Sur le coup d’état au Niger

Le 26 juillet dernier a eu lieu un coup d’État au Niger, entraînant une situation géopolitique complexe sur le continent.

La France dominait l’Afrique au début des années 2000, avec une capacité de modelage du paysage politique, comme avec l’opération licorne en Côte d’Ivoire, mobilisant 4000 militaires entre 2002 et 2005, puis 3000 les années suivantes. C’est pour elle un espace quasiment vital économiquement, possédant plusieurs matières premières (uranium, cobalt…)

Adopté en 1964 sous la pression du « Groupe de Monrovia », le principe d’intangibilité des frontières a figé les tracés datant de la colonisation. Ce principe devait permettre d’éviter d’innombrables guerres de repartage et de redécoupage. Mais il a aussi figé une géométrie étatique sans tenir compte des peuples, des réseaux économiques, des désirs populaires. Les frontières coloniales avaient été conçues spécifiquement pour éviter la formation de groupes homogènes capables de s’ériger en nation. La perpétuation de ces tracés a favorisé la celle de la domination néocoloniale. Aujourd’hui, nous assistons à l’effondrement de certaines entités, comme le Mali.

Dans l’ensemble, l’emprise s’est affaiblie avec le développement de guérillas, hélas pour la plupart sous le flambeau réactionnaire djihaddiste, tout en faisant des concessions sur leur programme. AQMI, Al-Qaida au Maghreb Islamique reprend ainsi les revendications nationalistes touareg. Fin 2022 c’est l’opération Barkhane qui s’est terminée, après 8 ans d’opérations militaires au Tchad, Niger, Mali et Burkina Faso ainsi que des bases arrière au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon. Il y a eu une fuite en avant : plus les interventions étaient nombreuses, moins elles étaient acceptées, et plus il y avait de chaos, l’exemple de la Libye restant dans toutes les mémoires.

Dans les années 1990, les rivalités sont le plus souvent entre anglophones et francophones, culminant avec l’affrontement autour du Rwanda, sinistrement sanglant. D’autres forces contestent le monopole occidental sur l’Afrique (Chine, Russie), en portant une image résolument en rupture avec celle des puissances dominantes « traditionnelles ». La Russie a réussi à s’implanter à la fois par l’aide d’État à État, à la fois par Wagner — parfois en soutenant les deux camps, comme au Soudan et en jouant sur une image neutre. Elle n’a pas hésité à appuyer sur les sentiments antifrançais, parfois simplement en soulignant les méfaits coloniaux, mais en inventant également des crimes.1

Avec la guerre en Ukraine, le ressentiment envers l’occident s’est accentué : le deux poids deux mesures vis-à-vis du traitement des réfugiés et des moyens pour le développement a attisé les rancœurs. Les aides prévues pour l’Afrique ont été aspirées vers l’Ukraine. Aucun pays d’Afrique n’a pris de sanctions contre la Russie. Beaucoup sont dépendants de ses exportations de blé, et donc exaspérés de voir l’Occident fournir des armes à la résistance ukrainienne. Même pendant le conflit, les Russes continuent de marquer des points.2

Bien qu’étant une excuse commode pour permettre de détourner l’attention du rejet occidental, Wagner n’est pas la force dominante du coup d’État au Niger, mais est déjà impliqué dans le conflit. La Russie appelle directement à calmer les tensions, promouvant une recherche de solution diplomatique.3

Les Nigériens n’acceptent plus d’avoir un pays extrêmement riche en sous-sol, mais dont la situation s’est dégradée profondément. Les militaires, menés par le général Abdourahamane Tiani, ont chassé le pouvoir en place, et enfermé le président élu Mohamed Bazoum. Ils ont convaincu une partie de la population avec des discours antifrançais et prorusses. Depuis la situation est bloquée : une intervention de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) serait très mal vue parce qu’ils passeraient pour des supplétifs de l’armée française. Une intervention occidentale semble impossible, malgré les multiples échecs de la France (Mali, Burkina Faso). En réalité les marges de manœuvre sont minces, restreintes à des menaces militaires sans intervention du côté de la CEDEAO, des menaces économiques et diplomatiques de la part de la France.4

La situation est révélatrice : l’impérialisme français et les impérialismes occidentaux ont de moins en moins les moyens de pouvoir tenir leurs prés carrés. Cependant, le remplacement par un autre impérialisme n’est pas nécessairement un progrès immense, c’est un changement de maître. L’Afrique (et l’Amérique Latine) restent des espaces qui sont maintenus dans un rôle d’extraction des matières premières, et qui sont dans une relation de dépendance avec le reste de l’économie mondiale. L’argent de l’extraction entretient des élites corrompues et inféodées aux impérialistes.

Il est positif que l’Occident soit chassé d’Afrique, mais la solution ne peut venir que du développement africain. Cela demande un appui non pas à des juntes, mais à des forces politiques communistes, qui peuvent doter l’Afrique et les Africains d’une vraie indépendance. En tant qu’anti-impérialistes, nous devons continuer de lutter contre notre propre impérialisme, mais aussi soutenir activement les organisations en lutte sur place. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous sommes dans l’ICOR, avoir un engagement et des liens concrets avec des camarades du monde entier, notamment en Côte d’Ivoire (PCPCI), Congo (ORC), Égypte (RCP), Cameroun (UPC-Manidem), Kenya (CPK), Maroc (MMLPL), Afrique du Sud (CPSA ML), Togo (PCT) et Tunisie (PPDS). Ils sont unanimes à souligner que l’impérialisme occidental, et particulièrement français, sont responsables d’une part immense de la souffrance sahélienne. Les valeurs universalistes occidentales s’arrêtent aux plages de la Côte d’Azur, en dessous, cela reste le règne de la loi coloniale.5

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