditions de la Turquie et du Kurdistan turc. Il y a eu des mouvements nationaux kurdes qui n’ont pas pris les armes, mais qui n’ont pas pu échapper à la lourde répression du fascisme. Cette réalité, tout comme elle l’était dans le passé, reste valable aujourd’hui. L’existence de certains changements ne signifie pas que le fascisme a été éliminé ou que les contradictions, notamment la question nationale kurde, ont été résolues.

D’autre part, la propagande qui assimile la lutte armée à un manque de stratégie politique sous couvert de « solution » et de « paix » est fondamentalement erronée. La lutte armée est, en soi, une forme de politique. Pendant des années, ceux qui ont avancé des arguments politiques sous prétexte de critiquer la lutte armée, tout en reconnaissant l’affirmation justifiée du « rôle de la force au Kurdistan », ne peuvent pas effacer le fait que la lutte armée est aussi une lutte politique.

La recherche d’une réconciliation avec le fascisme conduit à des théories infondées telles que « la lutte armée n’est pas une lutte politique » et même que « la lutte armée entrave la lutte démocratique ». Comme la pratique l’a constamment démontré, « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Le rejet de cette réalité par ses praticiens indique leur position idéologique et leur décision actuelle de mener la politique par d’autres moyens.

En outre, l’affirmation selon laquelle « l’ère de la lutte armée a pris fin » ne peut être qu’un rêve dans les conditions actuelles, où les préparatifs d’une nouvelle guerre impérialiste de division sont en cours, en particulier au Moyen-Orient. En outre, le processus a invalidé à plusieurs reprises la déclaration d’Öcalan selon laquelle « l’ère de la lutte armée a pris fin ». Par exemple, alors qu’Öcalan faisait cette déclaration en 2013, au même moment, la nation kurde remportait des succès grâce à une lutte armée à la vie à la mort contre Daesh au Rojava. En outre, il est évident qu’actuellement, au Rojava, il n’y a pas d’autre option que de répondre par la résistance armée aux attaques directes de la Turquie et de ses groupes mandataires. Comme ces réalités l’ont constamment prouvé, non seulement « l’ère de la lutte armée » n’est pas terminée, mais en particulier dans les conditions du Moyen-Orient, il est clair qu’elle reste une nécessité. Les vérités sont révolutionnaires et l’ère de la lutte armée n’est pas terminée. Dans la situation actuelle du système capitaliste impérialiste, avec les signes de l’émergence d’une nouvelle guerre de division, et dans la réalité d’aujourd’hui où le monde s’arme de plus en plus sous prétexte de « défense », les théories suggérant que l’ère de la lutte armée a pris fin pour le prolétariat, les peuples opprimés et les nations du monde sont, au sens le plus large, équivalentes à désarmer les opprimés et sont, bien sûr, inacceptables.

Une « société démocratique » est-elle possible dans les conditions du fascisme ?

Dans sa déclaration, Abdullah Öcalan évoque les relations turco-kurdes, parle d’un « esprit de fraternité » et propose une « société démocratique » et une « réconciliation démocratique » comme méthodes fondamentales pour trouver une solution. Cependant, sous le capitalisme, il n’y a pas de démocratie qui soit indépendante ou au-dessus des structures de classe. Chaque classe a sa propre conception de la démocratie et la met en œuvre en conséquence. Par conséquent, une « société démocratique » ou une « démocratie » ne peut être véritablement réalisée dans un système capitaliste dominé par la bourgeoisie. Une véritable démocratie populaire et une société démocratique ne peuvent exister que dans un État populaire, où le peuple détient le pouvoir.

Il est illusoire d’attendre de l’État turc qu’il crée une « société démocratique ». L’approche fondamentale est erronée dès le départ. Même si l’appel à une « société démocratique » est lancé, la réalité reste que le processus se déroule à huis clos. Sans une explication publique complète de ce qui se passe, même la possibilité d’une « discussion démocratique » est hors de question. De plus, l’une des parties impliquées se trouve dans une situation d’isolement sévère. Avant toute chose, le lourd isolement imposé à Öcalan doit être levé et il doit être libéré. Si l’objectif est véritablement une société démocratique, Öcalan doit au moins bénéficier de conditions lui permettant de travailler librement et de communiquer sans restriction avec son organisation.

Öcalan justifie son appel à la dissolution du PKK et au dépôt des armes en arguant qu’en Turquie, « le déni d’identité a été résolu » et « des progrès ont été réalisés en matière de liberté d’expression ». Cependant, il est évident pour tous qu’aucun progrès fondamental n’a été réalisé dans ces domaines. La soi-disant « reconnaissance » de l’existence des Kurdes est, au mieux, une reconnaissance superficielle. Même cette reconnaissance limitée n’a été obtenue qu’au prix d’une lutte qui a coûté d’innombrables vies. Il est donc clair qu’elle ne correspond à aucun statut concret en termes de résolution de la question nationale. En outre, à ce stade, la situation concernant la liberté d’expression est si sombre qu’elle ne laisse aucune place au débat.

Le sujet qu’A. Öcalan néglige, ou plutôt qu’il évalue mal parce qu’il n’aborde pas la question d’un point de vue de classe, est la racine de la question nationale en général, et de la question nationale kurde en particulier. La question nationale kurde ne peut être réduite à des questions de déni d’identité et de liberté d’expression, et la nation kurde elle-même n’est pas la source de ce problème.

Le problème réside dans l’oppression nationale imposée à la nation kurde. Cette oppression n’est pas seulement dirigée contre le peuple kurde en général, mais affecte l’ensemble de la nation kurde — à l’exception d’une poignée de grands propriétaires féodaux et de quelques grandes figures bourgeoises qui se sont pleinement intégrées aux classes dirigeantes turques. Les travailleurs kurdes, les paysans, la petite bourgeoisie urbaine et les petits propriétaires terriens continuent tous à souffrir de l’oppression nationale. À la suite de la lutte de la nation kurde, certaines concessions ont été faites dans la politique d’oppression nationale de la nation dominante, mais la politique d’oppression nationale se poursuit sans interruption. La question nationale kurde n’est toujours pas résolue. Dans notre région, la résolution de la question nationale kurde reste l’une des tâches de la révolution démocratique populaire. Dans les conditions du fascisme, il est impossible de parvenir à une résolution révolutionnaire de la question nationale kurde. Cependant, grâce à la lutte révolutionnaire-démocratique, certaines étapes peuvent être franchies. Soutenir des mesures progressistes qui contribuent à résoudre la question nationale kurde et d’autres contradictions majeures en Turquie et au Kurdistan turc, tout en intégrant ces réformes dans la lutte révolutionnaire, n’est pas incorrect.

Cependant, propager les réformes comme une solution et, plus encore, prétendre que dans les conditions actuelles, la nation kurde a exercé son droit à l’autodétermination, est tout à fait trompeur. Öcalan, dans sa déclaration, affirme qu’« il n’y a pas de voie non démocratique pour la construction et la mise en œuvre du système. Il ne peut y en avoir. La réconciliation démocratique est la méthode fondamentale ». Dans le monde d’aujourd’hui, dans la réalité de la société de classes, ce point de vue est fondamentalement erroné. Dans la réalité des divisions de classe, le concept de démocratie est également basé sur les classes. L’ordre mondial capitaliste impérialiste, qui repose sur le système de la propriété privée, et la réalité de l’État en Turquie et au Kurdistan turc, prouvent que l’État n’est rien d’autre qu’un « instrument d’oppression d’une classe sur une autre. » Même les démocraties bourgeoises sont de plus en plus contestables dans les conditions actuelles.

Dès sa création, la démocratie bourgeoise en Turquie et au Kurdistan turc a revêtu un caractère fasciste. « Notre pays n’a jamais vraiment connu la vraie démocratie bourgeoise, il n’en a goûté que quelques miettes. » (İbrahim Kaypakkaya, Collected Works, Nisan Yayımcılık.)

Ainsi, au-delà des autres contradictions, l’émergence de la question nationale kurde et la politique d’oppression nationale imposée à la nation kurde ont été menées sous le couvert de la « démocratie ».

L’émancipation, la liberté et l’indépendance de la classe ouvrière turque, du peuple ouvrier et de la nation kurde ne peuvent être obtenues au sein du système ou par le biais de sa soi-disant démocratie. La lutte pour la libération des peuples turcs et kurdes, ainsi que de diverses autres nationalités et confessions, ne dépend pas de la « réconciliation démocratique », mais nécessite des méthodes et des outils de lutte en dehors du système. Ce n’est pas une question de choix mais de nécessité historique.

Le fascisme de la République de Turquie doit être pris pour cible !

À ce stade, l’État turc, qui avait qualifié Öcalan de « chef terroriste », le présente désormais comme une figure prônant la paix et la recherche d’une solution. Bien que la propagande médiatique de l’État présente ce processus comme l’« élimination du terrorisme », des discussions émergeront en même temps, tant au niveau national qu’international, sur les obligations de l’État turc, la démocratisation et les mesures qu’il doit prendre.

En effet, dans la note transmise au public par Sırrı Süreyya Önder — bien qu’absente de la déclaration officielle d’Öcalan (probablement parce que l’État turc n’a pas permis qu’elle soit incluse), Öcalan souligne ce que l’État turc doit faire en échange de l’« accord » conclu. Il évoque des changements juridiques et constitutionnels qui garantiraient les droits politiques de la nation kurde, soulignant que le processus de désarmement et de dissolution du PKK devrait être synchronisé avec des réformes juridiques démocratiques dans le pays. Ces demandes, dans les conditions du fascisme, sont indéniablement « progressistes » et « démocratiques ». Qu’elles soient mises en œuvre est une tout autre question.

Indépendamment des calculs du fascisme turc, ces revendications doivent être soutenues et défendues.

En général, en ce qui concerne la question nationale, et plus particulièrement la question nationale kurde, le prolétariat conscient de sa classe a une position claire. Elle vaut d’être réitérée :

« […] Quelle que soit sa nationalité, le prolétariat turc conscient de sa classe soutiendra inconditionnellement et sans équivoque le contenu démocratique général du mouvement national kurde qui cible l’oppression, la tyrannie et les privilèges des classes dominantes turques, cherche à abolir toutes les formes d’oppression nationale et vise à l’égalité des nations. De même, il soutiendra inconditionnellement et sans équivoque les mouvements des autres nationalités opprimées dans la même direction.

[…] Quelle que soit sa nationalité, le prolétariat turc, conscient de sa classe, restera entièrement neutre dans les luttes menées par la bourgeoisie et les propriétaires terriens de diverses nationalités pour obtenir leur propre supériorité et leurs privilèges. Le prolétariat turc conscient de sa classe ne soutiendra jamais les tendances du mouvement national kurde qui cherchent à renforcer le nationalisme kurde ; il ne soutiendra jamais le nationalisme bourgeois ; il ne soutiendra jamais les luttes de la bourgeoisie kurde et des propriétaires terriens pour garantir leurs propres privilèges et leur supériorité. En d’autres termes, elle ne soutiendra que le contenu démocratique général du mouvement national kurde et n’ira pas au-delà ». (İbrahim Kaypakkaya, Collected Works, Nisan Yayımcılık, p. 194.)

En conclusion, un nouveau processus a débuté dans le contexte de la question nationale kurde avec l’appel d’Abdullah Öcalan. Le facteur distinctif de ce processus par rapport aux précédents est la nouvelle orientation politique mise en œuvre par la bourgeoisie compradore turque sous le discours de la « consolidation du front intérieur ».

C’est pourquoi il faut reconnaître que ce processus comporte des risques non seulement pour le mouvement national kurde, mais aussi pour le fascisme de la République de Turquie. L’équation de la solution ou de la dissolution n’est pas seulement une question pour le mouvement national kurde, mais aussi un sujet de préoccupation pour l’État turc lui-même.

La question fondamentale est ici que le « le bout pointu de la flèche » ne doit pas être dirigé contre le Mouvement national kurde ou Abdullah Öcalan, mais contre le fascisme turc. L’origine et la cause de la question nationale kurde sont le fascisme de la République de Turquie, la dictature fasciste de la bourgeoisie compradore turque.

Le fascisme de la République de Turquie est en crise. En raison de cette crise, il cherche à se « réconcilier » avec le Mouvement national kurde. Dans ces conditions, il est nécessaire d’être solidaire du Mouvement national kurde.

La critique, bien sûr, est possible et même nécessaire. Cependant, l’ennemi principal ne doit pas être oublié, l’accent doit rester sur la lutte révolutionnaire des peuples de Turquie, y compris les nations turque et kurde, ainsi que diverses nationalités et communautés religieuses.

La question de savoir si « l’appel du siècle » aboutira à une solution ou à une dissolution sera en fin de compte déterminée par le processus en cours et la lutte elle-même. Il est donc nécessaire que l’opposition démocratique révolutionnaire ne reste pas indifférente, mais intervienne activement dans le processus.

Renvoyer la solution de la question nationale kurde à la révolution sous le couvert d’une « vraie solution », invoquer le droit à la libre sécession tout en négligeant la dynamique actuelle de la question, c’est se déconnecter de la réalité politique du moment. Une telle approche est inacceptable du point de vue des intérêts de la révolution démocratique populaire en Turquie. La question ne doit pas être réduite à une simple question de pouvoir, mais doit être appréhendée avec clarté idéologique.

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