Un an de confinement (Partie 1) : le bilan

Un an après le début du confinement, nous voulons tirer un petit bilan de cette période.

Au moment où nous écrivons ces lignes, l’incertitude demeure. Rien ne permet de savoir de quel côté la balance épidémiologique peut pencher. Les choix opérés par le gouvernement français depuis septembre ont été marqués par l’atermoiement, le moyen-terme, l’indécision. Si il n’existe pas – pour le moment – d’explosion nouvelle, de troisième vague ravageuse, nous restons sur le fil du rasoir.

La politique gouvernementale a été marquée par une série de tergiversation, d’hésitations, de compromis. Tandis que, durant 2020, le Comité Scientifique a été l’acteur principal, son rôle s’est éteint progressivement, pour être escamoté au profit du gouvernement. Il y a de quoi s’interroger.

Ce comité a été fortement critiqué pour des motifs tout à fait recevables. Il avait été composé par une cooptation gouvernementale, il n’avait pas de comptes à rendre à l’Assemblée…En somme il concrétisait parfaitement la vision gaullienne de la transformation de l’État : une techno-structure régnante, capable, au nom d’une hypothétique objectivité scientifique, de décider à la place des interfaces démocratiques.

En dépit de cela, ce comité a été réduit progressivement au silence. Pourquoi ? Tout simplement car les décisions gouvernementales commençaient à s’en écarter, pour en diverger ensuite fortement. Le gouvernement, en effet, à choisi le hasard face à la fermeté, renonçant à des confinement, pour s’orienter vers une gestion plus souple de la crise.

Ainsi, à l’origine, les contaminations devaient passer en dessous des 5 000 par jour pour que le confinement soit levé. Cependant, il l’a été, en dépit d’un maintien aux alentours des 20 000. Le fait qu’il n’y ait pas eu d’explosion immédiate a été célébré comme une « victoire de Macron sur les sachant » par ses thuriféraires. Elle a révélé que Macron n’est pas seulement une personne qui célèbre occasionnellement Pétain, il en a aussi adopté la marotte de 1917. Tandis que Pétain voulait « attendre les Américains et les chars », Macron lui propose de gérer l’épidémie en attendant les effets de la vaccination. Pour le moment, le pari tient… en apparence.

Cependant, cette victoire est incertaine, coûteuse, précaire.

La pensée qui sous-tend le raisonnement de Macron est simpliste et mathématique. « Les contaminations sont stables, dont l’épidémie est gérée. » Le gouvernement oublie en cela plusieurs paramètres essentiels.

Le temps de latence : entre la contamination et les symptômes, puis entre les symptômes et le test, plusieurs jours se passent. Entre le test et le résultat, un délai supplémentaire s’adjoint. Entre les remontées des tests et leur publication, un autre s’adjoint encore. Il en est de même quant au temps qui s’écoule du déclenchement de la maladie à l’hospitalisation. En réalité, le gouvernement conduit une politique avec des informations déjà périmées.

La dynamique interne : les chiffres n’ont pas de sens s’il n’est pas pris en compte une dynamique interne. Une contamination n’a pas le même sens en fonction de son lieu et de son cadre. Le remplacement des virus type 1 par de nouveau type peut laisser penser une chose : les contaminations peuvent très vite passer d’une suite arithmétique (1 contamination + 1 contamination…) à une suite logarithmique (1 personne contamine 2 personnes qui en contaminent 4…) en fonction de la contagiosité du variant. Cette absence de prise en compte des bonds qualitatifs (même si la qualité, en l’occurrence, est plutôt désagréable!) montre l’impact d’une pensée bureaucratique et comptable.

C’est là un problème de fond. Mais à celui-ci s’ajoute un problème de forme.

Car cette politique pose trois problèmes :

Premièrement :

Les hôpitaux fonctionnent en flux-tendu. Cela les oblige à ralentir l’attribution de moyens financiers et humains à d’autres services. Les soins non-Covid sont moins suivis, notamment pour les maladies chroniques ou les cancers. De fait, comme les personnes accèdent à des soins plus tardifs, elles arrivent dans un état plus grave. Cela se ressentira, lorsque les statistiques pourront être complétées, par une surmortalité non-Covid, mais liée à la pandémie.

Le personnel hospitalier est soumis à une surcharge de travail immense depuis plus d’un an. Il est passé d’un climat de sprint à un marathon, et ce ne sont pas les applaudissements éphémères qui vont lui permettre de récupérer. Cette surcharge de travail se traduira également dans un taux de démissions, de contaminations, de burn-out, mais aussi d’épuisement et d’erreurs médicales sans cesse croissant.

La marge de manœuvre des hôpitaux est extrêmement faible. C’est-à-dire qu’un nouveau pic contaminatoire peut provoquer dans un délai extrêmement bref une saturation complète des services. Cette saturation mettra à nouveau le personnel hospitalier dans l’obligation de faire des choix.

Deuxièmement :

En maintenant un haut niveau de circulation du virus, le gouvernement prend un risque extrêmement élevé : celui de voir des variants nouveaux prendre le pas sur le virus classique, ce qui est d’ores et déjà le cas pour le virus anglais. Surtout, il prend le risque inconsidéré de créer de nouveaux types de variants. Cette politique peut mettre en péril l’intégralité du programme de vaccination.

Le profil des malades a évolué depuis le début de la pandémie. Les personnes âgées sont moins nombreuses, tandis que les contaminations chez les jeunes sont plus importantes. Or, si la mortalité est plus faible chez les plus jeunes, ce n’est pas le cas des séquelles. Des études ont démontré que les séquelles neurologiques (souvent consécutives aux pertes d’odorat) sont plus importantes chez les jeunes qui chez les personnes âgées (chez qui la forme la plus aiguë est pulmonaire.).

De plus, il reste l’énigme du Covid-long, qui peut frapper toute personne, quelque soit son état de santé ou son âge. Plus le virus circule, plus il existera de personnes confrontées à ces dangers.

Troisièmement :

Cette pandémie n’est pas « gratuite », ni moralement, ni financièrement. La politique du moindre mal et du métro-boulot-dodo permet de sauver l’essentiel : le taux de profit des plus grands capitalistes. Ils ne sont donc pas en danger – sauf quand, par vanité, ils s’écrasent en hélicoptère. L’essentiel est sauf. Dans l’ensemble, le grand capital profite de la crise, car il est plus solide, plus résistant, et qu’il sait également capter les deniers publics. Son avenir est par ailleurs radieux : il pourra profiter des crises pour racheter à bas prix les concurrents à l’article de la mort.

Mais pour les entreprises plus vulnérables, PME, TPE, artisanat, ou pour les travailleurs et les travailleuses plus précaires, une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de leur tête. L’endettement, le surendettement, les carnets de commande vide, les magasins fermés…1 Cette situation critique – dont les conséquences les plus profondes se manifesteront à la fin des aides d’État – créé une situation d’instabilité économique, et, par voie de conséquence, politique. Pour le gouvernement, ce n’est pas un but, mais bien une conséquence perverse d’une politique lâche. En maintenant le pays à moitié fermé, il rend impossible les conditions de sa réouverture. En dernière instance, les petits capitalistes et les plus précaires ont largement perdu plus dans cette période que au cours d’un confinement strict.

Le coup moral devient de plus en plus lourd. Le confinement de mars, bien qu’ayant aussi sa part de dureté, était sidérant. Il s’agissait de quelque chose d’inconnu depuis la grippe espagnole. Il s’agissait d’une de ses situations d’urgence absolue, d’exception, qui tend à faire oublier le reste. Cependant, tout comme pour l’hôpital, lorsque le sprint devient une course de fond, un marathon, les choses changent. La stupéfaction, l’impression de tournis des événements a laissé la place à la laideur d’un quotidien bien commun, mais dont les divertissements ont été retirés. Aujourd’hui, le sentiment général est celui d’avoir été volé d’une année de nos vies. Si nous faisons la part des choses sur cette question-là2, nous ne pouvons nier que le prix à payer devient exorbitant.

L’enfermement, les couvres-feu, la mise entre parenthèse de la vie sociale et affective se paie. Violences conjugales accentuées, agressivité, nervosité, dépression, désespoir… La jeunesse étudiante, notamment, enfermée dans ses 9m², à un âge dans lequel la vie sociale est primordiale, a payé un lourd tribut. Les femmes, comme nous l’avons mentionné dans notre communiqué du 8 mars, ont été en première ligne sur tous les fronts, et ont subis un harcèlement accru avec la levée du confinement.

Ces trois raisons font que la politique du gouvernement est non seulement singulièrement contre-productive, mais même dangereuse. Elle est aussi le fruit de l’intervention du calendrier électoral. En cette période, il faut mieux des moyens termes qui déçoivent un peu tout le monde, qu’un choc qui en aliène certains. Quelques dizaines de milliers de morts valent bien cela.

Nul doute que, à l’heure actuelle, le gouvernement prépare une réélection. Après avoir été le missile à tête chercheuse de la bourgeoisie la plus rapace, Macron et ses sbires ont pris goût à leurs fonctions. Il faut reconnaître, en toute objectivité, qu’ils possèdent un boulevard devant eux.

Une conjonction favorable des astres leur assure une chance de gagner en 2022. La configuration est, il faut l’admettre, rêvée. La gauche institutionnelle ne s’est absolument pas montrée capable de pouvoir intervenir dans le débat politique. Elle s’est contentée de jouer les observatrices, tout en ayant perdu (mais c’est valable pour l’extrême-gauche aussi) une partie de son contact avec la population, notamment dans le cadre des luttes sociales.

Le centre de gravité du débat est fermement arrimé entre droite et extrême-droite. Les lignes éditoriales des journaux, les débats télévisés, les débats politiques… sont intégralement noyés par une déferlante ultra-réactionnaire. La pandémie a accentué les peurs ancestrales. Peur des sorcières-féministes, peur des ennemis intérieurs, des espions, des saboteurs islamo-gauchistes, peur de l’extérieur, de la concurrence internationale, des conflits extérieurs.

Tandis que la situation économique se dégrade, la situation politique plonge également. Des termes, qui n’avaient plus droit de cité depuis l’écrasement du Reich, sont de nouveau au centre du débat. Et l’extrême-gauche, le camp du peuple, n’est pas suffisamment forte pour imposer son ordre du jour.

Avons-nous tiré les conclusions de cette période ? Sommes-nous prêts et prêtes à affronter un avenir complexe, inquiétant, anxiogène ? C’est une question ouverte. Cette brochure a vocation à apporter sa contribution à ce débat.

1Nous sommes obligés de noter un fait : les charlatans de l’homéopathie ont pleuré sur l’absence de grippe, du fait du port du masque, ce qui a réduit leur recettes. Leur appellation : « marché du rhume et de la grippe » montre bien leur vraie nature. S’il existe une branche de l’industrie pharmaceutique à liquider en priorité, c’est bien celle-ci et celle des remèdes new-âge.

2Notamment dans la conclusion de cette série d’articles.

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