L’horreur de l’or gris

« Les fossoyeurs ». Un livre qui a bien failli ne pas sortir tant il fait scandale. Un livre si explosif qu’il a poussé la direction des maisons de retraites ORPEA à proposer 15 millions d’euros à son auteur, à condition qu’il l’enterre. Flairant le scandale et la catastrophe Yves Le Masne, richissime PDG de cette entreprise florissante, s’est délesté des actions de celle-ci, empochant un gros demi-million d’euros au passage1. Dommage pour lui que cela puisse constituer un délit d’initié.

Que s’est il passé ? La société ORPEA, leader mondial des EHPAD, avec 1 156 établissements dans 23 pays, s’est retrouvée épinglée par l’enquête du journaliste indépendant Victor Castanet. Dans le collimateur : des scandales de maltraitance constant, des moyens alloués insuffisants, des patients qui croupissent dans leurs excréments ou qui subissent des violences. Plusieurs personnes, patients, proches, docteurs, personnel, avaient déjà tiré la sonnette d’alarme. Mais l’omerta persistait. Et les témoignages isolés s’accumulaient dans le plus grand silence. Pendant ce temps, ORPEA engrangeait des sommes considérables, tout en produisant son lot de malheurs et de cadavres.

Nous pensons qu’il est important d’opérer une distinction fondamentale entre la direction administrative de ces établissements, ces managers de « l’or gris », et le personnel soignant. Celui-ci est, dans la très large majorité des cas, sincèrement dévoué à aider les personnes âgées, en particulier les plus vulnérables. Mais il le fait dans des conditions tellement difficiles, à la fois matériellement et humainement, que cela ne peut pas ne pas entraîner des déviations dangereuses. La fatigue, l’usure morale, débouche sur des symptômes bien connus du burn out : l’isolation émotionnelle, le cynisme inhabituel, le fait de considérer les humains comme des « dossiers ». C’est là un danger à la fois pour les travailleuses et les travailleurs de ces environnements, mais surtout pour leurs patients, transformés en clients. Cette situation pourrait pourtant très facilement cesser : il « suffirait » pour cela que les directions de ces profitables mouroirs renoncent à une partie de leurs profits. Mais c’est là que le bât-blesse : toucher à la sainte rentabilité est précisément le point non-négociable.

Nous avions publié une brochure (en cours de reformatage) intitulée « tout est un marché ». Elle revenait sur l’incroyable capacité des capitalistes à flairer des marchés au sein desquels ils peuvent faire du profit. Tous les âges, toutes les situations peuvent être propices à donner lieu à des investissements intéressants. Nous avions ainsi parlé des pompes funèbres qui gonflent leurs devis en profitant de la difficulté de faire jouer la concurrence et de la détresse psychologique des endeuillés ; des acheteurs de sang aux USA qui incitent les étudiants à y gagner de quoi payer leurs manuels scolaires ; des vendeurs de containers pour loger des migrants…

Le scandale des maisons de retraites ORPEA, hors de prix, montre la manière dont les personnes âgées sont considérées sous notre régime économique : comme une manne à exploiter aussi rationnellement et avec la même rapacité qu’une mine, qu’un filon d’or ou d’uranium. C’est à dire avec une politique de réduction des coûts et de maximisation des profits. Quand on sait qu’en moyenne, une chambre est facturée en moyenne 2 900€ / mois, il est aisé de voir l’attrait du secteur.

La direction d’ORPEA a bien évidemment nié absolument toute maltraitance. Cela n’a pas empêché l’action de s’effondrer, perdant 70 % de sa valeur. Face au scandale, le gouvernement a annoncé une enquête. Nous n’en attendons pas grand-chose : entre gens de la même classe, la solidarité l’emporte.

Plus largement, il existe une question de société importante, celle de la place donnée à la vieillesse dans une société « jeuniste ». Dans une société où les critères de performance, d’efficacité de leistung, pour reprendre la formulation de la langue du IIIe Reich, sont fondamentales, quelle place pour des gens jugés inutiles ou pesants ? Dans une société dans lequel le présent occupe tout et dans lequel une négation de l’avenir s’opère, on préfère éloigner le déclin, la vieillesse et la mort. Mais cela ne les abolit pas.

20 % des français et des françaises ont plus de 65 ans en 2018. Dans vingt ans, elle cette proportion sera de plus d’un quart. Pourtant, il existe une négation de cette question, négation manifestée par le peu d’entrain à prendre en considération les questions liées aux retraites ou à l’allongement de la durée du temps de travail. Les déclarations constantes du patron du MEDEF quant à cet allongement ne suscitent aucun émoi particulier. Pourtant, à 62 ans, 25 % des plus pauvres sont déjà morts, contre 5 % des plus riches. Une inégalité qui s’accentuera encore avec cet allongement. Ce sont donc des gens qui sont morts en ayant fait que travailler toute leur vie.

Les moyens de subvenir à ses besoins, pour une personne âgée, sont limités. Les retraites restent majoritairement faibles. L’Institut National des Etudes Démographiques indique que 90 % des personnes ne sont pas en mesure de le financer sur la base de leur seul revenu. Le besoin de l’aide « informelle » de la famille ou de l’environnement social joue ainsi un rôle vital.

Pourtant, à moins d’un tragique accident, nous connaîtrons ce destin : celui de vieillir et de devenir dépendant. Et l’avenir est de plus en plus sombre. Pour vivre longtemps, en bonne santé, pour ne pas être les prisonniers des mouroirs qui font de l’argent sur l’or gris, nous avons besoin d’une transformation profonde de la société.

Celle-ci ne tombera ni du ciel, ni d’une urne. Lorsque nous sommes confrontés à l’absence de vergogne de personnes sans scrupules, motivés uniquement par l’appât du gain, comment croire qu’ils toléreront un changement ? Ce ne sont pas des adversaires politiques et sociaux : ce sont des individus qui se sont eux-mêmes placés dans le camp des ennemis du genre humain. Nous devons prendre cet état de fait en considération et en tirer les conclusions justes : il faudra les chasser et leur empêcher de revenir au pouvoir par l’ensemble des moyens à notre disposition.

1À toutes fins utiles, nous rappelons que ce chiffre représente les rentrées annuelles du candidat Eric Zemmour. Relativisons donc.

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