Le rapport du GIEC tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur la situation climatique et sur les dangers actuels. Nous avons communiqué à plusieurs reprises sur cette question, et nous ne souhaitons pas commenter ce rapport plus longtemps.
Cependant, nous constatons deux choses : premièrement que les États, en tant qu’agents des intérêts coalisés de bourgeoisies, sont dans l’incapacité totale de pouvoir faire face à ces questions. Ainsi, les scénarios les plus sombres semblent les plus réalistes.
Ce qui amène à la seconde chose : quelle réponse ? Nous défendons une conception qui est celle de l’écologie totale. (cf. article + podcast). Nous considérons qu’il s’agit de la position la plus adaptée et la plus juste. D’autres existent cependant.
Ainsi, il existe une réponse nihiliste, basée sur l’idée d’un effondrement inéluctable de la société : la collapsologie.
La collapsologie, cette pseudoscience de l’effondrement, table sur un cataclysme mondial, brutal, qui ramènerait l’humanité au stade de petites collectivités autonomes les unes des autres. Non seulement c’est improbable, mais est-ce souhaitable ?
C’est improbable parce que les sociétés sont résilientes : elles sont capables de surmonter les obstacles, les épreuves, de s’y adapter, d’y réagir. Elles sont mobiles, malléables. Pendant la Guerre Civile Russe, par exemple, la presque totalité de la classe ouvrière et des fonctions industrielles a été absorbée par le conflit. Les ouvriers sont retournés vers les campagnes ou étaient mobilisés dans l’armée. La société a perdu en complexité et s’est recentrée sur des fonctions vivrières jusqu’à la fin de cette guerre. Ensuite, elle s’est progressivement re-complexifiée, respécialisée durant la NEP et durant le Grand Tournant de la collectivisation et de la planification. Cela n’a pas été une tâche aisée, mais cela illustre bien la capacité de reconstruction des sociétés, et même de transformation.
Quand la crise écologique s’approfondira, il est sûr que des situations dramatiques auront lieu. Il est possible qu’elles aient des impacts brutaux sur l’ensemble du monde. Mais il est douteux d’imaginer l’ensemble des structures sociales se fragmenter. La désertification, la surchauffe, les crises toucheront d’abord les régions les plus pauvres ou celles qui possèdent le moins de moyen d’y faire face. Avant qu’elles ne menacent les cœurs battants des impérialismes, il existe bien des fosses communes à creuser.
La croyance selon laquelle le monde est une mécanique fragile qui peut s’enrayer d’un seul coup a été infirmée par la capacité de réaction à la crise du COVID, dans laquelle, finalement, le rattrapage économique semble très rapide.
Les capitalistes, les exploiteurs, trouveront d’autres manières d’investir, dans d’autres domaines. Même si la possibilité de dystopie existe, elle ne sera sûrement pas un retour à la nature. Elle se traduira par une baisse spectaculaire de niveau de vie pour certains, donc par une baisse toute aussi spectaculaire des droits politiques. Mais même l’épuisement des minerais précieux, s’il nous condamne à une impasse technologique, ne condamne pas le capitalisme.
Serait ce positif ?
Le retour à de petites communautés ayant peu d’échanges les unes avec les autres pose une série de problèmes importants. Elles entraînent forcément la disparition d’un grand nombre de fonctions complexes.
Prenons la santé :
Pour faire une IRM, par exemple, il faut non seulement des compétences techniques poussées, qui ne peuvent émerger que dans une spécialisation à outrance des ingénieurs chargés de la concevoir, des opérateurs et opératrices chargés de les utiliser et des médecins chargés d’inclure cet élément dans un protocole de soins. Cela demande donc une société complexe, capable de dégager des surplus alimentaires suffisants pour pouvoir permettre à des personnes de ne pas consacrer leur vie à des activités vivrières. Cela demande des échanges à longue distance pour rassembler les matières premières, les raffiner, les transformer en produits semi-finis et les assembler.
C’est donc un modèle qui n’est pas compatible avec les petites communautés agricoles autonomes, lesquelles ne peuvent produire de surplus suffisant, faute de mécanisation, ni même ne peuvent se spécialiser dans un domaine ou un autre.
Cela n’empêche d’ailleurs pas ces communautés, dans lesquelles règne des échanges marchands et une division en classe, de construite aussi les bases d’une renaissance du capitalisme.
Cette petite production marchande n’abolit ni l’exploitation ni l’oppression. Soit elle végète dans une situation perpétuellement primitive, uniquement peuplée de paysans, mais sans production manufacturière, sans outils, sans artisans, sans médecins, sans spécialisation aucune, ou alors elle doit aller vers la complexification, donc se stratifier en société de classe. En société dans laquelle les rapports marchands existent, dans lesquels la possession de la terre existe, donc dans laquelle l’enrichissement aussi existe.
Elle produit invariablement les mêmes effets : ceux d’une tendance à l’accumulation du capital, donc à la renaissance progressive des bases d’une société capitaliste. Elle amènerait donc, en ayant simplement « perdu 2000 ans » a revenir aux mêmes principes, aux mêmes maux qu’aujourd’hui.
A l’inverse, le développement actuel, la socialisation du travail – le fait que les individus travaillent ensemble dans un découpage des tâches – créé la base du dépassement du capitalisme et du passage à un système dans lequel les moyens de production ne sont plus accaparés par une poignée, mais sont la propriété du peuple tout entier.
C’est donc un choix de société : celui de revenir vers un passé mythifié, fantasmé, mais dans lequel il faut s’attendre à voir renaître des sociétés féodales, esclavagistes ou précapitalistes. Un passé dans lequel l’espérance de vie sera divisée par deux. Ou alors aller vers l’avenir.
Nous sommes devant l’obstacle. Soit il faut le sauter, soit il faut renoncer. Arriver à un stade supérieur au capitalisme, à l’impérialisme, est pour nous la seule voie possible.
La concentration, la captation des richesses, entre les mains avides de rapaces entrave le développement et l’avancée de l’humanité dans son ensemble. Les milliardaires se sont mis en tête de se lancer dans le tourisme spatial alors que des millions meurent encore de faim. C’est d’un goût douteux, mais c’est aussi une illustration de leur propre impuissance : la richesse de ces personnages, utilisée à des fins individuelles, leur permet de faire un saut de puce dans le grand vide. C’est bien faible comparé à ce que ces richesses pourraient produire comme avancées, employées avec intelligence.
Eux-mêmes, d’ailleurs, sont limités par leur propre action délétère. Ils font des incursions dans des domaines qui leur plaisent ou dans lesquels ils veulent investir, mais ils entravent la marche générale de l’humanité : c’est-à-dire la capacité qu’a l’humanité d’avancer toute entière sur le chemin du progrès. En empêchant cela, ils s’empêchent aussi eux même d’en profiter. Ils mourront peut-être, ainsi, d’une maladie dont le traitement n’a pas été développé, car les budgets sont vampirisés par l’armée – pour défendre l’impérialisme contre des concurrents ou des gens qui veulent s’en libérer – ou par des soucis de rentabilité. Car l’humanité n’est pas qu’une abstraction, ça n’est pas qu’un concept : c’est aussi une réalité. Plus nous nous libérons de l’esclavage économique, plus nous pouvons nous consacrer à d’autres choses, plus utiles, plus profitables pour l’ensemble d’entre nous. C’est une nouvelle fois la liberté de tous qui est le marquer de la possibilité de liberté pour chacun et chacune.
Faire des moyens de produire les richesses une propriété du peuple tout entier, ça n’est pas que faire un acte de justice sociale. C’est aussi ouvrir la voie à une nouvelle forme d’économie, qui soit, de fait une négation de l’économie actuelle. Une nouvelle économie qui, au lieu d’être une économie politique, devient une abolition de la politique : elle devient une gestion démocratique, collective, raisonnée des richesses planétaires, naturelles, culturelles et sociales. Elle devient non seulement une gestion des ressources naturelles renouvelables, mais surtout une préparation d’une étape nouvelle, inéluctable pour la survie de l’humanité : la capacité de quitter le berceau dont elle est issue et de trouver son destin dans l’univers entier.
Notre ère est celle du choix. Soit l’humanité franchit le stade du capitalisme, de l’accaparation parasitaire, de la prédation, soit elle se condamne elle-même à vivre l’enfer.
Les partisans de la collapsologie, les survivalistes, vivent dans l’attente d’un « Grand crépuscule ». Non seulement ils n’essaient pas d’agir dessus pour le stopper, mais ils l’espèrent, ils l’attendent de leurs vœux. Il y sont idéologiquement préparés, souvent avec des thèses ultra-réactionnaires à l’appui. Ce n’est pas une coïncidence si ces mouvements sont souvent peuplés de néo-nazis. Le Blut und Boden, le sang et la terre était une de leurs marottes. Ils rêvent d’une lutte à mort pour la survie, en pensant être ceux qui la gagneront.
Mais pour reprendre un savoureux tweet par Turing Police traduit par nos soins : « Vous devez accepter le fait qu’en réalité, dans un monde post-apocalyptique, il y a 99 % de chances que vous mouriez de diarrhée après avoir bu de la mauvaise eau et que vous n’aurez jamais la chance de porter une armure de football et de fabriquer une machette avec du ruban adhésif et une lame de tondeuse à gazon ou autre. »
Avancer sur ce chemin, c’est avancer sur celui de l’organisation, de la mobilisation, de la politisation. Avancer sur ce chemin, c’est passer de l’action individuelle, respectable, utile mais limitée, à l’action collective, politique, de masse. De passer à l’action sur la consommation à celle sur la production. À passer du vote pour des gestionnaires du capitalisme à la volonté d’exercer soi-même le pouvoir. Passer de luttes locales, nationales, à la dimension internationale de celle-ci : car il s’agit d’un unique système planétaire dont le bouleversement ne respecte pas les frontières.